NOTIONS DE PATRIMOINE ET DE PATRIMOINE DOCUMENTAIRE

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Patrimoine écrit et graphique

Le patrimoine écrit et graphique relève du patrimoine documentaire en général. Il englobe tous types de documents dont le point commun est l’inscription, c’est-à-dire la trace écrite ou gravée. Le concept de documents graphiques comprend « des objets aussi divers que les livres, les manuscrits, les dessins, les estampes, les affiches, les cartes et les plans. Ils sont constitués principalement de matériaux organiques d’origine végétale (papier, écorce), animale (cuir, parchemin), minérale (métaux, pierres précieuses), monnaies et médailles, courbes, diagramme ou plus récemment synthétique (films). Ils peuvent être plans ou tridimensionnels. Ils sont également définis par la technique utilisée pour transmettre leur message (manuscrit, imprimé, dessin, etc.) »100.
Le patrimoine écrit et graphique a depuis toujours été consigné sur plusieurs types de supports. En effet, depuis le début de l’humanité, l’homme a tracé des signes sur toutes sortes de supports (pierre, os, ivoire, argile, métaux, bois, écorces et feuilles, soie). L’utilisation de tels types de supports ne permettait pas à l’époque des conditions de conservation optimales. Le cadre d’usage de ces anciens supports était bien défini ; en effet « l’argile fraîche était utilisée pour graver les signes cunéiformes chez les Chaldéens. Le bois, sous forme de tablette recouverte de cire, de craie ou de plâtre, était connu des Hébreux et des Grecs au IXe siècle avant notre ère. La soie était utilisée en Chine avant le papier. Les feuilles des arbres, séchées et frottées d’huile, ont été employées par les Egyptiens et par les Indiens (feuilles de palmier). Les écorces d’arbres ont été employées presque partout dans le monde (…) »101.
Pendant toute l’Antiquité le support de l’écriture le plus utilisé était le papyrus. Au Moyen Age, comme nous l’avons indiqué plus haut, le parchemin était le support le plus courant de l’écriture en Europe où il a remplacé le papyrus dès le IIIe ou IVe siècle, jusqu’à l’invention de l’imprimerie au XVe siècle. Ensuite, vient l’ère du papier.
Les établissements chargés de la gestion et de la conservation du patrimoine écrit et graphique sont les bibliothèques publiques ou privées, les services d’archives nationales, départementales et municipales, les musées, les centres de documentation, les établissements d’enseignement (universités, écoles, etc.), les associations, les sociétés savantes et institutions religieuses. Notre étude du patrimoine écrit et graphique est axée sur les mesures préventives en termes de conservation et de conditionnement que les institutions chargées de garder ce patrimoine doivent mettre en œuvre afin de garantir sa pérennité ; nous y reviendrons dans l’étude de la conservation. L’une des missions essentielles d’un service d’archives, d’une bibliothèque ou d’un établissement quelconque de conservation du patrimoine est de rendre accessibles et de communiquer les documents dont il a la garde, afin que le patrimoine reste vivant et puisse faire l’objet de recherche et d’enrichissement. Cette mission n’est en effet possible que si une bonne politique de conservation et de préservation de ce patrimoine est assurée. Cela permettra sa transmission intacte aux générations futures, car l’avenir d’une nation, d’un peuple ou d’une communauté ne saurait s’envisager sans la connaissance de son passé.
Ces deux missions semblent être à première vue antagonistes : comment communiquer sans dégrader, comment conserver en communiquant ? Pour pouvoir remplir ces deux missions dans des conditions satisfaisantes, il est nécessaire d’élaborer une politique de préservation à long terme dont l’objectif est de prévenir, d’arrêter ou de retarder la détérioration des documents et, si nécessaire, d’améliorer leurs conditions de conservation, ou de préserver au moins le contenu des documents sous la forme de documents de substitution. L’état de conservation des fonds écrits comme graphiques a malheureusement souvent tendance à se détériorer par la conjugaison de plusieurs facteurs : utilisation, négligence et manipulation inadéquate, conditions environnementales mal contrôlées et modes d’entreposage inappropriés. A cela s’ajoute la moins grande durabilité des matériaux modernes de conservation tels que : papiers et reliures fabriqués à partir de XIXe siècle. A titre d’exemple, on peut citer : les documents manuscrits, les photographies.

Champ et typologies du patrimoine documentaire

Généralités : séries et collections

Dans ce patrimoine documentaire, qui est essentiellement relatif aux fonds d’archives, aux fonds patrimoniaux, aux collections des bibliothèques, etc., on peut recenser plusieurs types et caractéristiques. Ils englobent les supports physiques et traditionnels (parchemin, papier), les supports audiovisuels (bandes magnétiques, cédérom, dévédérom, etc.) et les supports numériques (bases de données, site web, serveurs de sauvegarde de données, etc.).
Pour les fonds d’archives, l’identification des types de documents dépendra des institutions productrices des archives, du contexte de leur production et de leurs objets. Si on considère les fonds d’archives relatifs à l’esclavage conservés aux Archives nationales du Sénégal, on peut identifier plusieurs types de documents qui relèvent de cette activité. La série K consacrée à « l’Esclavage, la Captivité, au Travail et à la Main d’œuvre », regroupe des fonds d’archives antérieurs à 1920 (1807-1915) et d’autres postérieurs à 1920. Les types de documents gérés dans la série K traitent « de la situation générale des captifs en Afrique Occidentale Française (AOF), de leurs relations avec les maîtres, de l’abolition de l’esclavage, de sa répression et de la tutelle des mineurs délivrés de la captivité, etc. »102. Dans cette série, on retrouve aussi des documents concernant des rapports, des correspondances administratives des chefs de cercle adressées au directeur des Affaires politiques, des relevés d’arrêtés rendus par la Cour d’appel du Sénégal pour des faits de traite de noirs, de détournement et de séquestration de personnes depuis 1831. L’organisation des grandes typologies de documents constituant la série K reflète en effet les structures administratives qui avaient été mises en place pour mener à bien l’activité de l’esclavage en Afrique. Les sous-séries composant la série K renferment des pièces d’archives relatives à la Commission chargée de la répartition de l’indemnité accordées aux propriétaires des anciens captifs, des clauses des traités avec les chefs indigènes et de la législation sur les captifs dans les territoires de la Sénégambie et du Niger103. On y trouve aussi tout ce qui relève de la règlementation : circulaires, questionnaires, rapports, etc. concernant des enquêtes sur la répression de la captivité en AOF, la tutelle des mineurs délivrés de la condition de captivité104. D’autres fonds des Archives nationales du Sénégal concernant l’esclavage traitent des institutions judiciaires que les autorités de la traite des esclaves avaient créées pour mieux assoir leurs pouvoirs. C’est au travers des supports documentaires constituant les séries M et N, relatives respectivement aux « Tribunaux judiciaires (1819-1920) » et aux « Tribunaux des contentieux administratifs (1828-1920) », que l’on peut retracer l’histoire de ces institutions judiciaires. Pour la série M, ses différentes sous-séries sont composées, entre autres, des procès-verbaux des séances d’audience, des transactions du Conseil de tutelle des enfants mâles, mineurs et sans parents105, des règlementations de la justice indigène, de ses principes, etc.106. Quant à la série N, elle est constituée des fonds d’archives du Conseil du contentieux administratif, encore appelé Conseil privé du Sénégal107. Ce tribunal « a été créé en 1828 et réorganisé en 1881. Il juge des litiges entre l’administration et des tiers. Ces litiges sont de tous ordres ; on y trouve ceux qui sont relatifs à la captivité, au commerce, aux successions et à la fiscalité (…) »108.

Exemples de patrimoines documentaires et questions de conservation

Champ de la tradition manuscrite : actualité d’un problème de sauvegarde

Au-delà des fonds traditionnels d’archives, des bibliothèques traditionnelles de la lecture publique, le champ du patrimoine documentaire recouvre d’autres trésors très méconnus ou inaccessibles aux publics. A titre d’exemple, on peut reprendre celui « les manuscrits de Tombouctou ». La cité de Tombouctou se trouve à l’orée du Sahara et à quelques encablures du fleuve Niger. Elle a longtemps été une cité fermée aux Européens. Carrefour commercial à l’époque des caravanes, Tombouctou fut aussi le siège d’une intense vie intellectuelle. En effet, au cours de cet âge d’or, des milliers de livres ont été écrits à la main puis abandonnés à la poussière du désert. L’exhumation de ces manuscrits a été entamée depuis quelques années. La découverte de ce trésor jusque-là méconnu fait dire à Jean-Michel passionnante histoire de l’Afrique jusqu’à présent ignorée »139. La progressive découverte de ces vieux manuscrits, dont certains remontent au XIIIe siècle, est en passe de devenir maintenant un enjeu historique, voire politique pour la préservation du patrimoine documentaire africain.
La volumétrie de ces fonds manuscrits est évaluée par l’Unesco à plus de 15 000 documents exhumés et répertoriés. Selon Jean-Michel Djian plus de 80 000 autres manuscrits dorment encore quelque part dans des malles ou au fond des greniers de la ville mythique de Tombouctou. Ces précieux écrits qui firent la gloire de la vallée du fleuve Niger entre le XIIIe et le XIXe siècle, sont menacés de décomposition et de pillage par des trafiquants. Selon l’article, toujours, du journaliste du Monde Diplomatique « de rarissimes ouvrages, écrits en langue arabe, parfois en Fulani (Peul)140 par des érudits originaires de l’ancien empire du qui se les arrachent ». Ce risque de perte d’une bonne partie de ce trésor à cause de trafics et de spéculations fait dire au chef de la mission culturelle de Tombouctou, M. Ali Ould Sidi que les manuscrits dont sont dépositaires les habitants doivent être identifiés, protégés, restaurés, sinon Tombouctou se verra dépecée de sa mémoire écrite. Une mémoire dont on ne soupçonne pas la portée »141. Ce trafic commercial des manuscrits de Tombouctou avait déjà été souligné par Léon l’Africain142, à son retour de périple d’exploration des futurs Mali et Mauritanie, dans son ouvrage « Description de l’Afrique », quand il écrivait en 1550 : « (…) à Tombouctou, le commerce du livre est de loin plus lucratif que celui de n’importe quelle marchandise (…) ».
Cependant, compte tenu de la situation géopolitique instable qui prévaut actuellement (en 2012) dans la région du Sahel, il sera nécessaire de réfléchir aux conséquences que celle-ci pourrait avoir sur le précieux patrimoine documentaire de Tombouctou.
Les conclusions que l’on peut tirer de cette situation sont la nécessité de trouver des moyens d’établir des copies de sauvegarde du patrimoine documentaire de Tombouctou. La dématérialisation s’avère comme le moyen le plus efficace pour leur pérennisation dans le temps, tout au moins de leurs contenus textuels et graphiques.
Pour continuer dans ce panorama des différentes catégories de documents intéressant le patrimoine documentaire et qui pourrait préfigurer les rubriques d’un site Web, par exemple, nous évoquerons trois exemples supplémentaires qui se rapportent à l’oralité, à l’art et la l’urbanisme.

Frédéric Bruly Bouabré ou le Champollion africain

Si nous avons choisi d’évoquer l’artiste ivoirien Frédéric Bruly Bouabré dans le cadre de ce point sur le champ du patrimoine, c’est pour montrer la particularité qui caractérise son œuvre et illustrer la diversité des documents susceptibles d’être pris en compte dans une histoire africaine attentive à toutes ses expressions. Bouabré est né vers 1923 en Côte d’Ivoire dans le village de Zépréguhé près de Daloa, l’une des villes principales du pays Bété149.
D’autres sources disent que Frédéric Bruly Bouabré est une déformation de son vrai nom (Gbeuly Gboagbré) et qu’il serait plutôt né en 1919. Selon André Magnin150 Bruly Bouabré est à la fois « poète, écrivain, conteur, inventeur, révélateur, penseur, religieux, pédagogue, archiviste, « scientiste », dessinateur, artiste, dernier des encyclopédistes »151.
Contrairement à la tradition orale qui caractérise souvent le patrimoine documentaire africain, Frédéric Bruly Bouabré, quand à lui, choisit l’écriture comme mode d’expression artistique. Bruly Bouabré a inventé un « nouvel alphabet ouest-africain », appelé précisément alphabet bété » au travers de ses dessins, réalisés sur papier cartonné aux crayons de couleurs et au stylo bille. La spécificité de son art réside dans le fait qu’avec des matériels rudimentaires, il réussit à inventer des œuvres artistiques qui sont maintenant reconnues mondialement. En effet, comme le fait remarquer l’écrivain et photographe, Philippe Bordas : à partir du sol de sa terre – des petits cailloux noirs aux formes et aux reliefs singuliers –, Bruly a donné une représentation graphique à une langue vernaculaire, la sienne, parlé dans l’ouest de la Cote d’Ivoire. Il n’a pas inventé dans sa langue, il a inventé l’écriture même : l’alphabet bété » 152. Le monde occidental en général et européen en particulier découvre réellement son œuvre lors de l’exposition « Les Magiciens de la Terre » en 1989 à Paris.
L’œuvre artistique de Frédéric Bruly Bouabré est aussi empreinte d’un certain mysticisme religieux qui voudrait que l’origine de ses dons artistiques soit liée à sa propre existence. En effet, « c’est un matin de mars 19́8 sur le chemin de son travail que Dieu se révélera à ses yeux. Bouabré voit le soleil se démultiplier en sept, d’autant de couleurs différentes (…). Il comprend aussitôt la responsabilité de cette céleste vision » 153. Bruly Bouabré aura une confirmation de sa révélation quatre années plus tard, car selon Cédric Vincent « en avril 1952, une apparition de la Vierge sous la forme d’une statue marque une nouvelle étape : « D’elle j’ai reçu l’ordre de professer à part son nouveau culte et sa nouvelle religion ». La religion sera baptisée l’Ordre des Persécutés en 195́, toujours par révélation »154. C’est pourquoi les thèmes de sacralisation sont très présents dans les écrits de Bouabré.
En ce qui concerne l’aspect documentaire qui nous intéresse plus ici, on constate qu’à travers les dessins de Bruly Bouabré que nous avons regardés sur le site du Musée virtuel canadien155, chaque dessin est accompagné d’une légende et des textes qui décrivent plus ou moins la pensée de l’artiste. Ses dessins font aussi apparaître son attachement à ses origines de « tradition krou ». En guise d’exemple, l’artiste met en exergue le culte de la personnalité comme c’est illustré sur le dessin « Bagnon » qui, littéralement traduit, signifie « bel homme ». C’est en effet « le culte du bel homme élu sur la base des canons esthétiques déjà préétablis et mis en relief dans l’œuvre de l’artiste. Ainsi le Bagnon se distingue par une haute taille, une forme svelte, un teint noir, bronzé ou clair, de beaux yeux, un front large, un beau nez (…) »156.

Conservation : milieu tempéré et milieu tropical

L’obsolescence rapide des supports et des technologies de l’information fait de la sauvegarde du patrimoine, surtout écrit et graphique, une affaire de spécialistes. Dans le même temps, la participation de l’ensemble des professionnels des bibliothèques et des archives, comme la sensibilisation des décideurs, des professionnels, des utilisateurs et du grand public aux nouveaux problèmes de sauvegarde sont devenues indispensables. Une bonne politique de préservation doit garantir l’accessibilité à l’information et minimiser les dégradations des documents. La préservation fait ainsi partie de la responsabilité de base de tout service d’archives et de toute bibliothèque conservant des fonds patrimoniaux en général.
D’une approche de conservation traditionnelle et classique du document, il faudra aller vers une approche globale des besoins de conservation des collections du patrimoine écrit et graphique. En effet, longtemps, la préservation a été limitée à la conservation et à la restauration des documents anciens, rares et précieux (comme les anciens fonds patrimoniaux des bibliothèques). Ces documents faisaient l’objet d’une attention particulière de la part des professionnels des métiers de l’information-documentation (archivistes, bibliothécaires, etc.). Devant l’étendue des altérations dues à l’augmentation de la consultation des fonds patrimoniaux, au non respect des recommandations en matière de conservation et à la mauvaise qualité des matériaux constituant les documents, le domaine d’application du concept de préservation s’est considérablement élargi. Le nouvel objectif des professionnels doit désormais être de privilégier un traitement préventif afin de diminuer la nécessité de traitements souvent lourds, de minimiser les interventions au niveau du support et de pouvoir traiter un nombre plus important de fonds.
Depuis quelques décennies, « on est passé de l’évaluation de l’étendue des dégradations à la mise en place de programmes de préservation. De nombreuses enquêtes ont été ainsi réalisées pour évaluer le nombre total de documents en danger. Les résultats de ces enquêtes sont alarmants, montrant que des dizaines de millions de documents d’archives ou de bibliothèques sont en danger à court ou moyen terme, faute de mesures de prévention ou de traitements adaptés »158. La situation de conservation catastrophique des millions de documents d’archives ou de bibliothèques constatée par ces enquêtes est encore plus perceptible dans des milieux aux climats tropicaux. Dans ces climats comme en Afrique subsaharienne ou les pays des Caraïbes, la conservation du patrimoine écrit et graphique (essentiellement constitué d’archives papier, documents manuscrits, anciennes collections patrimoniales des bibliothèques, etc.) est exposée à une dégradation de ses supports à cause des conditions climatiques souvent très humides, d’attaques d’insectes, de rongeurs, de moisissures, etc. et des moyens matériels de conditionnement qui manquent souvent.
Face aux risques de dégradation auxquels sont exposés certains fonds écrits et graphiques, des politiques de préservation doivent désormais occuper une place de choix dans les missions des services d’archives et des bibliothèques. La préservation doit ainsi être assimilée au management au plus haut niveau d’un service de gestion et de conservation du patrimoine documentaire. Les programmes de préservation doivent représenter un bon pourcentage dans le budget général de l’établissement. Il faut préciser que le terme de préservation est utilisé pour désigner l’organisation et la programmation de toutes les activités touchant à la conservation des collections documentaires au sens large. Le concept de préservation englobe la conservation préventive dont l’objectif est de mettre en œuvre un ensemble de mesures pour diminuer les risques de dégradations : contrôle de l’environnement, entretien régulier et protection des collections par un conditionnement adéquat et l’utilisation de systèmes antivol, constitution de documents de substitution (microfilms, numérisation) pour soustraire les documents originaux à une consultation trop fréquente et souvent maladroite.
La réussite d’un programme de préservation suppose une bonne connaissance des facteurs de dégradation des documents. Cette connaissance permet de mieux définir et de mettre en œuvre une bonne politique de conservation préventive. Ces précautions préventives sont d’autant plus nécessaires quand il s’agit de faire un prêt de documents pour des expositions à l’extérieur. Car tout prêt en général présente un danger potentiel supplémentaire pour la préservation des documents. Les mesures scientifiques préconisées pour le prêt des documents originaux se résument comme suit : « réalisation d’un constat d’état au départ et à la réception des documents, convoiement des documents à l’aller comme au retour par un archiviste ou un restaurateur, établissement d’un contrat d’assurance par l’emprunteur, mise en place des mesures de conditionnement et de climat strictes pour le transport, respect des normes climatiques pendant l’exposition, utilisation de matériaux chimiquement stables pour l’emballage, le transport et pendant l’exposition »159.
La conservation préventive doit être prise en compte à toutes les étapes de la chaîne du traitement archivistique, qui est résumée par la théorie des quatre « C » en : collecter, classer, conserver et communiquer. La politique de conservation préventive doit d’abord établir les objectifs et les priorités en fonction de l’état d’altération, de la fréquence de communication et de la valeur du document, puis de déterminer le budget pour réaliser les mesures nécessaires à la bonne conservation, enfin de passer à l’action dans un souci de cohérence et de logique.
Certes, la diminution des facteurs de dégradation est l’objectif final de tout programme de préservation du patrimoine, mais la politique de conservation préventive doit être adaptée à la situation spécifique de chaque institution. En effet, si le patrimoine qu’on gère et conserve dans un service d’archives comme dans une bibliothèque relève du patrimoine documentaire en général, les caractéristiques et les typologies de celui peuvent être différentes en raison de la nature des supports des documents des fonds de ces deux établissements. Car les mesures de conservation préventive qu’on doit prendre pour les fonds d’archives ne peuvent pas être les mêmes que celles des collections patrimoniales ou de la lecture publique. Cela s’explique par le fait que les conséquences que produisent les causes de dégradation sur les documents d’archives (feuilles, liasses, dossiers, etc.) ne sont pas identiques à celles qu’elles produisent sur les monographies. Les programmes de préservation dépendront ainsi de nombreux facteurs qui devront être analysés au préalable et selon les réalités et spécificités des établissements de gestion et de conservation du patrimoine. L’Instruction de l’ex Direction des Archives de France (DAF), devenue Service Interministériel des Archives de France (SIAF) recommande que « pour des raisons de sécurité contre l’incendie, la superficie maximum autorisée pour une salle d’archivage soit de 200 m², que la largeur minimale des couloirs de circulation susceptibles d’être empruntés par les chariots chargés soit de 1,50 m, que la hauteur sous-plafond soit de 2,50 m minimum, que la température soit comprise entre 16°C et 22/23°, voire 25° exceptionnellement avec une variation maxima de 2°C par semaine et d’1° par 2́ heures et que l’hygrométrie soit entre ́5 et 55% »160. La norme ISO 11799 prévoit pour les rayonnages « un espace d’au moins 15 cm entre le sol et la tablette la plus basse. Cette hauteur pourra être augmentée dans les locaux situés au rez-de-chaussée et en sous-sol pour tenir compte des risques d’inondation ».

Le papier : importance et précautions de conservation

Le support papier fut et demeure encore aujourd’hui le moyen de diffusion de l’information documentaire le plus utilisé. Cette situation tend probablement à se renverser d’ici quelques décennies au profit du support numérique, mais le papier reste, néanmoins, la preuve probante aux yeux de la loi de beaucoup de pays, notamment la France. C’est pourquoi l’essentiel des mesures préventives qui seront étudiées dans les paragraphes qui suivent sera consacré au support papier. Mais on s’arrêtera d’abord brièvement sur les caractéristiques spéciales des techniques et substances ayant présidé à la fabrication du papier. En effet, contrairement aux autres supports, la fabrication des différentes sortes de papiers présente le concours d’une importante classe de matériaux intermédiaires. Ces matériaux « peuvent être définis très généralement comme des substances artificielles élaborées à partir de fibres organiques naturelles où domine la cellulose ». C’est ce que Pierre Diaz Pedregal considère comme « le premier paradoxe du papier, tout à la fois produit de la nature et de la technologie ». Un autre paradoxe, relatif aux caractéristiques du papier, soulevé par M.
Diaz Pedregal concerne le fait que c’est « un matériau dont la résistance mécanique est somme toute assez faible (il se froisse et se déchire facilement), dont la cohésion interne des fibres n’est due qu’aux interactions électrostatiques des liaisons hydrogène, capable de traverser les siècles, se révélant ainsi étonnamment durable, s’il est correctement fabriqué et conservé dans de bonnes conditions ».

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Table des matières

PARTIE I. NOTIONS DE PATRIMOINE ET DE PATRIMOINE DOCUMENTAIRE : EVOLUTION ET TRANSFORMATION
Chapitre 1. Patrimoine : des patrimoines et des définitions
1.1. Évolution et élargissement du concept
1.2. Définitions du patrimoine
1.3. Champ et typologies du patrimoine général
Chapitre 2. Patrimoine documentaire
2.1. Le document et sa fonction de mémorisation du patrimoine
2.2. Les types de supports du patrimoine documentaire : bref historique
2.2.1. Du volumen (rouleau) au numérique
2.2.2. Patrimoine écrit et graphique
2.3. Champ et typologies du patrimoine documentaire
2.3.1. Généralités : séries et collections
2.3.2. Patrimoine oral et audiovisuel
2.3.2.1. Patrimoine oral
2.3.2.2. Patrimoine audiovisuel
2.4. Supports numériques
2.5. Exemples de patrimoines documentaires et questions de conservation
2.5.1. Champ de la tradition manuscrite : actualité d’un problème de sauvegarde
2.5.2. Champ de la tradition orale
2.5.3. Frédéric Bruly Bouabré ou le Champollion africain
2.5.4. Patrimoine urbain
2.6. Conservation : milieu tempéré et milieu tropical
2.6.1. Le papier : importance et précautions de conservation
2.6.2. Le document audiovisuel
Chapitre 3. Patrimoine : moyen de construction d’une culture
3.1. Le document et sa fonction de création et d’organisation du patrimoine
3.2. Héritage, identité et culture
PARTIE II. HISTOIRE COLONIALE ET DE L’ESCLAVAGE : ENTRE PATRIMONIALISATION ET LEGISLATION MEMORIELLE
Chapitre 1. Rappel historique des activités de l’esclavage et de la colonisation
1.1. Rappel des périodes les plus marquantes
1.1.1. Esclavage
1.1.2. Colonisation
1.2. Récits des sources d’archives
1.3. Récits des monographies
1.4. Récits des sources graphiques et figurées
Chapitre 2. Regards croisés entre partisans de la patrimonialisation et de la législation mémorielle de l’histoire coloniale et de l’esclavage
2.1. Définition de la patrimonialisation et de la législation mémorielle
2.2. Regards des partisans de la patrimonialisation
2.3. Regards des partisans de la législation mémorielle
2.4. Tentatives d’un consensus entre les deux positions (patrimonialisation et législation mémorielle)
Chapitre 3. Un patrimoine à vocation plutôt culturelle, universelle et consensuelle
3.1. Le rôle culturel et pédagogique du patrimoine documentaire colonial et de l’esclavage .
3.2. Le caractère universel du patrimoine documentaire colonial et de l’esclavage
3.3. La mission des organismes internationaux à vocation culturelle (exemple de l’UNESCO)
3.4. Le rôle que devraient jouer les organismes culturels et éducatifs africains dans la valorisation du patrimoine documentaire colonial et de l’esclavage
PARTIE III. NUMERISATION : MOYEN DE PRESERVATION ET DE VALORISATION DU PATRIMOINE DOCUMENTAIRE COLONIAL ET DE L’ESCLAVAGE
Chapitre 1. Définition des critères de choix des documents à numériser et des questions législatives
1.1. Evaluation de la valeur historique et informative
1.2. Evaluation des menaces de dégradation liées aux conditions de conservation des
documents d’archives
1.3. Etude des conditions d’accès et de la communication des informations
1.4. Préconisations de la législation sur les archives
Chapitre 2. Gestion de projet de numérisation et définition de la chaîne documentaire 
2.1. Définition des objectifs et élaboration du cahier des charges
2.2. Définition des champs et critères de description des documents numériques
2.3. Elaboration théorique d’un modèle de thésaurus documentaire
2.4. Pilotage et reporting
Chapitre 3. Choix du matériel de numérisation, mise en oeuvre opérationnelle et moyen de mise à disposition au public
3.1. Critères de choix des scanners de numérisation
3.2. Critères de choix des logiciels de traitement documentaire des documents numérisés
3.3. Procédures opérationnelles de dématérialisation des documents d’archives
3.4. Base de données, site web et serveur de sauvegarde : moyens d’accès et de sauvegarde du patrimoine numérique colonial et de l’esclavage
PARTIE IV. PATRIMOINE DOCUMENTAIRE ET MEDIATION NUMERIQUE 
Chapitre I. Enjeux documentaires, culturels et sociaux de la médiation numérique
1.1. L’impact de la médiation numérique dans la gestion et le traitement des contenus documentaires
1.2. Les normes de description documentaire des nouveaux supports
1.2.1. Évolution des normes de description des documents numériques
1.2.2. La Folksonomie
1.3. Enjeux culturels : l’exemple des actions pédagogiques et des expositions des services d’archives et bibliothèques
1.3.1. Le document et sa fonction de transmission : des archives à la médiation du patrimoine
Chapitre 2. Evaluation des besoins des usagers en matière d’information numérique
2.1. Les archives au service du citoyen
2.1.1. Enjeux sociaux : l’exemple d’un besoin de retour des descendants d’esclaves sur les itinéraires historiques de leurs ancêtres à travers les fonds d’archives
2.1.2. La généalogie et l’utilisation des outils numériques
2.2. Un questionnaire d’enquête sur l’utilisation des outils numériques dans les institutions de gestion du patrimoine
2.3. Analyse des résultats
Chapitre 3. Accès au patrimoine et conditions documentaires
3.1. Quel patrimoine documentaire pour le public face à l’inflation du document numérique ?
3.2. Médiation numérique et avenir des métiers en information-documentation
3.3. Moyens de la médiation numérique
3.4. Impact des politiques culturelles sur la médiation numérique
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ET SOURCES

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