Industrie nucléaire française et stockage des déchets
L’industrie nucléaire française voit réellement le jour avec l’installation entre les années 1950 et 1970 de neufs réacteurs à uranium naturel graphite gaz. Aujourd’hui, avec plus d’une cinquantaine de réacteurs de différents niveaux de puissance répartis sur l’ensemble du territoire, le nucléaire représente 74, 8% de la production d’électricité française, s’inscrivant ainsi comme principale énergie produite et consommée en France. Cette source d’énergie produit des déchets radioactifs qui sont des substances pour lesquelles aucune utilisation ultérieure n’est prévue ou envisagée. Il existe également d’autres sources de production de déchets nucléaires telles que les hôpitaux, les universités et plusieurs activités liées à la défense. La diversité des produits utilisés ainsi que la nature différente des activités listées précédemment conduisent à distinguer plusieurs catégories de déchets. Ces derniers sont classés selon leur activité et leur période radioactive. Le niveau de radioactivité détermine l’importance des protections à mettre en place. Ainsi, un déchet sera qualifié d’une très faible, faible, moyenne ou haute activité. La période radioactive se caractérise en fonction des radionucléides contenus dans le déchet. Ce dernier portera la dénomination de ”vie courte” s’il ne contient que des radionucléides de période inférieure à 31 ans et de ”vie longue” s’il contient en quantité significative des radionucléides de période supérieure à 31 ans. Il existe, selon la catégorie à laquelle appartient un déchet nucléaire, plusieurs façons de le gérer : le tri, le traitement et le conditionnement, ainsi que l’entreposage et le stockage. C’est l’Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA) qui s’est vue confier, avec la loi du 28 juin 2006, la mission de rechercher des solutions de stockage pour les déchets radioactifs français de Faible Activité à Vie Longue (FAVL), de Haute Activité Vie Longue (HAVL) et de Moyenne Activité à Vie Longue (MAVL). Ces derniers n’ont en effet pas encore de solutions de gestion établies dans le cadre du Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs. Pourtant, bien que les colis MAVL et HAVL ne représentent qu’une faible part des déchets radioactifs en volume (environ 3.2 % dont 0.2 % pour les Haute-Activité en 2010), ils concentrent la quasi-totalité de la radioactivité (plus de 99.9 % dont 96 % pour les Haute-Activité en 2010). Concernant les colis HAVL, l’ANDRA teste actuellement des ouvrages creusés dans les argiles du Callovo-Oxfordien (époque du Jurassique). Ce programme est désigné, par la loi de programme du 28 juin 2006 relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs, comme la solution de référence pour l’évacuation définitive des déchets MAVL et HAVL. Plus précisément, il s’agit de réaliser des galeries pour le stockage des colis radioactifs. Celles-ci sont forées à l’horizontal et à la perpendiculaire d’une galerie principale située à environ 500 mètres de profondeur. Ces galeries sont construites avec des méthodes d’excavation et soutènement différentes et leur diamètre varie de 0.75 m (pour les alvéoles de stockage) à 10 m (pour les galeries principales). Le matériau dans lequel elles sont creusées est une argilite possédant des caractéristiques physiques et chimiques lui permettant de limiter la migration des radionucléides.
Coins anguleux et fissures de Griffith
Dans le but de proposer la géométrie représentative d’un tunnel que nous avons utilisée, nous souhaitons établir quelques résultats sur les géométries idéalisées. D’un point de vue purement mécanique, la présence dans une structure de coins anguleux, éventuellement fermés pour des fissures, est généralement synonyme de présence de singularités de contraintes. Ce phénomène bien connu est tout à fait acceptable d’un point de vue énergétique. Cependant, considérer des zones où les contraintes deviennent infinies peut sembler, de prime abord, être assez éloigné de la réalité physique des problèmes traités. Puisque ces singularités sont liées à la manière idéalisée dont un problème en particulier a été représenté, il est légitime de se poser la question du bienfondé du modèle utilisé. En effet, en changer aurait l’avantage, tout du moins en apparence, de mieux coller à la réalité tout en s’épargnant la présence des singularités qui peuvent s’avérer délicates à gérer d’un point de vue numérique. Pour autant, adopter des coins arrondis présente également son lot d’inconvénients. Cela conduit par exemple à introduire des nouveaux paramètres, tels que le rayon de courbure du coin, qui peuvent être difficiles à quantifier et dont les effets sur les résultats recherchés devront être in fine quantifiés. Au delà du point de vue pratique, l’existence même de deux modélisations pose la question de la cohérence des deux approches entre elles. Avant de préciser les choix que nous avons faits pour bâtir notre modèle géométrique, nous souhaitons réunifier les deux modèles en montrant que les résultats qu’ils donnent sont en parfaite adéquation. Afin d’illustrer notre propos, nous proposons de nous appuyer sur le cas des modèles de fissures. En effet, la littérature sur le sujet distingue deux grandes familles de modèles géométriques servant à appréhender un objet de type fissure :
— La première consiste en une représentation de la fissure comme deux faces parallèles confondues (segments pour des problèmes bidimensionnels en déformations ou en contraintes planes ou surfaces planes pour des problèmes tridimensionnel). Il s’agit du modèle historique proposé par Griffith [1921]. En particulier, le fond de la fissure s’apparente à un dièdre d’ouverture nulle et les points appartenant à la lèvre supérieure de la fissure sont géométriquement confondus avec ceux de la lèvre inférieure. Dans cette représentation idéalisée, la fissure plate, dite de Griffith, s’apparente à une ligne ou à une surface présentant une discontinuité du champ de déplacement. Une analyse locale montre classiquement que ce modèle s’accompagne également d’un champ de contrainte présentant une singularité au niveau de la pointe de la fissure. C’est cette structure particulière du champ de contrainte qui a menée à l’introduction des célèbres facteurs d’intensité de contrainte. Ces deux phénomènes tirent bien évidemment leur origine dans le choix de modélisation de la fissure par un objet géométrique de mesure nulle (surface ou volume suivant la dimension du problème considéré).
— La deuxième propose d’appréhender la fissure par une cavité aplatie mais de mesure non nulle. Ce sont notamment une ellipse en deux dimensions ou un ellipsoïde en 3D qui sont utilisés, tous deux étant aplatis et donc caractérisés par de petits rapports d’aspect. Tant que ce dernier n’est pas nul, le modèle permet d’éviter la discontinuité de déplacement mais surtout de s’affranchir des phénomènes de singularités. Nous parlerons dans ce cas de fissures elliptiques ou ellipsoïdales.
Taux de restitution de l’énergie en milieu infini
Une dernière typologie de Ginc étant intéressante correspond à une situation où un problème est, comme pour l’exemple de la Sous-section 4.5.5, piloté en efforts mais où, cette fois-ci, une nucléation stable est envisageable. Le problème proposé pour permettre d’illustrer ce type de problème correspond à une structure infinie. Par conséquent, il s’agit là de l’occasion de clarifier la notion de variation d’énergie potentielle en milieu infini. Il a été vu que la force thermodynamique associée à la propagation ou la nucléation d’une fissure est le taux de restitution d’énergie, qu’il soit infinitésimal pour la propagation (et noté G), ou fini pour la nucléation (et noté Ginc). La variation d’énergie potentielle existant entre deux situations est par conséquent une quantité cruciale. Cependant, appréhender cette dernière de manière précise n’est pas chose aisée. En effet, il est à noter que, bien souvent, les problèmes traités consistent en l’apparition d’objets de petite dimension dans de grandes structures. Par conséquent, les variations apportées par la présence de la fissure peuvent être vues comme une perturbation par rapport à la situation initiale. Cela implique que la variation d’énergie potentielle induite est généralement d’un faible ordre de grandeur par rapport à la quantité énergie potentielle elle-même. Ce phénomène est d’autant plus marquant qu’il est courant de substituer à des structures finies des structures infinies. Se faisant, un accès plus simple à des approches analytiques est souvent obtenu et la dépendance vis à vis de la taille macroscopique de la structure est écartée. Les classiques facteurs d’intensité de contrainte pour une fissure dans un plan en déformations planes sont par exemple obtenus pour un domaine infini. De plus, pour les problèmes bidimensionnels, une approche très efficace et dont la puissance a déjà été illustrée précédemment est basée sur les transformations conformes. Cette dernière permettant d’obtenir des solutions exactes, il serait très agréable de pouvoir l’utiliser afin d’accéder au taux de restitution d’énergie. Cependant, si une telle méthode est envisagée, il est intéressant de traiter ou bien de structures convexes et bornées ou alors de domaines infinis possédant un trou de forme quelconque, l’avantage de ces deux configurations étant que la forme des potentiels complexes associés est alors parfaitement connue. Puisque la présence d’une fissure ou d’un trou hôte le caractère convexe à la structure considérée, il est plus agréable, dans les cas où cela est possible, de se placer dans une situation de domaine infini. Malheureusement, utiliser de telles structures s’accompagne de son lot de complications. En effet, l’énergie potentielle devient alors un concept mal définie. Par exemple, les frontières ne pouvant pas être explicitées, il est impossible de donner une définition claire du travail virtuel des efforts extérieurs donnés. De plus, il est connu que l’énergie potentielle ne reste pas finie lorsque la structure est vue comme la limite d’une suite de domaines dont les frontières extérieures sont repoussées à l’infini. Cela signifie également que plus la structure considérée est grande et plus il devient délicat de quantifier au niveau énergétique la variation liée à la nucléation de la fissure puisque cette dernière sera effectivement une perturbation arbitrairement petite. Une problématique bien réelle est donc de savoir comment calculer proprement la différence d’énergie potentielle existant entre deux situations, l’une saine et l’autre fissurée, pour une structure infinie. Bien que cette question soit classique et abondamment documentée, nous pensons utile d’en souligner certains aspects peut-être moins connus. Un exemple très simple, permettant de bien fixer les idées, sera traité dans un premier temps. A partir de celui-ci, une méthode permettant d’obtenir la quantité cruciale Ginc et se basant sur les potentiels complexes des deux situations considérées sera établie, montrant ainsi une nouvelle fois toute l’efficacité des méthodes de transformations conformes.
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Table des matières
1 Motivations du sujet
1.1 Contextualisation du sujet
1.2 Critère mixte
1.3 Endommagement local et modèles à gradient d’endommagement
1.4 Organisation du manuscrit
2 Analyse des contraintes au voisinage du front de taille
2.1 Modélisation géométrique du problème
2.2 Justification d’une analyse bidimensionnelle
2.3 Singularités de contrainte en anisotrope
2.4 Conclusions et modèle de fissure
3 Utilisation d’un critère mixte
3.1 Problème bidimensionnel et énergie potentielle
3.2 Principe de la zone de raccord
3.3 Existence de la zone de raccord en thermique
3.4 Existence de la zone de raccord en mécanique
3.5 Application de la méthode et détermination de la longueur d’initiation
4 Stabilité de la nucléation et conséquences pour les applications
4.1 Longueur de nucléation et description géométrique d’une fissure
4.2 Thermodynamique à l’échelle microscopique
4.3 Représentation tridimensionnelle d’un objet fissure
4.4 Thermodynamique à l’échelle macroscopique
4.5 Un critère de nucléation purement énergétique
4.6 Taux de restitution de l’énergie en milieu infini
5 Nucléation et couplage thermo-poro-élastique
5.1 Introduction
5.2 Équations d’état thermo-poro-élastiques
5.3 Adiabaticité macroscopique
5.4 Représentation tridimensionnelle d’une fissure
5.5 Thermodynamique de la nucléation
5.6 Autres évolutions
6 Analyse duale et taux de restitution d’énergie
6.1 Introduction
6.2 Principe de l’analyse duale
6.3 Approches éléments finis en contraintes
6.4 Méthode basée sur les vecteurs contraintes par arêtes
6.5 Bilan des différents procédés et application de la méthode
7 Application du critère énergétique à l’excavation d’un tunnel et aux fissures en chevron
7.1 Différentes méthodes permettant de manipuler le critère énergétique
7.2 Contexte axisymétrique
7.3 Influence de l’anisotropie de contraintes
7.4 Une influence de l’anisotropie du matériau
7.5 Conclusion
8 Endommagement et homogénéisation des milieux quasi-périodique
8.1 Motivation de l’approche
8.2 La méthode des développements asymptotiques
8.3 Densité volumique macroscopique d’énergie élastique
8.4 De l’échelle microscopique vers un modèle macroscopique non local
8.5 Le premier ordre de la densité volumique macroscopique d’énergie élastique
8.6 Un modèle à gradient d’endommagement basé sur la microméchanique
8.7 Conclusion
9 Stabilité et localisation pour un comportement endommageant
9.1 Introduction
9.2 Critère de Hill
9.3 Adaptation du critère de Hill à une évolution adiabatique
9.4 Considérations générales pour l’endommagement d’un barreau unidimensionnel
9.5 Construction d’un exercice académique
9.6 Localisation et dynamique
Conclusion
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