Nozick et la théorie des droits individuels

Les droits procéduraux

   Aux droits naturels substantiels auxquels nous sommes habitués- le droit de faire usage de sa personne et de sa propriété légitiment acquise sans être victime de violence, NOZICK ajoute de prétendus « Droits procéduraux ». C’est-à-dire des droits à une certaine procédure pour évaluer l’innocence et la culpabilité. Dans sa démarche pour appliquer sa thèse aux activités potentiellement dangereuses, intimidantes et improductives de l’agence dominante dont il prétend qu’elles justifient le monopole coercitif de l’Etat ultraminimal, NOZICK insiste sur le fait que les Droits procéduraux de l’individu se résument au Droit de voir sa culpabilité établie par la moindre dangereuse des procédures connues pour évaluer la culpabilité. C’est-à dire par celle qui représente le moindre de risques d’affirmer la culpabilité d’une personne innocente. Mais pour autant que l’on se comprenne bien, cette théorie des notions des droits de procédure, de la démonstration publique de culpabilité, et ainsi de suite, a un statut très vague dans la théorie de l’état de nature. Car elle s’appuie sur des maximes très connues revêtant la forme suivante : mieux vaut « m » personnes coupables et libres que « n » innocents et punis. De plus, poursuit-il, la tradition des droits naturels offre peu d’orientations sur, précisément, ce que sont les droits procéduraux de chacun dans un état de nature, sur la fonction dont les principes spécifiant comment chacun doit agir intègrent une forme de connaissance dans leurs différents alinéas. Pire, non seulement la procédure de justice d’un autre diffère de la vôtre pour le pire ; mais également vous n’avez aucune connaissance fiable sur la procédure de justice d’un autre, se désole-t-il. Cela ne militant cependant pas pour le respect des droits individuels, de la dignité humaine, il semble dès lors très logique de compter sur le philosophe américain pour une critique pointue de cette procédure dans la théorie de la nature. Car se préoccupant de protéger les droits contre toute violation. Il en va ainsi qu’à ses yeux de tels droits procéduraux sont instables et non fiables. L’administration privée de la justice a donc plus d’inconvénients qu’elle n’a d’avantages. Il s’en suit que pour étayer son propos, notre auteur doit considérer quels arrangements pourraient être faits à l’intérieur de l’état de nature pour faire face à ces inconvénients, les éviter, rendre leur apparition moins plausible, ou les rendre moins importants quand ils apparaissent. Parce que notera Robert NOZICK : « Dans l’état de nature, le droit naturel compris peut ne pas pourvoir à toutes les circonstances de façon adéquate, et des hommes qui jugent leur propre chose se donneront toujours le bénéfice du doute, et supposeront qu’ils sont dans leur droit. Ils surestimeront le mal ou les dommages soufferts et leurs passions les mèneront à tenter de punir les autres plus qu’en proportion de leur faute et à exiger d’excessives compensations. L’exécution privée et personnelle de ses propres droits mène-t-elle à des querelles, à une série sans fin d’actes de représailles et d’exaction de compensation. Et il n’existe pas de moyen sûr de régler ce conflit, d’y mettre terme et de faire savoir aux deux parties qu’il est terminé. […] »30 Aussi dans un état de nature, une personne peut manquer du pouvoir de faire respecter ses droits ; elle peut être dans l’incapacité de punir ou d’exiger une compensation d’un ennemi plus fort qui les a violés. On peut bien imaginer ici que la préoccupation de notre auteur est de mettre en place un système de punition performent, fiable, un système qui minimise la valeur du mal injustifié qu’une personne subit, soit parce qu’elle est injustement punie, soit parce qu’elle est victime d’un délit. Ainsi précise-t-il : « Dire qu’il vaut mieux qu’un nombre quel qu’il soit de coupables soit libre plutôt qu’une personne innocente soit punie exigerait vraisemblablement de ne pas voir de système de punition du tout. Car n’importe quel système que nous pouvons établir, qui parfois punit effectivement quelqu’un, implique nécessairement un risque appréciable de punir un innocent, et le fera presque à coup sûr si le système s’applique à un grand nombre de personnes. » On peut présumer que, pour NOZICK, il est fort douteux, pour dire le moins, qu’il existe une clause de la loi de nature pour régler la question de savoir s’il est plus grave d’être puni quand on est innocent ou d’être victime d’un délit (même dans le cas où les deux actions impliquent le même résultat physique pour eux). Il s’en suit qu’avec la meilleure volonté du monde, les individus favoriseront des procédures différentes produisant des probabilités différentes qu’un innocent soit puni. Mais, étant donné qu’on ne peut pas, semble-t-il, interdire  légalement à quelqu’un d’utiliser une procédure uniquement parce qu’elle offre une probabilité marginalement supérieure de punir un innocent que ne le fait la procédure que vous jugez optimale. Du fait que, selon Robert NOZICK, après tout, votre procédure préférée se situerait dans le même rapport vis-à-vis de celle de quelqu’un d’autre. A cet effet, même s’il en résulte que les gens dans l’état de nature doivent tolérer (c’est-à-dire ne pas interdire l’utilisation de procédure dans leur voisinage), il n’en demeure cependant pas moins que pour l’auteur de l’Anarchie, Etat et utopie, ils puissent interdire l’utilisation de procédures les plus risquées. A ces précisions, il note : « Une personne indépendante pourrait se voir interdire d’exercer une justice de façon privée parce que la procédure est réputée risquée et dangereuse – c’est-à-dire qu’elle implique un plus grand risque (qu’une autre procédure) de punir une personne innocente ou de trop punir une personne coupable – ou parce qu’on ne sait pas si la procédure employée par cette personne indépendante est risquée. »  Plus précisément, NOZICK reconnait que dans l’état de nature les individus y ont des droits d’utiliser la force pour repousser ou punir les agresseurs qui ont violé leurs droits. Il est tout aussi essentiel, que dans cet ordre d’idée, il mette sur pied un système de punition des punisseurs non fiables. Cela dans la mesure où : « Personne n’a le droit d’utiliser une procédure relativement peu fiable en vue de décider de punir ou non quelqu’un. En utilisant un tel système, il ne se trouve pas en position de savoir que l’autre mérite une punition ; et aussi n’a-t-il aucun droit de le punir. »Conscient des risques, des dangers d’être juge dans sa propre affaire, l’auteur de l’Anarchie, Etat et utopie, précise qu’une populace en furie, saccageant, brulant, et tuant tout sur son passage, violera évidemment les droits de ses victimes. En conséquence, quelqu’un pourrait être tenté de justifier le châtiment d’une personne qu’il sait être étrangère au crime qui a déchainé la foule, arguant que cette punition d’un innocent permettrait d’éviter encore plus de grandes violations des droits de l’homme et rapprocherait la communauté de l’optimum défini par la minimisation de ces violations. Toutefois, comme dans les utopies anarcho-capitalistes, NOZICK imagine que les individus, pour profiter au mieux des avantages d’une division du travail, seront conduits à confier la responsabilité de leurs sécurités à des agences spécialisées, lesquelles institueront entre elles des procédures d’arbitrage privé. En des termes plus clairs, pour l’auteur de l’Anarchie, Etat et utopie, le marché libre amènera la plupart des gens à recourir aux agences de protection et aux institutions privées dont les procédures sont les mieux acceptées par les membres de la société, et dont les jugements sont approuvés et respectés comme ce qui se rapproche le plus de la vérité dans les questions d’innocence et de culpabilité. Nous sommes, à ce stade du cheminement nozickéen, de ce que Sébastien CARE appelle, dans la pensée libertarienne, genèse, fondements et horizons d’une utopie libérale, le terminus de l’utopie anarcho- capitaliste. La critique de cette dernière par NOZICK consiste à montrer que l’on ne peut pas s’en tenir là et que, tout en respectant les principes qui la fondent, on est tenu à envisager l’émergence spontanée d’un Etat. NOZICK soutient ainsi que malgré les précautions qui s’imposent à elles, les agences de protection privées seront toujours amenées à s’affronter. Il imagine différentes situations dans lesquelles ces affrontements se dérouleront. Il se peut qu’une agence donnée sur un territoire remporte la majorité de ces conflits et que les clients des agences concurrentes se tournent vers elle, lui conférant le monopole de fait. Dans tous les scénarios imaginés par NOZICK, l’issue est identique, il se trouvera toujours à la fin une agence dominante sur un territoire donné qui exercera un monopole de facto. Comme le note Sébastien CARE, toujours dans la même œuvre, NOZICK considère que ce monopole comprend la détermination des procédures judiciaires concernant l’appréhension et le jugement des suspects ainsi que la punition des coupables. NOZICK insiste sur le fait que l’agence dominante n’exerce qu’un monopole de facto et ne réclame le privilège d’aucun autre droit. Puisqu’elle seule met en vigueur des restrictions portant sur les procédures de justice des autres, dans la mesure où elle l’estime nécessaire. Elle ne revendique pas le droit d’interdire les autres de façon arbitraire ; elle ne revendique que le droit d’interdire des procédures véritablement défectueuses sur ses clients. Pour affiner ce point de vue, NOZICK peut imaginer que l’agence protectrice dominante offre deux types de polices de protection : Elle protège les gens contre une administration privée et risquée de la justice et contre le vol, l’attaque à main armée etc. On retrouve ici en filigrane une sorte de ressemblance, ou du moins une sorte d’apparence avec la justice procédurale pure déjà développée par RAWLS dans la Théorie de la justice. Même si, NOZICK reproche précisément à Rawls de ne pas respecter ce principe qu’il prétend pourtant prendre au sérieux, et cela parce qu’il resterait prisonnier du cadre contractualiste, donc constructive de sa théorie de la justice. Il affirme cependant tout comme Rawls que, dans une société, la justice des institutions ne peut se définir qu’en termes de justice procédurale pure. Une justice procédurale pure qu’il convient toutefois d’opposer à la justice procédurale imparfaite. La justice procédurale est dite parfaite lorsqu’il existe une procédure dont on  est sûr qu’elle va produire un résultat juste, et imparfaite dans le contraire. Par contraste, dans la justice procédurale pure, il n’existe pas de critère indépendant qui définisse la justice d’un état de choses. On définit à la place la justice de la procédure, et l’on convient qu’un état de choses sera juste, quel qu’il soit si I) il est le résultat d’une procédure juste, et (II) cette procédure a effectivement été mise en œuvre. L’importance de la clause (II) apparait clairement si l’on considère l’exemple du jeu de hasard. On s’est mis d’accord sur des règles considérées comme justes par tous. Le résultat, on le conçoit, peut être quelconque, puisque le fruit du hasard, et cependant tous devront le considérer comme juste. Cependant, on conçoit aussi que ce serait une escroquerie de considérer qu’il est juste de s’en tenir à tel résultat qui nous arrange, parce qu’on pourrait l’obtenir en suivant une juste procédure. C’est une condition indispensable que la procédure soit effectivement mise en œuvre.35 Ainsi, précise-t-il : « la justice procédurale pure s’exerce quand il n’y a pas de critère indépendant pour déterminer le résultat correct, au lieu de cela, c’est une procédure correcte ou équitable qui détermine si un résultat est également correct ou équitable, quel qu’en soit le contenu, pourvue que la procédure ait été correctement appliquée. » Dès lors, pour appliquer à la répartition la notion de justice procédurale pure, Rawls pense qu’il est nécessaire de créer un système d’institution qui soit juste (just) et de l’administrer impartialement. Car pour lui, la juste procédure qui est nécessaire n’existe que si à l’arrièreplan la structure de base est elle-même juste. Ce qui inclut la justice de la constitution politique et la justice de l’organisation des institutions socio-économiques. Il convient ainsi de rappeler que la structure de base est un système publique de règles qui définit des formes d’activité conduisant les hommes à coopérer afin de produire une grande somme d’avantages et qui reconnait à chacun des droits sur une partie de ce qu’il a produit. Il convient également de rappeler que de telles considérations suggèrent, selon l’auteur de Théorie de la justice, que l’on traite la répartition comme une question de justice procédurale pure. A rebours de ces précisions, la procédure imparfaite semble être, pour ainsi dire, une procédure incorrecte et inéquitable. Pour mieux comprendre son propos, n’est-il pas judicieux de reprendre son exemple d’une justice procédurale imparfaite qui est fourni par un procès criminel ? En effet, le résultat souhaité est que l’accusé soit déclaré coupable si et seulement s’il a commis le crime. Cela étant, il parait impossible de trouver des règles légales qui conduisent toujours au résultat correct, poursuit-il. En ce sens, il soutient : « On peut raisonnablement penser que, dans des circonstances différentes, des procédures d’audition différentes donneront des résultats corrects, certes pas toujours, mais du moins la plupart du temps. […] Même si la loi est soigneusement appliquée et que le procès est conduit comme il faut et en toute équité, on peut arriver à une erreur. Un innocent peut être déclaré coupable, un coupable peut être relâché. Dans de tels cas, nous parlons d’erreurs judicaires : l’injustice ne vient pas d’une faute humaine, mais d’une combinaison fortuite de circonstances qui va à l’encontre du but fixé par des règles légales. » De là, on peut remarquer que la caractéristique d’une justice procédurale imparfaite est que, alors qu’il y a un critère indépendant pour déterminer le résultat correct, il y a aucune procédure utilisable pour y parvenir. Dans un certain sens et dans la même veine, la « sécurité économique » telle que théorisée par HAYEK est tout aussi indispensable qu’incontournable pour avoir une vision plus globale et plus précise de cette théorie des droits procéduraux. Pour s’en convaincre, la distinction de deux sortes de sécurité par l’auteur de La route de la servitude en est la véritable preuve ; en effet, l’une est une sécurité limitée qu’on peut assurer à tous, l’autre est une sécurité absolue qu’une société libre ne peut pas accorder à tous, qu’on doit considérer comme un privilège, à l’exception des particuliers. Ce qui est remarquable dans cette conception c’est que HAYEK parvienne à faire de l’Etat le garant de la sécurité économique sans qu’il ne viole la liberté individuelle. Ainsi, soutient-il : « Il n’y a pas de raison non plus que l’Etat ne protège pas les individus contre les hasards courants de la vie, contre lesquels peu de gens peuvent se garantir eux-mêmes. En organisant un système complet d’assurances sociales, l’Etat a une excellente occasion d’intervenir, quand il s’agit des risques susceptibles d’être couverts par l’assurance. […] Mais en principe, il n’y a pas d’incompatibilité entre l’intervention de l’Etat pour assurer une plus grande sécurité et la liberté individuelle. Dans les catastrophes naturelles, l’Etat peut également apporter son aide, sans aucun inconvénient. » En sus de cela, l’Etat doit assurer la protection contre les fluctuations économiques, continue ainsi HAYEK. Mieux encore une protection des hommes contre des souffrances et des privations. Il est évident que pour l’économiste, le sens de la justice n’admet pas qu’un homme appliqué dans son travail, subisse d’un coup, pour des raisons indépendantes de sa volonté, une diminution importante de ses revenues et voit s’écrouler l’œuvre de toute sa vie. A ce propos il écrit : « Le but principal de toute politique doit évidemment être de protéger l’homme contre les privations élémentaires, d’éviter le gaspillage des forces, et d’en éliminer et d’en prévenir les effets. »  Il incombe de rappeler ici que pour assurer les succès de ces tentatives sans supprimer la liberté individuelle, il faudrait réaliser la sécurité sans exercer de pression sur le marché, en laissant libre jeu à la concurrence. De ces précisions, il en ressort toutefois beaucoup de critiques dont les plus virulentes sont sans doute celles adressées par Rothbard. Ainsi en bon anarchiste, ROTHBARD, dans l’Ethique de la liberté, écrit que ces scénarios contredisent d’abord l’hypothèse même de NOZICK concernant la bonne foi et le comportement non agressif des agences de protection. Car, sur deux d’entre elles qui viendront aux mains, l’une au moins serait coupable d’agression. De plus, il est économiquement insensé de croire que sur le marché, des agences de protection auraient recours aux solutions des armes, ce qui effraierait leurs clients et leur couterait très cher. A ce propos il soutient : « Il est absurde de penser que, sur le marché, les agences de protection négligeraient de s’entendre à l’avance sur des arbitres ou des cours d’appel à qui confier leurs différends éventuels. En fait, un élément crucial des services de sécurité et des services judiciaires offert par une agence de protection ou un tribunal privé résiderait justement dans les arrangements prévus pour faire trancher leurs différends par telle cour d’appel ou tel arbitre. » Pour clore son point de vue, Murray ROTHBARD fait remarquer que cette décision d’imposer un monopole n’est guère le fait d’une main invisible : c’est une décision délibérée et très visible qui doit être traitée comme telle.48 C’est ainsi qu’il récuse la légitimité même de ces Droits procéduraux, les qualifiant de concepts fallacieux. Il soutient que les Droits procéduraux ne peuvent pas être indépendants (du temps, du lieu, du nombre et de la condition des personnes dans une société). De plus, pareils droits ne découlent pas logiquement du Droit fondamental de la propriété de soi. D’où ces interrogations : mais les indépendants, n’ont-ils pas eux-aussi le Droit d’interdire les activités risquées du dominateur ? Ne s’ensuivra-t-il pas une guerre de tous contre tous, ce qui va à l’encontre de la théorie nozickienne et impliquerait nécessairement des violations de Droits ? Il convient, de ce fait, de reprendre le cheminement de NOZICK. Rappelons que pour le philosophe américain les droits procéduraux sont d’autant plus justes qu’il ne se préoccupe guère de la fiabilité mais plutôt du fonctionnement que réserve une association protectrice à ses clients. Ce qui importe de faire, ce n’est pas tant de remettre en cause la fiabilité de ces droits que de respecter l’information de tout individu. Dans l’hypothèse de l’existence de droits procéduraux l’information joue un rôle primordial. Elle montre à tout individu qu’une procédure qui lui sera appliquée est fiable et juste. L’individu a ainsi le droit qui lui montre qu’il est bien pris en main par un système fiable et juste et qui permet de faire face à un système non fiable.

Principes d’équité

   La philosophie sociale de John RAWLS a fait de la question de l’équité son cheval de bataille. Ainsi aborder cette question revient selon l’auteur de la théorie de la justice à considérer la société comme étant un système équitable de coopération sociale à travers le temps, d’une génération à la suivante. Puisque estime-il qu’un objectif praticable de la justice comme équité est de procurer une base philosophique et morale acceptable aux institutions démocratiques, et donc d’aborder la question de savoir comment les revendications de la liberté et d’égalité doivent être comprises. Cette idée centrale est en conjonction avec deux idées fondamentales complémentaires : l’idée des citoyens (les agents qui sont engagés dans la coopération) sont considérés comme libres et égaux et l’idée d’une société bien ordonnée, c’està-dire d’une société effectivement régie par une conception publique de la société. Convaincu que ces idées fondamentales peuvent jouer un rôle essentiel dans la pensée de la politique d’une société et dans l’interprétation de ses institutions, même si elles ne sont pas souvent expressément formulées ou que leur sens n’est clairement précis, RAWLS dira que : « Dans la discussion publique des questions essentielles du droit publique, les citoyens d’une telle société ne tiennent pas leur ordre social pour un ordre naturel fixe, ou pour une structure institutionnelle justifiée par des doctrines religieuses ou par des principes hiérarchiques qui expriment des valeurs aristocratiques.» Mieux, ils ne pensent pas non plus qu’un parti politique pourrait légitimement, en vertu de son programme déclaré, chercher à limiter les libertés et droits fondamentaux d’une classe ou d’un groupe reconnu. En guise d’illustration, RAWLS distingue au moins trois traits essentiels de l’idée centrale et organisatrice de la coopération sociale :
a) La coopération sociale est distincte d’une simple activité socialement coordonnée, comme par exemple, une activité coordonnée par les ordres d’une autorité centrale absolue. La coopération est plutôt guidée par des règles et des procédures publiquement reconnues que tous ceux qui coopèrent acceptent comme appropriées pour régir leur conduite.
b) L’idée de coopération inclut celle des termes équitables de la coopération : ils sont ceux que chaque participant peut raisonnablement accepter, et doit quelque fois accepter à condition que tous les autres acceptent également. Les termes équitables spécifient une idée de réciprocité ou de mutualité : tous ceux qui sont engagés dans la coopération et qui s’acquittent de leur tâche conformément aux règles reconnues, doivent en tirer des évalués par un critère public et accepté.
c) L’idée de coopération contient également celle de l’avantage rationnel, ou du bien de chaque participant. Cette idée d’avantage rationnel précise ce que ceux qui sont engagés dans la coopération cherchent à obtenir du point de vue de leur propre bien. Pour déterminer des principes de justice qui prétendent à l’approbation universelle, RAWLS interprète ces principes comme le résultat d’un choix libre, égal et rationnel. Par conséquent, ces institutions sociales définies par ces principes sont favorables à chacun et, de plus, ils le sont équitablement.61 Il s’en suit donc que dans le sens d’avantage égal, pour chacun, la justice est comprise comme équité. En tout cas, il présente la société comme étant un système de travail qui doit favoriser les intérêts de chaque personne en particulier. Une telle « coopération en vue d’un avantage réciproque » est caractérisée par une identité des intérêts – le travail en commun doit rendre possible pour chacun une vie meilleure – et un conflit d’intérêt simultané : chacun veut obtenir la plus grande part de la quantité des biens produits en commun. Cela d’autant plus que : « Bien qu’une société soit une tentative de coopération en vue de l’avantage mutuel, elle se caractérise donc à la fois par une identité d’intérêts. Il y a une identité d’intérêts puisque la coopération sociale procure à tous une vie meilleure que celle que  chacun aurait eue en cherchant à vivre seulement grâce à ses propres efforts. Il y a un conflit d’intérêts puisque les hommes ne sont pas indifférents à la façon dont sont répartis les fruits de leur collaboration, car, dans la poursuite de leurs objectifs, ils préfèrent tous une part plus grande de ces avantages à une plus petite », dira RAWLS. C’est alors pour résoudre les éventuels conflits, que le théoricien de la justice tente d’établir les principes selon lesquels sont assignés les avantages et les charges de travail en commun. Ces principes, il les pense identiques aux principes de la justice. La justice distributive qui était d’ailleurs l’objet du chapitre précédent. Comme la société, dans une démocratie libérale, est une entreprise de coopération entre les personnes libres et égales, la justice sociale doit chercher à distribuer les droits et les bénéfices de la coopération selon la norme de la réciprocité, qui implique que les individus se reconnaissent mutuellement comme partenaires égaux. De même que chaque citoyen est considéré comme autonome au sens où il cherche à réaliser une conception particulière du bien en accord avec deux capacités morales fondamentales : la faculté de comprendre, appliquer et agir selon une conception de la justice et celle de formuler, réviser et mettre en œuvre une conception du bien. Ainsi pour mettre en valeur ce qui précède mais surtout pour permettre de concevoir une justice comprise comme équité, RAWLS met en place deux principes de justice qui ont pour but de régler la répartition des biens primaires. Il les énonce ainsi : « (a) chaque personne doit avoir une prétention indéfectible à un système pleinement adéquat de libertés de bases égales, qui soit compatible avec le même système de libertés pour les tous et ; (b) : les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions : elles doivent d’abord être attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous dans des conditions d’égalité équitable des chances ; ensuite, elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus défavorisés de la société (le principe de différence). » Autrement dit, le premier principe se rapporte aux droits fondamentaux, aux libertés et aux droits politiques ; le deuxième principe concerne les intérêts matériels ou non. Il faut noter que ces deux principes ne touchent pas directement nos problèmes quotidiens tels que la fixation précise des salaires et des traitements, des impôts ou des conditions d’admission à certaines charges… Faut-il rappeler que ces deux principes ne sont pas juxtaposés ? Ils sont ordonnés de manière stricte. En effet, c’est au premier principe que revient la priorité absolue (la première règle de la priorité : priorité de la liberté). La liberté étant reconnue comme le bien suprême, elle ne peut être négociée contre aucun autre bien. La restriction des droits fondamentaux en vue d’avantages économiques, individuels ou collectifs n’est justifiée en aucun cas. Les exigences des libertés des uns ne peuvent être restreintes que par celles des autres ; les libertés fondamentales en vue d’obtenir une même liberté pour tous, la plus grande possible. Dans l’autre principe, le premier principe partiel, à savoir l’égalité équitable des chances est prioritaire par rapport au deuxième principe partiel à savoir le principe de différence. Leur combinaison n’est qu’un cas spécial de ce que RAWLS nomme sa conception générale de la justice, qui exige de distribuer les biens primaires de manière égale sauf si une distribution inégale est bénéfique pour tous. En dépit de la priorité que le premier principe possède sur le second, advient également le sens qu’il faut donner à chacun d’eux pour mieux les appréhender ; c’est ainsi qu’il est pertinent de revenir sur l’analyse que HÖFFER a faite. En effet, l’auteur de l’Etat et la justice, les problèmes éthiques et politiques dans la philosophie anglo-saxonne (John Rawls et Robert Nozick) souligne à juste raison que le premier principe, le principe de la liberté maximale pour tous prescrit les droits de l’homme, ou droits fondamentaux (droit de vote actif et passif, droit d’opinion et de réunion, liberté de conscience et de la pensée, droit à la propriété…) soient les mêmes pour tous. Et HÖFFER de poursuivre que ce principe doit rejeter l’esclavage et le servage mais également condamner les persécutions religieuses, politiques ou autres, ainsi que la discrimination juridique des minorités. Car, soutient-il, « Le premier principe – positivement appliqué – exige pour tous les mêmes libertés fondamentales, les plus amples possibles, susceptibles d’assurer à chacun la participation politique ainsi qu’un espace inviolable d’épanouissement personnel. » Autrement dit, ce premier principe exige simplement que certaines sortes de règles, celles qui définissent les libertés de base, s’appliquent à chacun de manière égale et qu’elles permettent la liberté la plus étendue, compatible avec une même liberté pour tous. Le second principe s’oppose au libéralisme orthodoxe. Contrairement à un égalitarisme uniforme, des inégalités résultant de conditions de départ différenciées, naturelles et sociales, ne sont pas à exclure. Cependant écrit HÖFFER : Elles ne sont pas tolérées dans le domaine des libertés fondamentales ; et admises dans l’espace économique et social, elles ne sauraient justifier que les privilèges, de nature physique, psychique ou intellectuelle, se doublent d’un prestige social supérieur ou d’une plus grande part aux biens économiques. » Cela étant, ces inégalités ne sont acceptables que si elles accroissent le profit des plus défavorisés quant aux conditions naturelles et sociales au départ, donc lorsqu’elles maximisent le minimum pour autant que cela soit compatible avec le problème de la justice entre les générations. Toutefois, le deuxième principe partiel du deuxième principe, appelé principe de différence, présente de plus grandes difficultés. Les problèmes commencent à se poser lorsqu’il s’agit d’identifier le groupe de ceux que les conditions de départ naturelles et sociales a le moins favorisés. De là, il faudrait encore s’appuyer sur les critiques formulées par Nozick pour en montrer les limites d’une telle théorie. En effet, dans la mesure où NOZICK tente de démontrer que les biens et les talents dont l’individu est le propriétaire font partie intégrante de son individualité, toute politique redistributive porterait atteinte à la dignité de certains individus, puisqu’elle comprend effectivement la nécessité d’utiliser certains individus comme moyens visant à compenser les équilibres sociaux dont les autres pâtissent. Selon NOZICK, seule une société organisée suivant une logique libertarienne est à la mesure de l’exigence éthique kantienne. Puisqu’elle serait la seule à ne pas institutionnaliser le principe suivant lequel les individus peuvent être utilisés comme des moyens : « L’Etat minimal, écrit-il, nous traite comme des individus inviolés, qui ne peuvent pas être utilisés de certaines façons par d’autres, comme moyens, outils, instruments ou ressources : il nous traite comme des personnes ayant des individuels avec la dignité que cela suppose. » 66 C’est seulement dans un tel contexte que nous pouvons choisir notre vie et réaliser notre dessein, tenter de nous porter au niveau de la conception que nous nous faisons de nous-mêmes.

L’Etat minimal

   Aborder la question de l’Etat minimal c’est sans nul doute s’intéresser à l’essence même de la pensée nozickienne. En effet, l’Etat minimal constitue le fondement du libéralisme de NOZICK sinon de sa philosophie politique. Il est aux yeux de notre philosophe le seul moralement légitime. Toutefois, et comme il le souligne, la question fondamentale de la philosophie politique, celle qui précède toutes les questions sur la façon dont l’Etat devrait être organisé, porte sur l’existence même d’un Etat, quel qu’il soit. Pourquoi ne pas avoir l’anarchie ? Quel serait sa spécificité ? A-t-il des pouvoirs plus étendus que les autres ? Ou tout simplement défendrait-il les droits de l’homme ? Mais avant de prendre en compte ces préoccupations, faudrait-il encore revenir en quelques lignes sur les conditions d’émergence de l’Etat minimal nozickienne cela pour garder le fil conducteur de sa pensée. En effet, et comme nous l’avons déjà montré dans le premier chapitre, NOZICK ajoute à l’approche contractualiste lockéenne un processus de main invisible pour justifier l’Etat, en l’occurrence un Etat minimal limité à une fonction sécuritaire (ou de protection) publique. A partir d’un état de nature et d’un marché libre anarchiques, l’Etat nozickien apparait à la suite d’un processus de main invisible qui ne viole les droits de personne, passant du stade de l’agence de protection dominante à, à l’Etat ultraminimal et en fin à l’Etat minimal. L’Etat ultraminimal a donc servi de transition entre l’état de nature et l’Etat minimal. Ne se contentant cependant pas d’un Etat ultraminimal assimilable au monopole de fait exercé sur un territoire par une agence dominante ; le philosophe américain poursuit sa démarche sur le chemin menant de l’anarchie au Léviathan. Pour prendre son élan, NOZICK pose un principe de compensation permettant à l’Etat ultraminimal de faire un pas de plus en direction du Léviathan. En des termes plus clairs, pour l’explication de l’origine de son Etat (minimal), NOZICK prend pour point de départ des hommes vivant en anarchie dans une situation qu’il appelle par analogie avec LOCKE et d’autres philosophes des Lumières, l’état de nature. Il démontre que les membres de cette société, tout en sauvegardant leurs droits et en agissant selon leurs intérêts particuliers bien compris, aboutissent à l’Etat minimal. Reconnaissant que dans l’état de nature les hommes peuvent entrer en conflit les uns contre les autres et que le droit naturel risque de ne pas régler convenablement tous ces cas ; et celui qui juge sa propre cause s’accordera toujours le bénéfice du doute et se donnera toujours raison illustre. C’est-à-dire, il exercera le tort subit, et ses passions le tenterons de punir au-delà du tort et d’exiger réparation excessive. NOZICK, pour résoudre ce genre de difficultés, imagine que les hommes peuvent se regrouper en société de protection mutuelle, dont tous les membres répondront à l’appel de celui d’entre eux qui aura besoin de se défendre ou de faire valoir ses droits. Il reconnait que ces société sont loin d’être des sociétés parfaites car ayant principalement deux défauts :
1) tout le monde doit toujours être prêt à répondre ;
2) tout membre peut appeler ses confrères en invoquant la violation de ses droits.
D’où la création des associations protectrices qui, tout comme des compagnies d’assurance, protégerons leurs clients moyennement paiement. Mais est-ce qu’à dire dans ce cas que l’association protectrice dominante est un Etat ? Loin s’en faut, car pour NOZICK le schéma des associations protectrices privées peut apparemment différer de l’Etat minimal ou manquer de satisfaire à la conception minimale d’un Etat. Et cela de deux façons:
1) cette association semble permettre à certaines personnes de faire respecter leurs droits ;
2) elle ne peut pas protéger tous les individus à l’intérieur de son domaine.
De là NOZICK relève une difficulté majeure, celle qui consiste à considérer que l’exercice d’un monopole de la force dans une aire géographique, monopole incompatible avec une mise en application privée des droits, est capital pour l’existence d’un Etat. Outre, il considère que ce monopole comprend la détermination des procédures judiciaires concernant l’appréhension et le jugement des suspects ainsi que la punition des coupables. L’Etat ultraminimal de par son monopole de la force, en vient à interdire aux particuliers de se faire justice, sauf en cas de légitime défense, il étend cette interdiction même aux non-clients qui n’ont pas les moyens d’acheter ses services. Toutefois, prétendre à un tel monopole n’est pas suffisant pas plus que le fait d’être un seul et unique prétendant ne constitue une condition nécessaire. Cela pousse le philosophe américain à chercher une condition nécessaire à laquelle le système d’organisation protectrice privées (ou toute organisation en faisant partie) ne satisfait pas. Cette condition révèle être l’Etat minimal, puisque pour lui, seul celui-ci peut revendiquer le monopole s’agissant de décider qui peut utiliser la force et quand. Autrement dit, l’Etat prétend que lui seul peut décider qui peut utiliser la force et dans quelles circonstances : « Qu’une condition nécessaire à l’existence d’un Etat est que cet Etat (ou une personne ou une organisation) annonce que, dans toute la mesure du possible (compte tenu des couts d’une telle opération, de sa faisabilité, des autres choix les plus importants à faire etc.), il punira quiconque se révélant avoir utilisé la force sans la permission express. […] »71 Cela dit, les apparences sont trompeuses, car l’agence protectrice sur un territoire non seulement ne possède pas le monopole de la force requise sur l’utilisation de la force, mais n’est pas non plus en mesure d’assurer la protection de tous ceux se trouvent dans son territoire. Mais au-delà de ce qui précède, tout Etat qui donne compensation sous forme de protection pour tous, y compris ceux qui ne peuvent pas encore payer le prix, est un Etat minimal ; cette forme d’Etat est la première à répondre aux besoins de la vie en société. Toutefois, loin de faire l’unanimité au sein même du libertarisme, l’approche nockienne de l’Etat a essuyé beaucoup de critiques. Par exemple Rothbard adresse une critique de la position de NOZICK dans L’Ethique de la liberté. Consacrant un chapitre au titre ironique « la théorie de l’immaculé conception de l’Etat », ROTHBARD commence par observer que l’Etat n’est jamais né sans violer des droits, et que la justification théorique de l’Etat minimal ne saurait tenir lieu de légitimité d’un Etat actuel, doit-il se diriger vers le modèle de NOZICK. Plus précisément, ROTHBARD reproche à NOZICK de ne pas faire une seule fois référence à l’expérience historique de l’Etat, qui pourtant est omniprésente dans l’histoire. Car pour l’auteur de l’Anarchie, Etat et utopie, il n’existe aucun élément de preuve nous autorisant à penser qu’un seul Etat soit apparu ou se soit développé à la NOZICK. Il soutient  à cet effet que : « L’histoire prouvait plutôt le contraire : chacun des Etats dont l’histoire factuelle est connue tire son origine de la violence, de la conquête et de l’exploitation, autrement dit d’un processus dont Nozick lui-même admettrait qu’il a violé les Droits individuels. » Le modèle nozickien comprend du reste, selon ROTHBARD, de nombreuses faiblesses. «Au mieux, le modèle de Nozick pourrait servir à justifier les seuls Etats effectivement produits par son processus de main invisible. Il incombe donc à NOZICK de se rallier aux anarchistes et de prôner l’abolition de tous les Etats actuels ; il n’aurait ensuite qu’à se croiser les bras et à attendre l’opération de son hypothétique main invisible. Au mieux, par conséquent, le seul Etat minimal que Nozick puisse prétendre justifier est celui qui émergerait d’une future société anarcho-capitaliste, conclus ainsi Rothbard. » Il lui semble invraisemblable que la concurrence entre les agences protectrices privées tourne à ce point à l’avantage de l’une d’entre elles qu’on aboutisse à une situation de domination monopolistique. Mais Rothbard s’en prend essentiellement à l’assouplissement que fait subir NOZICK aux droits naturels. Cependant ces critiques bien que rationnelles n’enlèvent en rien le fait que toute discussion théorique de l’Etat a pour seul point de départ, pour seul critère et donc pour but et résultats exclusifs, les droits inviolables découlant de la liberté individuelle. NOZICK, pour ce faire, rejette toute autre forme d’Etat aux pouvoirs plus étendus car violant les droits individuels. Il importe de revenir à ce propos sur l’analyse pertinente de HÖFFER. En effet souligne-t-il : « Si NOZICK pousse souvent la franchise jusqu’à la candeur, sa démarche intellectuelle est bien charpentée. Il se place à l’opposé aussi bien de l’anarchie, pour qui nul Etat n’est légitime, que de toute notion d’Etat social, voir socialiste, selon laquelle l’Etat devrait veiller aux conditions matérielles dans lesquelles les revenues, les biens, le savoir et la position sont acquis, utilisés et transmis. La thèse anarchiste refuse toute forme d’Etat parce qu’il s’arrogerait nécessairement le monopole de la force et violerait ainsi inévitablement les droits individuels, elle a pour antithèse la théorie de l’Etat social ou du socialisme, selon laquelle l’Etat est responsable du cadre social général. NOZICK suit entre les deux sa propre voie, celle d’un Etat minimal qui a le monopole de la force sans pour autant violer les droits de l’individu. » Ces propos sont révélateurs de la position que défendra NOZICK dans sa conception politique de l’Etat. A cet effet, le point de vue de NOZICK est clair, à vrai dire, il ne partage nullement la vision anarchiste de l’Etat mais encore moins la théorie de l’Etat social. Il rejette l’anarchie parce que pour lui, ce que des individus peuvent se faire les uns aux autres limite ceux qu’ils peuvent faire par l’intermédiaire d’un Etat, ou faire pour établir tel appareil. Les interdits moraux qu’il est acceptable d’imposer sont les sources de toute légitimité du pouvoir coercitif fondamental de l’Etat (le pouvoir coercitif de l’Etat est le pouvoir qui ne s’appuie pas sur le consentement de toute personne à laquelle il s’applique).91 Il convient de rappeler que l’anarchie que rejette notre auteur soutient l’idée selon laquelle nous nous trouverions mieux sans Etat, mais que tout Etat viole nécessairement les droits moraux des personnes, et de ce fait est intrinsèquement immoral. Mais encore, parce que pour NOZICK l’Etat social aurait des pouvoirs plus étendus que ceux de l’Etat minimal ; mieux encore, la théorie libertarienne de NOZICK établit que seul est justifié un Etat minimal dont le champ des interventions légitimes est circonscrit par deux fonctions : 1) Protéger les individus contre la force, le vol et la fraude et 2) Assurer le respect des contrats. Tout Etat, précise-t-il, doté de pouvoirs plus importants viole les droits des individus. Dans la mesure où ces individus ont sur leurs biens et leurs compétences un droit de propriété absolu. Ils doivent en effet être également libres d’en disposer comme bon leur semble. L’Etat, à cet égard, n’est qu’une association parmi d’autres associations possibles dont la seule raison d’être est de faire en sorte que ces individus puissent échanger les biens et les compétences dont ils disposent. En d’autres termes, la seule tâche est de rendre possible le libre-échange. Aussi la politique libertarienne est-elle logiquement centrée sur les exigences du marché, de sorte qu’elle se présente toujours comme la défense d’un système particulier de la relation économique : le capitalisme. Il importe cependant de se demander quelles sont les bases théoriques ou quels sont les principes de justification de cette politique libertarienne, afin de mieux comprendre la logique d’une proposition théorique qui, à l’heure de la mondialisation tend à s’imposer de plus en plus. Cet examen sera en même temps l’occasion de mettre à l’épreuve certains de ses arguments. Pour ce faire, nous considérons plus particulièrement la pensée libertarienne du philosophe américain Robert NOZICK. Ce dernier soutient en ce sens, que l’Etat conserve bien le monopole de l’usage. Il ne doit en faire usage que pour protéger la propriété. Aussi l’Etat propre à ce libéralisme est-il un « Etat minimal » bien évidemment soucieux des exigences du marché. Ainsi, dans l’Anarchie, Etat et Utopie, NOZICK définit l’Etat minimal comme : un État minimal, limité de façon étroite aux fonctions de protection contre la violence, le vol, l’escroquerie, et pour assurer le respect des contrats privés, est justifié. Toute extension de ces fonctions viole le droit des individus à ne pas être contraints, et est donc injustifiée. Il soutient : « L’État minimal est celui dont les pouvoirs les plus étendus peuvent être justifiés. L’Etat minimal est moralement légitime. Tout État aux pouvoirs plus étendus viole le droit des gens. » Il n’intervient pas, par conséquent, sur les questions relatives au bien-être de ceux qui ne peuvent subvenir à leurs besoins. C’est ainsi que pour ce philosophe, l’Etat aux pouvoirs plus étendus n’est pas neutre. Car dans cet Etat, les personnes confortablement installées au plan économique désirent un pouvoir politique plus grand. Parce qu’elles peuvent utiliser ce pouvoir pour s’octroyer des bénéfices économiques différentiels. Cela amènerait les gens de tenter de l’utiliser à leurs propres fins. Autrement dit, l’utilisation illégitime d’un Etat par les intérêts économiques pour leurs fins se fonde sur un pouvoir illégitime préexistant de l’Etat, destiné à enrichir certaines personnes aux dépens des autres. Toutefois, éliminer ce pouvoir illégitime, c’est l’utiliser pour le respect des droits individuels. Et que pour NOZICK, seul l’Etat minimal en est l’Etat désireux de respecter de tels droits. Puisque soutient-il : « L’Etat minimal réduit au minimum les risques d’une telle prise de pouvoir ou de la manipulation de l’Etat par des personnes désirant le pouvoir ou des bénéfices économiques, surtout si cet Etat minimal est lié à des citoyens raisonnablement vigilants, puis cet Etat représente la cible minimalement désirable pour des gens qui voudraient s’en emparer ou le manipuler.»75 En d’autres termes, l’Etat minimal fait respecter les contrats, les interdits sur les agressions, les vols. L’Etat minimal protège donc contre la violence, le viol ou la fraude, de tous les citoyens, y compris ceux qui sont trop pauvres pour se payer ses services, il assure une certaine redistribution de la richesse, il contraint certains à financer la protection des autres. Cette protection est non seulement légitime mais nécessaire à l’Etat pour s’acquitter de son obligation morale de dédommager les victimes de l’injustice. C’est sous cet angle qu’il écrit : « L’Etat veilleur de nuit de la théorie classique libérale, limité aux fonctions de protection de tous ses citoyens contre la violence, le vol et la fraude, au respect des contrats passés, etc. – semble redistributif. »76 NOZICK soutient qu’au-delà de l’Etat minimal il n’est plus d’Etat justifié car selon lui, l’Etat minimal est celui dont les pouvoirs plus étendus peuvent être justifiés. Tout autre Etat aux pouvoirs plus étendus viole le droit des gens. Dans la mesure où : « L’Etat minimal, qui se limite à des fonctions étroites de protection contre la force, le vol, la fraude, à l‘application des contrats, et ainsi de suite, est justifié ; tout autre Etat un tant soit peu plus étendu enfreindra les droits des personnes libres de refuser d’accomplir certaines choses, et il n’est donc pas justifié ; enfin l’Etat minimal est aussi vivifiant que juste. Deux implications méritent d’être signalées : l’Etat ne saurait user de la contrainte afin d’obliger certains citoyens à venir en l’aide aux autres, ni en vue d’interdire aux gens pour leur propre ou protection. »77 A cela, il faut ajouter que : « NOZICK s’attache à présenter l’Etat minimal comme la seule forme d’utopie réalisable, en ce sens que lui seul permet la coexistence d’utopies diverses et empêche la domination totalitaire d’une utopie compréhensive unique. »78 Autrement dit, NOZICK part de l’idée que le meilleur modèle de société doit être conçu afin de faire coexister toutes les utopies imaginables, c’est-à-dire les meilleurs mondes possibles définis par des individus différents. Cette règle est présentée pour être la condition de compossibilité de toutes les utopies : « le modèle est conçu pour vous laisser choisir ce que vous désirez – la seule contrainte étant que les autres puissent en faire autant pour eux-mêmes, et refuser de rester dans le monde que vous avez imaginé. »79 Ce modèle que NOZICK présente comme un canevas (framework) d’utopie, se justifie par la nécessaire singularité des individus. « Ils différent, constate Nozick, par leur tempérament, leurs intérêts, leur habilité intellectuelle, leurs aspirations, leurs inclinations naturelles, leurs quêtes spirituelles et leur genre de vivre qu’ils désirent mener. »80 NOZICK en conclut qu’il existe aucun genre de vie qui satisfait pareillement les gens. Les individus étant différents les uns des autres, aucune forme d’existence ne peut objectivement être considérée comme la meilleure pour tous. Il faut donc faire de telle sorte que chacun puisse réaliser sa propre vison d’une vie bonne. C’est pourquoi il propose que l’utopie libertarienne soit « formée d’utopies. »81 Du reste, NOZICK affirme que la mise en œuvre du canevas possède nombre de vertus, et peu de défauts, que les gens trouvent dans la vision libertaire. C’est ainsi qu’il dévoile l’identité de son utopie : « Le canevas d’utopies que nous avons décrit est équivalent à l’Etat  minimal. »82 Il convient de rappeler que pour ce philosophe américain en effet, le seul Etat qui lui parait satisfaisant est l’Etat minimal ou veilleur de nuit, celui qui n’assure que la sécurité des personnes et des biens. Par conséquent tout autre Etat aux pouvoirs plus étendus viole les droits des gens. Car cet Etat doit se satisfaire d’une organisation économique, la seule qui soit recevable pour les libertariens et cette organisation est un système capitaliste sans intervention étatique. En ce sens où le capitalisme n’a pas besoin de l’Etat pour fonctionner. Sauf à ce que celui-ci contrôle la juste acquisition et transmission des biens. Car, pour NOZICK, il est le plus naturel. Il prévoit un système de distribution tout aussi cohérent que les autres et qui ne nécessite pas de correction particulière. En effet, selon l’auteur de « Anarchie, Etat ou Utopie », dans ce système capitaliste, il existe une réciprocité, car chacun ne donne que la contrepartie des avantages de l’autre. Autrement dit, selon NOZICK, le seul système acceptable reste celui qui consiste à accepter le fait que les individus méritent leurs actifs naturels. Rappelons également avec Sébastien CARÉ que le philosophe américain a démontré, en deux étapes, l’émergence d’un Etat minimal dans le respect des principes libertariens d’échange et de propriété : Dans la première partie, une agence dominante triomphe des agences concurrentes sur un territoire donné et y exerce un monopole de facto : elle devient un Etat ultraminimal. Dans un second temps, le principe de compensation oblige moralement ce dernier à se nuer en Etat minimal afin d’offrir une protection gratuite à ceux que son monopole de facto désavantage. Comme l’a bien signifié HÖFFER en ces termes : « La notion de l’Etat minimal présente l’intérêt de protéger l’individu et les groupes contre l’étatisme dévorant mais ne doit pas nous faire oublier les problèmes de la société industrielle moderne, à commencer par la question sociale. »

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Table des matières

INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LES PRINCIPES DE LA THEORIE LIBERTARIENNE
CHAPITRE I : Droits de propriétés
CHAPITRE II : Les droits procéduraux
DEUXIEME PARTIE : LES PRINCIPES DE JUSTICE
CHAPITRE I : Justice distributive
CHAPITRE II: Principes de la justice
TROIXIEME PARTIE: L’EXISTENCE ET/OU LA LEGITIMITE DE L’ETAT
CHAPITRE I : l’Etat minimal
CHAPITRE II : l’Etat social ou moderne
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE

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