Le spectaculaire enrichissement en métaux des étoiles, au cours de l’évolution chimique de la Galaxie, a posé aux astrophysiciens un problème considérable. Il est maintenant bien admis que les éléments plus lourds que l’hélium se sont formés peu à peu dans la Galaxie essentiellement au coeur des étoiles et ont été éjectés dans le milieu environnant soit sous forme de vents stellaires soit pendant l’explosion de supernovæ. En moyenne, plus une étoile est vieille, plus la matière dont elle s’est formée fut pauvre en métaux. Les étoiles de faible masse (M< 0, 8M) ont une durée de vie supérieure au temps de Hubble, on peut donc encore trouver dans la Galaxie des étoiles qui se sont formées très peu de temps après la formation de la Galaxie. Ces étoiles sont reconnaissables à ce que leur atmosphère est extrêmement pauvre en métaux (mais on n’a pas trouvé d’étoile sans métaux). Elles se sont formées à partir de nuages dont la composition chimique reflétait les ejectas des toutes premières supernovae qui ont explosé dans la Galaxie. Les progéniteurs de ces toutes premières supernovae devaient être des étoiles massives dont la durée de vie est très courte (de 10 à 100 millions d’années). Seules ces supernovae avaient alors eu le temps d’enrichir la matière en éléments lourds. L’étoile la plus pauvre en métaux connue à ce jour est HEO107-5240 (Christlieb et al., 2002) avec environ 100000 fois moins de métaux que le soleil. On connaît environ 4 étoiles avec une métallicité inférieure ou égale au 1/10000 de la métallicité solaire et une centaine avec une métallicité inférieure à 1/1000 de la métallicité solaire. L’étude de la composition chimique précise des étoiles très déficientes apporte des informations précieuses sur les débuts de l’histoire Galactique. Des arguments en faveur d’une formation précoce et massive de métaux à partir d’étoiles sans métaux ( Population III) de très grande masse : cette très grande masse serait justement due à l’absence de métaux, conduisant à l’absence de perte de masse. Ces objets très massifs produisent des éjectas un peu différents de ceux des supernovæ classiques, et on peut chercher leur signature dans les étoiles très déficientes : une information précieuse alors qu’on a aussi proposé que ces objets pourraient être la cause de la réionisation précoce trouvée par le satellite WMAP. Ces objets fourniraient une des explications possible à l’absence (jusqu’à présent) d’étoiles sans métaux dans les relevés systématiques.
Origine des éléments : un peu d’histoire
L’origine des éléments a posé un problème difficile aux astronomes pendant longtemps. Il a fallu attendre le début du XXe siècle, l’avènement de la mécanique quantique et de la physique nucléaire pour qu’une explication satisfaisante soit apportée. Les premières mesures d’abondances dans l’atmosphère solaire et dans les météorites montraient que globalement, plus un atome est lourd et plus il est rare. A cette règle générale s’ajoute l’exception des éléments compris entre le lithium et le bore (Z= 3 à 5) qui, bien que légers, sont extrêmement rares dans la nature. Gamow en 1942 a d’abord pensé que tous les éléments se formaient après le «Big Bang», par additions successives de neutrons, suivies de désintégrations β, mais il est vite apparu que le refroidissement de la matière était alors trop rapide pour que l’on puisse former des éléments plus lourds que 7Li( pour lequel Z= 3). Hoyle en 1946 a suggéré que les étoiles pouvaient être le lieu de formation des éléments. La découverte en 1952 d’un élément, le technétium, dont tous les isotopes sont radioactifs et dont le plus long a une demi-vie de 106 ans, a confirmé que les étoiles devaient être considérées comme des lieux probables de nucléosynthèse. En 1957, deux articles «fondateurs» de la nucléosynthèse stellaire, ont été publiés, celui de Burbidge et al. (1957) et celui de Cameron (1957). Dans ces articles, les auteurs analysent les conditions qui permettent de synthétiser les éléments et montrent que ces conditions sont réunies au cœur des étoiles. Pour Burbidge et al. (1957) des éléments de plus en plus lourds sont formés au coeur des étoiles selon huit processus différents (fusion de l’hydrogène, fusion de l’hélium, processus α, etc.). Ensuite ces éléments sont expulsés dans la matière environnante lors de l’explosion de l’étoile sous forme de supernova, et peu à peu la matière galactique s’enrichit en éléments lourds. Burbidge et al. (1957) ont exposé un premier panorama complet et cohérent de l’origine des éléments et de l’enrichissement en métaux de la Galaxie. Certes il y a dans cet article beaucoup d’inexactitudes mais le schéma de la formation des éléments dans l’Univers était alors tracé. Il a été depuis beaucoup perfectionné. Pour le quarantième anniversaire de cet article, Wallerstein et al. (1997) ont fait le point des principaux changements advenus depuis, et des principales interrogations qui demeurent. Si la nucléosynthèse lors de la vie «calme» des étoiles est assez bien connue, ce qui se passe au moment de l’explosion des supernovæ est beaucoup plus incertain. À ce moment les taux des réactions deviennent très sensibles aux conditions instables dans lesquelles elles se produisent (essentiellement la température). Ces conditions elles-mêmes sont mal déterminées : les enchaînements des phases successives sont complexes. Ce qui fait que selon les modèles utilisés, on peut voir des différences entre les prédictions des éjectas des supernovæ par les différents modèles. Ces éjectas dépendent à la fois de la masse et de la métallicité de l’étoile qui explose, et de l’histoire qui l’a amenée à l’explosion. On considère généralement deux types de supernovæ :
– les supernovæ thermonucléaires ou de type Ia. Dans ce cas, deux étoiles tournent l’une autour de l’autre. L’une d’entre elles (une naine blanche composée de carbone et d’oxygène) accrète la matière de l’autre, et finit par dépasser la masse de Chandrasekhar (1, 4 M), et par conséquent explose. Ces étoiles peu massives (leur masse initiale est inférieure à 8 M), ont une durée de vie longue (> 1 milliard d’années), et n’ont donc normalement pas eu d’influence sur l’enrichissement en métaux au tout début de la vie de la Galaxie.
– les supernovæ dites gravitationnelles ou de type II, dont l’explosion est due à l’effondrement gravitationnel de l’étoile. Les progéniteurs de ces supernovae sont des étoiles massives, leur masse est comprise entre 9 et 40 M. (Des étoiles supermassives > 100M pourraient même éventuellement exister et ne pas finir en «trou noir»). Les progéniteurs de ces supernovae ont une durée de vie très courte( inférieure à 1 milliard d’années). On pense donc que ces supernovae sont les principales responsables de l’enrichissement de la matière au début de la vie de la Galaxie.
Dans ce qui suit, nous allons faire une rapide description des réactions de nucléosynthèse qui ont lieu dans les étoiles, depuis la fusion de l’hydrogène, jusqu’à l’explosion de l’étoile. Comme seules les étoiles massives ont eu le temps d’enrichir le milieu au début de la vie de la Galaxie nous allons nous concentrer sur ce type d’étoiles. Notons que la description de ces phénomènes est basée sur la théorie de l’évolution stellaire. On considère qu’une étoile est une sphère gazeuse en équilibre hydrostatique. La physique des intérieurs stellaires fait intervenir les 4 forces fondamentales de la physique, la gravitation, les interactions électromagnétiques, les forces nucléaires fortes, les forces nucléaires faibles. L’évolution de l’étoile est décrite à travers divers processus physiques : équation d’état (gaz parfait, gaz dégénéré), propriétés thermodynamiques, hydrodynamique…
Évolution des étoiles et nucléosynthèse
Dans cette partie, nous allons rappeler rapidement les principales étapes de la nucléosynthèse dans les étoiles. Dans les étoiles se succèdent des phases de fusion dans le cœur (ou dans les couches adjacentes) et de contraction. Dans les étoiles massives ces fusions successives vont produire des éléments de plus en plus massifs jusqu’au fer, avec l’augmentation de la température du cœur. Tout d’abord une étoile naît d’un nuage qui se contracte. Quand la température au coeur de l’étoile est supérieure à 107K la fusion de l’hydrogène s’amorce. Un équilibre s’établit, la température et la luminosité de l’étoile sont alors uniquement définies par sa masse et sa composition chimique. L’étoile est alors sur ce que l’on appelle la série principale, elle y reste pendant la majeure partie de sa vie (80%). Pendant ce temps, l’étoile va brûler de l’hydrogène, et le transformer en hélium. Ensuite cet hélium sera à son tour brûlé. Puis ce sera au tour du carbone, du néon, de l’oxygène et du silicium si l’étoile est suffisamment massive pour que la température du coeur soit suffisante pour allumer ces fusions successives.
Fusion de l’hydrogène
L’hydrogène est le carburant majeur de toutes les étoiles. Sa fusion est le premier maillon de la nucléosynthèse. La fusion de l’hydrogène peut se faire soit par le cycle proton-proton, soit par le cycle CNO :
– le cycle proton-proton permet de transformer les atomes d’hydrogène en 4He. La première réaction de fusion qui a lieu est la transformation d’un proton et d’un neutron en deutérium ( 2H) suivant la réaction p (n, γ) D, ou la réaction symétrique n (p, γ) D. Ensuite, soit par l’intermédiaire du tritium ( 3H), soit de l’hélium 3 ( 3He), les étoiles produisent de l’hélium 4 ( 4He);
– le cycle CNO a lieu quand la température du cœur de l’étoile augmente (et que du C, N, O est disponible !). Comme on peut le voir sur la figure 1.1 page suivante, ce cycle fait intervenir beaucoup d’éléments. La réaction 14N (p, γ) 15O étant la plus lente, il y a accumulation de 14N par ce cycle. La réaction de fusion globale de l’hydrogène peut s’écrire 4p→ 4He + 2e ++2ν. Cette réaction est la plus exothermique de toutes les réactions qui vont se produire au cours de la vie de l’étoile. C’est pourquoi une étoile passe la plus grande partie de sa vie (80%) dans cette phase de fusion de l’hydrogène. Quand l’hydrogène s’épuise au centre, le coeur de l’étoile se contracte mais la combustion de l’hydrogène se poursuit dans la couche qui entoure le cœur. L’étoile quitte alors la séquence principale et décrit la branche des géantes rouges. Lors de cette phase s’il y a un mélange entre la couche qui fusionne l’hydrogène et l’atmosphère de l’étoile, la composition chimique de l’atmosphère peut être altérée et se trouver enrichie en éléments produits par le cycle CNO (essentiellement 14N et 13C). Lorsque le cœur de l’étoile s’effondre, sa densité augmente ainsi que sa température. Lorsque celles-ci deviennent suffisantes, la fusion de l’hélium démarre.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1 Nucléosynthèse et Supernovae
1.1 Origine des éléments : un peu d’histoire
1.2 Évolution des étoiles et nucléosynthèse
1.3 Prédictions des ejectas de supernovæ et modèles d’évolution galactique
Chapitre 2 Observation, réduction et traitement des données
2.1 Observations
2.1.1 Sélection des étoiles
2.1.2 Observations au VLT
2.1.3 Le spectrographe UVES
2.1.4 Détails des observations
2.2 Réduction
2.2.1 Normalisation du spectre
2.2.2 Mesure les largeurs équivalentes
2.2.3 Comparaison des mesures avec des études précédentes
2.3 Base de données
2.3.1 Réalisation de la base de données
Chapitre 3 Modélisation et calcul des spectres théoriques
3.1 Calculs théoriques
3.1.1 Rappels sur les atmosphères stellaires
3.2 Le calcul des raies stellaires
3.2.1 Absorption continue
3.2.2 Absorption sélective
3.2.3 Énergie totale absorbée dans les raies
3.3 Modèles utilisés
3.3.1 Détermination de la température effective des étoiles
3.3.2 Détermination de la vitesse de microturbulence
3.3.3 Détermination de la gravité
3.3.4 Détermination des abondances
Chapitre 4 Abondances des éléments et dispersion cosmique
4.1 Abondances des éléments du carbone au zinc
4.2 Estimation des erreurs dans la détermination des abondances
4.2.1 Erreurs dues aux incertitudes sur les paramètres du modèle
4.2.2 Erreurs dues aux incertitudes sur les paramètres des raies
4.2.3 Erreurs induites par l’incertitude sur la mesure des raies
4.2.4 Erreurs totales sur les abondances
4.3 Variation des abondances en fonction de la métallicité
4.3.1 Carbone et azote
4.3.2 Éléments α
4.3.3 Métaux légers impairs
4.3.4 Éléments du pic du fer
4.4 Étude de la dispersion
4.5 Distributions individuelles
4.6 Composition chimique de CS 22949–037
4.7 Abondances
Conclusion