Nouvelles comptabilités au service des écosystèmes

Le temps des comptabilités au service des écosystèmes ?

La comptabilité consiste à concevoir et à mobiliser des systèmes d’information pour relever des défis d’organisation collective de l’action humaine. Les systèmes comptables évoluent avec la nature de ces défis. Intimement liés à des visions spécifiques et historiquement situées du monde, ils sont à l’image des préoccupations particulières portées par les organisations et les praticiens qui les imaginent, les développent et les utilisent à différentes époques, à différents endroits. Les premières comptabilités apparaissent dès 3500 av. J-C en Mésopotamie, en Israël, en Egypte, en Chine, en Grèce et à Rome, et prennent la forme d’inventaires, inscrits sur des tablettes d’argile ou sur les murs des temples. En Mésopotamie et en Egypte, elles sont réservées à différents usages : tenir les comptes des biens apportés ou reçus dans le cadre d’échanges  ou de rituels religieux, mais aussi et surtout calculer les surplus de grains et suivre l’évolution des stocks de blé, qui sont au cœur de ces civilisations récemment sédentaires et fondées sur l’agriculture. Dans la Grèce antique, la comptabilité est au cœur du souci démocratique, et le trésor athénien est gardé dans le lieu sacré de Délos par des citoyens trésoriers formés pour contrôler les dépenses publiques de la cité ; au contraire, dans les cités oligarques ou tyranniques, aucun système de compte rendu public n’est mis en place. A Rome, les pater familias sont chargés de tenir les comptes du foyer au sein d’un journal quotidien et d’un registre mensuel susceptibles d’être examinés par les collecteurs d’impôts, assurant ainsi les revenus nécessaires à l’extension de la puissance de l’Empire et de son armée (Lemarchand et Nikitin, 2000 ; Soll, 2014). Il faut attendre plusieurs siècles avant que la première innovation comptable majeure, l’invention des livres comptables en partie double, fasse son apparition dans l’Europe marchande (Nord de l’Italie, Pays-Bas, Allemagne, etc.). Cette technique nouvelle datant du XIVe siècle donne aux négociants qui la maîtrisent un avantage important sur leurs concurrents dans un contexte de constitution des premières sociétés commerciales et bancaires internationales. Le modèle comptable vénitien, formalisé pour la première fois par le moine mathématicien Luca Pacioli en 1494, offre ainsi aux négociants la capacité de calculer à tout moment leurs actifs et leurs obligations, à condition toutefois que ceux-ci s’astreignent à équilibrer leurs crédits et leurs débits en combinant leur savoir-faire de marchand avec leur morale religieuse (Ibid).

Trois fronts d’innovation, trois points d’entrée sur la question des comptabilités et des écosystèmes

Plusieurs fronts d’innovation a priori disjoints apparaissent aujourd’hui dans le débat académique et public comme porteurs d’espoir pour renforcer la lutte contre l’érosion de la biodiversité : (1) la conception de nouveaux outils d’évaluation des écosystèmes ; (2) le développement de nouvelles comptabilités socio environnementales à l’échelle des organisations ; (3) la mise à contribution des entreprises dans la protection du « capital naturel ». Comme nous le développerons tout au long de cette thèse, ces trois domaines d’innovation ont chacun une forte dimension comptable. Notre hypothèse est qu’ils gagneraient, pour relever certaines des difficultés propres à chacun, à être articulés autour du pivot commun de la comptabilité.

Comment renforcer la capacité des outils d’information écologique à générer du changement dans la gestion des écosystèmes ?

De nombreux efforts sont menés aujourd’hui dans le champ de la conservation et de la gestion de l’environnement dans le but de concevoir et de développer des indicateurs et des outils d’évaluation quantitative des écosystèmes pour les utiliser dans des contextes variés d’action collective sur les territoires. C’est le cas des outils d’évaluation proposant des indicateurs quantitatifs ou qualitatifs, biophysiques ou monétaires, des modélisations et des représentations cartographiques des fonctionnalités écologiques et des services écosystémiques d’un territoire (Kareiva et al., 2011). Ces outils sont souvent conçus et utilisés dans la perspective que la production de nouvelles informations sur l’état et l’évolution des écosystèmes ou de problèmes écologiques donnés puisse influencer la prise de décision sur des territoires et conduire à des changements favorables à la protection de la biodiversité. Comment ces nouvelles « pratiques calculatoires » contribuent-elles effectivement aux efforts de gestion collective des écosystèmes ? Pourquoi ces outils échouent-ils parfois à créer du changement favorable à la biodiversité, malgré les progrès techniques et scientifiques constants dont ils font l’objet ? Quelles difficultés leurs utilisateurs rencontrent-ils dans leur mise en œuvre dans une variété de contextes organisationnels, sociaux et politiques ? Quels liens y a-t-il entre les problématiques d’utilisation de ces systèmes d’information centrés sur l’évaluation des écosystèmes et le champ de la comptabilité ?

En outre, les chercheurs ne sont pas les seuls à développer de tels systèmes d’information et d’évaluation des écosystèmes. Certaines organisations conçoivent et utilisent des outils adaptés à leurs activités et à leurs propres problématiques d’interdépendance avec les écosystèmes (voir Hanson, Van der Lugt, Ozment, 2011; Havas et al., 2014 ; Waage et Kester, 2015). Ces systèmes d’information centrés sur l’évaluation des écosystèmes peuvent-ils alors s’articuler avec les systèmes d’information comptable internes aux organisations ? De quelle manière ? Pour créer quels changements ? Dans cette thèse, nous chercherons à apporter des réponses à ces questions qui portent sur le rôle des systèmes d’information écologique dans la mise en gestion collective des écosystèmes. Nous étudierons ces problématiques dans le cadre des interventions d’une organisation spécifique, une entreprise du secteur de l’environnement, dans cette gestion collective. Nous nous appuierons également sur notre propre expérience d’application d’un outil d’évaluation des services écosystémiques à Bordeaux.

Quelles comptabilités socio-environnementales pour accompagner les interventions des organisations dans la gestion collective des écosystèmes ? 

Depuis les premiers travaux dans les années 1970, le champ des comptabilités socioenvironnementales (CSE) organisationnelles a multiplié les propositions académiques et les expérimentations de nouvelles comptabilités dont l’objectif est d’aider les organisations à mieux prendre en compte et gérer leurs enjeux environnementaux. Depuis quelques années, des premiers travaux portant sur la question de la conservation des écosystèmes et de la biodiversité émergent : reporting extra-financier étendu aux enjeux de la biodiversité (Jones, 1996 ; GRI, 2011), nouvelles comptabilités de gestion pour mesurer les interdépendances des entreprises aux services écosystémiques (Houdet et Germaneau, 2014), propositions pour intégrer le maintien du capital naturel dans la comptabilité générale des entreprises (Rambaud et Richard, 2015a).

La conservation des écosystèmes ne peut toutefois résulter uniquement d’efforts de réduction des pressions négatives qui s’exercent sur eux. Elle demande aussi de faire l’objet d’un investissement gestionnaire propre consistant à penser et à équiper la manière dont de multiples organisations interagissent stratégiquement autour de la prise en charge de problèmes écologiques. Peut-on alors compléter les propositions déjà existantes en comptabilité socioenvironnementale par des comptabilités utiles pour accompagner la gestion collective de problèmes écologiques ? Si de telles comptabilités ne sont pas centrées sur une seule organisation, alors sur quoi sont elles centrées ? Comment définir le périmètre, les rôles et les objectifs de telles comptabilités ? Comment les situer et les articuler aux systèmes d’information comptable d’une organisation donnée pour l’accompagner dans ses stratégies d’interaction avec les autres organisations ? Quelles méthodes d’évaluation et de quantification des écosystèmes sont appropriées et quelles capacités techniques et scientifiques sont requises pour les développer ? Dans notre travail, en réponse à ces interrogations, nous chercherons à proposer des pistes d’innovation comptables résultant d’une réflexion générale dans le champ des comptabilités.

Comment les entreprises du secteur de l’environnement peuvent-elles contribuer à la protection du capital naturel ?

Les enjeux de conservation des écosystèmes sont de moins en moins considérés comme le domaine exclusif des Etats et des associations environnementales. Les entreprises sont depuis la fin des années 1990 invitées à jouer un rôle croissant dans la gestion de la biodiversité . En France, le Grenelle de l’Environnement (2007) a contribué à sensibiliser les entreprises à ce défi environnemental. A l’international, la publication du rapport The Economics of Ecosystems and Biodiversity for Business (TEEB, 2012) a marqué une étape dans la formulation d’un discours engageant les entreprises à reconnaître, à mesurer et à gérer leurs interdépendances à la nature. Or, les entreprises peuvent participer d’au moins deux grandes manières aux efforts de conservation de la biodiversité : (1) en réduisant les impacts de leurs activités et en internalisant leurs externalités négatives, ou (2) en développant des métiers, des activités et des innovations qui participent à la protection de l’environnement.

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre 1 : Méthodes et cadre de recherche
Chapitre 2 : Jusqu’où élargir la comptabilité des organisations pour prendre en compte les écosystèmes ?
Chapitre 3 : A la recherche d’approches comptables et proto-comptables dans le domaine de la conservation
Chapitre 4 : Quelles perspectives pour penser et concevoir des Comptabilités de Gestion pour les Ecosystèmes ?
Chapitre 5 : Une cartographie pour situer et articuler les enjeux d’innovation comptable pour les écosystèmes
Chapitre 6 : Lyonnaise des Eaux face aux défis du grand cycle de l’eau : quels enjeux pour le développement de « services aux écosystèmes » ?
Chapitre 7 : Le développement de « services aux écosystèmes » à l’épreuve de nouveaux enjeux de gestion et de négociation
Chapitre 8 : Quatre « figures d’intervention» pour développer des modèles d’affaires de services aux écosystèmes
Chapitre 9 : Des comptabilités pour accompagner les interventions d’une entreprise de services aux écosystèmes
Conclusion générale
Epilogue : plaidoyer pour une approche comptable de la question écologique
Bibliographie
Table des matières générale
Table des illustrations
Annexes

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