Nouveaux concepts pour des sources laser bleues à base de cristaux dopés néodyne

L’histoire du laser commence en 1960 lorsque Maiman, suite aux travaux de Schallow et Townes sur le maser, conçoit un laser à base de rubis [Maiman 60]. Ce premier laser, impulsionnel, fonctionne sur la transition purement à trois niveaux de l’ion chrome. La légende raconte que certains théoriciens se moquaient des tentatives de Maiman, prétendant qu’il était impossible de réaliser une inversion de population dans un système à trois niveaux. Très vite, un autre ion est perçu comme très prometteur : l’ion néodyme Nd3+. Ainsi, en 1061, Johnson et Nassau, des Bell Telephone Laboratories, obtiennent la première émission laser continu dans un cristal de Nd:CaWO4 pompé optiquement [Johnson 61].

Lors des années suivantes, plusieurs matrices pouvant accueillir des ions de néodyme sont étudiées, telles que des cristaux de molybdates [Johnson 62b] et de CaF2 [Johnson 62c]. Le Nd:CaWO4 détiendra un temps le prix du cristal le plus performant, avec une puissance en sortie de 10 mW continu à 1058 nm à température ambiante pour une puissance de pompe de 1.5 kW délivrée par une lampe à mercure [Johnson 62a]. Les auteurs avaient déjà à l’époque mis le doigt sur les problèmes qui prédominent encore aujourd’hui : obtenir suffisamment d’intensité de pompe incidente sur le cristal, utiliser des miroirs possédant des traitements performants et concevoir une méthode efficace de refroidissement de ce cristal. Ce dernier point étant particulièrement critique à l’époque puisque la température d’un cristal mal refroidi pouvait atteindre plus de 1550 °C. En 1964, un nouveau cristal d’yttrium d’aluminium, ou YAlG, devenu plus tard YAG, écrase ses concurrents dans la course à la performance [Geusic 64]. La puissance laser continue en sortie passe ainsi de 10 mW à 1.5 W. La puissance de pompe nécessaire pour atteindre le seuil  d’oscillation à 1064 nm n’est plus que de 360 W, soit cinq fois moins élevée que celle indispensable au cristal de Nd:CaWO4. La véritable histoire des lasers à base de cristaux dopés néodyme peut commencer. En 1965, Geusic et al. conçoivent le premier laser Nd :YAG déclenché pompé en continu [Geusic 65]. En utilisant des cristaux de LiNbO3 ou Ba2NaNb5O15, les premiers lasers verts à 532 nm à base de génération de second harmonique sont réalisés dans la foulée [Smith 65]. En 1969, une autre raie d’émission du cristal de Nd:YAG à 946 nm, provenant de la transition 4F3/2-4I9/2 à quasi-trois niveaux, est remarquée [Wallace 69]. L’effet laser obtenu, Wallace et Harris placent un cristal de KDP dans la cavité : le premier laser bleu à 473 nm est né. En 1972, en étudiant plus précisément la spectroscopie de la raie 4F3/2-4I9/2du Nd:YAG, Birnbaum et al. remarquent des raies d’émission à 939 nm, 900 nm et 891 nm [Birnbaum 72]. Leur découverte restera à l’époque anecdotique.

De nos jours la recherche sur les lasers à base d’ion néodyme se poursuit dans plusieurs directions. L’une d’elles consiste à concevoir des sources émettant à des longueurs d’onde encore jamais atteintes. La gamme visible, et notamment les longueurs d’onde dans le bleu, a suscité un intérêt particulier. En plus de leur qualité esthétique qui en font des outils indispensables pour les shows laser ou l’affichage, les lasers bleus possèdent des longueurs d’onde correspondant à une fenêtre de transparence de l’eau. Ils sont ainsi utilisés aussi bien en médecine, biologie, spectroscopie que pour les communications sous-marines. Leurs longueurs d’onde étant courtes, ils sont également particulièrement indiqués dans des applications liées au stockage de données.

Etat de l’art et problématique des sources autour de 488 nm 

Le laser à Argon 

Pour les laseristes, 1964 est l’année où Nicolas Basov, Aleksandr Prokhorov et Charles Townes ont reçu le prix Nobel de physique pour l’invention du maser et du laser. Mais c’est également l’année de l’invention du laser à Argon par William Bridges [Bridges 64].

Le principe   est de créer une décharge dans un tube d’Argon afin, dans un premier temps, d’ioniser le gaz, puis d’exciter les ions Ar+. En se relaxant les ions produisent une émission bleue-verte. Plusieurs raies d’émission de 454.5 nm à 528.7 nm peuvent être obtenues  , mais les deux plus intenses et plus utilisées sont à 514.5 nm et 488.0 nm.

Les applications de ce laser sont nombreuses et variées, du pompage d’autres lasers, tels que les lasers à base de cristaux de saphir dopés au Titane, à la microscopie de fluorescence, en passant par les communications sous-marines et la création de spectacles et shows laser. Un des grands domaines d’applications reste la médecine. En effet, l’eau possède une fenêtre de transparence pour des longueurs d’onde inférieures à 500 nm. Au contraire, l’hémoglobine est absorbante pour cette gamme de longueur d’onde. Le laser à Argon permet ainsi de photocoaguler le sang sans abîmer les cellules alentour. Cette technique, permettant d’offrir au patient un plus grand confort, est utilisée aussi bien pour la chirurgie de l’œil que pour la chirurgie dentaire. La raie à 488 nm est également utilisée pour le séquençage du génome. Ainsi le laser à Argon, de part le nombre de ces applications, a envahi grand nombre de laboratoires et de cabinets médicaux. Il possède cependant un inconvénient majeur : son efficacité électrique/optique est faible (environ 0.1 %). Ceci entraîne naturellement une forte consommation électrique mais également la nécessité d’un refroidissement performant. On trouve ainsi dans le commerce  deux types de lasers à Argon. Les lasers à forte puissance (5-10 W à 488 nm [Coherent]) sont refroidis par eau et peu compacts. Mais il existe également des lasers à plus faible puissance (150 mW à 488 nm [Melles Griot]), dont le refroidissement par air permet un conditionnement plus compact. Cependant, les vibrations provenant du système de refroidissement limitent la stabilité du faisceau laser, voire même parfois de l’ensemble de l’expérience autour du laser à Argon.

Ces dernières années, de nombreuses recherches ont été entreprises pour proposer des sources solides, plus efficaces et plus compactes que des sources à gaz, alternatives au laser à Argon. Des études ont montré que pour la plupart des applications dans le vert, ce laser pouvait être remplacé par une source émettant à 532 nm [Mosier 87] [Moncorgé 88]. La conception de sources efficaces à 1064 nm étant maîtrisée, des solutions performantes à base de sources infrarouges doublées en fréquence ont ainsi déjà adoptées [Dmitriev 81] [Bai 04]. En revanche, la conception de sources bleues à 488 nm est plus délicate. Nous nous proposons de faire un état de l’art non exhaustif de ces sources.

Etat de l’art des sources solides autour de 488 nm 

La recherche de sources solides autour de 488 nm s’est particulièrement accentuée ces dernières années. Les configurations développées, avant ou parfois en parallèle de cette thèse, peuvent se regrouper en trois catégories : les sources émettant directement autour de 488 nm, les sources à base de génération de second harmonique et les sources à base de somme de fréquence.

Sources à émission directe autour de 488 nm

Diodes laser
Le développement des diodes laser bleues est motivé principalement par les applications de stockage de données, telles que par exemple la gravure de DVD. Malheureusement, la longueur d’onde visée pour de telles applications est autour de 400 nm, loin des longueurs d’onde du laser à Argon. Nichia propose ainsi des diodes laser à 400 nm offrant 60 mW [Nichia]. Ils proposent également des diodes laser à 478 nm mais la puissance à cette longueur d’onde n’est plus que de 20 mW. Aucune diode laser n’est proposée à 488 nm, la puissance à cette longueur d’onde n’étant probablement pas encore suffisamment importante.

Lasers à upconversion
Les ions Thulium et Praséodyme possèdent des raies d’émission autour de 488 nm. La difficulté consiste alors dans le pompage de cristaux ou de fibres dopés avec ces ions. En effet, la pompe doit être de longueur d’onde plus basse que la longueur d’onde d’émission et, comme nous l’avons vu dans le paragraphe précédant, il n’existe pas de diodes laser de puissance dans le bleu. Richter et al. ont tout de même réussi à obtenir un effet laser à 488 nm dans un cristal de Pr:YLF pompé à 444 nm par un laser … [Richter 04].

Une autre solution est « l’upconversion », principe basé sur une absorption multiphotonique. Le matériau pompé peut être dopé par un seul type d’ion terre rare ou co-dopé. Dans le premier cas , un premier photon de pompe permet d’exciter l’ion dopant dans un premier niveau d’énergie. Si un deuxième photon de pompe est absorbé avant que l’ion ne se soit désexcité, celui-ci vient peupler un niveau d’énergie encore plus élevé. La désexcitation à partir de ce dernier niveau produit ainsi un photon de longueur d’onde plus basse que la longueur d’onde des photons de pompe.

Sources à base de génération de second harmonique

Les sources infrarouges étant généralement plus efficaces que les sources émettant directement dans le bleu, le principe ici est de concevoir une source autour de 976 nm et de produire une émission dans le bleu par doublement de fréquence. Malheureusement, dans notre cas, ceci ne fait que déplacer le problème puisque les sources puissantes à 976 nm étaient peu développées jusqu’à ces dernières années.

Lasers à base de matériaux dopés Ytterbium 

L’Ytterbium est quasiment le seul ion terre rare possédant une raie d’émission autour de 976 nm. Malheureusement, cette raie correspond à une transition à trois niveaux peu efficace à cause de la forte réabsorption de l’onde laser par l’ion dopant . A notre connaissance, un seul cristal massif dopé Ytterbium a produit une émission en continu. Pompé par un laser en Ti:saphir, ce cristal de Yb:S-FAP a permis d’obtenir 250 mW à 985 nm [Yiou 03]. Toutefois, la conversion non linéaire pour atteindre le bleu à 492.5 nm n’a pas été effectuée. Les fibres optiques permettent de travailler avec des intensités de pompe plus importantes et ainsi d’atteindre plus facilement l’intensité de pompe de transparence. En utilisant une fibre en silice dopé à l’Ytterbium, pompée par un laser en Nd:YVO4 émettant à 914 nm, Bouchier et al. ont conçu un laser offrant une puissance de 2 W à 978 nm. En injectant la puissance de ce laser à fibre dans un guide d’onde en niobate de lithium périodiquement polarisé (PPLN), une  puissance de 83 mW à 489 nm a été obtenue [Bouchier 05]. La combinaison d’un laser à fibre dopée Ytterbium et d’un cristal de phosphate de titane et de potassium périodiquement polarisé (PPKTP) a permis d’atteindre 19 mW à 490 nm [Prosentov 03] et, en utilisant en plus un affinement spectral et un amplificateur à 976 nm, 18 mW à 488.7 nm [Soh 04].

Les diodes laser n’étant probablement pas encore suffisamment brillantes, un seul exemple de laser puissant à base de matériau dopé Ytterbium émettant autour de 976 nm a été conçu en pompage par diode laser. En utilisant une fibre microstructurée à double cœur, une puissance de 1.4 W a ainsi été obtenue [Selvas 03].

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Table des matières

Introduction générale
Chapitre I : Etat de l’art et problématique des sources autour de 488 nm
I. Etat de l’art et problématique des sources autour de 488 nm
I.1. Le laser à Argon
I.2. Etat de l’art des sources solides autour de 488 nm
I.2.a. Sources à émission directe autour de 488 nm
I.2.b. Sources à base de génération de second harmonique
I.2.b.i. Lasers à base de matériaux dopés Ytterbium
I.2.b.ii. Lasers à base de matériaux semiconducteurs
I.2.c. Sources à base de somme de fréquence
I.3. Solution proposée
I.3.a. Concept
I.3.b. Somme de fréquence et choix du cristal non linéaire
I.3.c. Conclusion
Chapitre II : Choix des cristaux laser
II. Choix des cristaux laser
II.1. Spectroscopie de l’ion Néodyme
II.1.a. Emission autour de 1060 nm
II.1.b. Emission autour de 910 nm
II.2. Candidats possibles
II.3. Comparaison des performances laser des cristaux de Nd:YVO4 et de Nd:GdVO4 sur la transition
II.3.a. Cadre de l’étude
II.3.b. Absorption de la pompe
II.3.c. Etude de l’amplification d’émission spontanée
II.3.d. Mesure de l’élévation de température dans les cristaux
II.3.e. Comparaison des performances laser des cristaux de YVO4 et GdVO4 dopés néodyme en régime continu vers 912 nm – 914 nm
II.3.e.i. Etude expérimentale
II.3.e.ii. Modélisation d’un laser à quasi-trois dans l’ion Néodyme
II.3.f. Performances laser en régime déclenché
II.3.g. Conclusion
II.4. Conclusion
Chapitre III : Sources continues à 491 nm
III. Sources continues à 491 nm
III.1. Laser bi-longueur d’onde avec un seul cristal laser
III.1.a. Lasers bi-longueur d’onde
III.1.a.i. Laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur la même transition laser
III.1.a.ii. Laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur deux transitions laser à quatre niveaux
III.1.a.iii. Laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur une transition laser à quatre niveaux et une transition laser à quasi-trois niveaux
III.1.b. Modélisation d’un laser bi-longueur d’onde fonctionnant sur des transitions à quasi-trois et quatre niveaux
III.1.b.i. Introduction
III.1.b.ii. Equations de base
III.1.c. Réalisations expérimentales
III.1.c.i. Dispositif expérimental
III.1.c.ii. Etude de la compétition de gain
III.1.c.iii. Réalisation d’un laser bleu basé sur un laser bi-longueur d’onde émettant à 912 nm et 1063 nm
III.2. Source à base de laser bi-longueur d’onde à deux cristaux laser
III.2.a. Choix du second cristal laser pour la transition laser à quatre niveaux
III.2.b. Réalisation expérimentale
III.3. Source à base de deux lasers à cavités imbriquées
III.3.a. Principe de la source
III.3.b. Réalisation expérimentale
III.4. Source basée sur un laser émettant à 1064 nm pompé intracavité par un laser à 912 nm
III.4.a. Principe de la source
III.4.b. Etude théorique
III.4.c. Réalisations expérimentales
III.5. Conclusion
Chapitre IV : Source impulsionnelle à 491 nm
IV. Source impulsionnelle à 491 nm
IV.1. Quelle configuration choisir pour la conversion non linéaire ?
IV.1.a. Somme de fréquence extracavité
IV.1.b. Somme de fréquence intracavité
IV.2. Principe du « non linear cavity dumping »
IV.2.a. Description du concept
IV.2.b. Avantages
IV.2.c. Comment choisir la longueur de la cavité à 912 nm ?
IV.2.c.i. Cas simplifié : impulsions de forme carrée et conversion non linéaire totale
IV.2.c.ii. Cas réel : impulsions de forme gaussienne et conversion non linéaire partielle
IV.3. Réalisations expérimentales
IV.3.a. Source à 1063 nm
IV.3.b. Source à 912 nm
IV.3.c. Conversion non linéaire
IV.4. Conclusion
Conclusion générale

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