Notre histoire commence en Suède, en 1787 1 . Le lieutenant de l’armée suédoise Carl Axel Arrhenius a deux passions dans la vie : la défense de son pays, et la minéralogie. Il profite de ses permissions pour arpenter les chemins rocailleux de la mine d’Ytterby, un village de la presqu’île de Resarö, près de Stockholm. Cette mine, exploitée depuis le XVIème siècle pour les besoins de l’industrie de la porcelaine, est un endroit rêvé pour tout minéralogiste amateur. L’histoire raconte que le lieutenant tomba un jour par hasard sur une pierre noire exceptionnellement dense. Ce morceau de roche cassée intrigue fortement Arrhenius, qui après de patientes recherches finit par se à l’évidence : cette pierre-là, avec cette couleur-là, et cette densité-là, ne figure dans aucun livre. Il expédie sa précieuse découverte au tout jeune professeur Johann Gadolin de l’université d’Åbo, qui vient alors de terminer sa thèse. C’est ce dernier, qui, sept ans plus tard, et au prix d’une analyse chimique très complexe pour l’époque, conclut que la pierre d’Arrhenius est composée à 38 % d’une substance nouvelle. Gadolin, sûrement trop modeste pour lui donner son propre nom, la baptisera simplement Ytterbine (ytterbia en anglais). L’histoire devient alors passablement confuse. Toujours est-il que plusieurs décennies plus tard, et après les efforts acharnés de nombreux chimistes (Mosander, Marignac, Urbain, Ekeberg entre autres), on découvrit que la pierre, qui fut entre temps rebaptisée gadolinite, contenait beaucoup plus d’éléments simples qu’on ne le pensait à l’origine. On s’aperçut que l’« ytterbine » était en fait un mélange d’oxydes de plusieurs terres rares, dont quatre furent baptisées d’après le nom même de la mine d’Ytterby : on les appelle aujourd’hui ytterbium, yttrium, terbium, et erbium.
L’ytterbium : un ion actif pour les lasers ?
Quittons l’atmosphère feutrée des laboratoires suédois du XIXème siècle, et faisons un saut jusque dans les années 1960. La récente découverte du laser à rubis excite la curiosité dans beaucoup de laboratoires : parallèlement au développement des lasers à gaz (helium-neon, argon), on cherche quels sont les ions susceptibles de doper des matrices solides pour fournir un effet laser. Après que le chrome, l’uranium, le samarium et le néodyme ont été identifiés, c’est au tour de l’ytterbium en 1962 [Etzel 62]. Par rapport aux autres ions de terres rares, l’ion Yb3+ possède un diagramme de niveaux d’énergie particulièrement simple (voir figure page suivante). Il ne possède en effet que deux niveaux lorsqu’il est isolé, qui se subdivisent en plusieurs sous-niveaux sous l’influence du champ cristallin, quand il est incorporé dans une matrice cristalline ou vitreuse.
De cette simplicité découle une efficacité laser très médiocre. À l’époque en effet, l’unique moyen de pomper optiquement les matériaux solides est d’utiliser des lampes ou des flashs. Or ces sources émettent sur un spectre très large : cela signifie que la plus grande partie de la lumière émise n’est pas absorbée… En plus, l’ytterbium fonctionnant selon un schéma de type « quasitrois niveaux », le seuil d’oscillation est d’autant plus difficile à franchir que la température est élevée : c’est pourquoi l’effet laser n’a pu être obtenu qu’à 77 K [Etzel 62, Johnson 65].
L’ytterbium suscite donc, à l’époque, un intérêt très poli. Les regards se tournent plutôt vers un matériau très prometteur, et véritablement efficace en pompage par flash : le YAG dopé au néodyme.
L’avènement du pompage par diode
Il est un moment que l’on peut qualifier de charnière dans l’histoire du développement des lasers solides : c’est l’arrivée à maturité industrielle des diodes laser, vers la fin des années 80 [Streifer 88]. Comparées aux lampes, les diodes ont un spectre étroit (quelques nanomètres) : quasiment toute la puissance émise peut donc être absorbée efficacement par des matériaux présentant des pics d’absorption aux bonnes longueurs d’onde. Avec, en plus, leur excellent rendement électrique/optique (>40 %), les diodes offrent aux lasers la possibilité d’atteindre des efficacités jusque là inégalées. Les diodes permettent également d’appliquer aux lasers solides le concept du pompage longitudinal (les faisceaux de pompe et de cavité sont colinéaires). Une excellente conversion de l’énergie de la pompe vers le mode fondamental de la cavité peut ainsi être obtenue, ce qui rend possible la réalisation de lasers très efficaces émettant un mode TEM00 unique.
La renaissance. Pourquoi l’ytterbium ?
C’est alors que l’on « redécouvre » l’ytterbium. Sa structure très simple à deux niveaux ― qui par une coïncidence bienvenue correspondent à une transition optique autour de 980 nm ― devient un formidable atout ! Tout d’abord parce que contrairement aux autres ions trivalents de la série des lanthanides (voir page précédente), il ne peut pas y avoir d’effets parasites faisant intervenir d’autres niveaux d’énergie (comme l’ « upconversion » ou l’absorption dans les états excités). Mais aussi ― et surtout ― l’ytterbium devient ainsi l’un des quelques ions actifs (avec le chrome, le néodyme, le thulium et l’erbium) qu’il est possible de pomper par diode. Cela veut dire que de fortes intensités de pompage peuvent être facilement atteintes, largement suffisantes pour saturer l’absorption, une condition qui s’avère nécessaire (comme on le verra) au bon fonctionnement d’un « laser ytterbium » .
Lacovara et Fan [Lacovara 91] du MIT conçoivent en 1991 le premier laser solide à base d’un cristal (le YAG) dopé à l’ytterbium, pompé par diode à 968 nm, et fonctionnant à température ambiante. Les lasers ytterbium deviennent à partir de cette date le sujet de publications de plus en plus nombreuses. C’est que leur intérêt ne tient pas seulement à cette structure électronique simplissime, il tient aussi à leur comportement thermique : en raison du très faible défaut quantique (qui est l’écart entre la longueur d’onde de pompe, située entre 900 et 980 nm typiquement, et la longueur d’onde laser, située elle entre 1020 et 1100 nm), l’échauffement de la matrice est faible. Le défaut quantique vaut de 4 à 10 % dans les matériaux dopés à l’ytterbium, alors qu’il est couramment de l’ordre de 30 % dans les matériaux dopés au néodyme.
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Table des matières
Introduction
PREMIERE PARTIE : Performances laser de nouveaux cristaux dopés à l’ytterbium
I. Généralités sur les lasers ytterbium
I.1. les matériaux dopés à l’ytterbium
I.2. Les matériaux dopés à l’ytterbium pompés par diode : coup de projecteur sur la réabsorption et la saturation de l’absorption
II. Tests laser : le dispositif expérimental et les outils de caractérisation
II.1. Le dispositif expérimental : la diode de pompe et la cavité
II.2. Outils de caractérisation
III. Performances laser en pompage par diode de nouveaux cristaux grenats, borates et silicates
III.1. Un grenat pour concurrencer le YAG : Le GGG dopé à l’ytterbium
III.2. Performances de l’Yb:GdCOB en pompage par diode de forte puissance
III.3. Un nouveau borate au spectre très large: le BOYS. Comparaison avec l’Yb:GdCOB et l’Yb:verre (phosphate QX). Tentative d’amélioration avec l’Yb:CaBOYS
III.4. Performances de l’Yb:SYS, une apatite au spectre large
III.5. Un nouveau silicate aux bonnes propriétés thermiques : l’Yb:YSO
III.6. Conclusion
SECONDE PARTIE : Etude des effets thermiques dans les lasers à base de cristaux dopés à l’ytterbium
Préambule : qu’est-ce que les effets thermiques ?
I. Les effets thermiques dans les lasers solides pompés par diode
I.1. La charge thermique dans les matériaux dopés à l’ytterbium
I.2. Distribution de température dans un cristal pompé
I.3. Effets thermomécaniques : contraintes et phénomènes de fracture
I.4. Effets thermo-optiques : la lentille thermique
II. Les techniques de mesure de lentilles thermiques
II.1. Méthodes géométriques
II.2. Méthodes basées sur les propriétés des modes de cavité
II.3. Méthodes de mesure de front d’onde
III. Le banc de mesure de lentille thermiques
III.1. Le choix de la sonde
III.2. La mesure de front d’onde en pompage longitudinal
III.3. Le dispositif expérimental
III.4. La mesure de phase avec le Shack-Hartmann
III.5. Performances et limitations du banc en tant que mesureur de focales thermiques
III.6. Caractéristiques du banc en tant que mesureur d’aberrations thermiques
IV. Résultats expérimentaux
IV.1. Les cristaux étudiés et leurs conditions de pompage (grand tableau récapitulatif)
IV.2. Mesure des aberrations thermiques
IV.3. mise en évidence d’effets non radiatifs : application à la détermination du rendement
quantique
IV.4. dépendance de la lentille thermique avec la longueur d’onde laser (dans l’YSO)
IV.5. Mise en évidence d’une inflexion de la puissance dioptrique en fonction de la puissance de pompe absorbée (en l’absence d’effet laser)
IV.6. Estimation du coefficient thermo-optique χ à partir des mesures de lentilles thermiques avec/sans effet laser
IV.7. Etude en fonction de la polarisation de la sonde : mise en évidence d’un astigmatisme dépendant de la polarisation dans l’Yb:GdCOB
IV.8. Mise en évidence de la réduction des effets thermiques dans un cristal composite de Yb:YCOB║YCOB
IV.9. conclusion
Conclusion
Annexes
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