Nouvelles briques de conception de systèmes intégrés pour la vision infrarouge

J’ai réalisé ma thèse dans l’unité de Concepts Innovants en Optique (CIO) du Département d’Optique Théorique et Appliqué (DOTA) de l’ONERA. La thématique de recherche de cette unité est principalement la conception d’instruments optiques dans le domaine infrarouge. Elle s’appuie essentiellement sur deux pôles de compétence qui sont :

– L’évaluation et la mise en œuvre des détecteurs infrarouges regroupant la mise au point de protocoles de test et de comparaison des détecteurs, le développement de bancs de test adaptés aux nouvelles générations de détecteurs, l’élaboration de modèles qui rendent compte des phénomènes observés, la maîtrise et le développement des techniques du vide et de la cryogénie, la conception et l’élaboration de cartes électroniques dédiées aux caractérisations faibles courants, faibles bruits, large bande passante pour les filières technologiques de détection émergentes.
– La conception optique regroupant la recherche de concepts innovants, le calcul de combinaisons optiques, l’élaboration de modèles de performances, la recherche de nouvelles figures de mérites adaptées au besoin opérationnel et la mise au point de protocoles de test associés.

L’unité CIO a développé à partir des années 2000 une thématique sur la miniaturisation et la simplification des instruments infrarouges. Cette réflexion a débuté après un compte rendu enthousiaste de Jérôme Primot au retour d’une conférence à Berlin durant laquelle R. Völkel avait exposé ses travaux sur de nouveaux concepts de micro-caméras inspirés des yeux d’insectes. A la même époque, les travaux d’une équipe japonaise présentant le concept TOMBO étaient aussi publiés. Ces travaux s’inscrivent dans une course à la miniaturisation et sont menés par des équipes de recherche soutenues par le monde industriel. L’objectif visé est la réduction du poids, de la consommation électrique des caméras ainsi que la diminution des coûts de production de ces dernières, grâce à la réduction de leur dimension et à l’augmentation du volume de production. Tous ces gains permettent de proposer des caméras dites « grand public » contribuant à générer des applications industrielles très prometteuses. En effet, la compacité et la diminution des coûts des systèmes d’imagerie facilitent leur diffusion dans toutes sortes d’applications (ordinateurs, téléphones mobiles, automobiles…). L’exemple le plus frappant est l’émergence de caméras compactes pour téléphones portables. En 2005, plus de 350 millions de ces caméras étaient intégrées dans des téléphones portables : leur volume de production représentant alors un ordre de grandeur de plus par rapport à celui des caméras et appareils photos classiques [1]. Cependant, cet exemple ne doit pas masquer tous les nombreux autres systèmes optiques qui se répandent dans des secteurs tels que la surveillance, le contrôle industriel, l’agroalimentaire et l’automobile ! Cette expansion a été rendue possible grâce à l’émergence des détecteurs matriciels CMOS qui permettent d’obtenir des images électroniques pouvant être facilement exploitées informatiquement et automatiquement. De plus, de nombreuses applications nécessitent l’extraction d’informations élémentaires permettant la réalisation de systèmes spécialisés ayant une architecture simplifiée mais gardant de très bonnes performances pour l’application visée. Dans le domaine de l’automobile, des systèmes optiques sont développés par exemple pour mesurer la vitesse des véhicules, pour détecter d’autres véhicules ou des piétons, pour inspecter la surface de la route ou bien pour observer le trafic. La variété des applications nécessitant en général des systèmes optiques dédiés font du développement des systèmes compacts un marché particulièrement florissant. Ce domaine de recherche est assez récent et très prometteur, si l’on se réfère aux nombreuses publications apparaissant dans des revues généralistes en optique comme la revue Optics and Photonics News (OPN). Cette logique de miniaturisation se détache de l’approche classique qui cherche à obtenir les performances ultimes d’un système d’imagerie. Dans ce cas, il s’agit de développer des systèmes volumineux et complexes afin d’obtenir les performances ultimes en terme de résolution angulaire et de sensibilité. Cette complexité peut être appréciée en examinant les objectifs des caméras utilisés par les professionnels de la photo et de l’audiovisuel ou bien en suivant le développement des nouveaux télescopes tel que le télescope Keck dont le diamètre de pupille avoisine les 10 m ! Ainsi, la réflexion sur la miniaturisation des systèmes optiques apporte une vision neuve sur la conception d’un système d’imagerie.

D’autres domaines spectraux comme celui de l’infrarouge peuvent aussi profiter des retombées apportées par la miniaturisation des systèmes d’imagerie. L’infrarouge est le domaine par excellence de la vision nocturne et des mesures thermiques [2, 3]. La vision infrarouge est couramment utilisée pour des applications militaires, la thermographie, le contrôle industriel et la télédétection dans laquelle le système infrarouge est embarqué par un satellite pour évaluer la pollution, aider l’agriculture, collecter des informations dans les secteurs de la météo et de l’urbanisme… La thermographie infrarouge a pour but de produire une cartographie du rayonnements émis par une scène tandis que les autres applications militaires et civiles utilisent un capteur sensible dans le domaine infrarouge pour extraire de l’information sur la scène observée. Durant cette thèse, je me suis intéressé particulièrement à deux bandes spectrales : la bande 3 − 5 µm appelée « infrarouge moyen » (MWIR) et à la bande 8 − 12 µm appelée « infrarouge lointain » (LWIR). Le MWIR permet d’observer principalement le rayonnement des corps chauds tandis que le LWIR est le domaine privilégié des corps à température ambiante. Ces deux bandes spectrales ont l’avantage d’être complémentaires. Par exemple, le LWIR traverse mieux les fumées et sera donc privilégié pour des opérations terrestres tandis que le MWIR se propage mieux au travers des atmosphères humides et sera donc choisi de préférence pour des applications maritimes. La vision infrarouge a pris une très grande ampleur dans le domaine de la défense en devenant incontournable dans des applications comme la navigation, la visée ou la reconnaissance. De nombreux systèmes optroniques sont aussi conçus afin d’équiper les fantassins, les véhicules terrestres ainsi que les bâtiments maritimes ; la réalisation de systèmes optroniques compacts et économiques améliorerait l’embarquabilité de ces systèmes et faciliterait une large diffusion de ces derniers sur le théâtre des opérations, donnant ainsi un avantage stratégique certain. La réflexion sur la miniaturisation des systèmes optiques pourrait, de plus, profiter de la forte croissance du marché des détecteurs infrarouge avoisinant les 10 % l’an pour mener ces nouveaux développements [4]. Par exemple, la montée en puissance des drones encourage la conception d’instruments optroniques de plus en plus légers et économiques. Finalement, la réalisation de caméras bas coût permettrait de faciliter l’utilisation de l’infrarouge dans le domaine civil, comme le domaine médical, la vidéo-surveillance, l’automobile et dans le cadre d’une politique de développement durable. Une première étape dans la miniaturisation de ces systèmes a été obtenue, dans les années 90, grâce au développement des détecteurs matriciels appelés « plans focaux infrarouges » (PFIR). Ces derniers ont permis de simplifier considérablement la conception d’une caméra en s’affranchissant des dispositifs de balayage de la scène utilisés avec des détecteurs mono-éléments. Il existe principalement deux familles de détecteurs infrarouge [2, 3] : les détecteurs quantiques à base de semi-conducteurs qui transforment un photon infrarouge en signal électrique et les détecteurs thermiques qui mesurent un flux infrarouge en détectant une élévation de température après absorption de l’énergie incidente. Les performances des PFIRs n’ont cessé d’être améliorées. Par exemple, les détecteurs quantiques atteignent maintenant des efficacités quantiques de l’ordre de 90 %, associées à un faible bruit de lecture et à un faible courant d’obscurité [5]. De plus, les progrès en microtechnologie permettent de réaliser de nouvelles générations de PFIRs caractérisés par une complexité plus élevée en termes de format (matrices mégapixels), de taille de pixels (proches de la longueur d’onde moyenne d’utilisation) et de réponse spectrale (composants bispectraux). Par ailleurs, de nouvelles générations de PFIRs thermiques « bas coût » ont vu le jour avec l’avènement des micro-bolomètres. Les micro-bolomètres ont en effet l’avantage de pouvoir fonctionner à température ambiante, contrairement aux détecteurs quantiques qui doivent être refroidis. Ces détecteurs bas coûts sont ainsi une première étape en faveur d’une plus grande diffusion des spécificités de l’instrumentation infrarouge dans le domaine du civil. Les micro-bolomètres ont cependant l’inconvénient d’avoir un bruit plus important que les détecteurs quantiques, ce qui limite leur portée [4]. Cette portée limitée n’est cependant pas nécessairement une contrainte en ce qui concerne les applications civiles (automobile par exemple) ou militaires (surveillance par micro-drones en milieu urbain).

Le biomimétisme : l’apport de la vision des invertébrés

Une grande variété d’architectures optiques

L’architecture classique des caméras et des appareils photographiques se rapproche de l’architecture de l’œil des vertébrés. Ce sont des systèmes optiques à chambre ayant un seul axe optique sur lequel sont alignés les optiques, la pupille et le détecteur. L’étude de la vision des animaux met cependant en lumière une grande diversité d’yeux [12, 22, 24] se traduisant par une grande variété de tailles et d’architectures.  On peut distinguer deux grandes classes : les systèmes mono-voie caractérisés  par une rétine concave et les systèmes multi-voies caractérisés par une rétine convexe. Alors que  les mammifères ne possèdent que l’architecture C, d’où l’importance d’étudier la vision de cette catégorie d’animaux. Tous ces types d’architectures se sont développés afin de permettre à son hôte de réaliser toutes sortes de tâches visuelles plus ou moins complexes. Land et Nilson [22] ont proposé une classification de ces différentes tâches visuelles que peut réaliser un être vivant. Il les ont classés suivant la complexité à les mettre en œuvre. Plus la tâche est complexe, plus les exigences demandées aux systèmes visuels en terme de performances optiques, de traitement de l’information et de ressources énergétiques seront importantes. La capacité visuelle la plus simple consiste à détecter la direction et l’intensité d’une source de lumière. La seconde capacité consiste à estimer les distances et à se déplacer dans un environnement en s’aidant par exemple du paysage ou des étoiles et en interagissant avec des objets inanimés. Cette interaction leur permet d’éviter des obstacles et de s’orienter vers la zone voulue. La troisième capacité visuelle est l’interaction avec d’autres organismes comme la détection d’une proie, d’un prédateur ou d’un partenaire sexuel. Enfin la dernière capacité visuelle qui est la plus complexe permet de manipuler des objets et d’apprendre des informations visuelles. Il est bon de noter que ces capacités visuelles se rapprochent de celles qu’un concepteur en optique cherche à développer pour ses caméras. Le rapport de l’OTAN [25, 26] classe en effet les capacités visuelles d’une caméra en quatres catégories : détection, reconnaissance, identification et analyse technique, chacune d’elles demandant des performances optiques différentes. La compréhension de l’acquisition et du traitement de l’information visuelle par les différents organismes est le travail mené par les neuro biologistes. Cette étude est très précieuse pour un concepteur en optique désirant réaliser le plus simplement possible une fonction visuelle. Il ne s’agit pas cependant dans le cadre de cette thèse de faire une description exhaustive de toutes les architectures que l’on peut trouver dans le nature mais de sélectionner quelques exemples remarquables qui peuvent donner des pistes intéressantes pour la miniaturisation et la simplification des systèmes optiques.

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Table des matières

Chapitre 1 Introduction
1.1 Enjeux et contextes
1.2 Objectif et démarche de la thèse.
Chapitre 2 État de l’art : vers une rupture de la conception optique classique
2.1 Définition des différents paramètres d’un système optique
2.2 Problématique liée à l’intégration des systèmes optiques au plus près du détecteur
2.3 Le biomimétisme : l’apport de la vision des invertébrés
2.3.1 Une grande variété d’architectures optiques
2.3.2 Les systèmes s’inspirant des téléobjectifs
2.3.3 Les systèmes multivoies
2.3.4 Les systèmes spécialisés
2.3.5 Les premiers systèmes optiques s’inspirant de la vision des insectes
2.4 Le traitement d’images : vers une approche de co-conception des systèmes optiques
2.4.1 Imagerie combinée
2.4.2 Codage de front d’onde
2.4.3 Imagerie comprimée (compressed sensing)
2.4.4 Imagerie « sans lentille »
2.4.5 Systèmes adaptés à la mesure du flot optique
2.5 Les progrès technologiques : un vecteur d’innovation
2.5.1 Innovations en optique
2.5.2 Innovations en détection
2.6 Description de la méthodologie pour caractériser et comparer les différents microconcepts optiques
2.7 Conclusion
Chapitre 3 Les objets continûment auto-imageants au service d’une simplification des systèmes optiques
3.1 Introduction
3.2 Démonstration de l’intérêt du sténopé pour la vision infrarouge
3.2.1 Aménagement du sténopé dans le cryostat
3.2.2 Etude des performances optiques du sténopé suivant l’axe optique
3.2.3 Etude des performances optiques du sténopé dans le champ d’observation
3.2.4 Règles de conception d’une camera obscura
3.2.5 Conception d’une camera obscura à lentille fish-eye
3.2.6 Etude expérimentale de la camera obscura à lentille fish-eye
3.2.7 Conclusion
3.3 Généralisation aux objets continûment auto-imageants
3.3.1 Propriétés fondamentales des objets continûment auto-imageants
3.3.2 Tolérance angulaire : cas du CSIG
3.3.3 Tolérance angulaire : cas de l’objet J0
3.3.4 Impact de la binarisation des objets continûment auto-imageants
3.3.5 Impact de l’ouverture des objets continûment auto-imageants
3.3.6 Démonstration des propriétés d’imagerie
3.3.7 Conclusion
Chapitre 4 Les systèmes multivoies au service d’une miniaturisation des systèmes optiques
4.1 Introduction
4.2 La chambre obscure à lentille intégrée
4.3 Réflexion sur la conception de systèmes multivoies intégrés au plus près du détecteur
4.3.1 Conception d’un téléobjectif multivoie
4.3.2 Conception d’un système multivoie superrésolu
4.4 Mise en œuvre d’une caméra multivoie appelée MULTICAM
4.4.1 Caractérisation de la caméra MULTICAM
4.4.2 Acquisition d’une image superrésolue à partir de la caméra MULTICAM
4.4.3 Élargissement du champ de la caméra MULTICAM
4.4.4 Etude des images parasites du système MULTICAM
4.4.5 Réalisation d’une caméra MULTICAM multispectrale
4.5 Conclusion
Chapitre 5 Conclusion

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