Obtention de signatures ADN pour la traçabilité des algues nouvellement exploitées

L’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) estimait à 19 millions de tonnes la production mondiale d’algues en 2010 dont 95,5% était le fruit de l’algoculture (FAO, 2012, www.fao.org/index_fr.htm); cette production rapporterait 5,7 milliard de dollars EU. L’algoculture ne concerne cependant qu’un petit nombre d’espèces comme par exemple l’algue brune Saccharina japonica (Areschoug) C.E.Lane, C.Mayes, Druehl & G.W.Saunders, dont 98,9% de la production mondiale provient de cultures réalisées en Chine (le plus gros pays producteur d’algues, Qin et al. 2004). Les autres espèces les plus cultivées appartiennent aux genres Eucheuma, Gracilaria et Undaria .

La France récolte environ 70 000 tonnes d’algues par an (Chambre syndicale des algues et des végétaux marins 2011) dont 65 000 tonnes pour les alginates (principalement des Laminaires), 5 500 tonnes d’algues de rives et 50 tonnes d’algues de culture. Cette production provient principalement de Bretagne et la majorité des algues sont issues de l’exploitation des populations naturelles (99%). La Bretagne est une région où l’exploitation des algues est à la base d’une filière économique spécifique qui regroupe la quasi-totalité des exploitants français ainsi que des entreprises de transformation de ces algues. Les applications présentes et futures des produits issus des algues sont nombreuses dans le secteur alimentaire (Fleurence et al. 2012), la fertilisation des sols (engrais, Lôpez et Mosquera 2011), les compléments alimentaires pour animaux (Craigie 2011), l’énergie (biofuel, Burton et al. 2009) ou encore la cosmétique (Winberg 2011). Au vu du faible nombre d’espèces d’algues exploitées (Zemke-White and Ohno 1999), il semble aujourd’hui que la ressource algale reste encore largement inexplorée, en particulier en Bretagne, région considérée comme un « hot-spot » de biodiversité (Kerwell 2006) où 93% des algues exploitées sont des Laminaires. Cependant cette ressource potentielle n’est pas inépuisable et la culture de nouvelles espèces autochtones apparait comme une opportunité de développement durable de cette activité pour la région Bretagne. C’est dans ce contexte que s’inscrit le projet « Cultiver et génotyper de nouvelles espèces d’algues pour la cosmétique bleue » dont l’objectif était de valoriser la biodiversité algale, tout en s’affranchissant de l’exploitation intensive des populations naturelles. En effet, l’aquaculture est un moyen de réduire la pression d’exploitation sur les stocks sauvages (Diana 2009), de garantir une régularité dans les récoltes et de s’inscrire dans un contexte de développement durable en préservant le milieu naturel. Par exemple, Seeley et Schlesinger (2012) constatent qu’à l’échelle commerciale, la cueillette d’Ascophyllum nodosum (Linnaeus) Le Jolis dans le milieu naturel présente un risque non négligeable pour les écosystèmes côtiers et les communautés humaines qui dépendent de ces écosystèmes. Ces auteurs recensent des impacts indirects comme le changement d’architecture de l’habitat, la disponibilité d’abris ou de nourriture des communautés associées ; et des impacts directs comme le recrutement des espèces et le renouvellement des populations d’Ascophyllum. Tout cela contribue à la diminution de la richesse spécifique dans ces écosystèmes. Enfin, l’avantage de la culture est aussi de pouvoir contrôler certains facteurs pouvant influencer la qualité des algues produites. En effet, les contenus biochimiques des algues provenant des stocks naturels varient en fonction de la période, du lieu de récolte et des génotypes prélevés (Fleurence 1999, Rouxel et al. 2001, Denis et al. 2010).

Le projet « Cultiver et génotyper de nouvelles espèces d’algues pour la cosmétique bleue » est le fruit de la collaboration entre deux entreprises de culture et d’exploitation d’algues, une entreprise de transformation et un laboratoire de recherche CNRS/UPMC. Le choix des algues s’est fait dans un premier temps d’après leur potentialité à être cultivées et leur intérêt cosmétique et même si de nombreuses études ont déjà montré l’intérêt des substances issues des algues dans la cosmétique (e.g. Kim 2011, Phang 2010, Wijesinghe et Jeon 2011), la production de certaines espèces dans un contexte industriel reste encore un domaine inexploré. En effet, la mise au point de l’algoculture dépend non seulement d’une connaissance approfondie des conditions de cultures mais aussi de l’aptitude des espèces à se développer en culture, de leur cycle de vie (domestication), de la sélection des espèces et des souches et du contrôle de qualité (Winberg 2011). Le premier objectif de ce projet visait à caractériser génétiquement les espèces sélectionnées, pour leur intérêt économique et leur potentiel de développement en culture, et de les comparer aux espèces phylogénétiquement proches en utilisant des outils de biologie moléculaire de type barcoding (Hebert et Gregory, 2005). Nous avons utilisé pour cela des séquences nucléotidiques de gènes et/ou d’espaces intergéniques appartenant aux différents compartiments chloroplastiques, mitochondriaux et nucléaires. Puis, afin de mettre au point une méthode rapide pour identifier les espèces nous avons développé des méthodes basées sur le principe des RFLP (Polymorphisme de longueur des fragments de restriction), pouvant être utilisée directement par les cultivateurs et/ou les industriels (Antoine et Fleurence 2003, Abe et al. 2012). Le second objectif consistait à étudier les ressources génétiques des espèces cibles et à identifier les souches cultivées (ou variétés). Une première estimation de la variabilité génétique intraspécifique a été faite le long des côtes bretonnes (du golfe Normano-Breton au sud Bretagne).

Matériels et Méthodes

Les espèces sélectionnées

Notre étude a porté sur cinq espèces qui ont été sélectionnées par les industriels; deux espèces de Rhodophyta: Calliblepharis jubata (Goodenough & Woodward) Kützing (Cystocloniacées) et Polysiphonia elongata (Hudson) Sprengel (Rhodomélacées); deux espèces de Phaeophyceae: Pylaiella littoralis (Linnaeus) Kjellman (Acinetosporacées) et Bifurcaria bifurcata R.Ross (Sargassacées) et une espèce de Chlorophyceae : Cladophora rupestris (Linnaeus) Kützing (Cladophoracées).

Algues rouges

Calliblepharis jubata (Goodenough & Woodward) Kützing
Dans ce genre, les frondes sont plus ou moins aplaties et peuvent atteindre 30 cm de long. La plupart des espèces présentent une base ramifiée caractéristique. La systématique du genre Calliblepharis a conduit à une classification simple et stable qui ne comprend que cinq espèces mondialement (Guiry et Guiry 2012). Les deux espèces présentes en Bretagne Calliblepharis ciliata (Hudson) Kützing et Calliblepharis jubata sont facilement identifiables morphologiquement. Calliblepharis jubata est une espèce commune qui se présente sous la forme de frondes aplatis, épais et cartilagineux. Les lames de couleur rouge brun sont plus ou moins cassantes et étroites. Des proliférations épineuses sont observées sur le thalle et/ou sur la marge de celui-ci. Ces proliférations sont plus ou moins abondantes selon la saison et peuvent se détacher pour former de nouveaux thalles par bouturage (Feldmann 1954). Les individus sont pérennants par leur base formée de nombreux crampons (Loiseaux-de Goër et Noailles 2008). Son cycle de reproduction est haplodiplontique isomorphe (alternance d’individus haploïdes et diploïdes). Le gamétophyte est dioïque. Les tétrasporophytes apparaissent d’avril à juin. Cette espèce se trouve sur les rochers (epilithe) ou encore épiphyte sur diverses algues (Corallines en particulier, Lithothamnium calcareum, Feldmann 1954) dans l’infralittoral depuis la ceinture de Fucus serratus Linnaeus jusqu’au plus profondes ceintures de Laminaires (-25 m). Cette algue atteint sa taille maximale au printemps (avril) période à laquelle peut s’observer de nombreuses formes de thalle, avec des axes plats plus ou moins cylindriques, (Annexe 1). Sa distribution s’étend de l’Europe à l’Amérique du Sud et dans le Sud-Ouest Asiatique (Guiry et Guiry 2012).

Polysiphonia elongata (Hudson) Sprengel
Le genre Polysiphonia est un groupe très divers comprenant plus de 900 taxons répertoriés dont près de 200 sont actuellement reconnus comme valides (Guiry et Guiry 2012). La systématique des Rhodomelaceae est un champ de recherche dans lequel il reste encore beaucoup à faire pour obtenir une classification stable. Par exemple, Kim et Lee (2006) ont mis en évidence un nouveau genre, Neosiphonia, morphologiquement proche des Polysiphonia, caractérisé par leurs structures végétatives et reproductives (Encadré 1). Trente et une espèces de Polysiphonia ont été renommées sous le genre Neosiphonia comptant maintenant 33 espèces (Guiry and Guiry 2012). Le nombre précis d’espèces de Polysiphonia et de Neosiphonia reste cependant difficile à estimer sur la base de caractères anatomorphologiques en raison de la forte plasticité phénotypique rencontrée dans ces groupes (Kim et al. 2000) et d’un manque de caractères diagnostiques rendant l’identification difficile voire impossible (Kim et Yang 2006). Le long des côtes Bretonnes, Feldmann (1954), dans l’inventaire de la Flore marine de Roscoff, répertoriait 21 espèces de Polysiphonia ainsi que 3 variétés (Tableau 1). Depuis, les nombreuses études de taxonomie moléculaire ont remis en cause la systématique de ce groupe (e.g. Choi et al. 2001, McIvor et al. 2001, Kim et Yang 2005). Ainsi lorsque l’on compare cette liste à la base de références AlgaeBase (Guiry et Guiry 2012), le nombre d’espèces reconnues taxonomiquement n’est plus que de 19 (Tableau 1), un nombre identique au nombre d’espèces de Polysiphonia (et Neosiphonia) proposées par Maggs et Hommersand (1993). Parmi celles-ci, 14 espèces appartiennent au genre Polysiphonia et 5 espèces ont changé récemment de genre (2 Boergeseniella, 2 Neosiphonia et 1 Vertebrata).

Polysiphonia elongata est une algue cartilagineuse, cylindrique, brun-roux pouvant mesurer jusqu’à 30 cm. Elle est ramifiée avec une base discoïde. Les rameaux sont alternes et dichotomes, dense au printemps (Feldmann 1954). L’axe central est entouré par 4 cellules péricentrales, puis 4 autres alternées avec les premières, les axes matures sont cortiqués. On peut trouver de grands individus fertiles toute l’année. Son cycle de reproduction est de type « haplo-diplontique » isomorphe (Figure 2) avec alternance d’individus haploïdes (les gamétophytes) et diploïdes (les tétrasporophytes) de même taille et de même forme. Les gamétophytes sont dioïques (pieds mâles et pieds femelles séparés) et sont reconnaissables à maturité par la présence d’organes de reproduction. Les tétrasporophytes matures présentent de longues séries de tétraspores en spirale (Figure 2). Cette espèce est fréquente dans la région Bretonne (Feldmann 1954), elle est trouvée dans des stations abritées, sur les rochers, les fonds sableux (parfois profondément enfoncées dans le sable (Feldmann 1954) et sur les coquilles vides. C’est une espèce pérenne, bien développée au printemps et qui perd la plupart de ces ramules en été (Loiseaux-de Goër et Noailles 2008). Sa distribution géographique est vaste, Atlantique Nord, Bassin méditerranéen, Atlantique sud et Sud-Ouest asiatique (Guiry et Guiry 2012).

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Table des matières

Introduction générale
I. Contexte général de la thèse
A. Un projet entre recherche appliquée et recherche fondamentale
B. Les attentes des acteurs de la filière
II. Le concept d’espèce chez les algues
A. Les concepts d’espèce
B. La notion d’espèce chez les algues
III. La délimitation d’espèces par une approche de type « ADN barcoding »
A. Le barcoding
B. Le barcode chez les algues
IV. Structure du document
Chapitre 1. Obtention de signatures ADN pour la traçabilité des algues nouvellement exploitées
I. Introduction
II. Matériels et Méthodes
A. Les espèces sélectionnées
1. Les algues rouges
1. a. Calliblepharis jubata (Goodenough & Woodward) Kützing
1. b. Polysiphonia elongata (Hudson) Sprengel
2. Les algues brunes
2. a. Bifurcaria bifurcata R.Ross
2. b. Pylaiella littoralis (Linnaeus) Kjellman
3. L’algue verte
2. a. Cladophora rupestris (Linnaeus) Kützing
B. L’échantillonnage
C. L’approche moléculaire
D. RFLP
III. Résultats
IV. Discussion
Chapitre 2. Mise en évidence d’espèces cryptiques chez Pylaiella littoralis
I. Contexte de l’étude et principaux résultats
II. Article 1: « Unraveling sibling species within Pylaiella littoralis (Ectocarpales, Pheophyceae) using phylogenetic, ecological and biological evidences»
Chapitre 3. Mise en évidence d’une introduction cryptique, le cas de Polysiphonia morrowii
I. Contexte de l’étude et principaux résultats
II. Article 2: « Cryptic introduction of the red alga Polysiphonia morrowii Harvey (Rhodomelaceae, Rhodophyta) in the North Atlantic Ocean highlighted by a DNA barcoding approach »
Chapitre 4 : Utilisation de marqueurs moléculaires pour inférer un scénario d’introduction
I. Contexte de l’étude et principaux résultats
II. Article 3: « Genetic diversity of the cryptic introduced species Polysiphonia morrowii (Ceramiales, Rhodophyta): evidence for multiple introductions»
Conclusion générale

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