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ACTIVATION ET SIGNALISATION DES CRYPTOCHROMES
Les mécanismes d’activation et de signalisation des cryptochromes ont de grandes similarités mais également de nombreuses spécificités entre espèces comme nous allons le voir.
Activation du photocycle et réduction de la flavine
Photoréduction de la flavine
Le chromophore principal des cryptochromes pour l’activation el la signalisation, la flavine adénine dinucléotide, est un transporteur de deux électrons au maximum que l’on peut retrouver dans trois états redox différents : état oxydé (FAD), état semi réduit (sous forme anionique FAD•- ou neutre FADH•) ou état totalement réduit (anionique FADH- ou neutre FADH2) (Figure 17). Parmi ces différentes formes, seules les flavines oxydées et semi-réduites sous forme anionique absorbent une quantité significative de lumière (400–500nm). De plus, le spectre d’action du cryptochrome concernant l’inhibition de l’élongation de l’hypocotyle correspond au spectre d’absorption de la flavine sous forme oxydée (Ahmad et al, 2002). Ces résultats sont cohérents avec le fait que la FAD oxydée soit le photopigment actif in vivo pour les cryptochromes. Il a également été proposé que la flavine oxydée puisse correspondre à l’état fondamental chez les cryptochromes d’Arabidopsis du fait de leur capacité d’absorption. Lorsque CRY1 du gène Atcry1 est exprimé en cellules d’insecte pour ensuite être purifié, la flavine est retrouvée sous forme oxydée (Lin et al, 1995). Sous illumination en lumière bleue, la flavine de CRY1 purifié peut être converti sous forme neutre semi réduite FADH•.
Cette nouvelle forme a la caractéristique de pouvoir absorber la lumière verte. Puis, si l’on prolonge l’illumination on obtient la forme totalement réduite FADH- ou FADH2 qui reste capable d’absorber quelques longueurs d’onde du domaine visible.
De façon similaire à CRY1, CRY2 contient également une flavine sous forme oxydée qui peut être réduite par l’absorption de lumière bleue comme l’ont montré des expériences utilisant la résonance paramagnétique électronique sur des protéines in vitro (Banerjee et al, 2007). L’addition de lumière verte, en plus de la lumière bleue, supprime certains effets induits par le cryptochrome comme l’inhibition de l’élongation de l’hypocotyle ou l’accumulation d’anthocyanines pour CRY1 mais aussi le déclenchement de la floraison pendant les jours courts pour CRY2 ainsi que sa dégradation dépendante de la lumière bleue (Bouly et al, 2007, Banerjee et al, 2007). L’effet antagoniste entre lumière bleue et lumière verte a donné lieu à l’établissement d’un nouveau modèle (Figure 18) permettant d’expliquer le cycle de photoréduction de la flavine.
Rôle du changement conformationnel pour la liaison aux partenaires
Chez Arabidopsis, les domaines C-terminaux soumis à un changement conformationnel ont une longueur de 180 et 110 acides aminés respectivement chez CRY1 et CRY2. En l’absence du domaine PHR, qui permet la photoréception, la partie C-terminale est constitutivement active, elle est capable d’intéragit avec les partenaires protéiques et permet de remplir en permanence les fonctions des cryptochromes en l’absence de lumière (Yang et al, 2000 ; Yu et al, 2007). Un motif de 80 acides aminés appelé NC80, faisant partie du domaine C-terminal, est dé-réprimé après un changement conformationnel induit par la lumière bleue (Yang et al, 2016). Des études utilisant un laser pulsé sur la protéine CRY1 ont confirmé qu’un changement conformationnel avait bien lieu mais que celui-ci disparaissait avec une protéine CRY1 tronquée de son domaine C-terminal (Kondoh et al, 2011). Selon certains modèles, la libération de ce motif, qui reste emprisonné à l’obscurité pourrait être due à la phosphorylation ayant lieu dans la partie C-terminale. Celle-ci est directement corrélée à l’intensité et à la durée d’exposition à la lumière (Shalitin et al, 2003) et pourrait être l’élément déclencheur du changement conformationnel. La surface protéique de CRY1 au niveau du domaine PHR est principalement négative (Brautigam et al, 2004), il pourrait donc se produire une répulsion électrostatique avec les charges négatives des groupements phosphate. Cependant, le changement conformationnel détecté pour CRY1 d’A. thaliana survient en quelques millisecondes (Kondoh et al, 2011), ce qui est probablement beaucoup trop rapide pour que la phosphorylation ait lieu avant. De plus, la zone masquée avant le changement de conformation pourrait être nécessaire à la fixation des kinases. Ce changement conformationnel serait à l’origine de la libération du motif NC80 qui correspond à une région terminale permettant la signalisation par la liaison aux partenaires. Ce mécanisme d’activation a également été identifié chez CRY2 et pourrait expliquer en partie la régulation de la floraison par CRY2 (Yu et al, 2007).
Malheureusement aucune information n’a été obtenue sur la structure 3D du domaine C-terminal car celui-ci semble très difficile à analyser par cristallographie ou toute autre méthode du fait que sa structure semble très irrégulière. De plus sa structure est très difficile à prédire in silico. Ceci implique que les modèles de repliement de la partie C-terminale ne sont que théoriques et donc à prendre avec beaucoup de précaution (Figure 22). Récemment des études par dichroïsme circulaire ont suggéré qu’une portion de 50 acides aminés, adjacents à la cavité de la flavine, étaient d’une grande importance pour le déploiement de la partie C-terminale en réponse à la lumière. Ce résultat indiquerait un lien potentiel de cause à effet entre réduction de la FAD, restructuration des acides aminés environnants dont l’aspartate 396 et la libération de la partie C-terminale (El-Esawi et al, 2015).
Bien qu’il subsiste une incohérence quant au site exact de l’interaction des cryptochromes avec leurs partenaires, il existe un consensus selon lequel la majorité d’entre eux se fixent au niveau du N-terminal et que la lumière bleue soit le déclencheur de ce mécanisme par l’induction de la photoréduction et du changement conformationnel en C-terminal (Kondoh et al, 2011 ; Partch et al, 2005).
Chez la drosophile, DmCRY contient lui aussi une queue C-terminale (CTT) en forme d’hélice qui se situe à la surface de la protéine près de la cavité contenant la flavine. Elle est tout aussi essentielle pour la signalisation que chez les plantes (Vaidya et al, 2013). In vivo, DmCRY est moins stable à la lumière qu’à l’obscurité et l’est encore moins si on lui retire la CTT (Busza et al, 2004 ; Rosato et al, 2001), celle-ci permettrait donc une bonne stabilité dans cette région. La structure tridimensionnelle de la protéine DmCRY est aujourd’hui entièrement connue (Figure 21), et on peut remarquer que la CTT est séquestrée par plusieurs structures autour d’elle regroupant différents résidus comme le « C-terminal lid », le « protrusion motif » ou la « phosphate binding loop ». Les différences structurelles entre DmCRY et les photolyases montrent que la reconnaissance de la CTT se fait à la place de l’ADN. Mécaniquement, lors de sa photoréduction, la flavine subit une distorsion, ce qui influe directement sur les résidus voisins dont certains sont directement en contact avec l’hélice de la CTT (Zoltowski et al, 2011). Dans une étude plus récente, la photoréduction a été directement reliée à la protonation d’une histidine dans l’environnement de la CTT. Cette protonation déclenche une altération des liaisons hydrogène environnantes qui induisent l’éjection de la CTT de sa cavité et ce de façon très rapide, de l’ordre de 25ns (Ganguly et al, 2016). Le temps pendant lequel la protéine sera active est quant à lui beaucoup plus long, de l’ordre de quelques minutes. Ces études permettent d’expliquer le lien qui existe entre la photoréduction, le changement conformationnel et la signalisation avec les partenaires comme TIM. En effet, lorsque la CTT est relâchée de sa cavité en présence de lumière bleue elle se retrouve davantage exposée à la protéolyse, cela concorde avec le fait que DmCRY interagit avec jetlag, une ubiquitine ligase qui induit l’ubiquitination de TIM et DmCRY (Koh et al, 2006 ; Peschel et al, 2009). Toutefois, certaines études affirment que DmCRY est polyubiquitiné par un complexe d’ubiquitination, et cela notamment grâce à la protéine BRWD3, car lorsque celle-ci est inactive, la dégradation de DmCRY est fortement réduite (Ozturk et al, 2013). Cette CTT pourrait donc être fortement impliquée dans la liaison aux partenaires. Une étude récente montre que les modifications globales dans la structure de DmCRY sont parfaitement modélisables par le repositionnement de la CTT en dehors de sa cavité et que la région de DmCRY qui se fixe à la protéine TIM ressemble à la CTT (Vaidya et al, 2013). Chez d’autres animaux comme le poulet, des changements structurels notamment du cryptochrome 4 ont également été identifiés, et cela en réponse à la lumière (Watari et al, 2012), ce qui laisse penser que ce mécanisme est hautement conservé dans l’évolution.
Chez les mammifères, des mécanismes similaires ont lieu, cependant la lumière n’est pas indispensable à ce phénomène. Chez la souris on retrouve également une queue C-terminale d’une centaine d’acides aminés pour mCRY1 et mCRY2. Elle est nécessaire pour la répression de BMAL1/CLOCK car la délétion complète de la partie C-terminale inhibe l’activité du cryptochrome et rend impossible l’inactivation de BMAL1/CLOCK par CRY/PER2 (Chaves et al, 2006 ; Tamanini et al, 2007). La CTT est associée à une hélice alpha à la fin du PHR pour former une structure qui permet la liaison directe avec la protéine de l’horloge BMAL1 (Czarna et al, 2011). Il apparait que l’interaction entre les cryptochromes et BMAL1 a lieu à la fois au niveau de la queue C-terminale et au niveau d’une poche secondaire du domaine PHR (Rosenweig et al, 2018). Ces études pourraient potentiellement être intéressantes pour concevoir de nouvelles molécules thérapeutiques capables de réguler l’horloge circadienne.
Signalisation et liaison aux partenaires
Localisation cellulaire et stabilité
L’immense majorité des études qui ont été réalisées chez les plantes et les animaux suggèraient déjà que l’action du cryptochrome avait lieu dans le noyau. Les principaux arguments en faveur de cette théoriie venaient de leur proximité structurelle avec les photolyases qui se doivent d’être liées à l’ADN pour sa réparation. Mais ce sont des analyses par fluorescence qui vont d’abord confirmer cette théorie chez Arabidopsis. Elles ont confirmé que CRY1 et CRY2 étaient tous les deux localisées à la fois dans le cytoplasme et le noyau et que CRY2 est une protéine presque exclusivement nucléaire qui de plus possède une séquence NLS dans sa partie C-terminale (Guo et al, 1999). La partie C-terminale de CRY2 seule est même suffisante pour cette localisation, et la présence ou non de lumière ne semble pas affecter l’activité de localisation de la séquence NLS. Aucune NLS n’a été retrouvée chez CRY1, ce qui n’empêche pas la protéine d’être également localisée dans le noyau. L’homologue de CRY1 est également retrouvé dans le cytoplasme et le noyau des cellules chez d’autres plantes comme le riz ou la fougère (Matsumoto et al, 2003 ; Imaizumi et al, 2003). Cette présence de CRY1 dans le cytoplasme pourrait permettre certaines fonctions distinctes des protéines CRY1 localisées dans le noyau (Wu & Spalding, 2007).
Concernant les cryptochromes de type I, nos études, réalisées chez des cellules d’insecte Sf21 surexprimant la protéine DmCRY, ont mis en évidence une localisation de la protéine DmCRY dans le noyau en réponse à la lumière bleue (Arthaut et al, 2017). Des résultats similaires avaient déjà mis en évidence un phénomène de relocalisation de CRY2 d’A. thaliana en cellules Sf21 en réponse à la lumière bleue (Jourdan et al, 2015). Une des explications à ces phénomènes pourrait être que le changement conformationnel induit par la lumière faciliterait l’accessibilité de la séquence NLS aux transporteurs nucléaires.
En ce qui concerne les cryptochromes animaux de type II, il est maintenant clairement démontré qu’ils s’accumulent dans le cytoplasme et se fixent aux protéines PER chez les mammifères. Ces complexes sont ensuite transloqués dans le noyau. Au cours de plusieurs analyses moléculaires, une séquence NLS a été mise en évidence aussi bien chez les protéines PER que chez les cryptochromes (Zhu et al, 2003 ; Hirayama et al, 2003). De plus le domaine PHR de mCRY1 possède deux séquences NLS. Cependant la relocalisation nucléaire tout comme l’activité biologique de la protéine mCRY1 par liaison aux partenaires ne nécessite pas la présence de ces séquences NLS, la liaison seule avec PER2 est en effet suffisante (Tamanini et al, 2007). Récemment l’importine nucléaire KPNB1 a été identifiée comme essentielle à la relocalisation nucléaire de PER et CRY. La perte de cette protéine abolit la rythmicité des gènes de l’horloge et le comportement cyclique jour/nuit (Lee et al, 2015). Les premières études sur les souris ont montré que mCRY1 était adressé à la mitochondrie mais peu présent ailleurs, alors que mCRY2 était principalement présent dans le noyau (Kobayashi et al, 1998).
La plupart des cryptochromes deviennent instables à la lumière, leur demi-vie d’activation oscille entre 1 à deux minutes chez les plantes à 5 minutes chez la drosophile (Arthaut et al, 2017). Chez Arabidopsis, CRY2 subit une dégradation par le protéasome 26S alors que CRY1 est stable (Lin et al, 1998 ; Yu et al, 2009). Chez les cryptochromes de mammifères, une dégradation dépendante de la lumière a été détectée pour hCRY1 exprimé chez la drosophile (Hoang et al, 2008), de manière similaire à ce qui a été observé pour les complexes COP1 / CRY2 et jetlag / CRY.
Liaison à l’ATP et phosphorylation
Bien qu’aucune interaction directe entre les cryptochromes et l’ADN n’ait été détectée jusqu’à ce jour, il apparait que la molécule d’ATP est capable de se fixer au niveau de la poche contenant la flavine et d’induire une autophosphorylation dépendante de la lumière bleue. Cette observation a été faite in vivo et in vitro chez des plantules d’Arabidopsis aussi bien pour CRY1 que pour CRY2 (Shalitin et al, 2002 ; Shalitin et al, 2003) (Figure 22A). Aucun autre substrat que le domaine N-terminal n’a été identifié pour l’activité kinase du cryptochrome. De plus aucun rôle physiologique n’a clairement été attribué à cette autophosphorylation. Néanmoins, il semblerait qu’elle permette une stabilisation de la flavine sous sa forme semi réduite FADH• (Burney et al, 2009). La forme semi réduite de la flavine permettant au cryptochrome d’avoir une activité biologique, cette autophosphorylation pourrait jouer un rôle significatif dans la stabilisation de la conformation active du cryptochrome. La disponibilité en ATP dans la cellule pourrait donc moduler l’activité des cryptochromes. En accord avec cette hypothèse, notre équipe a mis en évidence que l’ATP permettait une voie alternative de transfert d’électrons pour la photoréduction (El-Esawi et al, 2015). La liaison à la poche de la flavine pourrait augmenter la flexibilité de certains résidus et/ou permettre un meilleur alignement des résidus, créant des opportunités pour le transfert des électrons (Engelhard et al, 2014).
La phosphorylation de CRY1 pourrait être réalisée par deux mécanismes, une autophosphorylation qui a été observée in vitro au niveau N-terminal, et une phosphorylation réalisée par des kinases végétales dans la région C-terminale et observable uniquement in vivo (Chaves et al, 2011). Seules quelques unes de ces kinases ont été identifiées comme PPK123 et PPK124 (Liu et al, 2017). En revanche l’autophosphorylation n’est pas détectable pour CRY2 (Ozgur & Sancar, 2006) qui ne présente qu’un seul type de phosphorylation réalisée en C-terminal par d’autres kinases végétales comme CK1.3 et CK1.4 (Tan et al, 2013).
Les spectres d’absorption montrent que l’ajout d’ATP permet d’augmenter la proportion de flavine réduite (Figure 21). Cette phosphorylation, que l’on observe à la lumière disparait peu à peu à l’obscurité et est absente chez les mutants inactifs pour CRY1 ou CRY2, suggérant que l’activité biologique du photorécepteur est directement corrélée à son état de phosphorylation, car en effet seul la forme active des cryptochromes est phosphorylable. On peut faire l’hypothèse que la phosphorylation des cryptochromes stabilise leur forme active semi-réduite. Toutefois, la phosphorylation lumière bleue dépendante de CRY2 déclenche également son ubiquitination et sa dégradation (Liu et al, 2017). Cependant la phosphorylation des cryptochromes chez les végétaux est plus complexe à appréhender car l’ATP est capable de se fixer à la protéine en obscurité tout en induisant un changement conformationnel. Il semblerait également que plusieurs résidus soient phosphorylables parmi les sérines, thréonines et tyrosines du domaine N-terminal (Shalitin et al, 2003). Bien que la phosphorylation soit maintenant identifiée comme influant sur l’activité de CRY1 et de CRY2 (Liu et al, 2017), il est impossible de dire si elle est réellement nécessaire à l’activité biologique in vivo et si oui jusqu’à quel point. En effet, en substituant les 13 sérines phosphorylables en C-terminal pour CRY2, seuls des effets mineurs ont été observés au niveau biologique (Wang et al, 2015). Il reste néanmoins à déterminer l’implication de l’autophosphorylation en N-terminal dans l’activité biologique de CRY1.
Concernant les cryptochromes de type I, les mécanismes de phosphorylation sont peu connus. La phosphorylation d’une thréonine pour DmCRY a été néanmoins détectée par spectrométrie de masse et cristallographie. Celle-ci pourrait jouer un rôle dans le maintien de la conformation du domaine C-terminal (Zoltowski et al, 2011).
Chez les mammifères et plus particulièrement chez la souris, la phosphorylation du cryptochrome a été largement étudiée, et semble mieux comprise que chez les plantes. Au moins cinq kinases différentes se sont révélées être impliquées dans la phosphorylation du cryptochrome et ce de façon lumière indépendante (Sanada et al, 2004 ; Kurabayashi et al, 2010; Hirano et al, 2014 ; Liu
& Zhang, 2016). Ces kinases incluent « l’adénosine monophosphate-activated protein kinase » (AMPK), la « glycogen synthase kinase 3β » (GSK3β), la « DNA-dependent protein kinase (DNA-PK) »
ou encore la « mitogen-activated protein kinase » (MAPK). Ces études ont montré que la phosphorylation du cryptochrome le déstabilise mais augmente son activité. Lorsque la phosphorylation est inhibée des distorsions apparaissent concernant la période circadienne.
Liaison à des partenaires et transduction du signal
Chez les cryptochromes de type I, l’activation par la lumière permet la liaison à différents partenaires qui sont tous des composantes de l’horloge circadienne ou bien des ubiquitines ligases qui vont entrainer la dégradation du cryptochrome ou de ses partenaires protéiques . Chez A. thaliana les partenaires se liant au cryptochrome ainsi que la transduction du signal qui s’en suit sont aujourd’hui étudiés de manière intensive. Il a été mis en évidence au niveau mécanistique que CRY1 et CRY2 interagissaient tous les deux avec CIB1 et SPA1 (Liu et al, 2011) en réponse à une exposition à la lumière bleue. CRY1 et CRY2 sont de plus tous les deux capables de s’homodimériser; cette fonction se révèlant être essentielle pour leurs différentes activités (Sang et al, 2005 ; Yang et al, 2016). Le domaine PHR serait responsable de la formation de ces dimères (Figure 23).
SPA1 (suppressor of PHYA-105 1) et ses protéines associées SPA2 et SPA4 forment avec COP1 un complexe d’ubiquitine ligase qui réprime la photomorphogenèse en inhibant notamment l’expression du gène HY5, un facteur de transcription de type leucine zipper qui se fixe sur le promoteur de nombreux gènes régulés par la lumière (Osterlund et al. 2000; Lau & Deng 2012). A l’obscurité, le complexe COP1/SPA1 ubiquitine HY5, provoquant sa dégradation. A la lumière, ce complexe est inactivé par l’intervention de CRY1 et CRY2 qui se fixent sur SPA1, ce qui permet l’accumulation de HY5 dans le noyau (Liu et al, 2011 ; Zuo et al, 2011) ou de la protéine CO pour CRY2, qui induit l’expression du gène FT (Turck et al, 2008). Le mécanisme exact de ces interactions reste cependant à élucider. Les différences d’affinité entre CRY1 et CRY2 pour SPA1 pourraient expliquer leurs différences en matière d’activité (Liu et al, 2015). Les phytochromes en plus de se lier aux cryptochromes (Ahmad et al, 1998) se lient aussi à SPA1 en présence de lumière rouge et permettent la dissociation de COP1 et SPA1 (Sheerin et al, 2015). Ces études peuvent expliquer les convergences fonctionnelles entre cryptochromes et phytochromes sous des conditions lumineuses variées.
CIB1 (cryptochrome-interacting basic-helix-loop-helix 1) est la première protéine chez les plantes qui a été identifiée comme se fixant sur CRY2 de façon lumière dépendante (Liu et al, 2008). Par son interaction avec CRY2, CIB1 régule positivement le déclenchement de la floraison en se fixant également sur la G-box (CACGTG) du promoteur du gène FT qui code pour un régulateur transcriptionnel qui va permettre, au niveau du méristème, la transcription des gènes de l’identité florale (Corbesier et al, 2006). Néanmoins, il est possible que CIB1 se fixe à plusieurs autres protéines bHLH (CIB3, CIB4, CIB5) in vivo car elle est capable de se fixer à plusieurs box différentes. A l’opposé aucun lien n’a pu être établi entre CRY1 et CIB1.
Selon le modèle principal d’activation du cryptochrome, la région N-terminale subit une photoréduction qui est convertie en changement conformationnel dans la partie C-terminale, permettant la signalisation. En accord avec ce modèle, la partie C-terminale de CRY1 se fixe sur COP1 (Yang et al, 2001), de plus CRY1 interagit avec SPA1 par son domaine C-terminal (Lian et al, 2011). En revanche, le site de liaison de CRY2 à SPA1 ou CIB1 ne se situe pas dans la partie C-terminale de CRY2 mais dans son domaine PHR (Liu et al, 2008 ; Zuo et al, 2011). Le domaine PHR est donc d’une grande importance pour la signalisation. En appui à ces observations, une étude a récemment montré que le PHR de CRY1 fusionné à une séquence NLS est capable d’induire seul, une inhibition de l’élongation de l’hypocotyle. Cette inhibition se produit donc indépendament de toute fixation sur COP1; indiquant par là un rôle indépendant de la signalisation COP1. De plus 34% des gènes régulés par CRY1 sont même régulés par PHRCRY1-NLS (He et al, 2015 ; Liu et al, 2016). La régulation des gènes par le PHR de CRY1 fonctionne de façon antagoniste aux phytohormones comme l’auxine ou les gibbérellines, signifiant peut-être un rôle du PHR dans les voies de signalisation régulées par ces hormones.
Récemment, PIF3 et PIF4, deux facteurs de transcription de type bHLH (comme CIB1), ont été reconnus comme se fixant à CRY1 et CRY2 dans le noyau. Les cryptochromes régulent directement l’activité de ces deux facteurs de transcription, déjà connus comme interagissant avec les phytochromes. PIF3 et PIF4 régulent la croissance induite par la lumière bleue, la lumière rouge et la température par leur fixation sur les séquences promotrices E-box (Pedmale et al, 2016). Il est probable que d’autres facteurs de transcription se fixent sur CRY1 et CRY2, ceux-ci restent à identifier.
NOUVEAUX ROLES DES CRYPTOCHROMES EN LIEN AVEC NOS TRAVAUX
Nos différents travaux se sont focalisés sur deux nouveaux champs d’étude des cryptochromes :
– Leur lien avec les ROS, car il est maintenant de plus en plus accepté que les cryptochromes, par leur photocycle, sont capables d’induire la synthèse de certains ROS ; et par conséquent de permettre potentiellement une régulation d’un certain nombre de paramètres physiologiques, morphologiques ou comportementaux modulés par la présence de ces espèces réactives de l’oxygène (Consentino et al, 2015).
– Leur rôle dans la magnétoreception. En effet il a été depuis longtemps suggéré que les cryptochromes pouvaient jouer le rôle de magnétorécepteur sur la base des observations d’oiseaux migrateurs qui utilisent une boussole magnétique nécessitant de courtes longueurs d’onde lumineuses pour pouvoir s’orienter (Ritz et al, 2000).
Les mécanismes moléculaires sous-jacents, les fonctions cellulaires régulées par ces deux composantes ainsi que leur lien étroit avec les cryptochromes sont décrits, ci-dessous, de façon détaillée.
Rôle des cryptochromes dans le stress oxydatif
Généralités sur les ROS chez les végétaux et les animaux
Chez les plantes, les ROS ont de multiples fonctions dans l’acclimatation, la germination, le développement et la signalisation de manière générale. Les ROS en tant qu’oxydants des protéines altèrent leur fonctionnement, et en tant qu’oxydant des lipides ils permettent le relargage de composés actifs dans la signalisation (Dietz et al, 2016). Cependant les mécanismes sous-jacents à leur homéostasie sont encore mal connus du fait de leur haute réactivité, des difficultés à les détecter spécifiquement ou de leur implication dans un très grand nombre de processus biologiques.
Homéostasie et régulation dans la cellule
De manière générale, les conditions environnementales comme la lumière, la température, la limitation des ressources en eau et en minéraux ou bien les attaques d’insectes ou de pathogènes sont par les ROS. Ils sont situés dans de nombreux compartiments cellulaires, et même dans l’environnement extracellulaire. Leur localisation spatiale et temporelle associée à leur spécificité de réaction leur confère des signalisations spécifiques dans la cellule.
Certains de leurs rôles prennent place dans les chloroplastes, la mitochondrie, les peroxysomes qui sont de puissants générateurs de ROS et autres signaux redox lors de processus tels que la photosynthèse, la photorespiration ou la respiration. Les peroxysomes sont considérés comme une importante source de molécules signaux et ont la capacité de produire ou piéger de grandes quantités de ROS. Certains de ces organites, qui produisent de l’ATP, par un système de transfert d’électron et dans un environnement riche en oxygène, vont conduire à la formation des principaux ROS : 1O2, O2•− ou H2O2. L’oxygène singulet 1O2 est un état excité très réactif du dioxygène O2 qui peut être formé lors de la réaction entre l’O2 et la chlorophylle dans son état triplet (Krieger-Liszkay A, 2005). Une autre source de sa production peut venir des mécanismes de défense contre les pathogènes. Durant ce processus, la plante produit des phytoalexines qui vont à leur tour générer du 1O2 (Flors & Nonell, 2006). Contrairement à O2•− et H2O2, la formation d’oxygène singulet ne résulte pas d’un transfert d’électron à l’oxygène, en revanche un des électrons est délocalisé dans une orbitale de plus haute énergie. Sa demi-vie très courte dans la cellule est d’environ 200ns (Gorman & Rogers, 1992). Le superoxyde est généré dans différents compartiments ainsi que dans l’apoplasme ou la membrane plasmique, sa source principale de production résulte de la réduction du dioxygène par un électron issu de la photosynthèse. Il est également produit par certaines oxydases comme les NADPH oxydase (NOX) ou les Respiratory Burst Oxidase Homologs (RBOH) (Jajic et al, 2015), sa demi-vie dans la cellule est de quelques microsecondes (Dat et al, 2000). Le peroxyde d’hydrogène est produit de deux manières : soit à partir du superoxyde soit à partir d’oxydases comme l’oxalate oxydase (Hu et al, 2003), sa demi-vie in vivo est plus longue, environ 1ms (Quan et al, 2008).
Ces ROS ont une incidence au niveau de l’expression génétique des génomes mitochondriaux, chloroplastiques et nucléaire (Kleine & Leister, 2016). Il reste toutefois à comprendre comment ces signaux passent d’un organite à un autre. Les membranes notamment, jouent le rôle de barrières ou de ponts pour réguler le transport des protéines ou métabolites mais également les échanges redox. Les antioxydants aussi peuvent être échangés entre compartiments et ils régulent l’accumulation des ROS, permettant le maintien de certaines fonctions métabolique comme l’assimilation de l’azote ou du carbone. Les organelles eux-mêmes ont une plasticité morphologique et peuvent développer des extensions comme les stromules, les peroxules ou les matrixules par lesquels des molécules signal comme les ROS peuvent circuler et jouent un rôle crucial dans la communication entre organelles (Noctor & Foyer, 2016). L’apoplasme permettrait également le stockage des ROS et leur transport entre des cellules potentiellement éloignées (Parsons & Fry, 2012). Des avancées significatives ont eu lieu ces dernières années à propos de l’interconnexion entre les organelles qui régulent l’état redox de la cellule (Dietz et al, 2016).
Certaines enzymes permettent aussi la détoxification des ROS comme les ascorbate peroxydases (APX) ou les 2-Cys peroxyredoxines qui sont en première ligne pour éliminer le H2O2 des chloroplastes, certaines peroxyredoxines se trouvent également dans les mitochondries ou les peroxysomes (Awad et al, 2015). Les catalases se situent principalement dans les peroxysomes (Mhamdi et al, 2012) et permettent la conversion de H2O2 en H2O. Les superoxydes dismutases sont spécialisées dans la détoxification de l’ion superoxyde en catalysant la réduction ou l’oxydation d’O2•− en H2O2 ou O2. Ce sont elles qui déterminent la demi-vie du superoxyde. Le superoxyde peut aussi réagir avec l’oxyde nitrique •NO pour former le peroxynitrite ONOO−, une espèce réactive de l’azote qui comme les ROS peut endommager l’ADN et les protéines. Les substrats nécessaires à ces peroxydases pour cette détoxification dans les chloroplastes sont les ferrédoxines, thiorédoxines, le NADPH, le glutathion ou l’ascorbate (Foyer & Noctor, 2016). Ces agents antioxydants permettent le contrôle de l’état redox dans les cellules et lorsque leur capacité antioxydante est dépassée par la quantité de ROS présente, des dommages aux lipides, aux protéines et à l’ADN commencent à apparaître.
Ils pourraient même jouer un rôle d’intermédiaire dans la signalisation par les ROS (Han et al, 2013), mais la redondance fonctionnelle de certaines enzymes est peut être une des raisons pour lesquelles il est si difficile d’étudier séparément les voies régulées par les ROS. Notre connaissance des mouvements intracellulaire de ces molécules signal reste très incomplète. Certains transporteurs membranaires ont été identifiés pour l’ascorbate (Miyaji et al, 2015) mais la plupart sont inconnus pour les autres molécules signal. Certains systèmes chez les mitochondries et les chloroplastes utilisent des navettes à travers la double membrane pour réaliser un transport indirect à partir du NAD(P) vers le malate et l’oxaloacétate (Kinoshita et al, 2011). Certains transporteurs d’eau comme les aquaporines sont également capable de faire transiter, d’un organite à l’autre, des molécules signal dont le H2O2 (Bienert & Chaumont, 2014). Certains ROS comme le superoxyde ou l’oxygène singulet ont des durées de vie trrès courtes, ce qui laisse supposer qu’ils seraient incapables de diffuser des chloroplastes ou des mitochondries jusque dans le noyau, et ne pourraient donc pas moduler l’activité des protéines nucléaires. H2O2 est bien plus stable et sa quantification donne des résultats bien plus élevés. Les études réalisées sur le H2O2 le désignent aujourd’hui comme un messager cellulaire omniprésent et indispensable au même titre qu’une poignée d’autres petites molécules signal comme Ca2+, l’AMPc ou l’IP3.
Quelques effets des ROS au niveau de la cellule ou de l’organisme
Il est important de garder à l’esprit que les ROS n’ont pas qu’un rôle de destruction de certains composants cellulaires, à forte concentration ils occasionnent en effet des dommages aux cellules, mais à des concentrations plus modérées ils jouent des rôles importants pour la signalisation. D’où la difficulté à établir des thérapies à base d’antioxydants (Stanner et al, 2004)). Les principaux ROS
chez les plantes que sont 1O2, H2O2, O2•− ou encore des groupements hydroxyle OH• permettent en plus le déclenchement de réponses qui permettent à leur tour de protéger la cellule contre le stress oxydatif et de rétablir l’homéostasie redox. Ces dernières années, un nombre croissant d’études a mis en évidence une régulation par les ROS de certains processus biologiques chez les plantes dont voici quelques exemples :
– La régulation de la disponibilité en fer est en partie due aux ROS : ZAT12, un facteur de transcription dont l’expression est stimulée par la présence des ROS interagit avec le régulateur central de la déficience en fer FIT en inhibant sa fonction, ce qui inhibe l’absorption du fer et la formation de radicaux hydroxyles très toxiques. A l’inverse, certaines protéines, notamment impliquées dans la photoréception, influent sur la quantité de ROS présent dans la cellule. La lumière qui permet la photosynthèse est un des principaux facteurs déclencheurs de la formation des ROS dans les chloroplastes. Cette formation pourrait être modulée par les gènes fhy3 et far1 déjà connus comme interagissant avec le phytochrome A en lumière rouge. Ces deux gènes contrôleraient l‘expression des gènes photosynthétiques en fonction de la quantité de lumière disponible car en faible lumière il n’y a plus d’accumulation de ROS. De plus, ces gènes activent l’expression d’enzymes connues pour réguler l’homéostasie des ROS comme la RBOH (Le et al, 2016).
– Il est également connu que les ROS influent sur certaines voies en coopération avec les phytohormones comme l’auxine, les brassinostéroïdes, les gibbérellines, l’acide abscissique ou l’éthylène dans le but de réguler la croissance des plantes et leur tolérance aux stress. Beaucoup d’hormones déclenchent elles-mêmes une accumulation de ROS de manière souvent indirecte, en faisant intervenir d’autres enzymes comme les NOX ou les RBOH qui vont permettre la synthèse du H2O2. Mais dans la plupart des cas les mécanismes moléculaires qui régulent ces enzymes restent inconnus, d’autres molécules signal pourraient être impliquées comme le calcium Ca2+ ou l’oxyde nitrique NO, tous deux impliqués dans la signalisation par les ROS et les hormones (Xia et al, 2015). Les ROS agissent aussi conjointement aux phytohormones lors de la germination après l’intégration de multiples facteurs environnementaux. Selon sa concentration, H2O2 réprime ou active la germination (Lariguet et al, 2013).
– Certains messagers secondaires des voies activées par les ROS sont des produits directement oxydés par ces ROS. L’oxygène singulet qui est responsable de l’oxydation des caroténoïdes dans les chloroplastes produit un de ses dérivés oxydés : le β-cyclocitral qui est probablement un messager secondaire qui induit l’activation des gènes sous le contrôle de 1O2, qui à leur tour augmentent la tolérance au stress photooxydatif (Ramel et al, 2012). 1O2 est aussi capable d’induire une peroxydation des lipides de façon non enzymatique, conduisant à la mort cellulaire (Triantaphylidès et al, 2008).
– Il a été mis en évidence par beaucoup d’études que H2O2 a un rôle double d’activation ou de protection contre différent stress ou fonctions cellulaires comme la sénescence. La senescence peut être déclenchée ou non en fonction de la concentration en H2O2. Lorsque celle-ci augmente certains facteurs de transcription comme ORS1 sont exprimés et vont activer d’autres gènes associés à la senescence pour accélérer le processus (Balazadeh et al, 2011). Mais d’autres gènes comme JUB1 sont surexprimés par H2O2 en fonction de sa concentration et vont retarder la sénescence et diminuer l’accumulation de peroxyde (Wu et al, 2012). D’autres effets bénéfiques ont été attribués au peroxyde d’hydrogène lorsqu’il est appliqué préventivement à l’exposition à certains stress abiotiques comme : le stress dû à la chaleur (Gao et al, 2010), aux faibles intensités lumineuses (Jajic et al, 2015), à la sécheresse (Ishibashi et al, 2011).
– O2•− ne peut pas traverser la membrane des chloroplastes contrairement au H2O2, ce qui en fait à première vue un candidat peu probable pour la médiation de certains processus biologiques comme la sénescence ou les stress abiotiques (Jajic et al, 2015). Il est présent cependant dans d’autres organites y compris le cytosol (Zarepour et al, 2010). Diverses études ont montré que sa concentration augmentait lors de la sénescence, mais il est difficile de lui attribuer un rôle car sa présence est accompagnée de celle d’H2O2. Des rôles dans la signalisation lui ont néanmoins été attribués. En effet, lorsque le paraquat, un puissant herbicide générateur d’ions superoxyde en lumière, est ajouté chez des plantules, la régulation d’un grand nombre de gènes nucléaires chez A. thaliana est obsevée (Scarpeci et al, 2008). Les gènes les plus fortement régulés interviennent dans les réponses aux stress abiotiques. Le superoxyde serait aussi impliqué dans la réponse aux blessures (Soares et al, 2011), ou encore la réponse au stress causé par les métaux lourds comme le cadmium (Rodriguez‐Serrano et al, 2006).
Chez les animaux, les ROS sont également des messagers cellulaires essentiels ainsi que des régulateurs redox. Lorsqu’ils sont en excès, ils ont une profonde implication dans des pathologies comme le cancer, les maladies cardiovasculaires, les maladies neurodégénératives, le diabète, l’athérosclérose… (Dröge et al, 2002). Ils sont, selon la théorie du stress oxydatif par les radicaux libres, des régulateurs centraux de l’horloge biologique du vieillissement (Harman D, 2006).
Mécanismes oxydatifs des ROS sur les protéines
Chez les eucaryotes, la modification des équilibres redox ou la modification de molécules signal comme le β-cyclocitral ne sont pas les seuls mécanismes par lesquels les ROS peuvent réguler les diverses fonctions existant dans la cellule ou l’organisme.
Pendant de nombreuses années les modifications oxydatives des groupements thiols des cystéines étaient considérées comme des artefacts résultants des conditions in vitro, mais depuis les années 2000, de nouveaux développements ont livré une toute autre vérité (Yu et al, 2005). Il s’avère que les modifications redox des groupements thiols sont des outils moléculaires qui permettent à de nombreuses protéines de réguler leur activité (Brandes et al, 2009). Ces réactions s’apparentent à un nouveau type de modification post-traductionnelle comme la phosphorylation, la méthylation ou l’ubiquitination. Ces modifications redox ont lieu en présence d’un stress oxydatif conduisant à l’élévation de la concentration en ROS. Certaines modifications redox des thiols sont réversibles. Celles-ci ont été identifiées sur des protéines impliquées dans diverses fonctions parmi lesquelles figurent la transcription, la traduction, le métabolisme, la transduction de nombreux signaux ou la mort cellulaire. D’un point de vue logique on pourrait penser que l’état d’oxydation des cystéines par les ROS permettrait de réguler la formation des ponts disulfure et donc la structure tridimensionnelle des protéines affectées, ce qui finalement pourrait réguler leur activité enzymatique ou encore leur aptitude à se lier à l’ADN ou à des partenaires pour la signalisation. En effet, plusieurs modifications apportées aux groupements thiol des protéines par l’action du H2O2 ont été démontrées (Brandes et al, 2009)
Les cystéines, dont le groupement thiol est réduit, peuvent être oxydées par le H2O2 pour former l’acide sulfénique R-SOH ou sulfénate sous forme déprotonée, ces produits d’oxydation sont très fréquents mais également très réactifs (Salmeen et al, 2003). Cette forte réactivité fait d’eux de simples intermédiaires capables de subir d’autres modifications plus stables, comme la formation de disulfides R-S-S-R avec une cystéine sous forme réduite. Il est important de noter que toutes ces réactions sont entièrement réversibles grâce aux thiorédoxines et aux glutarédoxines qui tirent leur pouvoir réducteur du NADPH. C’est souvent la réactivité de ces enzymes qui déterminent la demi-vie des produits d’oxydation au sein des protéines.
En temps normal, lorsque les ROS sont abondants, l’équilibre originel de l’état d’oxydation des groupements thiols est restauré grâce à certaines enzymes comme les thiorédoxines et les glutarédoxines (Holmgren et al, 2005). Une exposition prolongée et/ou intense aux ROS comme H2O2 peut conduire à une suroxydation des cystéines et former l’acide sulfinique R-SO2H ou sulfinate puis enfin l’acide sulfonique R-SO3H ou sulfonate. Ces modifications sont largement considérées comme irréversibles in vivo, bien que certaines acide sulfinique réductases aient été découvertes (Woo et al, 2003). Toutes ces modifications conduisent le plus souvent à un changement dans la structure de la protéine, pouvant causer leur inactivation (comme PTEN et GapDH : Yu et al, 2005 ; Shenton & Grant, 2003) mais aussi leur activation (OxyR ou Hsp33 : Ilbert et al, 2007 ; Paget & Buttner, 2003). Le nombre de protéines découvertes comme étant régulées par les ROS augmente d’année en année.
Un fort stress oxydatif peut également conduire à un excès de groupements disulfides, une mauvaise conformation protéique et éventuellement la mort cellulaire (Cumming et al, 2004 ; Sitia et al, 2004). La suroxydation des disulfides peut de même occasionner la formation de thiosulfinate R-SO-S-R’ dont la réaction est réversible, ou bien de thiosulfonate R-SO2-S-R’ dont l’accumulation est irréversible. Le type d’oxydation, ainsi que son ampleur, dépendent de la nature de l’oxydant, de sa quantité, de sa localisation cellulaire et de sa distance avec la protéine cible. De faibles changement du niveau de base des ROS peuvent causer des modifications oxydatives à des protéines spécifiquement sensibles à ces oxydants.
Méthodes pour la détection des ROS
L’imagerie in vivo des ROS a grandement contribué aux avancées récentes sur leur signalisation. Le principal problème qui a été rencontré a été de mettre au point des marqueurs spécifiques, car certains stress génèrent à la fois H2O2, 1O2 et O2•−. Dans des conditions normales, le flux de ROS généré dans les cellules est maintenu à un faible niveau par l’action d’enzymes antioxydantes. Dans certains cas, un déséquilibre entre la production de ROS et leur dégradation doit être créé pour qu’ils soient observés. La production de ROS est donc souvent observée en conditions stressantes pour l’organisme ou la cellule. Historiquement les marqueurs utilisés pour leur détection étaient le 3,3′-diaminobenzidine pour le peroxyde d’hydrogène H2O2 et le nitroblue tetrazolium pour l’ion superoxyde O2•−. Leur sensibilité, leur fiabilité ainsi que leur caractère invasif étaient loin d’être optimum. Aujourd’hui des marqueurs à base de fluorescéine sont utilisés comme le Singlet Oxygen Sensor Green (SOSG) pour l’oxygène singulet 1O2 (Koh et al, 2016), le dihydroéthidium (DHE) pour O2•− ou bien le 2′,7′-dichlorodihydrofluorescein diacétate ou DCFH-DA pour le H2O2 (Evans et al, 2016). Ces réactifs permettent de déterminer la localisation in situ des ROS mais restent difficiles à utiliser pour certains tissus, leurs mesures sont peu fiables pour établir une quantification précise, et leur spécificité à l’encontre de certains ROS est toujours contestée (Winterbourn C, 2014). D’autres réactifs sont utilisés pour une meilleure quantification des ROS dans les tissus comme l’Amplex Red pour le H2O2 par fluorimétrie (Zhou et al, 1997), ou encore le XTT pour O2•− par colorimétrie (Frahry & Schopfer, 2001). L’Amplex Red est quelque peu instable, il peut s’autooxyder pour produire H2O2 et O2•−, et peut aussi réagir avec d’autres composants redox actifs (Jajic et al, 2015). Ces marqueurs des ROS, de faible poids moléculaire, sont plus faciles à utiliser que certains bio senseurs protéiques comme la roGFP ou le HyPer, mais sont moins sensibles et sélectifs que ces derniers. Les marqueurs protéiques nécessitent toutefois un contrôle rigoureux du pH et de l’activité antioxydante. La détection des ROS peut aussi se faire par résonnance paramagnétique électronique (RPE) grâce à la capacité de certains électrons à absorber et réémettre de l’énergie. Les limites de cette dernière méthode sont l’incompatibilité avec des tissus vivants, la sous-estimation de la quantité de ROS et le coût excessif (Jajic et al, 2015). Une des pistes possibles pour améliorer l’étude des ROS chez les plantes serait de standardiser les procédures pour pouvoir comparer un grand nombre d’études.
Implication des cryptochromes dans la signalisation ROS
Dans nos études, en cours de réalisation, nous étudions la possibilité qu’une régulation de certains facteurs de transcription, dont MYC2 et GBF1 chez Arabidopsis ainsi que dFOXO chez la drosophile, par les cryptochromes, impliquent une intervention des ROS synthétisés par leur domaine N-terminal. MYC2 et GBF1 appartiennent à la classe des bHLH et bZIP et se fixent sur les éléments de promoteur G-box en agissant de façon antagoniste pour réguler certains processus comme la croissance de l’hypocotyle. Il a été de plus montré que ces facteurs de transcription agissent en aval du signal de transduction induit par l’activité de CRY1 et CRY2 (Maurya et al, 2015) et ceci en se fixant sur le complexe protéique formé par COP1, SPA1, HY5 et HYH (Mallapa et al, 2008 ; Singh et al, 2012). Il a été mis en évidence que les changements redox autour de l’ADN pouvaient moduler la fixation du facteur GBF1 à l’ADN. L’ajout de DTT renforce sa fixation alors que les agents oxydants comme les ROS seraient susceptibles d’inhiber cette interaction (Shaikhali et al, 2012). Les cryptochromes, étant capables d’une synthèse directe des ROS (Müller & Ahmad, 2011), GBF1 est donc un bon candidat pour une régulation directe dépendante des ROS synthétisés par les cryptochromes dans le noyau pendant leur interaction au sein du complexe protéique.
dFOXO est un facteur de transcription appartenant à la « forkhead box, classe O » régulé notamment par la voie insuline/IGF, elle-même connue pour influencer la longévité. L’activité de dFOXO est inhibée par cette voie, mais lorsque son activité augmente, la longévité des drosophiles augmente également (Hwangbo et al, 2004). Les facteurs de transcription FOXO sont très répandus chez les animaux, aussi bien chez la drosophile que chez les mammifères. De récentes études ont mis en évidence leur régulation par les équilibres redox (Klotz et al, 2015). Sous certaines conditions pathologiques qui entrainent une augmentation du stress oxydant, l’activité de FOXO est bien plus forte qu’en conditions normales. Ceci laisse supposer une activation des protéines FOXO par les ROS. Les protéines FOXO, lorsqu’elles sont activées, induisent l’expression de certains gènes antioxydants, ce qui peut en partie expliquer leur lien avec la longévité. D’autres études ayant souligné un rôle de DmCRY sur l’augmentation de la longévité sur les drosophiles (Rakshit & Giebultowicz, 2013). Il serait donc possible que les gènes FOXO soient activés par les cryptochromes. Du fait qu’ils sont impliqués dans des mêmes fonctions, un lien étroit est par conséquent envisageable entre les cryptochromes et le facteur dFOXO par interaction directe ou indirecte. De même, il est possible que les ROS synthétisés par les cryptochromes soient responsables de la régulation redox de GBF1. En accord avec cette hypothèse, la synthèse des ROS par DmCRY a lieu dans le noyau comme nous l’avons montré dans nos résultats (Arthaut et al, 2017), où les facteurs de transcription GBF1 et dFOXO sont observables.
Mécanismes moléculaires de la synthèse des ROS par les cryptochromes
C’est en 2011 que les premières hypothèses reliant les cryptochromes aux ROS ont été formulées. Celles-ci expliquaient que lors du photocycle, le mécanisme de réoxydation de la FAD à l’obscurité chez A. thaliana par l’oxygène O2 impliquait la formation d’ions superoxyde (Müller & Ahmad, 2011). Jusqu’alors, aucune attention n’avait été accordée à l’étape de réoxydation. Les recherches étaient davantage focalisées sur l’étape de réduction et le mécanisme d’activation du cryptochrome. Or, cette réoxydation relance le système de photoréduction et implique aussi bien FADH• que FADH-. L’équilibre homéostatique des ROS, produits lors de cette réaction, dépend de l’amplitude de leur accumulation et de leur durée de vie à l’obscurité. De ces paramètres dépend aussi l’amplitude des réponses biologiques en réponse à la synthèse de ces ROS.
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Table des matières
A / INTRODUCTION
1. ASPECTS GENERAUX DES CRYPTOCHROMES
1.1 Présentation générale
1.1.1 La famille des cryptochromes / photolyases
1.1.2 Découverte des cryptochromes
1.1.3 Liaison à des cofacteurs et subdivision N-ter/C-ter
1.2 Les cryptochromes chez les plantes
1.2.1 Rôles des cryptochromes pour la croissance et le développement.
1.2.2 Rôles des cryptochromes au niveau physiologique
1.2.3 Rôles des cryptochromes chez les végétaux autres qu’Arabidopsis
1.3 Les cryptochromes chez les animaux
1.3.1 Cryptochromes de type 1
1.3.2 Cryptochromes de type 2
2. CRYPTOCHROMES : ACTIVATION ET SIGNALISATION
2.1 Activation du photocycle et réduction de la flavine
2.1.1 Photoréduction de la flavine
2.1.2 Rôle de la conformation protéique pour la photoréduction
2.2 Signalisation et liaison à des partenaires
2.2.1 Localisation cellulaire, stabilité et sensibilité
2.2.2 Liaison à l’ATP et phosphorylation
2.2.3 Liaison du cryptochrome aux partenaires
3. NOUVEAUX ROLES DES CRYPTOCHROMES EN LIEN AVEC NOS TRAVAUX
3.1 Rôle des cryptochromes dans le stress oxydatif
3.1.1 Généralités sur les ROS chez les végétaux et les animaux
3.1.1.1 Homéostasie et régulation dans la cellule
3.1.1.2 Quelques effets des ROS au niveau de la cellule ou de l’organisme
3.1.1.3 Mécanismes oxydatifs des ROS sur les protéines
3.1.1.4 Méthodes pour la détection des ROS
3.1.2 Implication des cryptochromes dans la signalisation ROS
3.1.2.1 Mécanismes pour la synthèse des ROS par les cryptochromes
3.1.2.2 Détection des ROS synthétisés pendant le photocycle
3.2 Cryptochromes et champ magnétique
3.2.1 Généralités sur les champs magnétiques
3.2.2 Découverte des effets du champ magnétique sur les organismes vivants
3.2.3 Mécanismes Théoriques expliquant les effets du champ magnétique
3.2.4 Implication du cryptochrome dans la sensibilité au champ magnétique
3.2.4.1 Théories pour la sensibilité magnétique des cryptochromes
3.2.4.2 Détéction des effets du champ magnétique sur les cryptochromes
3.2.4.3 Lien entre cryptochromes, ROS et champs magnétiques
4. Objectifs et approche expérimentale
B/ RESULTATS
ARTICLE 1
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
3. Résultats
4. Discussion
5. Ma contribution à l’article
6. Version PDF
ARTICLE 2
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
3. Résultats
4. Discussion
5. Ma contribution à l’article
6. Version PDF
ARTICLE 3
1. Introduction
2. Matériel et méthodes
3. Résultats
4. Discussion
5. Ma contribution à l’article
6. Version PDF
C/ CONCLUSION ET PERSPECTIVES
Conclusion générale
Limites rencontrées
Travaux complémentaires
D/ BIBLIOGRAPHIE
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