Observation clinique d’une dyade fraternelle.
La rivalité dans le lien de type fraternel : Rencontre avec Alexandre et Félix
Ces travaux de recherches se déroulent dans le cadre de mon année de Master 1 et s’appuient sur un stage ayant eu lieu en centre médico-psycho-pédagogique (C.M.P.P.). Ce lieu de stage permet de rencontrer de nombreuses problématiques différentes sur les plans psychiques et familiaux. Notons qu’une forte composante transculturelle est présente et nécessaire dans la pratique des psychologues de l’institution, notamment du fait d’une localisation géographique impliquant la rencontre fréquente avec diverses populations dont les origines diffèrent. Le C.M.P.P. possède une mission double de diagnostic et de traitement thérapeutique. La mission de soin peut prendre des formes diverses, comme des thérapies individuelles, familiales ou encore en groupe thérapeutique. C’est d’ailleurs au sujet d’un de ces groupes, le groupe musicothérapie, que va se porter mon intérêt et ma réflexion. En effet, c’est au sein de ce groupe que se retrouvent deux jeunes, Alexandre et Félix, dont l’évolution des relations a été pour moi un point d’interrogation majeur. De plus, je m’interroge sur les origines et répercussions thérapeutiques que peut avoir une telle relation, en lien avec les problématiques les ayant amenés à être inscrit au groupe musicothérapie. Ce lien particulier, créé au long de l’année, me fait tout particulièrement penser à deux frères, capables de se montrer la plus profonde affection mais aussi une très grande rivalité. Je viendrai donc questionner la nature psychologique de cette relation de type fraternelle et étudier, sous forme d’hypothèses, quels pourraient être les éléments psychologiques à l’origine d’une structuration de cette relation sur un mode rivalitaire prononcé. Ce travail suivra un déroulement en trois points distincts. Je commencerai donc par une brève présentation du groupe thérapeutique, de ses modalités, ainsi que des enfants participants au groupe. Cette partie permettra de plus d’aborder les éléments d’anamnèses des deux enfants sur lequel mon intérêt se porte. Le second point cherchera à décrire, dans une optique clinique, les grands temps de cette relation particulière entre Félix et Alexandre, ainsi que son évolution au sein du groupe. Ce point sera l’occasion d’observer des éléments particuliers du fonctionnement psychique de chacun des deux enfants et leur vécu d’une relation dont les origines sont multiples. Enfin, le troisième point sera dédié au questionnement du matériel clinique récolté à l’aide de concepts théoriques dans l’optique d’apporter certaines explications à la spécificité de cette relation fraternelle entre deux jeunes garçons, suivant des hypothèses de recherche posées préalablement. Par nécessité de préserver l’anonymat des enfants cités dans ce travail de recherche, l’ensemble des noms ont été modifiés.
Description du cadre du groupe
L’espace musicothérapie est un groupe thérapeutique fermé, ayant lieu une fois par semaine hors vacances scolaires. Celui-ci est composé de cinq enfants pour l’année en cours. Il est animé par un psychologue, un psychomotricien, ainsi que moi, en tant que stagiaire psychologue, non pas observateur mais participant à l’animation des séances, au même titre que les deux professionnels. Une séance dure environ trois quarts d’heure. Elle débute toujours par un temps de parole, où chacun est invité à évoquer les éléments dont il a envie. Ce temps permet d’obtenir des éléments sur la coloration affective de l’adolescent par rapport aux évènements récents. S’en suit une première écoute où la consigne donnée consiste à penser à une image, une histoire, sur un modèle de libre-association à partir du stimulus sonore. Les professionnels participent aussi, en donnant une évocation personnelle, pouvant ou non induire des questionnements chez les enfants, et ayant un effet facilitateur dans la prise de parole des jeunes. Le choix de la musique utilisée à chaque séance est laissé aux professionnels, en fonction des affects recherchés. Tous les styles musicaux sont exploités, mais le morceau choisi doit rester instrumental, car il a été considéré que la parole allait entraver le processus imaginatoire des préadolescents. Une phase active s’engage après ce temps d’écoute et de paroles. Les enfants peuvent choisir parmi les instruments proposés, des percussions (pour des facilités d’utilisation). Durant les premières semaines, l’hétérogénéité des niveaux entre les enfants nécessite que le rythme soit proposé par les professionnels. Progressivement, la familiarisation avec les instruments a permis à chaque enfant de pouvoir proposer son propre rythme, permettant l’expression de la créativité de chacun. Il apparait que c’est souvent durant cette phase active que surgissent les affects les plus forts dans le groupe. Ces passages entre un temps accordé individuellement et une phase de jeu groupal permettent un échange entre ces deux scènes, qu’il convient d’interroger particulièrement.
Descriptions d’Alexandre et Félix : De multiples problématiques.
Le groupe, par définition, rassemble les sujets qui amènent leur propre subjectivité. De ce fait, ce lieu commun s’érige sur des points de différences et de rapprochements dont naîtront les mouvements affectifs du groupe. Je vais donc, pour se familiariser avec les deux enfants faisant l’objet de mon étude, présenter des éléments d’anamnèses d’Alexandre et Félix. Mon travail de recherche portant spécifiquement sur ces deux enfants, il ne me semble pas essentiel d’apporter les éléments d’anamnèses des trois autres enfants présents dans le groupe. Leur influence sur la dyade fraternelle est certaine, mais cette influence sera traitée indépendamment de leur histoire de vie. Débutons par Alexandre. Celui-ci a douze ans lorsqu’il est orienté vers le groupe musicothérapie. C’est le cadet d’une fratrie de trois enfants, l’une de ses grandes sœurs ayant déjà été suivie au C.M.P.P. La petite section et la moyenne section ne montrent pas de difficultés chez Alexandre, mais dès la grande section, celuici se montre particulièrement agité et pleure énormément. L’entrée en classe préparatoire a fait surgir des difficultés majeures dans les apprentissages, se renforçant au fil des ans, puis des troubles au niveau de son comportement. Il est même parfois décrit comme pouvant être « très méchant » avec d’autres enfants de l’école. Pour autant, Alexandre et sa famille n’évoquent pas de plainte particulière. Le suivi thérapeutique est donc mis en place en réponse à la demande de l’école, Alexandre étant déjà dans une unité spécialisée pour l’inclusion scolaire (U.L.I.S.). Ce parcours scolaire adapté est d’ailleurs vécu par Alexandre comme une importante blessure narcissique pouvant induire une forte dévalorisation. Il y présente parfois une forte agressivité à l’égard de ses camarades. Au sein du cadre familial, les éléments du dossier viennent supposer que la mère est au premier plan de la relation éducative. Le père d’Alexandre semble être plutôt absent, tant au niveau éducatif qu’affectif. La relation à l’image paternelle donne ainsi plutôt lieu à un évitement de type phobo-obsessionnel, conséquence d’un vécu abandonnique. Pour autant, alors qu’Alexandre semble être en demande, son père ne vient pas se poser en tiers dans cette relation exclusive mère/enfant. Notons de plus que les bilans psychologiques ont montré un retard d’organisation cognitive et de structuration symbolique et, de ce fait, une immaturité psycho-affective importante, en lien avec la structuration particulière du noyau familial. C’est dans le cadre du jeu qu’Alexandre peut exercer une toute-puissance narcissique et une défense maniaque face à l’angoisse, montrant une fois de plus l’immaturité psycho-affective. En réponse à cette défaillance du symbolique, le corps est placé au premier plan du fonctionnement psychique d’Alexandre, en contraste le plus total avec ses grandes difficultés à parler de lui-même, évoquer ses ressentis et états affectifs. Félix, âgé de onze ans, est un enfant dont le début de la vie est marqué par un vécu d’orphelinat en Russie. Il est adopté et arrive en France aux environs de l’âge de trois ans, suivant la même procédure que son grand-frère, lui aussi adopté mais n’ayant aucun lien de parenté avec lui. Notons que l’institution ne dispose pas d’informations précises à propos de ces trois années d’orphelinat. Il est adressé au C.M.P.P. à l’âge de cinq ans pour des difficultés de concentration, sur le plan graphique et d’acceptation du cadre scolaire. D’importantes angoisses d’abandon seront repérées à son arrivée. Plus tard, cette angoisse semblera se dissiper, mais des difficultés au niveau comportemental feront jour. Ainsi, ses parents évoquent une incapacité à « se poser » et des tendances à la transgression. De plus, ses parents disent de Félix qu’il « s’autopunit ». Bien que sa vie relationnelle en milieu scolaire soit riche avec ses pairs, son contact avec les autres reste marqué par l’évitement et une certaine méfiance. Félix a souvent été dans une recherche de sensations fortes, de prises de risques lorsqu’il était plus jeune. Un suivi en psychomotricité a été mis en place, afin de permettre à Félix d’apprivoiser son corps et de dépasser cette recherche de sensations fortes, signes d’une relative immaturité, avec succès. Le groupe musicothérapie lui est proposé pour poursuivre ses progrès et travailler des problématiques de vie en groupe. Ajoutons que Félix suit actuellement des cours de batterie au Conservatoire, faisant de lui le jeune le plus familier avec le matériel musical et rythmique utilisé en groupe musicothérapie.
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Table des matières
LA RIVALITE DANS LE LIEN DE TYPE FRATERNEL : RENCONTRE AVEC ALEXANDRE ET FELIX
Introduction
1. Présentation du groupe et éléments d’anamnèse.
1.1. But thérapeutique du groupe.
1.2. Description du cadre du groupe
1.3. Descriptions d’Alexandre et Félix : De multiples problématiques.
2. Observation clinique d’une dyade fraternelle.
2.1. Premières séances : Le temps de la rencontre.
2.1.1. A la conquête de la scène groupale.
a) Séance 1 : Aperçu des problématiques psychiques individuelles.
b) Séance 3 : Déploiement d’Alexandre et régression psychique de Félix.
2.1.2. Les premières manifestations de rivalité
a) Séance 4 : Représentation du groupe paradoxale chez Félix et identification d’Alexandre
b) Séance 5 : Premier rejet de Félix et poursuite du lien d’Alexandre
2.2. Une relation marquée par l’instabilité affective.
2.2.1. Séance 6 : Le désir de complicité
2.2.2. Séance 8 : Sensibilité de Félix à la menace d’éclatement du groupe induite par Alexandre.
2.2.3. Séance 10 : Destitution de Félix et inclusion d’Alexandre au sous-groupe des plus jeunes.
2.2.4. Séance 11 : Groupe restreint et satisfaction globale.
2.2.5. Séance 12 : Un groupe déstabilisé par l’importante rivalité.
3. Synthèse
4. Hypothèses de recherche
5. Articulation clinico-théorique
5.1. La fraternité : Fils de père et de mère.
5.1.1. Le mythe de la horde : La rivalité entre père et fils.
a) Le mythe de la horde primitive.
b) Identification du groupe au mythe.
5.1.2. L’imago maternelle au sein du groupe
5.2. La relation au frère comme espace privilégié d’élaboration du noyau familial.
5.2.1. La part archaïque du complexe fraternel dans la relation.
5.2.2. Le complexe fraternel œdipianisé.
5.2.3. Envie, jalousie et tendresse fraternelle.
a) L’envie : Possession et corruption de l’objet.
b) La jalousie : Droit légitime à l’amour.
c) La tendresse fraternelle : Sublimation de la haine.
5.3. Statut transitionnel de la rivalité et son expression grâce au médiateur sonore.
5.3.1. La rivalité comme espace transitionnel propre.
5.3.2. Apport du médiateur sonore dans l’élaboration de la question fraternelle.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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