La maltraitance de l’enfant est un sujet délicat. Une connaissance et une expérience minimale pourraient permettre d’obtenir une prévention optimale, un repérage et une transmission des informations aux services compétents. Néanmoins, savoir solliciter des confrères, une équipe spécialisée ou déléguer en cas de méconnaissance est primordial.
NOTIONS INTRODUCTIVES CONCERNANT LA PROTECTION DE L’ENFANCE EN FRANCE
Définition et transmission d’un signalement ou d’une information préoccupante
Deux alternatives sont possibles, en fonction du degré d’urgence, pour alerter devant une situation de maltraitance infantile : l’information préoccupante (IP) ou le signalement. Le signalement se fait au procureur de la république du tribunal de grande instance. Il intègre la notion d’urgence avec nécessité d’une protection immédiate de l’enfant. Contrairement à celui-ci, l’information préoccupante ne comprend pas le critère de danger immédiat pour l’enfant. Elle est définie par l’article R226-2-2, suite à la loi du 5 mars 2007 et modifiée par le décret n° 2013 938 du 18 octobre 2013, comme étant « une information transmise à la cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes (CRIP) pour alerter le président du conseil départemental sur la situation d’un mineur, bénéficiant ou non d’un accompagnement, pouvant laisser craindre :
– Que sa santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l’être
– Ou que les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises ou en risque de l’être.
La finalité de cette transmission est d’évaluer la situation d’un mineur et de déterminer les actions de protection et d’aide dont ce mineur et sa famille peuvent bénéficier. » .
Présentation des organismes intervenant en protection de l’enfance pouvant accompagner les médecins généralistes
Au niveau local, la Protection Maternelle et Infantile (PMI) est gérée, comme la CRIP, par le département. Les centres de PMI ont un rôle de prévention, dépistage, évaluation et prise en charge des enfants et de leur famille. Au niveau préventif, ils proposent des consultations prénatales pour apporter des conseils aux familles, des vaccinations et consultations infantiles de 0 à 6 ans.
Au niveau dépistage, les médecins et infirmières-puéricultrices effectuent des consultations pour s’assurer du bon développement de l’enfant avec notamment son suivi staturo-pondéral et la surveillance de ses acquisitions. Ils interviennent également en milieu scolaire maternel pour dépister les troubles de l’audition, du langage, du développement et de la vision. Ces consultations sont essentielles pour s’assurer que l’enfant n’est pas en situation de danger ou à risque de l’être. (2) L’évaluation de l’environnement familial et social et de l’éducation familiale fait aussi partie des rôles de la PMI. La PMI prend en charge les situations d’enfants en danger. Leur action pluridisciplinaire avec le réseau professionnel du social et de la santé permet la mise en place d’aides financières ou de mesures de protection de l’enfant si nécessaire. Les centres de PMI accompagnent les familles et coopèrent avec les différents services de protection de l’enfance.
Dans la recherche d’une proximité optimale, pour le pilotage, il a été déployé dans notre département 5 UTAS (Unités territoriales de l’action sociale), qui sont en lien avec la Cellule Enfance en Danger. Les UTAS sont des lieux d’accueil, d’information, d’orientation et d’accompagnement rassemblant plusieurs unités dans le cadre de l’action sociale : aide sociale à l’enfance, groupement de CMS, accompagnement social (insertion professionnelle…), autonomie (soutien aux personnes âgées ou fragilisées, handicapées).
L’épidémiologie en protection de l’enfance et données des derniers chiffres départementaux et nationaux
En France, il existe différents dispositifs d’observations en plus du SNATED. Chacun a des missions clairement définies. Les 2 principaux acteurs en protection de l’enfance en termes de recherches et d’échanges des connaissances sont l’Observatoire National de la Protection de l’Enfance (ONPE) à l’échelle de l’Etat et l’Observatoire Départemental de la Protection de l’Enfance (ODPE) à l’échelle départementale. (6) L’ONPE a été créé par la loi n°2004-1 du 2 janvier 2004, relative à l’accueil et à la protection de l’enfance. Il « recueille, analyse, étudie les données en provenance de l’Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des fondations et des associations œuvrant en ce domaine. » (7) Son objectif est d’améliorer la connaissance des phénomènes de maltraitance en recensant les différentes pratiques jugées concluantes lors d’études. Il diffuse, lors d’un rapport public annuel au gouvernement et au parlement, les pratiques de prévention et d’intervention en protection de l’enfance. Cela permet une mutualisation des connaissances et savoirs. Il a également un rôle de soutien des acteurs de la protection de l’enfance.
Le 14ème et dernier rapport de l’ONPE au gouvernement et au parlement dénombre, au 31 décembre 2018, 306 800 mineurs bénéficiant d’au moins une prestation ou mesure de protection de l’enfant. Cela représente 21‰ des mineurs en France. (6) Concernant notre département de Seine-Maritime, l’ODPE a été mis en place en 2014. Sa mission est de recueillir et d’examiner les données relatives à la protection de l’enfance dans le département. Chaque année l’ODPE publie un rapport d’observations. (9) Le dernier rapport d’observations de l’ODPE a été publié en octobre 2019 et présente les données relatives de l’année 2018.
En 2018, la Seine-Maritime a enregistré 3384 IP soit une hausse de 2,16% par rapport à 2017. Cela représentait pour 2018 16,4 IP pour 1000 mineurs. Il est important d’observer que sur ces 3384 IP, seulement 18 étaient transmises par les professions libérales de santé soit 0,53%. Les transmetteurs d’IP au 1er rang étaient les services médico-sociaux du département (32,68%) puis l’éducation nationale (21,14%), le parquet (10,58%), le SNATED (7,2%) et les Hôpitaux (5,5%). Ces chiffres départementaux témoignent du faible taux de transmissions d’écrits par les médecins généralistes qui sont, le plus souvent, les médecins de famille. Ils reflètent la tendance nationale : seulement 5% des écrits sont transmis par les professions libérales. (10) Le rapport de l’ODPE 2018 fait état d’une densité de médecins généralistes relativement importante comparativement aux autres spécialités. En effet, la Seine-Maritime comprend 36,5 médecins généralistes pour 10 000 jeunes de moins de 20 ans (pour un taux national de 36,7). Moins denses les pédiatres sont au nombre de 1,5 (1,7 niveau national), les psychiatres au nombre de 2,2 (3,9 niveau national) et les psychologues au nombre de 7,4 (13,2 niveau national).
La stratégie départementale et nationale pour les années à venir
Le département a un rôle déterminant dans la prévention et la protection de l’enfance. D’ailleurs, la gestion de l’alerte est une action essentielle du Schéma départemental en faveur de l’enfance et de sa famille 2016-2021 (SDEF 2016-2021). (2) Ce 3ème schéma Enfance-Famille a été adopté le 5 décembre 2016. Il met en œuvre la politique publique et est co-construit avec les partenaires du Département, institutions, administrations, associations œuvrant dans le domaine de l’enfance et de la famille.
Un des objectifs est d’améliorer le dispositif de repérage des situations des familles en difficultés éducatives et d’affirmer le positionnement de la CED. Ce soutien à l’enfance et à la parentalité permettra une meilleure prévention primaire. Les indicateurs de vulnérabilité portent sur la composition familiale (famille monoparentale et/ou fratrie >3 enfants), le logement, la santé, la scolarité (> 1 an de retard) et le niveau de revenus. Le repérage de ces situations de vulnérabilité nécessite un lien essentiel entre les maternités et les centres de PMI. Ce lien est renforcé par le service de retour à domicile, PRADO, mis en place depuis 2010 par l’assurance maladie. La communication entre PMI et médecins traitants et l’information des familles de ce lien possible sont aussi importantes. Une des actions de ce SDEF est d’ailleurs de promouvoir la transparence dans les échanges avec les parents pour soutenir les familles dans leur fonction parentale. Le SDEF 2016-2021 met en lumière un point négatif de la situation actuelle : la multiplicité des acteurs (CED, UTAS, PMI…). Cela génère un risque de disparité de repérages et de réponses à l’échelle départementale. En effet, le repérage doit être le plus uniformisé possible pour aider les professions libérales de santé et, notamment les médecins généralistes, à repérer et alerter. Les échanges avec les différents acteurs sont donc essentiels. Le SDEF 2016-2021 a pour objectif de diffuser un guide départemental de l’alerte en protection de l’enfance. Au niveau national, les violences faites aux enfants sont une des priorités politiques. Le 14 octobre 2019, la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance pour les années 2019-2022 a été présentée par le secrétaire d’Etat à la protection de l’Enfance, Adrien Taquet. À la suite de cette annonce, le Président de la République a déclaré « je veux en finir avec les violences, et vous ? » lors du 30ème anniversaire de la CIDE. (11) Cette stratégie nationale est déclinée dans un contrat d’engagement mutuel entre l’Etat et les départements. L’un des objectifs est d’améliorer la prévention en protection de l’enfant. Parmi les mesures concrètes figurent la réalisation de 100% des bilans de santé en école maternelle d’ici 2022. Un deuxième objectif est l’accentuation de la pluridisciplinarité des CRIP. Pour la première fois, la stratégie 2019-2022 a été élaborée en concertation avec les enfants pris en charge par l’ASE (l’Aide Sociale à l’Enfance). Ils ont mis en avant l’importance de la garantie de leurs droits fondamentaux (droits à la santé, à l’éducation et à leurs besoins affectifs) pour « être des enfants comme les autres » et modifier le regard de la société.
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Table des matières
I. INTRODUCTION
I.1. NOTIONS INTRODUCTIVES DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE EN FRANCE
I.1.1. Définition et transmission d’un signalement ou d’une information préoccupante
I.1.2. Présentation des organismes intervenant en protection de l’enfance pouvant accompagner les médecins généralistes
I.1.3. L’épidémiologie en protection de l’enfance et données des derniers chiffres départementaux et nationaux
I.1.4. La stratégie départementale et nationale pour les années à venir
I.1.5. L’intérêt sociétal et médiatique de la maltraitance infantile
I.1.6. L’impact de la pandémie COVID 19
I.1.7. Définition générale de la maltraitance de l’enfant
I.2. L’ENFANT EN DANGER : DEFINITIONS ET REPERAGE
I.2.1. Concepts théoriques expliquant l’importance du repérage précoce
I.2.1.1. La plasticité cérébrale
I.2.1.2. La théorie de l’attachement
I.2.1.3. Les besoins fondamentaux de l’enfant
I.2.2. Les facteurs de risque de la maltraitance infantile
I.2.2.1. L’approche écosystémique d’Urie Bronfenbrenner
I.2.2.2. Les dimensions de la démarche évaluative révélant les facteurs de risque
I.2.3. La maltraitance physique
I.2.3.1. Définition et données chiffrées
I.2.3.2. Signes d’alerte et diagnostics différentiels
I.2.3.3. Examens complémentaires à réaliser
I.2.4. La maltraitance sexuelle
I.2.4.1. Définition et données chiffrées
I.2.4.2. Signes d’alerte et diagnostics différentiels
I.2.4.3. Examens complémentaires à réaliser
I.2.5. Les signes aspécifiques
I.2.6. Les allégations
I.2.6.1. Définition et évaluation
I.2.6.2. Cas de jurisprudence
I.3. CADRE ET DISPOSITIF LEGISLATIF
I.3.1. Le secret médical
I.3.2. Le dispositif législatif
I.3.2.1. La loi du 10 juillet 1989
I.3.2.2. La loi du 5 mars 2007
I.3.2.3. La loi du 5 novembre 2015
I.3.2.4. La loi du 14 mars 2016
I.3.2.5. La loi du 10 juillet 2019
I.3.3. Les organismes intervenant dans la protection de l’enfance
I.3.3.1. Intervenants judiciaires
I.3.3.2. Intervenants mixtes (judiciaires et médico-psycho-sociaux)
I.3.3.3. Intervenants médico-psycho-sociaux
I.3.4. Les mesures de protection
I.3.4.1. Protection judiciaire
I.3.4.2. Protection administrative
I.3.4.3. Données chiffrées
II. METHODE
II.1. CHOIX DE L’ETUDE QUALITATIVE ET SES OBJECTIFS
II.2. METHODOLOGIE DE L’ANALYSE DE DONNEES DANS NOTRE RECHERCHE QUALITATIVE
II.3. SELECTION DE L’ECHANTILLON ET REALISATION DES ENTRETIENS
II.4. EXTRACTION ET ANALYSE DES DONNEES
II.5. PROCEDURES REGLEMENTAIRES
III. RESULTATS
III.1. REPERAGE DE LA MALTRAITANCE
III.1.1. Signes d’alerte
III.1.2. L’intuition des médecins généralistes
III.1.3. Les facteurs de risque de maltraitance de l’enfant
III.2. DIFFICULTES A POSER LE DIAGNOSTIC DE MALTRAITANCE
III.2.1. Complexité diagnostique
III.2.2. Les difficultés du rôle de médecin généraliste
III.2.3. Eliminer un diagnostic différentiel
III.3. STRATEGIE DE PRISE EN CHARGE
III.3.1. La place centrale de l’enfant
III.3.2. Le rôle du médecin traitant
III.3.3. La transparence (ou non) et la levée du secret médical
III.3.4. L’organisation d’un écrit autour des différents acteurs participant à la prise en charge de la maltraitance infantile
III.3.5. L’information de la suite donnée à une procédure
III.3.6. La décision médicale partagée
III.4. OBSTACLE AU SIGNALEMENT
III.4.1. Les difficultés de la protection de l’enfance dans le cadre l’exercice de la médecine générale
III.4.2. Les craintes des médecins généralistes
III.4.3. La méconnaissance des procédures de signalement
IV. DISCUSSION
IV.1. FORCES ET LIMITES DE NOTRE ETUDE
IV.1.1. Les forces
IV.1.2. Les limites
IV.2. PRINCIPAUX RESULTATS DE L’ETUDE
IV.2.1. Le repérage
IV.2.2. La prise en charge
IV.3. PERSPECTIVES D’AMELIORATIONS ET PROPOSITIONS
V. CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES