Olaf Breuning de la simplicité trash à la libération des signes

« Sourire doux, regard timide, frêle silhouette : à 30 ans, Olaf Breuning en paraît à peine 18 et s’exprime dans un anglais approximatif- malgré sa récente installation à New York. Une discrétion physique qui…contraste avec son excentrique imaginaire. Drôle de personnage que ce garçon sage né en Suisse. »  , en 1970 à Schaffhaussen.

Son père graphiste l’a initié à la photographie, domaine qu’il a étudié de 1988 à 1993 à Zurich puis de 1993 à 1996 à l’École supérieure des Beaux-Arts de Zurich. Il vit et travaille à New York depuis 2001.

Olaf Breuning réalise des vidéos, des photographies et des installations figuratives dans lesquelles il détourne les images produites par les médias : le cinéma, la publicité, la télévision et les clips. Il aime placer dans son travail des hommes aux cheveux longs, des indiens et des cow-boys, des bimbos siliconées, des monstres, etc. En somme, toutes sortes de personnages qu’il met en scène à sa guise sans respecter les règles d’unité de temps et d’espace.

Olaf Breuning est souvent considéré comme un maître du mauvais goût, du kitsch et de l’horreur. Il a effectivement une prédilection pour les narrations nocturnes, les histoires gores et le monde du rock et du hard rock. Pourtant son univers ne se résume pas à cela. Il porte un intérêt à la nature, aux hommes préhistoriques, aux rapports hommes-femmes, noirs-blancs, ainsi que tout simplement au sens ou plutôt aux sens de l’existence. Il s’inspire de l’art du XXe siècle et fait de nombreux clins d’œil à des artistes contemporains. Tous ces éléments sont mélangés, remixés et scénarisés de sorte que le spectateur pénètre dans un mythe made in Breuning.

L’artiste est également remarquable pour son attachement au self-made (en français, réaliser ou fabriquer soi même). Dans un monde de l’art où le recours à la sous traitance est courant, Olaf Breuning continue à vouloir faire absolument tout, tout seul. Il dessine ses scénarii et ses mises en scènes. Il filme, monte et crée lui même la musique de ses vidéos. Il choisit les accessoires, les lieux de tournage et fabrique les effets spéciaux.

Ce jeune artiste a déjà créé neuf courts-métrages, un moyen-métrage, une soixantaine de photographies et une trentaine d’installations. Il a participé à de nombreuses expositions collectives et a réalisé une quarantaine d’expositions personnelles. Olaf Breuning est un artiste qui jouit d’un succès et d’une reconnaissance internationals. Pourtant il est timide, se livre très peu et ne se prend pas vraiment au sérieux. En témoignent les textes de son site Internet ou les textes de l’ouvrage Home écrits par son ami et acteur Brian Kersteltter : aucune analyse sérieuse des œuvres, juste des anecdotes amusantes et des histoires farfelues. Olaf Breuning se refuse à l’autopromotion ainsi qu’à l’autoanalyse de ses œuvres.

J’ai choisi cet artiste pour des raisons subjectives – j’ai eu un véritable coup de cœur pour son travail – mais il existe plusieurs raisons objectives qui justifient une étude approfondie de son œuvre. Tout d’abord, Olaf Breuning est un artiste atypique qui compte dans le monde de l’art contemporain. De plus, jusqu’à présent aucune étude universitaire n’a été menée sur son travail. Plusieurs ouvrages et catalogues d’expositions ainsi que de nombreux articles traitent du travail d’Olaf Breuning. Mais les écrits répertoriés ne fournissent pas d’analyse en profondeur. Enfin, son univers riche de sens reste un mystère pour un grand nombre de personnes, y compris au sein du milieu de l’art contemporain. Ses œuvres fascinent, intriguent, mais demeurent étrangement distantes aux yeux du spectateur.

J’ai conscience des risques que comporte l’étude d’un jeune artiste, du fait du manque de recul historique que nous avons face à son œuvre. C’est pourquoi je n’étudierai pas les aspects financiers et commerciaux liés à ses activités artistiques, ni la réception publique de son œuvre. Je préfère me concentrer sur les qualités et particularités intrinsèques de son travail et me poserais les questions suivantes :
– Olaf Breuning est-il un blagueur, un fou, un schizophrène, un homme sincère, ironique, sarcastique, un simple d’esprit – ou bien tout ça à la fois ?
– Que veut-il nous dire ? Mille et une vérités ou absolument rien ? Son travail n’est-il qu’un recyclage d’images et de clichés ?
– Comment qualifier et comprendre cette mythologie heavy au regard des expériences artistiques passées et présentes ?

L’univers d’Olaf Breuning est proche du « quotidien médiatique » qui nous entoure et pourtant on ne peut le saisir instantanément. Olaf Breuning est un artiste complexe qui joue avec les nerfs du spectateur. Derrière l’apparente simplicité de ses vidéos, photographies et installations semble se cacher une complexité insoupçonnable. Olaf Breuning a créé un monde fantastique ou fantasmatique personnel, rempli de références, de clichés et de contradictions. Afin de cerner le travail de l’artiste nous allons analyser dans quelle mesure la simplicité apparemment trash des productions d’Olaf Breuning cache des profondeurs de sens complexes et contradictoires ? Le terme « trash », signifiant littéralement « ordures » en anglais, est aussi employé pour qualifier des réalités décalées, violentes ou encore sales et sordides.

Je vais donc m’intéresser aux ambivalences du travail d’Olaf Breuning, puisque dans la forme comme dans le fond son propos est éclectique. Par ailleurs, pour développer ma réflexion, j’interrogerai la place d’Olaf Breuning dans le champ de l’art ainsi que dans la société actuelle.

Étant donnée la richesse de la production d’Olaf Breuning, nous nous appuierons sur un corpus limité d’oeuvres significatives de l’ensemble du travail de l’artiste. Nous ferons notamment référence aux vidéos Home et King tout au long de notre étude afin de décrypter les mécanismes de production de l’artiste.

Home est une vidéo à double écran de 32 minutes. Sur le premier écran est diffusée une vidéo couleur. On y suit les pérégrinations d’un globe trotteur qui s’ennuie profondément. On le voit dans de luxueux hôtels, dans les montagnes péruviennes, dans une station de ski en Suisse et dans la campagne en train de martyriser un jeune Amish. Sur le second écran, les images sont en noir et blanc. On voit le même homme que sur la première vidéo, dans une chambre d’hôtel. Il commente ce qui se passe sur le premier écran. Il paraît un peu fou ou drogué. Ici Olaf Breuning ne nous narre pas à proprement parler une histoire ; il s’agit plutôt d’une succession d’épisodes n’ayant pas forcément de rapport les uns avec les autres.

King est une vidéo couleur de 9 minutes. Les premières images présentent le périple en 4×4 d’un hippie en short et basket dans un désert américain de nuit et au petit matin. Lorsqu’il finit par arrêter son véhicule, il se saisit d’une armure de chevalier en ferraille qu’il jette au sol. Il lance ensuite sa basket au ciel et l’on pénètre soudain dans un clip new age d’une chanteuse aux cheveux rouge et bouclés. Pour finir on retrouve le jeune héros aux dreadlocks, vêtu de l’armure. Il se lance avec son épée dans une quête énigmatique dont on n’aperçoit pas l’objet.

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Table des matières

Introduction
I. Un langage de surface spectaculaire
1. Un monde tout droit sorti d’un fantasme d’adolescent
a) Des microfictions heavy
b) Des personnages hauts en couleur
c) Un environnement fantasmagorique
2. Un travail autonome formellement peu élaboré ?
a) Made it yourself
b) De l’effet spécial raté
c) Une économie de moyen : l’art du cheap
3. Un univers d’expérience médiatique
a) La diversité des références médiatiques
b) Des mises en scènes spectaculaires
c) Des œuvres redondantes ?
II. …Qui dissimule une pluralité de sens et de formes
1. Des fictions particulièrement construites
a) Le détail qui tue
b) Des univers sociaux, culturels et environnementaux éclectiques
c) Un art du mixe et du recyclage
2. Entrecroisement de pratiques et de techniques
a) Du dessin… à la vidéo, un sérieux savoir faire
b) Bien fait, mal fait
c) Un éloge du faux, authentique ?
3. Un art qui ne dit rien mais qui comprend tout
a) Juste pour rire
b) Une absurdité nihiliste
c) Une pluralité de réflexion libératrice
Conclusion

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