Les aflatoxines sont dรฉfinies comme รฉtant des mรฉtabolites secondaires produits par les moisissures appartenant au genre Aspergillus spp (Aspergillus flavus, Aspergillus parasiticus), qui sont des champignons pouvant se dรฉvelopper et produire les aflatoxines plus facilement dans les climats chauds et humides des pays tropicaux (Kurtzman et al., 1987). Ces espรจces fongiques sont ubiquitaires et peuvent se dรฉvelopper sur les aliments si la tempรฉrature et lโhumiditรฉ leur sont favorables au champ, pendant le stockage ou lors de la transformation. Plusieurs aflatoxines sont prรฉsentes dans les aliments ; la plus frรฉquente est lโaflatoxine de type B1, reconnue comme รฉtant lโun des plus puissants cancรฉrogรจnes dโorigine naturelle et ayant pour organe cible le foie (IARC, 1993). Selon les รฉtudes รฉpidรฉmiologiques, il a รฉtรฉ constatรฉ que les carcinomes hรฉpatocellulaires qui se dรฉveloppent aprรจs une exposition ร lโaflatoxine de type B1, surviennent quasi exclusivement chez les patients infectรฉs par le virus de lโhรฉpatite B ; ce qui suggรจre un effet synergique entre lโaflatoxine B1 et lโinfection par le virus de lโhรฉpatite B (Sudakin, 2003). Tout comme les aflatoxines, les mycotoxines sont elles aussi des mรฉtabolites secondaires produits par des moisissures qui colonisent les cultures. Elles constituent un important problรจme de santรฉ publique ร cause de leurs effets cancรฉrogรจnes, gรฉnotoxiques, mutagรจnes, neurotoxiques, nรฉphrotoxiques et immunosuppresseurs chez lโhomme (CAST, 2003 ; AFSSA, 2009). Or, les mycotoxines et en particulier les aflatoxines sont considรฉrรฉes comme des contaminants inรฉvitables des aliments, puisque les moyens de prรฉvention et de traitement qui sont disponibles, ne peuvent pas complรจtement รฉliminer leur prรฉsence dans les aliments.
RAPPELS SUR LES MYCOTOXINES
Les mycotoxines peuvent รชtre dรฉfinies comme รฉtant des produits du mรฉtabolisme secondaire des moisissures (champignons microscopiques) pouvant se dรฉvelopper sur la plante au champ, avant et pendant la rรฉcolte, ou en cours de stockage, et qui prรฉsentent des effets toxiques ร lโรฉgard de lโhomme et des animaux (Moreau, 1994). La prรฉsence de moisissures ne signifie pas nรฉcessairement la formation de mycotoxines ; il existe des souches produisant des mycotoxines et des souches qui nโen produisent pas ou peu (Pfohl-leszkowicz, 1999).
Plusieurs espรจces de moisissures, appartenant aux trois principaux genres Aspergillus spp, Fusarium spp, ou Penicillium spp, sont prรฉsentes dans lโair ambiant, le sol, les cultures. Elles synthรฉtisent les mycotoxines et sont capables de se dรฉvelopper sur diffรฉrents types dโaliments tels que les olรฉoprotรฉagineux, les fruits, les noix, les amandes, les graines, les fourrages et en particulier les cรฉrรฉales telles que le maรฏs, le blรฉ, le sorgho, et le mil (Castegnaro et al., 2002). Or, seule une vingtaine de mycotoxines possรจdent de rรฉelles propriรฉtรฉs toxiques prรฉoccupantes (Saine, 2001 ; Adebanjo et Bankole, 2003). Parmi les groupes de mycotoxines considรฉrรฉs comme importants du point de vue agro-alimentaire et sanitaire, on distingue les aflatoxines de type B1, B2, G1, G2, et M1 ; les ochratoxines dont lโochratoxine A ; la patuline ; les fumonisines dont le fuminosine B1 ; la zรฉaralรฉnone et les trichothรฉcรจnes de type A et B (Frรฉmy, 2009). Cependant, les mycotoxines possรจdent des effets ร court terme ainsi que des effets chroniques ร long terme chez lโhomme, et peuvent รชtre ingรฉrรฉes, inhalรฉes ou absorbรฉes par voie cutanรฉe (Moll, 1995 ; FAO, 1999). ร cet effet, on y trouvera des effets immunotoxiques causรฉs par la patuline et la fumonisine; les effets hรฉpatotoxiques causรฉs par les aflatoxines de type B1 et M1 et la fumonisine B1 ; les effets cancรฉrogรจnes dus aux aflatoxines, ร lโochratoxine A et ร la fumonisine B1; et les effets nรฉphrotoxiques dus ร lโochratoxine A (Saine, 2001). Il a รฉtรฉ รฉgalement mentionnรฉ les effets neurotoxiques causรฉs par la patuline et la fumonisine B1 ; les effets immunosuppresseurs dus aux trichothรฉcรจnes de groupe A et B, ร la fumonisine B1 et ร la patuline ; enfin les effets oestrogรฉniques et tรฉratogรจnes causรฉs par la zรฉaralรฉnone (Saine, 2001). Du fait de leur forte production et de leur concentration รฉlevรฉe dans les aliments, les mycotoxines sont considรฉrรฉes comme des substances dangereuses et potentiellement cancรฉrogรจnes pour lโhomme.
LES AFLATOXINESย
Origine et facteurs de production des aflatoxinesย
On distingue plusieurs conditions favorables au dรฉveloppement de la moisissure du genre Aspergillus spp et ร la production dโaflatoxines qui sont (Castegnaro et Pfohl-Leszkowicz, 2002) :
โค La nature du substrat qui correspond aux vรฉgรฉtaux riches en glucides et en cellulose ;
โค La teneur en eau du substrat ou activitรฉ en eau notรฉe (AW) dont la teneur optimale est comprise entre 0,84 et 0,86. La moisissure ne se dรฉveloppe pas si lโAw est infรฉrieure ร 0,6 ;
โคย La tempรฉrature optimale de croissance comprise entre 25 et 40ยฐC ;
โค Le pH tel que le pH acide (infรฉrieur ร 4) qui nโest pas favorable ร la croissance des moisissures ;
โค La prรฉsence dโoxygรจne dans le substrat favorisant la croissance des moisissures aรฉrophiles.
Dโaprรจs les รฉtudes rรฉalisรฉes par Moreau (1994), la moisissure Aspergillus flavus produit principalement lโaflatoxine de type B1 (AFB1) et lโaflatoxine de type B2 (AFB2), alors que Aspergillus parasiticus et Aspergillus nomis produisent lโaflatoxine de type G1 (AFG1) et lโaflatoxine de type G2 (AFG2). Lโaflatoxine de type M1 (AFM1) est le mรฉtabolite de lโAFB1 que lโon retrouve dans le lait. Les autres aflatoxines (AFs) sont abondantes dans les olรฉagineux tels que lโarachide et les noix, les cรฉrรฉales notamment le blรฉ et le maรฏs (Guerre et al., 2000). Nรฉanmoins, les trois principales souches dโAspergillus (A. flavus, A. parasiticus et A. nomis) sont connues pour leur capacitรฉ ร produire les aflatoxines dans des conditions climatiques chaudes et humides trรจs favorables (Garon et al., 2006).
Structure et propriรฉtรฉs physico-chimiques des aflatoxinesย
La structure des aflatoxines (AFs) a รฉtรฉ analysรฉe par Pfohl Leszkowicz en 1999. Parmi les nombreuses AFs isolรฉes, seules quatre ont รฉtรฉ trouvรฉes comme contaminants naturels ร savoir les aflatoxines B1, B2, G1 et G2 (OMS, 1980 ; Pfohl Leszkowicz, 1999). Les aflatoxines de type ยซย Bย ยป renferment un noyau pentacyclique carbonรฉ, alors que celles de type ยซย Gย ยป ont un noyau hexacyclique et hรฉtรฉrogรจne avec un atome dโoxygรจne de plus (OMS, 1990). Toutes les aflatoxines se rattachent ร lโun de ces deux types de structures (Aflatoxines de type B ou Aflatoxines de type G) et ne diffรจrent entre elles que par la position de divers radicaux sur le noyau.
Sโagissant des propriรฉtรฉs physico-chimiques, les AFs sont des molรฉcules de faibles poids molรฉculaires (312 ร 330 g/mol), peu solubles dans les solvants organiques polaires tel que lโeau, mais trรจs solubles dans les solvants organiques de polaritรฉ moyenne comme le chloroforme, le mรฉthanol, le dimethylsulfoxide (Cole et Cox, 1981). Elles sont insolubles dans lโhexane, lโรฉther de pรฉtrole et lโรฉther รฉthylique (Northdt et al., 1976 ; FAO/OMS, 1992). Sous la lumiรจre ultra-violette (UV) longue, les AFs sont instables en prรฉsence dโoxygรจne avec des pH extrรชmes ; ainsi, les aflatoxines B1 (AFB1) et les aflatoxines B2 (AFB2) รฉmettent une fluorescence bleue alors que les aflatoxines G1 (AFG1) et les aflatoxines G2 (AFG2) รฉmettent une fluorescence vert jaune. Ces couleurs de fluorescence sont ร lโorigine du nom des aflatoxines (B pour ยซย Blueย ยป et G pour ยซย Greenย ยป). Lโaflatoxine M1 (AFM1) รฉmet une fluorescence bleu-mauve (Castegnaro et al., 2002).
Par oxydation, le cycle lactone des aflatoxines devient sensible ร une hydrolyse alcaline, mais en cas de neutralisation, il peut se reformer. LโAFB1 rรฉsiste au chauffage des huiles tandis que lโAFM1 rรฉsiste ร la pasteurisation (Asao et al., 1965 ; Castegnaro et al., 2002).
Substrats des aflatoxinesย
LโAfrique est un producteur majeur de diverses cรฉrรฉales, de graines et fruits dโolรฉagineux, ainsi que de leurs sous-produits. Lโagriculture รฉtant le moteur de croissance en Afrique, elle demeure largement pratiquรฉe par une grande majoritรฉ des agriculteurs. De nombreux produits alimentaires destinรฉs ร la consommation humaine peuvent contenir des aflatoxines, car les moisissures du genre Aspergillus spp productrices dโAFs, sont des contaminants frรฉquents de nombreux substrats (Castegnaro et al., 2002) que sont :
โค Les grains et farines de cรฉrรฉales tels que le blรฉ, le maรฏs, le riz, le mil, le millet, le sorgho ;
โค Les olรฉagineux tels que les graines olรฉagineuses (arachide, tournesol, lin colza) et les fruits olรฉagineux (noix, noisettes, amandes, pistaches) ;
โคย Les รฉpices comme le clou de girofle, le poivre, le curry et le gingembre
โคย Les figues, les dattes, le cacao, le cafรฉ ;
โค Le lait provenant d’animaux nourris avec du grain contaminรฉ par les aflatoxines.
Toutefois, le maรฏs et lโarachide sont des aliments de base majeurs, parce quโils sont cultivรฉs dans des zones agro-รฉcologiques et dans des systรจmes agricoles favorables dโAfrique subsaharienne. Ils sont donc fortement consommรฉs par les populations ayant des prรฉfรฉrences et des contextes socio-รฉconomiques divers.
METABOLISME DES AFLATOXINES
Les aflatoxines sont absorbรฉes au niveau du duodรฉnum. Chez lโhomme, lโabsorption pourrait reprรฉsenter prรจs de 90% de la dose ingรฉrรฉe. Aprรจs leur absorption digestive par ingestion des aliments contaminรฉs, les AFs arrivent au foie par la veine porte. La distribution ร partir du plasma dans les hรฉpatocytes, est rรฉalisรฉe par diffusion passive ร travers les membranes (Hupp et Lane, 1994). Ensuite, les aflatoxines en particulier lโAFB1 vont subir un mรฉtabolisme hรฉpatique qui se dรฉroule en deux phases :
– La phase I de biotransformation met en jeu des isoenzymes des mono oxygรฉnases ร cytochrome P450 (CYP450s). Les CYP450s sont classรฉes au sein des familles identifiรฉes par les numรฉros suivants (1, 2, 3, 4,5) et de sous familles identifiรฉes par des lettres telles que (A, B, C, D) (Scheidegger et Payne, 2003). Les CYP450 1A2 et CYP450 3A4 mรฉtabolisent lโAFB1 lors des rรฉactions dโรฉpoxydation sous lโaction de la Prostaglandine-H-Synthรฉtase (PGHS) pour former le mรฉtabolite toxique appelรฉ AFB1-8,9-รฉpoxyde (Scheidegger et Payne, 2003). Lโactivation de lโAFB1 dans le foie se fait par le CYP450 1A2 qui forme au travers des rรฉactions dโoxydation et dโhydroxylation successives, le mรฉtabolite aflatoxine M1 (AFM1) prรฉsent dans le lait (Wild and Turner, 2001 ; Frรฉmy et al., 2009) ; tandis que le CYP450 3A4 se trouve impliquรฉ dans la synthรจse de la 3ฮฑ-hydroxy-AFB1 (aflatoxine Q1 ou AFQ1) par oxydation, puis hydroxylation de lโAFB1 (Wild and Turner, 2001). Deux autres voies de mรฉtabolisations enzymatiques de lโAFB1 interviennent รฉgalement. ร cet effet, le CYP450 catalyse lโAFB1 par une oxydation suivie dโune 4-O-dรฉmรฉthylation pour former lโaflatoxine P1 (AFP1) ; mais aussi par une rรฉduction de la fonction cรฉtone en C1 de lโAFB1, en prรฉsence de la nicotine adรฉnine dinuclรฉotide phosphate (NADPH) rรฉductase pour former lโaflatoxicol (AFOL) (Scheidegger et Payne, 2003 ; Frรฉmy et al., 2009). LโAFB1-8,9-รฉpoxyde peut รชtre hydroxylรฉe en position C9 pour former la 8,9- dihydroxyaflatoxine B1 ou AFB1-8,9-dihydrodiol (Frรฉmy et al., 2009). Par contre, lโAFOL peut รชtre de nouveau oxydรฉ pour former lโAFB1 ; cโest pourquoi lโaflatoxicol est considรฉrรฉ comme la forme de stockage de lโAFB1. Aussi, lโAFM1 et lโAFQ1 peuvent subir des rรฉactions de rรฉduction pour former respectivement lโaflatoxicol M1 et lโaflatoxicol H1 (Lopez et al., 2003 ; Frรฉmy et al., 2009).
– La phase II du mรฉtabolisme correspond aux rรฉactions de conjugaison de lโAFB1-8,9-รฉpoxyde (mรฉtabolite toxique de lโAFB1). Elle comprend la conjugaison de lโAFB1-8,9-รฉpoxyde au glutathion par des glutathion-Stransfรฉrases (GST). La conjugaison ร lโacide glucuronique des mรฉtabolites hydroxylรฉs de lโAFB1 (AFM1 et AFQ1) aboutit ร la formation de dรฉrivรฉs glucurono-conjuguรฉs ; mais cette voie de dรฉtoxification demeure inefficace (Guerre, 2000 ; Galtier et al., 2006).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : NOTIONS GENERALES SUR LES AFLATOXINES
I. RAPPELS SUR LES MYCOTOXINES
II. LES AFLATOXINES
II.1. Origine et facteurs de production des aflatoxines
II.2. Structure et propriรฉtรฉs physico-chimiques des aflatoxines
II.3. Substrats des aflatoxines
III. METABOLISME DES AFLATOXINES
IV. MECANISME DโACTION TOXIQUE DES AFLATOXINES
V. IMPACTS DES AFLATOXINES
V.1. Impacts sanitaires des aflatoxines chez lโhomme
V.1.1. Intoxication aiguรซ
V.1.2. Intoxication chronique
V.2. Impacts socio-รฉconomiques des aflatoxines
VI. METHODES DโANALYSE DES AFLATOXINES
VI.1. Echantillonnage
VI.2. Extraction et purification de lโรฉchantillon
VI.3. Identification des aflatoxines par le test ร lโUltra-Violet
VI.4. Dosage des aflatoxines par la chromatographie liquide haute performance
VII. VALEURS TOXICOLOGIQUES DE REFERENCE
VIII. REGLEMENTATIONS SUR LES AFLATOXINES
DEUXIEME PARTIE : CONTAMINATION DES ALIMENTS PAR LES AFLATOXINES EN AFRIQUE CENTRALE ET EN AFRIQUE DE LโOUEST
I. CONSOMMATION DES ALIMENTS
I.1. Production des aliments
I.2. Importations et exportations des aliments
I.3. Niveau de consommation des aliments (cรฉrรฉales et olรฉagineux)
II. CONTAMINATION DES ALIMENTS
II.1. Sources de la contamination des aliments par les aflatoxines
II.2. Niveau de contamination des cรฉrรฉales et arachides par les aflatoxines
III. EXPOSITION HUMAINE AUX AFLATOXINES
TROISIEME PARTIE : METHODES DE PREVENTION ET DE TRAITEMENT DE LA CONTAMINATION DES ALIMENTS PAR LES AFLATOXINES
I. PREVENTION DE LA CONTAMINATION DES ALIMENTS PAR LES AFLATOXINES
II. METHODES DE TRAITEMENT DE LA CONTAMINATION DES ALIMENTS PAR LES AFLATOXINES
II.1. Mรฉthodes de tri des aliments
II.1.1. Mรฉthode de tri manuel des gousses et graines
II.1.2. Mรฉthode de tri mรฉcanique des graines
II.2. Mรฉthodes physiques
II.2.1. Inactivation par la chaleur
II.2.2. Traitement par irradiation
II.3. Les mรฉthodes chimiques
II.3.1. Traitement par les agents oxydants
II.3.2. Traitement par les acides et les bases
II.3.3. Utilisation des silicates dโaluminium
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES