Notions fondamentales sur la modélisation de la rupture des failles

La roche : un solide élastique ?

Pour modéliser la rupture sismique, il faut adopter un modèle pour décrire le comportement du milieu rocheux et un modèle pour décrire les phénomènes physiques ayant lieu sur la faille. Nous nous intéressons dans ce paragraphe à la modélisation du milieu rocheux. Dans ce travail, il est considéré comme un solide élastique linéaire. Ceci reste une approximation car selon les conditions de température et de pression, et l’intensité des contraintes qu’elles subissent, les roches peuvent se comporter de manière non-linéaire, adopter un comportement plastique ou bien atteindre leur limite de fragilité. Ces effets sont ignorés ici et on considère que le milieu rocheux reste élastique et linéaire tout au long du processus de rupture. En fait, il est évident qu’au niveau de la faille, lors de la propagation d’une rupture sismique, les roches subissent des processus non-élastiques, dus par exemple aux violentes variations de contraintes ou à de brusques hausses de température dues à l’énergie thermique relâchée par des phénomènes de friction. Cependant, on considère que le milieu est intègre et élastique jusqu’au plan de faille. Les effets dus aux phénomènes non-élastiques, en particulier ceux qui participent à la propagation de la rupture, sont en partie englobés dans la loi de friction, qui joue un rôle de condition aux limites sur la faille pour le matériau élastique. La validité de cette description dépend de l’échelle d’observation. Elle est valable à partir du moment où les phénomènes non-élastiques se produisent dans un volume suffisamment petit qui à l’échelle du milieu peut être apparenté à la surface de faille. Les autres phénomènes qui ne seraient pas confinés dans ce « plan » sont ignorés dans cette étude.

Les lois physiques qui permettent de modéliser le comportement d’un solide élastique sont rappelées brièvement ici. Elle pourront être retrouvées dans tout les manuels de mécanique des milieux continus, avec leur démonstration. On utilise les coordonnées cartésiennes. Le champ des déplacements est noté u(x, y, z, t) et le champ des vitesses est noté v(x, y, z, t). Le tenseur des contraintes est noté σ(x, y, z, t). Dans cette notation, la composante σij est la composante dans la direction j de la force appliquée sur une surface unitaire de normale i . La masse volumique est notée ρ. On commence par exposer les lois de conservation sous leur forme locale :

La conservation du moment angulaire assure que le tenseur des contraintes est symétrique :

σ = σT (1.1)

Friction et lois de frottement

Expériences d’Amontons

La surface de faille est considérée comme une zone de friction entre les deux cotés de la faille. Ainsi, la description et la modélisation de la friction sont d’importance dans la modélisation de la source sismique. On utilise, pour modéliser la friction, des lois de frottement qui décrivent la force appliquée sur un solide par un autre solide avec lequel il est en contact, en fonction d’un certain nombre de paramètres. Elle sont déterminées de manière empirique. Une des premières descriptions d’expériences ayant pour but de mesurer des forces de frottement se trouve dans Amontons (1699). Des plaques de différents matériaux sont posées sur une base dont le matériau peut aussi être changé. Un lubrifiant, du « vieux-oingt » est appliqué. Un ressort applique une force verticale sur la plaque supérieure. La force nécessaire pour mettre en mouvement la plaque mobile est mesurée. L’auteur conclut que la plaque est mise en mouvement à partir d’une valeur seuil de la force de frottement Ts, et que celle-ci ne dépend pas de l’aire de la surface de contact, et est proportionnelle à la valeur de la force normale N. Ensuite, la résistance au mouvement est une force tangentielle Td, égale à Ts. Le coefficient de frottement µ est défini par :

µ = T/N (1.13)

L’auteur avance une explication liée à la rugosité des surfaces à petite échelle en expliquant qu’il faut une force suffisante pour soulever la plaque et permettre aux aspérités de passer les unes par dessus les autres. Trois siècles plus tard, nous décrivons toujours la friction grâce au coefficient de frottement. Mais il a été montré qu’en général, la force nécessaire à la mise en mouvement est supérieure à la résistance au mouvement ensuite subie, c’est à dire : µs > µd. De plus, la plupart du temps µs dépend du temps de contact entre les deux solides avant l’application de la force. L’interface entre les deux solides vieillit et se renforce généralement avec le temps. Enfin, le coefficient µd est rarement constant, et peut dépendre de la vitesse ou de la quantité de glissement (Baumberger et Caroli (2006)). Les lois de friction permettent d’introduire ces dépendances. Il en existe deux formes couramment utilisées lors de la modélisation des tremblements de terre. La première classe de loi permet de prendre en compte le vieillissement en introduisant une variable d’état de la surface et les dépendances par rapport à la vitesse de glissement. Elles sont dites lois rate and state en anglais. Les deuxièmes lois couramment utilisées dans la modélisation des ruptures dynamiques prennent en compte la dépendance du coefficient de frottement avec la quantité de glissement ; elles sont dites slip-dependent en anglais.

Lois dépendantes de l’état de l’interface et de la vitesse de glissement

Des études expérimentales sur la friction des roches (Dieterich (1979)) ont montré que le coefficient de friction statique dépend de manière logarithmique du temps de contact t. La dépendance à la vitesse de glissement, que l’on note δv, est quand à elle décroissante (dans la plupart des cas) et elle est aussi logarithmique. L’hypothèse sous-jacente est que plus les microcontacts à l’interface restent longtemps en contact, plus ils se renforcent. Ceci pourrait être expliqué par un fluage des aspérités à longue échelle de temps qui augmenterait la surface réelle de contact, ce qui renforce l’interface. De manière plus hypothétique, cela explique aussi la dépendance en vitesse, puisque quand la vitesse de glissement augmente, les rugosités restent en contact moins longtemps et donc l’interface est plus faible. Dans des expériences présentant des sauts de vitesses, c’est-à-dire où l’on fait subir à l’échantillon un brusque changement de vitesse de glissement, le changement de coefficient de friction associé n’est pas instantané. Au contraire, au moment du changement de vitesse, par exemple une augmentation, il subit une brusque augmentation avant de redescendre à sa valeur stable, inférieure à la valeur initiale . La décroissance est exponentielle et se fait sur une distance de glissement critique dc qui ne dépend pas de la vitesse de glissement, mais dépend de la rugosité de l’interface. Rice et Ruina (Ruina (1983)), sans chercher à connaître plus avant les processus microscopiques qui peuvent expliquer ces comportements, introduisent une notion de variable d’état de l’interface qui dépend du temps θ(t). Cette variable d’état permet d’exprimer le fait que la valeur du coefficient de friction à un instant t dépend de l’histoire de son chargement. Il faut alors exprimer le coefficient de friction et les variations temporelles de θ en fonction de δv et θ.

Lois dépendantes du glissement

Les lois dépendantes du glissement ont l’avantage d’être plus simples que les lois qui prennent en compte l’état de la surface et la vitesse de glissement. Elles décrivent le coefficient de frottement µ comme dépendant uniquement de la quantité de glissement δu depuis la mise en mouvement. Pour éviter des discontinuités dans la description de la contrainte, la valeur en 0 correspond au coefficient de frottement stable µs. Ensuite, sa valeur évolue jusqu’à se stabiliser à la valeur du coefficient de friction dynamique µd, pour une certaine valeur du glissement Dc. Le coefficient dynamique étant plus faible que le coefficient statique, cette évolution est généralement décroissante. On appelle alors ces lois des lois en affaiblissement. Les lois les plus simples présentent un affaiblissement linéaire .

Lorsqu’on cherche à modéliser uniquement la partie co-sismique du cycle sismique sur les failles, c’est-à-dire le processus de rupture dynamique, il semble que les lois qui s’affaiblissent avec le glissement soient satisfaisantes. Cette description est justifiée par des mesures en laboratoire de friction des roches à grandes vitesses, qui se rapprochent des vitesses de glissement lors des ruptures sismiques (Ohnaka et Shen (1999)). Ces expériences montrent bien un comportement en affaiblissement, avec une longueur caractéristique d’affaiblissement Dc qui dépend de la rugosité des surfaces.

Par ailleurs, Bizzarri et Cocco (2003) ont montré dans un travail numérique que les lois qui prennent en compte la vitesse de glissement et l’état de l’interface mènent à des comportements en affaiblissement avec le glissement pendant la propagation de la rupture sismique. Les paramètres qui caractérisent ces lois de glissement dépendent de l’état de la surface au moment où commence le processus de rupture, mais pendant celle-ci la relation entre les forces et le glissement revient à une loi simple en affaiblissement. Sous certaines conditions, Rubin et Ampuero (2005) ont montré que ceci est aussi valable durant la phase d’initiation de la rupture. Pour cela, il faut que les dimensions de la zone glissante soient maintenues constantes et que les effets de dépendance à la vitesse soient négligeables par rapport aux effets de long terme dans la loi décrite par l’équation (1.14), c’est à dire a ≪ b. Dans le modèle numérique que nous utilisons, c’est donc une loi en affaiblissement avec le glissement qui sera utilisée.

Description théorique des ruptures

Approche statique 

La compréhension des phénomènes de rupture ou de fracture a d’abord intéressé les ingénieurs qui souhaitent savoir dans quelles conditions un matériau comportant une fissure risque de se briser complètement par agrandissement soudain de cette fissure à travers toute la pièce mécanique. Griffith en 1920 aborde cette problématique d’un point de vue énergétique. Il introduit une énergie surfacique de fracturation Γ, qu’il considère comme une énergie potentielle de surface. À part dans le cas où on considère le processus de fracturation à l’échelle atomique, cette énergie surfacique ne doit pas être considérée comme l’énergie libre de surface proprement dite. Elle traduit plutôt le fait qu’il est nécessaire, pour briser un matériau, de dépenser une certaine quantité d’énergie dans des phénomènes dissipatifs et irréversibles. Par conséquent c’est une énergie qui ne peut être restituée et qui est considérée comme stockée par la surface de rupture nouvellement créée. L’intérêt de cette description est qu’elle ne nécessite pas de préciser quels sont exactement ces phénomènes. Elle établit que pour créer une fissure de surface A ou agrandir une fissure préexistante de A, le système va consommer une quantité d’énergie égale à 2AΓ. Le facteur 2 provient du fait que deux surfaces rompues sont créées, de part et d’autre du plan de la fissure. Afin d’obtenir un bilan énergétique, il faut ensuite considérer l’énergie potentielle élastique de déformation du matériau, Ee, ainsi que le potentiel dont découlent les forces extérieures qui chargent le matériau, Ef . Ces deux quantités dépendent des dimensions de la fissure, puisque celle-ci influe sur le champ de déformation aussi bien à l’intérieur du matériau qu’à ses bords, où s’appliquent les forces extérieures. Notons qu’on ne considère ici que des systèmes à l’équilibre statique, et qui évoluent de manière quasi-statique. On peut donc écrire l’énergie potentielle totale du système :

U(A) = Ee(A) + Ef (A) + 2AΓ (1.17)

Le système est à la limite de l’instabilité lorsque il se trouve à un maximum de potentiel. Dans ce cas, la moindre augmentation de la surface de la fissure A est favorisée car elle conduit à abaisser l’énergie potentielle du système. Cela permet de définir une dimension critique pour la fissure. Quand la fissure devient instable et se propage, la description perd sa validité car elle ne concerne que des systèmes à l’équilibre statique. Le bilan énergétique de l’équation 1.17, qui ne prend en compte aucune énergie cinétique, ne peut plus être utilisé. Pour prendre en compte les effets dynamiques et la friction sur la faille, il faut faire un bilan des variations temporelles instantanées d’énergie (voir par exemple Scholz (2002), et section suivante).

Rupture en propagation à vitesses constante

Facteur d’intensité des contraintes

Cette description de la mécanique des ruptures abandonne le critère énergétique comme condition à l’agrandissement d’une fissure. À la place, il met en avant un critère mécanique de résistance du matériau, en statuant qu’une rupture s’agrandit si les contraintes à sa pointe dépassent une certaine valeur seuil ; après quoi le matériau se brise. Cette description est cohérente avec les lois de frottement qui décrivent la rupture d’une interface de friction. En effet, les lois de friction présentent elles aussi un seuil à partir duquel l’interface lâche et le glissement se met en place. Pour pouvoir utiliser ce critère de rupture, il faut exprimer le champ de contrainte au niveau des extrémités des fissures. À cause de la discontinuité introduite par la fracture, une singularité du champ de contrainte apparaît à son extrémité lorsqu’il est calculé grâce à l’élastodynamique. Cette situation, d’un point de vue physique, n’est pas réaliste. De plus, cette contrainte infinie conduirait dans tous les cas à une propagation de la rupture : il n’y aurait aucune fissure stable. En fait, dans une petite zone autour de l’extrémité de la fissure, le matériau perd ses propriétés élastiques ; des phénomènes non-linéaire (micro-fracturation, plasticité) ont lieu, qui endommagent le matériau. Cependant, hors de cette zone, le matériau peut être décrit par les champs de contrainte et de déplacement déduits de l’élasto dynamique. L’intensité de la singularité est décrite par K, le facteur d’intensité des contraintes. Si K dépasse une certaine valeur seuil, alors les phénomènes non élastiques conduisent à la rupture de la zone entourant l’extrémité de la fissure, et à la propagation de la fissure.

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Table des matières

INTRODUCTION
I La dynamique de la rupture des failles
Chapitre 1 : Notions fondamentales sur la modélisation de la rupture des failles
1.1 La roche : un solide élastique ?
1.2 Friction et lois de frottement
1.2.1 Expériences d’Amontons
1.2.2 Lois dépendantes de l’état de l’interface et de la vitesse de glissement
1.2.3 Lois dépendantes du glissement
1.3 Description théorique des ruptures
1.3.1 Approche statique
1.3.2 Rupture en propagation à vitesses constante
1.3.2.1 Facteur d’intensité des contraintes
1.3.2.2 Résultats sur les vitesses plausibles de propagation des ruptures à vitesse constante
1.3.2.3 Sur l’énergie de fracturation
1.3.3 Ruptures à vitesses de propagation variables
Chapitre 2 : Observations sismologiques de la rupture des failles
2.1 Nucléation et vitesses de propagation
2.1.1 Nucléation
2.1.2 Vitesses de propagation
2.2 Estimation des paramètres de la source grâce aux données sismologiques
2.3 Effet de l’échelle d’observation
II Étude numérique : homogénéisation des hétérogénéités de petite échelle par création de lois de frottement effectives
Chapitre 3 : Notions fondamentales et théoriques nécessaires à la compréhension du processus d’homogénéisation par utilisation de lois effectives
3.1 Description théorique de la nucléation
3.1.1 Résolution du problème de l’initiation tri-dimensionnelle sur une faille infinie homogène
3.1.2 Effet de la finitude des failles ou de leur hétérogénéité sur le processus d’initiation
3.1.3 Le mode dominant
3.2 Description du code numérique utilisé
Chapitre 4 : Lois de friction effectives pour l’homogénéisation des hétérogénéités de petite échelle dans la rupture dynamique tri-dimensionnelle
4.1 Introduction
4.2 Heterogeneous and Equivalent Problems
4.3 Spectral Construction of the Effective Friction Law
4.4 One Scale Heterogeneous Fault
4.4.1 Numerical Model
4.4.2 The Effective Law
4.4.3 Efficiency of the Effective Friction Law
4.5 Two-Scale Heterogeneous Faults
4.5.1 Regular Heterogeneity at Both Scales
4.5.2 Uneven Distribution of the Large Scale Heterogeneity
4.5.3 Uneven Distributions at Both Scales of Heterogeneity
4.6 Discussion
4.6.1 Heterogeneity of Initial Stress Level
4.6.2 Propagation stage of the rupture
4.6.3 Limits of the Use of Effective Friction
4.7 Conclusion
III Étude expérimentale : friction de solides mous imagée par interférométrie des tavelures ultrasonores
Chapitre 5 : Description du dispositif expérimental et de la méthode d’imagerie
5.1 Expériences antérieures de visualisation de la rupture d’une interface de friction
5.2 Dispositif expérimental
5.3 Imagerie par interférométrie ultrasonore
Chapitre 6: Étude de la friction des gels hydro-organiques sur du papier de verre
6.1 Observations expérimentales d’évènements de décrochage
6.2 Étude statistique sur les évènements de décrochage
6.2.1 Construction du catalogue
6.2.2 Statistiques spatiales sur les évènements de décrochage
6.2.3 Statistiques temporelles sur les évènements de décrochage
Chapitre 7: Étude de la friction des gels hydro-organiques sur du verre avec une monocouche de sable intermédiaire
7.1 Observation de ruptures dynamiques intersoniques
7.2 Effet d’hétérogénéités sur la surface de friction
CONCLUSION
IV Annexes

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