L’imaginaire du sabbat au fil des sources
La présentation de chacune de nos sources était, à notre sens, une étape nécessaire pour la suite de l’exposition de la présente recherche. Il s’agit désormais de réintroduire dans notre corpus une dimension temporelle. On commencera donc par regrouper nos sources en fonction de leur situation chronologique et géographique, avant de s’interroger succinctement sur le lien entre cette situation et l’élaboration du stéréotype. Notre but n’est pas de revenir en détail sur chacune des sources, leur contenu et leur contexte d’écriture : nous renvoyons pour cela le lecteur aux références citées ci-dessus. Pour ce qui est des nuances de ces textes, on présentera celles qui touchent à notre sujet bien plus en détail au cours de cette étude. En revanche, il ne nous semble pas inutile de lancer quelques pistes de réflexion sur la façon dont, dans les traités en particulier, des logiques de rédaction influent sur la manière qu’ont les auteurs d’envisager le sabbat et la sorcellerie ; c’est ce par quoi nous conclurons ce chapitre, en essayant de dégager quelques grandes tendances.
Des « dossiers » de sources
La présentation typologique, si elle comporte d’indéniables avantages pour présenter les sources, a aussi ses inconvénients : notamment de séparer des textes qui sont pourtant fortement liés, ou qui du moins forment des groupes rapprochés dans l’espace et dans le temps. On souhaite ici remettre en évidence ces liens, et souligner que certaines d’entre elles forment des groupes cohérents. Pour pallier l’impression d’éclatement qu’ont pu donner les paragraphes précédents, et réfléchir ensuite à l’évolution du stéréotype, il s’agira ici de constituer des « dossiers » de sources.
Dans le premier de ces dossiers, nous voulons regrouper les sources qui émanent précocement du pôle alpin occidental : les textes qui, entre 1430 et le début des années 1440, sont les premiers à attester l’existence de l’imaginaire du sabbat. On rapprocherait dans cette première catégorie le Rapport de Fründ, quatre traités – le Vt magorum de Tholosan, le Formicarius de Nider, les Errores gazariorum et la Vauderye de Lyonois en brief – auxquels on ajouterait le poème de Martin Le Franc. Outre leur proximité géographique et chronologique, ces textes, malgré leurs particularités, ont en commun la volonté de décrire le sabbat. On a pris le parti d’y joindre deux procès, ceux d’Aymonet Maugetaz et de Pierre Vallin. De par leur datation, ils sont exactement contemporains des susdits traités, mais en outre, celui de d’Aymonet pourrait bien être lié aux Errores gazariorum. Martine Ostorero émet ainsi l’hypothèse que l’un des détails ajoutés dans une version des Errores – le fait que les sorciers causent de la grêle – pourrait trouver son origine dans le procès d’Aymonet.
Quant au procès de Pierre Vallin, sa proximité géographique et peut-être également chronologique avec la Vauderye de Lyonois (si l’on admet que celle-ci date des années 1430), mais aussi la ressemblance entre les sabbats que décrivent ces deux sources, justifient son inscription ici.
Dans notre second dossier, on a choisi de réunir les sources judiciaires des années médianes du XVe siècle. À une exception près, elles rendent compte d’affaires ayant également eu lieu dans ce pôle alpin occidental. Plus concrètement, on y regroupe les procès résultants de deux chasses aux sorciers dans le diocèse de Lausanne, sous l’épiscopat de Georges de Saluces : une première qui voit trois habitants de la région de Vevey, sur la Riviera lémanique, être interrogés à La-Tour-du-Peilz en mars 1448 ; et une seconde au cours de laquelle sont détenus et questionnés à Ouchy Pierre dou Chanoz, Guillaume Girod et Jeannette Anyo, entre avril 1458 et novembre 1461. On y a adjoint six autres affaires. Cinq se sont également déroulées dans l’ouest de l’arc alpin, mais de manière plus dispersée : on se situe encore dans le diocèse de Lausanne pour les procès de Pierre Chavaz, Pierre Antoine et Perrissone Gappit, mais celui de Jaquette Pelorinaz prend place dans le diocèse de Sion ; quant à l’interrogatoire d’Antonia Javeydan, il se déroule en Dauphiné, dans le diocèse de Grenoble. La sixième constitue une exception. Il s’agit de la sentence rendue à Lisieux en 1463 ; c’est celle de nos sources qui marque le plus grand éloignement par rapport aux Alpes occidentales, la région de formation du stéréotype. À l’exception de ces deux derniers cas, tous les procès rassemblés ici sont issus du registre Ac 29 des Archives cantonales vaudoises.
Notre troisième dossier a vocation à rassembler les sources tardives, celle des décennies 1470 et 1480. On y trouvera sept procès du registre Ac 29 en lien avec une chasse aux sorciers qui affecta pour la seconde fois la Riviera lémanique : entre la fin de l’été 1477 et le printemps 1484, cinq hommes et deux femmes furent accusés de sorcellerie et durent en répondre devant l’Inquisition74. À ces procès, on adjoindra la source qui clôt notre corpus, le traité de l’inquisiteur Henri Institoris, paru en 1486. Par son contenu, il diffère des procès susdits : le sabbat apparaît en effet très peu dans ce volume qui se veut une arme de répression contre les sorciers – ou plutôt les sorcières. Toutefois, on a rassemblé ces sources aussi en raison de leur situation géographique : malgré la position septentrionale de Strasbourg par rapport aux rives du lac Léman, on reste bien sur cet axe qui marques les frontières du royaume de France.
L’élaboration du stéréotype : des nuances spatiales ou chronologiques ?
À travers l’examen de ces différents ensembles, est-il possible de déceler des nuances dans le stéréotype, en fonction de sa diffusion dans l’espace ou de l’écoulement du temps ? Soulignons d’abord que le stéréotype trouve tôt une forme élaborée : malgré de réelles divergences, il acquiert rapidement une certaine stabilité quant à ses traits principaux. Dès les années 1420, les Alpes jouent un rôle essentiel dans la genèse de la chasse aux sorciers : c’est un foyer d’élaboration du stéréotype en même temps qu’un lieu d’expérimentation pratique de la répression préconisée dans les textes théoriques. De même, il est aujourd’hui admis que le concile de Bâle (1431-1449) a assez largement contribué à la diffusion des idées qui circulent alors dans cet espace. Dans les textes de Hans Fründ et de Jean Nider, on relève une certaine dispersion des éléments de l’imaginaire du sabbat : tous deux rassemblent les composants constitutifs du stéréotype, mais sans les organiser de façon à ce qu’ils forment un rituel complet. Fründ évoque en outre des sorciers lycanthropes, une notion correspondant à des représentations plutôt populaires76 ; on la retrouve dans le poème de Martin Le Franc77, mais elle semble disparaître par la suite. Les Errores gazariorum et le Vt magorum de Claude Tholosan, en revanche, décrivent de manière systématique un sabbat déjà très élaboré, et une oeuvre littéraire comme Le Champion des Dames relaie ce stéréotype dès le début des années 1440. D’après les auteurs, ces textes descriptifs sont précédés de faits judiciaires, aussi ne s’étonne-t-on pas outre mesure de constater que c’est cette même version du stéréotype qui se retrouve dans les deux procès de 1438, même si chacun possède ses particularités et que la forme du récit varie nécessairement entre un texte judiciaire et un traité théorique. La Vauderye de Lyonois en brief, pour sa part, témoigne de la diffusion du stéréotype vers le royaume de France : probablement rédigé à la fin des années 1430, ce petit traité très riche en description se présente sous la forme d’items qui, à la manière des Errores ou de la première partie du traité de Tholosan, informe ses lecteurs sur les activités des sorciers et leurs réunions nocturnes. Le sabbat dépeint est tout à fait conforme à celui que présentent les autres textes, à ceci près que, s’il comprend bien un repas, il n’est pas question de cannibalisme. Du point de vue du contenu, il convient de souligner dans ces textes deux thèmes qui nous importeront beaucoup pour la suite. Tout d’abord, celui du vol nocturne des sorciers vers le sabbat. Dans cette première génération d’écrits, deux positions s’observent à son sujet. Claude Tholosan et Jean Nider se refusent à croire à la réalité de ce transport : en cela, ils sont fidèles à la lettre du canon Episcopi, ancien texte de loi inséré dans le Décret de Gratien au XIIe siècle, et qui plaçait du côté de l’illusion ou du rêve la croyance selon laquelle des femmes possédées par le démon se déplaceraient la nuit à la suite de déesses païennes – une croyance qui semble en partie préfigurer celle du vol des sorciers78. Or, la réalité du transport détermine souvent celle du sabbat tout entier. En conséquence, le sabbat décrit dans le Vt magorum se déroule de manière illusoire ou onirique79, même si les méfaits commis par ailleurs peuvent être réels. Hans Fründ ainsi que les auteurs des Errores gazariorum et de la Vauderye de Lyonois en brief ne semblent pas mettre en doute, pour leur part, la réalité de ce voyage. Martin Le Franc, quant à lui, met en scène cette controverse dans le Champion des Dames : l’Adversaire prétend que les sorcières volent bien à travers les airs pour se rendre au sabbat, tandis que le Champion, défendant la position inverse, postule qu’il s’agit d’illusions80. Ensuite, on doit noter la récurrence du motif du pillage des caves par les sorciers, que décrivent à la fois Fründ, Tholosan, les Errores gazariorum et la Vauderye de Lyonois en brief.
Les procès que nous avons rassemblés dans notre second dossier, et qui couvrent la période s’étendant entre 1448 et 1464, suivent de près cet imaginaire défini dans l’ouest de l’arc alpin au cours des années 1430. Il ne faut pas s’étonner de ce que la cohérence soit particulièrement nette en ce qui concerne les procès du registre Ac 29, c’est-à-dire ceux qui se sont, à peu de choses près, déroulés sur le lieu d’origine de l’imaginaire du sabbat. Mais on ne doit pas non plus forcer le trait et imaginer une série de procès-verbaux rigoureusement identiques, car chacun présente des singularités. Par exemple, le thème des démons familiers, particulièrement présent dans les procès de Pierre Chavaz et Pierre Antoine, dénote l’influence de la démonologie savante, tandis que Guillaume Girod est amené à confesser de nombreux maléfices. Reste que tous avouent – plus ou moins rapidement, plus ou moins facilement – s’être rendu à la « synagogue », avoir renié la foi chrétienne et rendu hommage au diable, avoir participé à des festins cannibales et à des orgies sexuelles, et avoir perpétrés divers forfaits et crimes à l’encontre de la société chrétienne. L’interrogatoire d’Antonia Javeydan et la sentence de Lisieux représentent, de par leur caractère fragmentaire, des cas plus complexes. Les aveux d’Antonia – c’est-à-dire ceux auxquels nous avons eu accès – sont centrés sur un repas anthropophage ; cependant, Pierrette Paravy rapporte des aveux concernant son déplacement magique vers le sabbat, des danses, son accouplement avec le diable, et un prêche prononcé par celui-ci pour exhorter ses affidés à accomplir le plus de mal possible84. Mis à part l’hommage prêté au diable, ces fragments restituent donc l’essentiel du stéréotype. Quant à la sentence de Lisieux, elle impute à tout ou partie des accusés les crimes suivants : adoration du démon en forme de bouc et maléfices ; don d’un nourrisson comme tribut, rapports sexuels avec le démon et fréquentation de la « synagogue » pour Catherine, la seule femme accusée ; meurtres d’enfants, cannibalisme et empoisonnements pour les deux hommes. Là également, malgré le caractère lacunaire de la source, la plupart des éléments du fantasme sont présents, alors même que la sentence de Lisieux nous emmène, en 1463, très loin de la région d’origine de l’imaginaire du sabbat. Il convient toutefois de noter que cette affaire n’est pas la première à affecter la Normandie. La région avait déjà connu un procès de sorcellerie témoignant de la diffusion de ce stéréotype avec l’affaire Guillaume Adeline : prédicateur et maître en théologie à l’université de Caen, ce dernier avait été condamné pour son appartenance supposée à la secte du diable autour de 1438 alors qu’il vivait en Franche- Comté. Surtout, Adeline réfutait dans ses sermons la réalité du sabbat, ce qui constituait évidemment une circonstance aggravante aux yeux de ses accusateurs. Jugé et condamné à Évreux en 1453, il mourut au cachot quatre ans plus tard86. Dix ans avant la sentence de Lisieux, via ce clerc très mobile qu’était Guillaume Adeline, l’imaginaire du sabbat était donc parvenu en Normandie : il faut croire qu’il avait suffisamment marqué les esprits pour rejaillir ensuite, en visant d’autres personnes.
Des logiques rédactionnelles dans les textes théoriques : quelques éléments
Au cours du XVe siècle, malgré une certaine stabilité du stéréotype, les sources qui évoquent l’imaginaire du sabbat ne le font pas toutes de la même façon, car les logiques qui président à leur rédaction influent sur la manière dont le sujet est abordé. C’est particulièrement sensible dans les traités, ces textes théoriques, « doctrinaux », sur la sorcellerie démonolâtre ; c’est pourquoi nous nous concentrons ici sur cet aspect. La première génération de textes théoriques qui, dans les années 1430, met en scène le stéréotype du sabbat a avant tout pour but de le décrire, et dans un deuxième temps de convaincre du danger que représentent ces sectes d’adorateurs du démon. Les variations qu’on y trouve sont liées à la diffusion de l’imaginaire du sabbat et aux nuances qu’il peut présenter, mais aussi à la formation, l’activité et les objectifs des auteurs. Cette série d’écrits est particulièrement intéressante pour nous en ce sens qu’elle nous fournit une grande part de la matière nécessaire à notre étude : en effet, c’est bien dans les descriptions du sabbat que l’on peut obtenir des détails sur le banquet du diable et de ses affidés.
Qu’est-ce qu’un sabbat ?
Les sorciers ne sont pas, loin de là, le premier groupe que l’on soupçonne de se réunir pour procéder à des rites plus ou moins macabres et grotesques, ou de se livrer à des actes peu avouables. On a laissé entendre en introduction que le sabbat s’inscrivait dans une tradition hérésiologique déjà ancienne : nous nous efforcerons d’expliciter ce lien. Précisons toutefois que notre but ici n’est pas de rendre compte du pourquoi et du comment de la naissance du stéréotype du sabbat : c’est une question extrêmement complexe à laquelle il n’a pas encore été apportée de réponse définitive103. On veut simplement mettre en évidence ici quelques uns des fils qui relient le sabbat à des traditions et croyances plus anciennes, pour tenter au mieux de le définir.
De la tradition de l’assemblée hérétique
D’emblée, il faut noter – et c’est un fait significatif – que le vocabulaire utilisé pour désigner l’assemblée des sorciers est issu de la pensée hérésiologique. Le terme qui nous sert, aujourd’hui, le plus communément à la désigner, « sabbat », n’apparaît qu’au cours du XVe siècle ; auparavant, les auteurs lui préfèrent le latin synagoga (aussi orthographié sinagoga) ou le français « vauderie ». L’emploi des deux premiers se place évidemment dans la ligne des polémiques anti-juives ; le troisième, en revanche, fait à l’origine référence au mouvement vaudois, ces « pauvres de Lyon » qu’entraîna derrière lui Valdès à la fin du XIIe siècle. Le terme « vaudois » a pu, par la suite et notamment dans l’arc lémanique, désigner tout type de courant hérétique ; à tel point qu’est parfois utilisée, pour désigner plus précisément les sorciers, l’expression de « vaudois modernes ».
Outre le nom de la secte, nombre des pratiques imputées aux sorciers ont une longue histoire. Selon Norman Cohn, c’est à l’Antiquité que remontent les accusations visant à faire d’un groupe minoritaire une secte infanticide et cannibale ; en effet, dans les fantasmes des sociétés grecques et romaines, « le meurtre et le festin cannibale font partie d’un rite par lequel un groupe de conspirateurs affirme sa solidarité ; et, dans tous les cas, le but visé par le groupe est de renverser le régime ou le souverain pour s’emparer du pouvoir »106. Au IIe siècle, les petites communautés chrétiennes sont ainsi accusées de se rassembler pour de macabres cérémonies : les membres de ces sectes tueraient des bébés, les ingéreraient rituellement, se livreraient à des orgies sexuelles avant d’adorer une divinité animale. À partir du IIIe siècle, désormais bien intégrés dans l’Empire, les chrétiens ne sont plus considérés comme des marginaux et ces accusations ne les visent plus ; en revanche, eux-mêmes les reprennent pour les diriger contre d’autres, en particulier les juifs ou les chrétiens hétérodoxes. Régulièrement répété, ce fantasme devient un topos des discours polémiques contre divers groupes dissidents. Il ressurgit toutefois avec plus encore de vigueur au XIe siècle, lorsque l’autorité ecclésiale, bien plus intensément qu’avant, se soucie de traquer les dissidences ; Robert Moore a bien montré que le changement, essentiel, qui affecte à ce moment la société en en faisant une « société de persécution », est bien plus à chercher du côté des persécuteurs que des persécutés. Davantage qu’une inflation du nombre d’opinions hétérodoxes, il faut bien plutôt supposer une « sensibilité accrue de la structure plus centralisée de l’Église aux manifestations de dissidence »109 ; ce regain d’attention et le processus de réfutation des hérésies qui en découla contribuèrent à faire penser aux autorités que l’hérésie était quantitativement plus importante, plus cohérente, plus organisée et donc plus dangereuse qu’elle ne l’était en réalité.
Alimentation diabolique et crime de sorcellerie
Pour terminer cette étude, on veut s’interroger sur la place que prend l’alimentation sabbatique dans le crime de sorcellerie. Car, même s’il s’agit d’une dimension sur laquelle on a relativement peu insisté pour le moment, on doit se garder d’oublier que la sorcellerie est un crime, et même un crime majeur, un crime de lèse-majesté. Dans leur grande majorité, les sources que nous avons rassemblées dans notre corpus sont précisément le fruit d’une volonté de le réprimer. C’est, rappelons-le, par la bulle Super illius specula, fulminée par Jean XXII en 1326, que la sorcellerie se trouve assimilée à une hérésie, et en tant que telle, considérée comme une intolérable atteinte à la majesté éternelle. La promotion de l’hérésie au rang de crimen maiestatis est, quant à elle, une construction plus ancienne : c’est à la fin du XIIe siècle que l’hérésie – comprise à ce moment comme une aberratio in fide, comme une opinion contraire à l’orthodoxie – devient une attaque insupportable contre l’unité de l’Église, contre le Corps du Christ et donc aussi contre le pape. Comme l’explique Martine Ostorero, l’assimilation de la sorcellerie à une hérésie est nécessaire à l’Église pour qu’elle puisse s’occuper de la répression des sorciers ; ce qui explique que « pour les inquisiteurs, les démonologues et les gens d’Église, la sorcellerie n’est pas perçue comme un concept à part entière ; elle est une extension et un développement du concept d’hérésie, qui intègre des discussions en cours ». Mais la sorcellerie ne se contente pas, en tant qu’hérésie, de léser la majesté divine et l’unité de l’Église. Les sorciers se rendent également coupables d’actes concrets tels que les envoûtements, les maléfices, les homicides. Agissant physiquement, matériellement, ils perturbent concrètement l’ordre et les hiérarchies terrestres et de ce fait, le Prince peut se charger de leur répression – ce qui lui permet de renforcer de façon considérable son autorité. Si l’on suit Jacques Chiffoleau, c’est par le biais de la lutte contre la sorcellerie que les juges laïques ont récupéré le crime de lèse-majesté pour l’appliquer à la personne princière : les sorciers sont à la fois des hérétiques et des sujets rebelles. En même temps que d’attaquer le corps mystique de l’Église, les sorciers portent aussi atteinte à celui de l’État, raison pour laquelle on a pu parler de la sorcellerie comme d’une « hérésie d’État ».
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Table des matières
Introduction
L’imaginaire du sabbat et le motif alimentaire : une brève mise en perspective
Un bilan historiographique : l’alimentation sabbatique à la croisée des chemins
La sorcellerie et l’imaginaire du sabbat : quelques étapes majeures
Les années 1990 et le début du XXIe siècle : édition de sources et nouvelles études
L’alimentation : un champ de recherches anthropologiques puis historiques
Un sujet à construire
PREMIÈRE PARTIE
LES NOURRITURES DIABOLIQUES À LA LUMIÈRE DES SOURCES
Chapitre 1. Les sources de l’enquête
Les sources médiévales de l’imaginaire du sabbat : une présentation typologique
Les traités
Les sources judiciaires
Les sources narratives et littéraires
L’imaginaire du sabbat au fil des sources
Des « dossiers » de sources
L’élaboration du stéréotype : des nuances spatiales ou chronologiques ?
Des logiques rédactionnelles dans les textes théoriques : quelques éléments
Chapitre 2. Le banquet, un élément du sabbat
Qu’est-ce qu’un sabbat ?
De la tradition de l’assemblée hérétique
…au sabbat des sorciers
Faire venir les participants
Le déroulement d’un sabbat
Une assemblée aux étapes bien balisées
Le banquet : au coeur du sabbat ?
Le décor : lieu, temps et cadre matériel du banquet
Temps et lieux : des paramètres stables
Le cadre matériel : des différences sensibles
Un cadre spécifique : le pillage des caves
Chapitre 3. Du pain, du vin, des bambins : le menu d’un banquet diabolique
Des constantes et des nuances
La viande et le vin, nourritures diaboliques par excellence ?
Le pain, un aliment commun mais assez peu représenté
…et quelques présences isolées
Une pratique sorcière majeure : le cannibalisme infantile
Une secte de mangeurs de chair humaine
Choisir, tuer, préparer un enfant
« Tout est bon dans le nourrisson » : des différents usages de la chair enfantine
Deux visions opposées : nourritures exquises, nourritures infâmes
Du médiocre à l’immonde
Un moment de plaisir : du pillage de caves au riche festin
Les sorciers aiment-ils vraiment la chair humaine ? L’appréciation difficile des mets anthropophages
Chapitre 4. Le diable et les démons au banquet
La présence démoniaque aux assemblées sabbatiques
Du « maître de la synagogue » et des autres créatures démoniaques
Un rôle restreint dans le banquet ?
La cuisine des démons
Des nourritures illusoires ?
La Recollectio d’Arras : des aliments aux effets subversifs
Le diable à table : un problème théologique
Le diable mange-t-il avec les sorciers ?
Corps assumés et opera uitae
DEUXIÈME PARTIE
SABBAT, SORCIERS ET SORCELLERIE AU PRISME DES NOURRITURES DIABOLIQUES
Chapitre 5. Nourriture et inversion :le banquet sabbatique comme monde alimentaire perverti
Les sorciers entre humanité et sauvagerie
Des pratiques bestiales
Modes de consommation et postures de table
Entre Paradis, Terre et Enfer : d’un banquet à un autre
Banquet sabbatique et banquet princier
Le sabbat, un « paradis terrestre » ?
Chapitre 6. Profaner les espèces sacramentelles, parodier le christianisme : la nourriture et la boisson comme lieux de subversion sacrilège
To eat or not to eat (the host) : that is the question
Que faire de l’hostie à la communion ? Les recommandations diaboliques
Des usages sorciers du corps du Christ
Le vin comme lieu de parodies et de profanations : variations autour de la
négation du rite eucharistique
Les Errores gazariorum : « par mépris de ce qui est accompli à travers le vin »
La Vauderye de Lyonois en brief : une subversion de la communion sous l’espèce du vin ?
Absorber une boisson sorcière, rejoindre une secte menée par un anti-Christ
Boire et s’intégrer à la secte du diable
La boisson au sabbat, un moyen de faire des anges déchus d’anti- ou de pseudo-Christs ?
Le cannibalisme infantile : parodier la communion ?
Manger un enfant, devenir sorcier ?
De l’hostie consacrée au bébé cuisiné
Chapitre 7. Alimentation diabolique et crime de sorcellerie
Manger à l’assemblée sabbatique : un crime ?
La commensalité diabolique dans les sentences de condamnation
Commensalité et appartenance à la secte
Le festin des sorciers : tirer le sabbat vers le réel ?
Le cannibalisme, ce crime énorme
Le cannibalisme : dans le sabbat et hors du sabbat
Le cannibalisme fait-il le sorcier ? Un acte à faire dire
Un crime contre nature ?
Conclusion
Annexes
I – Table de présentation des sources : classement chronologique
II – Tables de présentation des sources : classement typologique
III – Cartes de provenance des sources
IV – Les nourritures diaboliques selon les sources : tableau comparatif
V – Le motif du pillage de caves : tableau comparatif
VI – Le banquet sabbatique : environnement et cadre matériel
Sources
Bibliographie
Index des tables
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