La quantification de la lumière et l’introduction du quanta associé remontent au début du siècle avec les travaux théoriques de Planck en 1900 sur le rayonnement du corps noir et d’Einstein en 1905 sur l’effet photoélectrique. L’observation d’un quanta de lumière n’a été cependant réalisée que dans la seconde moitié du xxe siècle.
Carmichael montre en 1985 [12] que la lumière transmise par une cavité contenant un atome unique en régime de couplage fort permet également d’obtenir des photons dégroupés. Le calcul de Carmichael montre que la population de la cavité est limitée à 0 ou 1 photon. Ce phénomène est précisé par Imamo¯glu et al en 1997 [13]. Ces derniers lui donne le nom de blocage de photon par analogie au blocage de Coulomb en physique mésocopique [14]. La première réalisation suit en 2005 [15] pour un atome unique, puis pour une boîte quantique [16].
Il existe deux chemins reliant l’état |10i à l’état |20i qui ont des phases différentes si U est non nul. Suivant la valeur de cette différence de phase, la population de l’état |20i peut être soit supérieure, soit inférieure à la population attendue pour un état cohérent. Les photons émis par la cavité peuvent donc être bunchés ou antibunchés. L’étude de Bamba et al montre que seule une des cavités doit être non-linéaire, et l’optimum de blocage est obtenu pour U = (2κ3 )/(3√ 3J 2 ). De nombreux travaux théoriques ont suivi ces deux études fondatrices. Les références [22, 23] ont montré que le blocage anormal apparaît si l’on pompe indifféremment une ou deux cavités. La référence [24] calcule le blocage anormal en tenant compte du degré de liberté supplémentaire de polarisation. Les références [25, 26] traitent le cas où les deux cavités sont remplacées par les modes à 2ω et à ω d’une unique cavité non-linéaire. La référence [27] considère le cas où le couplage entre les cavités est réalisé avec une boîte quantique. La référence [28] considère le cas d’un couplage complexe entre les cavités et la référence [29] le cas d’un couplage dissipatif. Le cas de trois cavités couplées a été introduit dès le premier article de Liew et Savona. Là encore, de nombreuses variantes ont été théoriquement étudiées [30, 31, 22]. Une revue théorique sur le blocage anormal a récemment été publiée par Liew et Savona [32]. Il apparaît donc que le blocage anormal est un comportement général pour un grand nombre d’Hamiltoniens. Cette universalité a été expliquée dans [33] par Lemonde et al : dans tous ces systèmes, un état comprimé est généré. La valeur de g2 (0) pour de tels états peut en effet être inférieure à 1 lorsque le paramètre de squeezing ξ et le déplacement α vérifient α 2 ≈ ξ [34, 35, 36]. Cette propriété des états comprimés a été observée expérimentalement en optique [37, 38], indépendamment du blocage anormal. Cette formulation du blocage anormal en termes d’état squeezé est un élément central dans cette thèse.
Le phénomène de blocage de photon dans une cavité s’inscrit dans un domaine de recherche plus vaste, celui de l’électrodynamique quantique en cavité. Ce domaine a connu ces dernières années un développement rapide dans le régime micro-onde avec l’avènement de la « circuitQED » , [39, 40, 41, 42]. Ces circuits sont constitués de résonateurs supraconducteurs et d’atomes artificiels réalisés avec des jonctions Josephson. L’observation du régime de couplage fort [39, 40] a rapidement permis l’observation du blocage normal [43, 44, 45], et il est donc naturel de chercher à observer le phénomène de blocage anormal en micro-onde. Nous montrerons dans cette thèse comment concevoir puis fabriquer un circuit supraconducteur composé de deux cavités dont l’une est non-linéaire pour observer le blocage anormal [46, 47]. Du fait de la faible énergie d’un photon micro-onde, il n’existe pour l’instant pas de détecteur de photon unique tel qu’en optique et une mesure de g2 (t − t0 ) en régime de comptage n’est pas possible. Dans le contexte de l’optique quantique micro-onde, de nouvelles techniques de mesure ont été développées. Ces différentes techniques de tomographie utilisent des opérations quantiques et la lecture de l’état d’un qubit [48], un amplificateur paramétrique [49] ou un amplificateur linéaire [50]. Cette dernière technique de mesure est relativement simple à mettre en oeuvre puisque l’élément clé est un amplificateur cryogénique commercial. Récemment ce type de mesure a permis de mettre en évidence des corrélations quantiques entre photons émis par une jonction tunnel ou une jonction Josephson polarisée [51, 52]. Dans cette thèse, nous avons utilisé cette méthode qui nous permis de mesurer g2 (t − t 0 ) pour des états à très faible nombre de photons (≈ 5 × 10−2 photons dans la cavité) et de mettre en évidence le blocage anormal.
Phénomène de blocage anormal
Le phénomène de blocage anormal a été prédit théoriquement par Liew et Savona [18] en 2010. En résolvant numériquement l’équation maîtresse du système, ils ont découvert que la probabilité de mesurer deux photons dans le mode 1 peut s’annuler pour certaines valeurs de paramètres U,J,κ,δ1 et δ2, et ce même si le rapport U/κ est extrêmement faible. Dans ce chapitre, nous allons d’abord reproduire le calcul de Bamba et al [21]. Avec ce calcul, nous montrerons l’apparition du blocage anormal de photon dans le régime où les deux cavités ont une population très inférieure à un photon. Puis nous regarderons le cas plus général à grand nombre de photons en nous inspirant de l’approche développée par Lemonde et al [33].
Blocage anormal à très faible nombre de photons
Lorsque les deux modes bosoniques sont tous les deux très peu peuplés, on peut développer la fonction d’onde sur la base de Fock et ne garder que les états à 0,1 et 2 photons comme proposé par Bamba et al [21] :
|ψi = C00 |00i + (C10 |10i + C01 |01i) + (C20 |20i + C11 |11i + C02 |02i) + …
Où on a défini les kets |iji = |ii1 ⊗ |ji2 , l’indice 1 et 2 référant au mode. Ce développement n’est valide que lorsque le nombre de photons dans chaque mode est proche de 0. On suppose donc :
1 ≈ C00 >> (C01, C10) >> (C20, C11, C02)
Influence des désaccords cavités-pompe
Notre système expérimental nous permet de contrôler la fréquence de pompe ωp ainsi que la fréquence de la cavité non-linéaire ω2. Les largeurs κ1, κ2, le couplage J ainsi que la non-linéarité pourront être choisis avant de réaliser l’expérience, mais ne seront pas ajustables in situ. Si on pompe faiblement le système, on peut utiliser l’équation analytique donnant la valeur de g2(0) à faible nombre de photons I.15. On représente sur la figure I.18 g 2 (0) en haut à gauche pour des cavités de mêmes largeurs κ1 = κ2 = 1. On met en regard en haut à droite (ntot1 /η)2 , dénominateur de I.15. Ce terme est proportionnel au nombre de photons dans la cavité. On s’aperçoit que le phénomène de blocage se produit pour des fréquences où le couplage entre les deux cavités produit une interférence destructive dans la cavité 1, c’est à dire là où la population est la plus faible. En bas de la figure I.18, on représente des coupes de g 2 (0) en fonction de ωp pour différentes valeurs de ω2. On voit que pour des cavités de même largeur (κ1 = κ2), la valeur optimum pour la fréquence de la seconde cavité est ω2 = ω1. Autour de cet optimum le phénomène de blocage anormal devient de moins en moins visible. L’échelle de désaccord pour laquelle le blocage anormal est visible est aussi donnée par κ. Cette courbe nous montre que pour observer le phénomène de blocage anormal, le mieux est d’avoir ω1 = ω2, la tolérance de désaccord entre les cavités est donnée par κ.
Tolérance acceptable sur les paramètres κi, J et U
Nous venons de quantifier la tolérance sur le désaccord entre les cavités. De même, on peut se demander quelle est la tolérance que l’on peut avoir sur le réglage de la non-linéarité et des largeurs de cavité. L’échelle d’énergie est donnée par κ1 que l’on fixe à 1. Comme nous l’avons montré, le paramètre J a peu d’influence sur le blocage anormal. Étudions l’influence de κ2 et U sur g2 (0) (donnée par I.15) autour de leur valeur optimale, qui est respectivement, κ2 ≈ κ1 et U ≈ Uopt. Notre système expérimental nous permet de faire varier ω2 et ωp nous pouvons donc utiliser cet avantage. Sur la figure I.19 on représente les résultats obtenus en imposant différentes valeurs pour κ2 et U tout en gardant J et κ1 fixe. On recherche pour chaque paramètres κ2 et U la valeur minimum pour g2 (0) en optimisant ω2 et ωp. On s’aperçoit qu’il existe une large zone où l’on peut rendre g 2(0) très faible. Cette robustesse vis-à-vis des paramètres des cavités est due au fait que l’on peut ajuster l’interférence avec les paramètres ωp et ω2. En haut à droite, on représente (ntot1 η) 2 obtenu. En bas, on représente les valeurs de ω2 et ωp obtenues pour minimiser la valeur de g 2 (0). Nous venons donc de montrer que l’effet de blocage anormal est robuste par rapport à une asymétrie des largeurs des cavités et par rapport à la non linéarité tant que l’on dispose des deux paramètres ajustables ω2 et ωp.
Mesure à 10 mK dans un cryostat à dilution
Le cryostat utilisé pendant cette thèse est un cryostat à dilution fabriqué par Cryoconcept, modèle Hexadry 400. La figure II.3 présente le schéma du câblage micro-onde et une photo du cryostat. De 300 K à 4 K nous utilisons des câbles inox, puis, de 4 K à 10 mK des câbles supraconducteurs niobium titane (NbTi). Ces câbles sont thermalisés sur les étages à 1 K et 100 mK par des mors en cuivre. La température de base mesurée est de 10 mK, ce qui montre que la puissance thermique ramenée par les câbles est inférieure à 2 µW.
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Table des matières
Introduction
I Étude théorique du blocage anormal
I.1 Système de deux cavités couplées
I.1.1 Hamiltonien et équations du mouvement
I.1.2 Phénomène de blocage anormal
I.1.3 Blocage anormal à très faible nombre de photons
I.2 Approximation gaussienne
I.2.1 Solution classique et stabilité
I.2.2 Fluctuations quantiques : hypothèse gaussienne
I.2.3 Calcul de g2(0) pour un état gaussien
I.2.4 État gaussien du blocage anormal
I.3 Résolution numérique de l’équation maîtresse
I.3.1 Opérateur de Lindblad déplacé
I.3.2 Évolution de g2(0) en fonction de la puissance de pompe
I.3.3 Influence de la température et du déphasage pur
I.4 Temps de corrélation du blocage anormal
I.4.1 Calcul dans l’approximation gaussienne
I.4.2 Calcul numérique par le théorème de régression quantique
I.5 Détermination des paramètres expérimentaux
I.5.1 Contraintes expérimentales
I.5.2 Influence des désaccords cavités-pompe
I.5.3 Tolérance acceptable sur les paramètres κi, J et U .
II Fabrication et mesure
II.1 Mesures micro-onde à basse température
II.1.1 Mesure à 1.5 K dans un bain d’Hélium pompé
II.1.2 Mesure à 10 mK dans un cryostat à dilution
II.1.3 Calcul du rayonnement thermique sur l’échantillon
II.2 Résonateurs supraconducteurs
II.2.1 Fabrication de résonateurs supraconducteurs
II.2.2 Montage et préparation des échantillons
II.2.3 Étude du couplage d’un résonateur
II.3 Jonctions Josephson
II.3.1 Technique de fabrication
II.3.2 Mesure à température ambiante de la résistance des jonctions
II.3.3 Caractérisation DC d’un SQUID à basse température
III Conception et caractérisation de l’échantillon final
III.1 Conception de l’échantillon
III.1.1 Résonateur non-linéaire
III.1.2 Couplage entre résonateurs
III.1.3 Couplage au monde extérieur
III.2 Modélisation de l’échantillon final
III.2.1 Circuit électrocinétique équivalent
III.2.2 Théorie Input-Output
III.3 Caractérisation expérimentale de l’échantillon final
III.3.1 Couplages et pertes de la cavité linéaire
III.3.2 Fréquence de résonance, couplages et perte de la cavité non-linéaire
III.3.3 Couplage entre cavités
III.3.4 Non-linéarité
IV Mesure des fluctuations quantiques
IV.1 Principe de la mesure
IV.1.1 Théorie de l’amplification et ordre de grandeur
IV.1.2 Température de bruit d’un amplificateur cryogénique
IV.1.3 Technique de mesure alternée des moments
IV.2 Évaluation du rapport signal à bruit
IV.2.1 Rappel sur la mesure de g2(0)
IV.2.2 Calcul de la densité de probabilité des quadratures mesurées
IV.2.3 Simulation de l’erreur statistique
IV.3 Dispositif expérimental et traitement des données
IV.3.1 Chaîne de mesure
IV.3.2 Calibration du bruit et du gain de la chaîne d’amplification
IV.3.3 Calibration de l’IQ
IV.3.4 Caractérisation de la température de l’état de référence
IV.4 Mesure de g2(0) avec et sans l’hypothèse gaussienne
IV.4.1 Acquisition et traitement des données
IV.4.2 Estimation de g2(0) avec et sans hypothèse gaussienne
IV.4.3 Évolution de l’erreur statistique en fonction du nombre de points de mesure
IV.4.4 Vérification de l’hypothèse gaussienne sur les moments d’ordre quatre
V Étude expérimentale du blocage anormal
V.1 Un exemple de mesure en utilisant l’hypothèse gaussienne
V.2 Étude des erreurs systématiques introduites
V.3 Influence du désaccord entre les cavités
V.4 Évolution de g2(0) en fonction du nombre de photons
V.5 Mesure de g2(0) sans hypothèse gaussienne
V.6 Mesure de g2(τ )
Conclusion
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