Notions générales des agénésies dentaires

Notions générales des agénésies dentaires

Terminologie

Selon les auteurs, l’agénésie a été décrite par plusieurs termes, pouvant prendre une signification différente, et ainsi être source de confusion. Pour ce qui est de son étymologie grecque, le terme agénésie signifie « absence de génération » (a : privé de ; génésis : génération). Selon le Glossary of prothodontics terms de 2017 (13), une agénésie se définit comme une absence, un échec de la formation ou un développement imparfait de n’importe quelle partie du corps. Le terme hypodontie est quant à lui utilisé par de nombreux auteurs pour désigner l’absence d’au moins une dent (14). Certains auteurs ont limité ce terme à l’absence de une à six dents, à l’exclusion des troisièmes molaires (2). La définition du terme oligodontie varie également selon les auteurs. Pour certains, l’oligodontie désigne l’absence de six dents ou plus, à l’exclusion des troisièmes molaires (2,15). Pour d’autres, elle désigne l’absence de six dents ou plus, associée à des manifestations systémiques dans certains syndromes (2,14). Pour refléter les différences de terminologie, une autre subdivision de l’hypodontie et de l’oligodontie ont été proposées en hypodontie / oligodontie isolée (non-syndromique) et hypodontie / oligodontie syndromique (c’est-à-dire associée à un syndrome). Le terme anodontie est relatif à une maladie rare caractérisée par l’absence congénitale de toutes les dents (à la fois les dents temporaires et permanentes) (2,13,15). Finalement, pour plus de clarté, dans cette thèse, les termes suivants seront employés (11,12) :
• Le terme hypodontie pour nommer l’absence congénitale de moins de six dents, à l’exception des troisièmes molaires. Elle peut être syndromique ou isolée.
• Le terme oligodontie pour nommer l’absence congénitale de six dents ou plus, à l’exception des troisièmes molaires. Elle peut être syndromique ou isolée.
• Le terme anodontie pour désigner l’absence congénitale de toutes les dents.

Prévalence

Les agénésies dentaires affectent rarement la denture temporaire. Leur prévalence est comprise entre 0,1 et 0,9 %, et répartie de manière égale entre filles et garçons (2,14,16–18). Elles touchent le plus souvent le maxillaire antérieur, et en particulier les incisives (18,19). Les agénésies en denture temporaire sont souvent associées à des agénésies en denture permanente (18–20). En denture permanente, la prévalence moyenne des agénésies est d’environ 6,5% (17,21,22) mais elle peut varier entre 1.6% à 36.5% en fonction de la population étudiée (17,18). En effet, elle est plus élevée en Afrique, en Europe, en Asie orientale et en Australie (17,22). De plus, les agénésies dentaires affectent plus souvent les femmes que les hommes (15,17,18,21). La séquence de dents manquantes largement acceptée est : Deuxième prémolaire mandibulaire > Incisive latérale maxillaire > Deuxième prémolaire maxillaire > Incisives mandibulaires (12,15,17,21,23). Les formes unilatérales sont plus fréquentes que les formes bilatérales, excepté l’agénésie des incisives latérales maxillaires (15,17).

Etiologies

Les agénésies dentaires peuvent être isolées ou associées à d’autres pathologies, en s’inscrivant dans le cadre d’un syndrome poly-malformatif .

Mutations génétiques
Les agénésies dentaires peuvent être causées par une mutation d’un gène impliqué dans la morphogenèse dentaire. Plus de 300 gènes sont impliqués dans la morphogénèse dentaire (18). Les mutations de ces gènes peuvent être d’origine environnementale mais, dans la majorité des cas, elles ont un caractère familial, qui s’explique par une base génétique (25). Des recherches ont été portées sur les mutations de ces gènes du développement dentaire chez les familles présentant des agénésies. Des mutations des gènes MSX1, PAX9, AXIN2 et EDA sont les fréquemment associées aux hypodonties non syndromiques (Tableau 1) (17,18,26). En 1996, une équipe découvre une mutation du gène MSX1 chez les individus d’une même famille présentant des agénésies des quatre dents de sagesse et des deuxièmes prémolaires (27). Une mutation du gène MSX1 entraine toujours des agénésies des deuxièmes prémolaires et des troisièmes molaires. En 2000, un nouveau gène muté est identifié chez une famille présentant une agénésie sévère des dents postérieures, il s’agit du gène PAX9 (18,28). Le gène AXIN2 joue également un rôle important au cours du développement dentaire. Les individus porteurs d’une mutation du gène AXIN2 présentent un modèle mixte d’agénésie dentaire. Ce gène serait aussi impliqué dans le cancer colorectal héréditaire (29). Plus récemment, le gène EDA a été trouvé impliqué dans l’hypodontie. En effet, ce gène joue un rôle important dans le développement des tissus ectodermiques. Les mutations du gène EDA sont impliquées dans les agénésies dentaires isolées (non syndromiques) mais également dans les oligodonties liées à une dysplasie ectodermique liée à l’X (30). Le gradient postérieur reste en partie énigmatique, bien que Dalhberg (31), en adaptant les concepts de Butler(32) à la dentition humaine, a suggéré que la dent la plus mésiale de chaque série était la plus stable d’un point de vue génétique (33) et donc rarement manquante : les dents de fins de série (deuxième prémolaire, incisive latérale, troisième molaire) présentent moins de stabilité génétique et seraient plus fréquemment absentes.

Facteurs environnementaux

Pour l’immense majorité des agénésies légères (une ou deux dents), on ne retrouve aucune étiologie. Cela peut être expliqué par les facteurs environnementaux. En effet, certains auteurs ont suggéré que des facteurs environnementaux intra-utérins étaient impliqués dans la survenue des agénésies dentaires :
• Bailit (34) a encouragé une bonne nutrition maternelle pré-natale et des soins médicaux de qualité ; en revanche la nutrition post-natale, la maladie, la santé générale et les conditions climatiques auraient peu d’influence sur la survenue d’agénésies dentaires ;
• Les effets intra-utérins de médicament tels que la thalidomide ont été également associés au développement d’agénésies dentaires (35).

D’autres facteurs environnementaux pouvant provoquer l’arrêt du développement dentaire ont été mis en évidence, comme :
• la radiothérapie et la chimiothérapie dans la petite enfance (2,36,37) ;
• les effets locaux d’un traumatisme ou une atteinte iatrogène du germe de la dent permanente lors de l’extraction traumatique de la dent temporaire sus-jacente (2) .

Pour résumer, l’expression d’un gène peut être modulée selon le réseau génétique ou selon l’environnement dans lequel il est exprimé. Chaque facteur, qu’il soit génétique ou environnemental, n’est pas suffisant à lui seul pour provoquer l’anomalie, mais peut donner une prédisposition. C’est probablement l’interaction de plusieurs facteurs prédisposants qui est à l’origine d’une agénésie (38). L’étiologie des agénésies est donc plurifactorielle, et une partie des mécanismes les provoquant reste encore à découvrir.

Association à des syndromes

Plusieurs syndromes se caractérisent notamment par des agénésies dentaires et la plupart d’entre eux ont exprimé des anomalies génétiques.

Conséquences des agénésies 

Qu’elles soient limitées à une dent ou qu’elles soient multiples, les agénésies dentaires entrainent des conséquences sur la sphère oro-faciale. La croissance des maxillaires s’en trouve modifiée, entrainant une altération des fonctions et de l’esthétique .

Conséquences fonctionnelles
Les agénésies dentaires multiples engendrent des troubles fonctionnels de la mastication, la déglutition, la respiration et la phonation. Ces troubles fonctionnels sont également présents lorsque les dents temporaires sont maintenues au-delà de l’âge physiologique et ne sont pas remplacées par des dents permanentes.

La déglutition
La déglutition permet le passage du bol alimentaire. Elle s’accompagne de la fermeture des voies aériennes supérieures afin de protéger ces dernières. En moyenne, un sujet jeune effectue entre 500 à 1200 déglutitions par jour, chacune durant environ une seconde (41). En cas d’agénésies, la langue s’étale car elle n’est plus bloquée par la barrière dentaire. Cela engendre une déglutition atypique se caractérisant par l’absence de contacts dentaires, s’accompagnant d’une contraction exagérée des lèvres et des muscles faciaux, et d’une projection linguale antérieure ou latérale. Cette déglutition atypique a de multiples conséquences du fait de la répétition de cette fonction (41,45) :
• Conséquences dentaires, telles que les malpositions.
• Défaut de croissance alvéolaire : une position basse de la langue entraine un défaut de croissance du maxillaire, puisque la langue n’est pas au contact du palais. Elle peut également engendrer une promandibulie fonctionnelle qui peut se transformer en prognathie vraie.

La ventilation
Il existe une interrelation entre la déglutition et la ventilation. En effet, l’hypoplasie du maxillaire supérieur, causée par la déglutition atypique, peut entrainer un défaut de croissance des fosses nasales. De plus, le refoulement de la langue en position basse vers le pharynx engendre l’obstruction des voies aérienne supérieures. La capacité respiratoire du patient est alors diminuée (41). La ventilation nasale physiologique est alors remplacée par une ventilation orale qui propulse la langue vers l’avant. Des conséquences parodontales (liées à la ventilation orale) et osseuses avec l’apparition d’une classe III squelettique (causées par la propulsion de la langue) sont alors possibles .

La phonation
Les agénésies dentaires peuvent entrainer un défaut phonétique, notamment dans le cas d’agénésies affectant les incisives (46,47). En effet, pour la production de certains phonèmes, comme les constrictives labio-dentales [f] et [v], un contact est nécessaire entre la lèvre inférieure et les incisives supérieures. Quant au son [s], il est produit lorsque l’air passe entre le sillon du dos de la langue et les bords des incisives supérieures .

Conséquences sur la croissance dento-maxillo-faciale

La croissance alvéolaire dépend de la présence de follicules dentaires, et leur absence congénitale affectera donc la croissance dento-faciale (12). Le processus de dentition impacte donc le développement des maxillaires : l’os nait, vit et meurt avec la dent. Ainsi une agénésie d’une ou plusieurs dents entraine un défaut osseux et structurel (49). Selon Delaire, c’est le développement des bourgeons dentaires, puis le phénomène de migration dentaire qui, pendant la phase éruptive des dents, engendre des forces stimulant l’activité ostéogénique nécessaire à la croissance. Les germes dentaires sont donc indispensables à la bonne croissance des maxillaires (49). De plus, l’agénésie d’une dent permanente peut être mise en évidence par la persistance de la dent temporaire puisque la dent permanente n’est pas présente pour entrainer la résorption de la dent temporaire. Outre les conséquences fonctionnelles et esthétiques, le maintien des dents temporaires peut engendrer des ankyloses de celles-ci, provoquant l’arrêt de la croissance osseuse dans la région concernée (50). Plus le nombre de dents manquantes est élevé et plus le retentissement sur la croissance maxillo-faciale sera important .

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Table des matières

Introduction
1. Notions générales des agénésies dentaires
1.1. Terminologie
1.2. Prévalence
1.3. Etiologies
1.3.1. Mutations génétiques
1.3.2. Facteurs environnementaux
1.3.3. Association à des syndromes
1.4. Conséquences des agénésies
1.4.1. Conséquences fonctionnelles
1.4.1.1. La mastication
1.4.1.2. La déglutition
1.4.1.3. La ventilation
1.4.1.4. La phonation
1.4.2. Conséquences sur la croissance dento-maxillo-faciale
1.4.3. Conséquences esthétiques et psychologiques
1.4.4. Anomalies dentaires associées
1.4.4.1. Retard de développement et d’éruption
1.4.4.2. Anomalies de forme et de taille
1.4.4.3. Anomalies de position
1.4.4.4. Anomalies de structure
2. Examens cliniques et para-cliniques d’un patient présentant des agénésies dentaires
2.1. Entretien initial
2.2. Anamnèse
2.3. Examens cliniques
2.3.1. Examen clinique exobuccal
2.3.1.1. Examen des articulations temporo-mandibulaires (ATM)
2.3.1.2. Examen clinique exobuccal de la face
2.3.1.3. Examen exobuccal de profil
2.3.1.4. Examen du sourire
2.3.2. Examen clinique endobuccal
2.3.2.1. Bilan dentaire
2.3.2.2. Bilan parodontal
2.3.2.3. Bilan prothétique et occlusal
2.4. Examens complémentaires
2.4.1.1. Photographies
2.4.1.2. Moulages d’étude
2.4.1.3. Radiographies
2.4.1.4. Logiciels informatiques
2.5. Dossier de prise en charge des Affections de Longue Durée hors liste des oligodonties
2.5.1. Définition
2.5.2. Dossier de prise en charge
2.5.3. Actes pris en charge
3. Prise de décision et moyens thérapeutiques
3.1. Objectifs de traitement
3.2. Critères décisionnels
3.3. Les différentes options thérapeutiques
3.3.1. Maintien des dents temporaires
3.3.2. Acceptation de l’espace et abstention thérapeutique
3.3.3. Fermeture orthodontique des espaces
3.3.4. Gestion orthodontique des espaces et remplacement des dents manquantes
3.3.4.1. Autotransplantation
3.3.4.2. Prothèses implantaires
3.3.4.3. Bridges
3.3.4.4. Prothèse amovible
3.4. Choix thérapeutique, arbres décisionnels
3.4.1. Diagramme décisionnel général
3.4.2. Cas de l’agénésie isolée des incisives latérales maxillaires
Conclusion
Bibliographie

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