Qu’est-ce qu’un rayonnement ionisant ?
La réponse à cette question s’avère indispensable compte tenu de la thématique de notre étude. Toute radiation capable d’arracher un ou plusieurs électrons à la matière appartient à la catégorie des rayonnements ionisants. L’atome le plus facilement ionisable est le potassium, avec une énergie de 4,3 eV ; tout rayonnement ayant une énergie supérieure (ce qui correspond à une longueur d’onde de 288 nm) pourrait donc être considéré comme ionisant. Toutefois, lors de l’interaction du rayonnement avec la matière, la totalité de l’énergie n’est pas déposée sur une cible unique. Des phénomènes d’excitation de la matière ont lieu, conduisant à une perte d’énergie du rayonnement incident. On considère donc qu’il faut 35 eV pour ioniser la matière, ce qui correspond à un rayonnement de longueur d’onde inférieure à 35,4 nm. Un rayonnement ionisant peut être particulaire (particules α ou β, ions) ou électromagnétique (rayons X ou γ). Les rayonnements ionisants peuvent être produits dans des accélérateurs de particules, grands instruments utilisant des champs électriques et/ou magnétiques pour amener des particules à des vitesses (et donc des énergies) élevées. On peut ainsi citer les accélérateurs d’ions lourds (12C6+, 36Ar18+ par exemple) : lorsque ces ions passent à proximité d’un électron, de l’énergie est transférée de l’ion vers l’électron. La perte d’énergie est infime pour l’ion incident, mais pour l’atome touché, ce gain d’énergie provoque l’ionisation, si l’énergie gagnée est supérieure à l’énergie de liaison de l’électron. Les rayonnements ionisants peuvent également être issus d’un phénomène physique appelé radioactivité. La radioactivité est une propriété propre aux noyaux cherchant à revenir vers un état stable. La stabilité d’un noyau est fonction du rapport existant entre les nombres de neutrons et de protons. Cette notion peut être portée sur un diagramme représentant le nombre de neutrons (N) en fonction du nombre de protons (Z) (Figure 1). Ce diagramme de stabilité β fait apparaître l’existence d’une zone de stabilité en fonction du rapport N/Z. Tout noyau en dehors de cette zone de stabilité tend à devenir stable par un mode ou un autre de désintégration radioactive. Le type de désintégration (β- , β+ ou α) sera fonction de la nature de l’instabilité (excès de neutrons, de protons ou des deux) et donc de la position du noyau sur le diagramme.
Effet des fortes doses
L’ensemble de ces effets est regroupé sous le terme d’effets déterministes car ils se manifestent toujours, au dessus d’un certain seuil d’exposition. Ce sont donc des effets à seuil, c’est-à-dire qu’en dessous d’une dose dépendant du type d’effet biologique, cet effet ne sera pas observé. Lorsque l’exposition homogène du corps aux rayonnements ionisants dépasse 500 mSv, la dose est considérée comme forte. Il en résulte la mort d’un très grand nombre de cellules et des troubles pouvant entraîner la mort de l’individu exposé en quelques heures. Ce syndrome d’irradiation aiguë se décompose en plusieurs phases :
– Une première phase, le prodrome, est caractérisée par des vomissements et diarrhées, des nausées et de l’anorexie.
– Au cours de la seconde phase, une disparition ou régression des symptômes est observée. Il s’agit de la phase de latence.
– Puis, les signes cliniques réapparaissent au cours de la troisième phase ou phase critique. Il est possible de distinguer trois syndromes en fonction des symptômes apparaissant lors de cette phase :
• Le syndrome hématopoïétique est observé à partir de 0,5 à 1 Sv. L’un des premiers signes observés est une diminution du nombre de cellules sanguines circulantes. Lorsque les doses d’irradiation sont plus élevées, une disparition de la totalité ou d’une partie des cellules de la moelle osseuse est observée (aplasie ou hypoplasie médullaire).
• Le syndrome gastro-intestinal est observé à partir de 4-5 Sv et s’ajoute au syndrome hématopoïétique. Des troubles intestinaux résultant de la destruction de la muqueuse digestive apparaissent. Les chances de survie dépendent de la dose de rayonnement reçue et du traitement administré.
• Le syndrome neurovasculaire apparaît pour une dose supérieure à 50 Sv et entraîne la mort en 2 à 3 jours. La phase latente est dans ce cas très courte et les symptômes nerveux apparaissent avec une grande gravité conduisant au coma et à la mort. De plus, la destruction des endothéliums vasculaires est à l’origine d’une augmentation de la perméabilité capillaire entraînant une fuite des liquides dans l’espace extracellulaire. Dans le cas de doses massives, les autres syndromes n’ont pas le temps de se développer.
Depuis 1945, d’après l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), 180 décès consécutifs à un syndrome d’irradiation aiguë ont été répertoriés dans le monde. Dans le cas d’une irradiation externe localisée, le pronostic vital n’est généralement pas engagé. Les mains, les pieds et les jambes sont les plus souvent touchés, suite à un contact avec une source radioactive. La peau est donc le premier tissu cible et, après une période de latence d’autant plus courte que la dose est élevée, différentes manifestations allant de la dépilation simple et transitoire pour des doses de 4 à 5 Sv, à une nécrose tissulaire pour des doses supérieures à 20-25 Sv, peuvent être observées. Un syndrome cutané grave nécessite des soins dans un service de grands brûlés. Une greffe de peau peut être indiquée et dans les cas extrêmes, une amputation doit parfois être envisagée.
Les produits de modification du 2-désoxyribose
L’oxydation du dR procède par arrachement d’un de ses 7 atomes d’hydrogène, par les radicaux ˙OH par exemple. Bien que la majorité de ces radicaux attaque les doubles liaisons des bases, il est estimé que jusqu’à 20 % des ˙OH réagissent sur le dR (Scholes et al., 1969). Il a également été postulé que les radicaux issus des bases attaquées par ˙OH arrachent les hydrogènes du dR (Lemaire et al., 1984). Statistiquement, tous les hydrogènes ne sont pas égaux face aux oxydations. En effet, de part leur plus grande accessibilité au solvant, dans la conformation B de la double hélice d’ADN, les hydrogènes des positions 5 et 4 sont préférentiellement arrachés (Balasubramanian et al., 1998; Miaskiewicz & Osman, 1994). De nombreux efforts ont été effectués pour caractériser les mécanismes mis en jeu ainsi que les produits d’oxydation des différentes positions du dR. L’utilisation de drogues à action radiomimétique ou de nucléases artificielles, plus ou moins spécifiques pour une ou plusieurs positions du dR, a notamment contribué à l’identification de nombreux produits. Ainsi, l’oxydation radio-induite du dR génère des dérivés carbonylés, quelque soit la position concernée. De façon générale, l’arrachement d’un atome d’hydrogène conduit à la formation d’un radical centré sur le carbone attaqué. En présence d’O2, ce radical évolue vers un peroxyde puis un hydroperoxyde qui va subir différentes réactions pour donner lieu à différents produits de fragmentation. L’O2 n’est pas toujours indispensable aux réactions et en son absence, le radical évolue différemment, souvent via une attaque par l’eau pour former transitoirement un alcool. Différents modèles ont ainsi été présentés pour expliquer les mécanismes d’oxydation du dR. La Figure 8 représente les produits dedégradation issus de l’oxydation du dR en position 4 d’après différents auteurs (Beesk et al., 1979; Dizdaroglu et al., 1975; Isildar et al., 1981; Stelter et al., 1974; von Sonntag, 1987). La formation des produits de dégradation du dR s’accompagne d’une rupture de la chaîne d’ADN lorsque l’oxydation concerne les positions 3, 4, 5 et dans une moindre mesure 2. Dans des cellules de mammifères exposées à un rayonnement ionisant de faible TLE, le nombre de cassures simple brin (CSB) est estimé à 1000/Gy (Goodhead, 1994) mais elles sont peu létales car facilement réparées. Les cassures double brin (CDB) sont en revanche plus délétères. Il a en effet été rapporté que la formation d’une seule CDB dans des cellules de levure était un évènement létal (Frankenberg-Schwager & Frankenberg, 1990). Elles correspondent à la formation de deux ruptures simples sur les brins opposés de l’ADN, espacées de moins d’une quinzaine de paires de bases. Il s’en forme 40/Gy de rayonnement de faible TLE dans des cellules de mammifères. Elles sont peu nombreuses au niveau basal et constituent une des signatures moléculaires de l’exposition de cellules aux rayonnements ionisants. Il existe une relation entre l’efficacité de réparation des CDB, qui peut être relativement longue, et la radiosensibilité des cellules (Radford, 1986).
La réparation par réversion directe
Ce type de réparation ne concerne qu’un nombre limité de lésions. Il s’agit, pour une enzyme donnée, de directement restaurer la base d’origine à partir d’une lésion. Les enzymes connues capables d’agir de la sorte sont la photolyase permettant de réparer les dimères cyclobutane de pyrimidines induits par les rayonnements UVB (pour revue Sancar, 1994b) et la photolyase (6-4) capable de réverser les photoproduits pyrimidine(6-4)pyrimidone (Todo et al., 1993). Dans les cellules humaines, aucune activité photolyase n’est détectée, ces dommages étant vraisemblablement uniquement pris en charge par la REN (Li et al., 1993). On peut également citer les alkyltransférases qui sont capables de réverser plusieurs dommages alkylés de l’ADN. Ces enzymes ont un comportement suicidaire : après la réversion du dommage, le groupement alkyle reste lié à l’enzyme ce qui l’inactive (Lindahl et al., 1982).
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Table des matières
CHAPITRE I: CONTEXTE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Le rayonnement ionisant
A. Définition et notions de radioactivité
1. Qu’est-ce qu’un rayonnement ionisant ?
2. Les rayonnements ionisants du 60Co
3. Spectre électromagnétique
B. Quelques notions de dosimétrie
C. Les différentes sources d’exposition au rayonnement ionisant
II. Les effets du rayonnement ionisant
A. A l’échelle de l’organisme entier
1. Effet des fortes doses
2. Effet des faibles doses
B. A l’échelle moléculaire
1. Effet direct et effet indirect
2. Oxydation des lipides et des protéines
3. Dommages à l’ADN
a) Les produits de modification du 2-désoxyribose
b) Les modifications des bases
c) Les pontages ADN-protéines
d) Les adduits bases-aldéhydes
III. La réponse de la cellule face aux dommages de l’ADN
A. L’arrêt du cycle cellulaire
B. Les systèmes de réparation des dommages de l’ADN
1. La réparation par réversion directe
2. La recombinaison homologue
3. La suture non homologue des cassures (NHEJ pour Non Homologous End Joining)
4. La réparation des mésappariements
5. La réparation par excision de bases (REB)
6. La réparation par excision de nucléotides (REN)
C. La mort cellulaire
1. La nécrose
2. L’apoptose
3. La sénescence
D. Propriétés mutagènes des lésions de l’ADN
E. La synthèse translésionnelle (STL)
IV. La mesure des dommages de l’ADN
A. Les méthodes non chromatographiques
1. Les techniques immunologiques
2. Les méthodes enzymatiques
B. Les méthodes chromatographiques
1. Le post-marquage
2. La chromatographie en phase gazeuse couplée à une détection par spectrométrie de masse (CG-SM)
3. La chromatographie liquide haute performance couplée à une détection électrochimique (CLHPDEC)
4. La chromatographie liquide haute performance couplée à une détection par spectrométrie de masse en mode tandem (CLHP-SM/SM)
CHAPITRE II: OBJECTIFS DE L’ETUDE
RESULTATS
CHAPITRE III: DETECTION DE NOUVELLES LESIONS DE L’ADN PAR CLHPSM/SM
I. Les differents modes d’utilisation de la CLHP-SM/SM
A. Le mode «Q1 scan»
B. Le mode « SIM »
C. Le mode « Product Ion Scan »
D. Le mode « Parent Ion Scan »
E. Le mode « perte de neutre »
F. Le mode « MRM »
II. Utilisation du mode « perte de neutre » pour rechercher de nouvelles lésions dans l’ADN exposé au rayonnement γ
A. Mise au point de la méthode spectrométrique
B. Détection de nouvelles lésions de l’ADN
III. Mise au point d’une méthode de détection plus sensible
A. Développement de la méthode
B. Recherche des nouvelles lésions dans l’ADN cellulaire
IV. Discussion
CHAPITRE IV: CARACTERISATION D’UNE NOUVELLE LESION RADIOINDUITE DE L’ADN
I. Origine de la lésion
II. Structure de la dCyd341
A. Structure hypothétique
B. Détermination de la masse exacte de la lésion
1. Purification de dCyd341 à partir d’ADN exposé aux rayonnements γ
2. Détermination de la masse exacte
C. Caractérisation par résonance magnétique nucléaire (RMN) de l’adduit formé entre la dCyd et l’aldéhyde
1. Synthèse chimique de cet adduit
2. Caractérisation de la dCyd341 par résonance magnétique nucléaire (RMN)
D. Propriétés d’absorption UV de la dCyd341
1. Spectres UV
2. Détermination du coefficient d’extinction molaire de la dCyd341
E. Etude comparative entre la dCyd341 et l’adduit dCyd-butènedialdéhyde
1. Synthèse chimique de l’adduit dCyd-butènedialdéhyde
2. Comparaison des données UV
3. Détermination du coefficient d’extinction molaire de l’adduit
4. Existe-t-il deux conformations de la dCyd341 ?
F. Etude de la fragmentation de la dCyd341 : amélioration de la méthode « MRM »
III. Mécanisme de formation de la dCyd341
A. Schéma général du mécanisme de formation proposé
B. Oxydation en position 4 du 2-désoxyribose
1. Oxydation en position 4 du 2-désoxyribose
2. Réaction d’un produit de dégradation du 2-désoxyribose sur la dCyd
C. Implication d’un aldéhyde dans la formation de la dCyd341
IV. Oxygène et dCyd341
A. Irradiation en conditions aérées ou désaérées
B. Irradiations en présence d’18O2 ou d’H18O2
V. Discussion
CHAPITRE V: ANALYSES QUANTITATIVES DANS LES ADN ISOLE ET CELLULAIRE
I. Quantification de la dCyd341
A. Sensibilité de la méthode de détection de dCyd341
B. Quantification de la dCyd341 dans l’ADN isolé exposé aux rayonnements γ
C. Quantification de la dCyd341 dans l’ADN cellulaire exposé aux rayonnements γ
II. Quantification de l’adduit dCyd-butènedialdéhyde
A. Mise au point de la méthode de détection de l’adduit dCyd-butènedialdéhyde
B. Détection de l’adduit dans l’ADN isolé
III. Conclusion
CHAPITRE VI: COMMENT LA DCYD341 EST-ELLE PRISE EN CHARGE PAR LES CELLULES ?
I. Excision in vitro par des glycosylases
II. Excision in vitro par des extraits nucléaires
III. Réparation in cellulo
A. Choix du traitement
B. Choix des conditions de traitement
C. Etude de la réparation de la dCyd341 par les cellules traitées à la bléomycine
IV. Discussion
CHAPITRE VII: CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
CHAPITRE VIII: CONDITIONS EXPERIMENTALES
I. Lignée et culture cellulaire
II. Irradiations γ
III. Méthode d’extraction chaotropique au NaI de l’ADN cellulaire
IV. Digestions enzymatiques de l’ADN
V. Traitement d’ADN par des agents exogènes
A. Traitement d’ADN cellulaire à la bléomycine
B. Traitement d’ADN isolé irradié à la méthoxyamine
VI. Préparation de solutions d’ADN sous différentes conditions
A. Solutions aqueuses d’ADN isolé en conditions désaérées
B. Solutions aqueuses d’ADN isolé en présence d’18O2
C. Solutions d’ADN isolé en présence d’H218O
VII. Analyses par CLHP-SM/SM
A. Description du système
B. Conditions chromatographiques
C. Paramètres de la détection par spectrométrie de masse
VIII. Production et purification de la dCyd341 à partir d’ADN irradié
A. Irradiation de l’ADN
B. Purification de la lésion
IX. Réparation des lésions
A. In vitro
B. En utilisant des extraits nucléaires
C. In cellulo
1. Evaluation de la cytotoxicité des bléomycines sur les cellules THP1
2. Etude de l’excision de la dCyd341
X. Synthèses chimiques de la dCyd341 et de l’adduit dCyd-butènedialdéhyde
A. Synthèse de la dCyd341
1. Synthèse de l’acétate de 5-hydroxy-4-oxo-2-pentenal
2. Synthèse de la 5’-O-(4,4’-diméthoxytrityl)-2’-désoxycytidine
3. Synthèse de la dCyd341-Ac-DMTr
4. Obtention de la 6-(2-désoxy-β-D-erythro-pentofuranosyl)-2-hydroxy-3-(3-hydroxy-2-oxopropyle)-2,6-dihydroimidazo[1,2-c]pyrimidin-5(3H)-one (dCyd341)
B. Synthèse de l’adduit dCyd-butènedialdéhyde
1. Synthèse du trans-butènedialdéhyde
2. Synthèse de l’adduit
C. Détermination du coefficient d’extinction molaire de l’adduit dCyd-butènedialdéhyde
1. Détermination du rapport tube/insert (Rti)
2. Calcul du ε
XI. Analyses par RMN
XII. Analyses de masse exacte
LISTE DES PUBLICATIONS, PRIX ET COMMUNICATIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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