EPIDEMIOLOGIE
Incidence et mortalité
Selon les données de l’INCa, les cancers des voies aéro-digestives supérieures (VADS) représentaient 14638 cas pour 4098 décès en 2012. Bien qu’ils touchent de manière prépondérante les hommes (74%), leur incidence augmente chez la femme (+1% par an depuis 2005), tandis qu’elle diminue chez l’homme (-5% par an depuis 2005) . Concernant la mortalité, cette évolution inverse ne se retrouve pas, avec une diminution nette chez les hommes (-6.5% par an) et plus faible chez les femmes (-2.2% par an). Les modélisations réalisées à partir des recueils de données du réseau FRANCIM de 1990 à 2005 montraient déjà cette tendance qui se poursuit encore actuellement . Le pic de fréquence se situe entre 50 et 65 ans. Les carcinomes épidermoïdes (CE) représentent 90% de ces cancers.
Facteurs de risque
Les principaux facteurs de risque des cancers des VADS sont le tabagisme, avec une relation dose-effet, le risque étant majeur à partir de 20 PA (RR 10 – 12) et la consommation éthylique, elle aussi avec une relation dose-effet (RR 2 à 4) . Les deux ont un effet synergique avec un risque majeur chez les grands fumeurs et grands buveurs (RR = 15).
L’évolution de la prévalence est principalement liée aux modifications de comportements vis-à-vis de ces deux facteurs. On note en effet, en France, une diminution de la consommation d’alcool constante au cours des ans (diminution de 50% depuis 1960) . La consommation tabagique quotidienne reste quant à elle stable chez les hommes, mais en augmentation significative chez les femmes et plus particulièrement entre 45 et 64 ans, âge où l’incidence des cancers des VADS est la plus forte . Cette recrudescence peut expliquer les changements épidémiologiques précédemment cités.
D’autres facteurs sont parfois évoqués : carences vitaminiques, noix de Bétel, immunosuppression, exposition au nickel ou à l’amiante, mais l’évolution majeure au niveau mondial reste l’émergence des cancers oropharyngés induits par le Human Papilloma Virus (HPV) . Les sérotypes 16 et, dans une moindre mesure, sont les principaux impliqués. Dans certains pays comme les Etats-Unis, la prévalence de carcinomes oropharyngés viro-induits serait proche de 80% . En France, seule une étude multicentrique a été réalisée, retrouvant la présence d’HPV dans 46,5% des cancers oropharyngés et 10% des carcinomes épidermoïdes buccaux, avec une prédominance chez la femme . Cette prévalence varie entre régions et est plus faible dans les zones à forte intoxication alcoolo tabagique telles que la Normandie.
Il semble que ces cancers induits par HPV soient une entité à part entière : profil clinique différent (patients plus jeunes, non alcoolo-tabagiques, meilleure survie globale et sans récidive, meilleure radio et chimio sensibilité), profil génétique différent (moins de mutations au sein des cellules tumorales, inhibition de p53 et de pRb par les protéines virales E6, E7), histoire clinique différente avec une atteinte ganglionnaire plus fréquente mais également un meilleur pronostic global . Néanmoins, il n’existe pas de protocole de prise en charge particulière de ces néoplasies en pratique courante à l’heure actuelle.
Evolution et pronostic
Les carcinomes épidermoïdes ORL sont des cancers de mauvais pronostic. Le taux de survie globale, tous stades confondus, est de l’ordre de 50% à 5 ans . Cette survie est évidement liée à l’extension de la maladie au moment de sa prise en charge initiale. Celle-ci est évaluée grâce au stade TNM et AJCC défini en fonction de l’évolution locale et de l’extension ganglionnaire et métastatique . Ainsi, d’une survie de 90% à 5 ans pour des stades précoces (Stade I et II), celle-ci chute pour les stades avancés non métastatiques (Stade III à IVb) avec une survie à 5 ans variant de 20%12 à 40% . Le pronostic global est d’autant plus sombre que nombre de patients se présentent d’emblée avec des tumeurs de stade avancé.
Malgré l’importance du stade initial, de récentes études montrent, pour les carcinomes oropharyngés, l’importance du statut HPV. Il serait pour cette localisation le facteur pronostic principal avant même le stade initial . Les autres facteurs pronostics de haut risque de récidive ou de métastase à distance sont post-opératoires : marges envahies, plus de 2 ganglions métastatiques, rupture capsulaire d’une adénopathie envahie, emboles endo-lymphatiques ou vasculaires, engrainements péri-nerveux .
Après traitement d’une tumeur localisée, les récidives locorégionales sont fréquentes (30 à 40% des cas) et leur traitement difficile en raison des séquelles des traitements initiaux .
NOTIONS DE CARCINOGENESE
L’évolution des connaissances sur la biologie et la génétique des cellules tumorales permet aujourd’hui de comprendre la genèse des cancers comme un ensemble de mutations, parfois sur terrain prédisposé, qui permet à la cellule d’acquérir des caractéristiques physiologiques propres. Hanahan, dans ces célèbres « hallmarks of cancer » , en recense dix chacune pouvant être à la base de thérapeutiques spécifiques .
Ces caractéristiques sont :
➤ Indépendance vis-à-vis des facteurs de croissance ;
➤ Echappement aux signaux inhibiteurs de croissance ;
➤ Résistance à la mort cellulaire programmée ;
➤ Réplication illimitée avec perte de la senescence réplicative et immortalisation ;
➤ Promotion de la néo-angiogenèse ;
➤ Perte de l’inhibition de contact et capacité à envahir les tissus adjacents et à distance (métastase) ;
➤ Reprogrammation du métabolisme énergétique en vue de promouvoir la croissance et la division cellulaire ;
➤ Echappement aux réponses immunitaires anti-tumorales ;
➤ Instabilité génomique ;
➤ Sécrétion par la tumeur elle-même de facteurs péri-tumoraux inflammatoires créant un microenvironnement favorable à la progression locale et à distance.
L’ensemble de ces caractéristiques est issu de processus complexes qui varient selon le type de tumeur et le microenvironnement qui l’entoure.
Notion de clonalité
Les premiers travaux considérant le tissu tumoral comme provenant d’une anomalie cellulaire débutent avec l’avènement de l’anatomopathologie et notamment les travaux de Müller, puis Vorchow en 1858. Harrison en 1889, puis Fibiger dans ses travaux de 1913 qui lui ont valu le prix Nobel de Médecine en 1926 concluent qu’un facteur déterminé appliqué à un tissu cellulaire peut provoquer la différenciation de celui-ci en tumeur .
C’est Slaughter qui finalement introduit la notion de « cancérisation en champ » dans une étude de 1953 dans laquelle il montre l’existence d’anomalies histologiques dans 100% des cas à distance de la lésion initiale et dans 10% la présence d’une seconde lésion indépendante de la première . C’est le principe de la « muqueuse condamnée » où les mêmes contraintes, comme l’exposition aux carcinogènes, appliquées à un même tissu, vont provoquer une maladie globale de l’ensemble de la muqueuse, ici des VADS. Les lésions précancéreuses comme les leucoplasies en sont le signe visible.
Une meilleure compréhension des anomalies génétiques liées au processus de carcinogénèse a permis que de nombreux travaux s’intéressent à l’application, sur le plan génomique, du principe de cancérisation en champ et à la présence d’anomalies génétiques à distance de la tumeur initiale. Ainsi Voravud et al. montraient la présence de polysomie au niveau des chromosomes 7 et 17 dans le tissu péri-tumoral, anomalie retrouvée au sein de la tumeur, tandis que ces altérations disparaissaient à distance de la lésion. Ces anomalies peuvent se retrouver à plus de 5mm de la tumeur, marges normalement considérées comme satisfaisantes en cas d’exérèse .
Plusieurs études sont actuellement en cours afin de mieux déterminer l’extension microscopique après exérèse des lésions et les marges de résection nécessaires. Trois voies de recherche sont principalement suivies : l’étude des anomalies moléculaires en immunohistochimie , l’étude des anomalies de l’expression de certains gènes et l’étude de méthylation de gênes cibles . Il n’existe actuellement pas d’adaptation thérapeutique ou de surveillance basée sur ces observations.
Comment alors expliquer la présence, au sein de ces « champs de cancérisation », de zones présentant des carcinomes invasifs et d’autres zones présentant de simples altérations génétiques ou épigénétiques n’aboutissant pas à une lésion cancéreuse ? De plus, en cas de seconde localisation, le profil génétique peut parfois différer . Il faut donc considérer l’apparition de ces lésions comme une cancérogénèse multi-étapes et parallèle.
Cancérogénèse multi-étapes
Au fil du temps se produit une accumulation des anomalies génétiques moléculaires favorisée par l’exposition aux carcinogènes avec, notamment, l’altération des gènes de régulation cellulaire de manière séquentielle : altération de p53 (rôle dans l’induction de l’apoptose), de p16 (rôle dans le contrôle la division cellulaire), de la cycline D1 (progression dans le cycle). A chaque étape, chacune des cellules peut ou non progresser dans les anomalies qu’elle présente et faire évoluer le tissu auquel elle appartient, de la dysplasie légère jusqu’au carcinome invasif avec la possibilité de régression à chaque étape. Cette évolution parallèle des cellules tumorales explique l’hétérogénéité des lésions au sein des champs de cancérisation. Leemans en 2011 a proposé un modèle séquentiel reliant ces différentes altérations à l’apparition de tumeurs à partir d’un tissu en passant par des lésions précancéreuses .
|
Table des matières
Introduction
Matériel et méthode
Schéma de l’étude
Critères d’inclusions
Données recueillies
Analyse statistique
Résultats
Discussion
Conclusion
Biblioographie
Tableaux
Annexes