En 2016, plus de 27’000 demandes d’asile ont été déposées en Suisse . Parmi cette population de migrants, les requêtes des mineurs non accompagnés (ciaprès, MNA) représentent environ 7% de l’ensemble des demandes d’asile, soient 1997 demandes d’asile. Ces enfants quittent leur pays d’origine pour des raisons économiques, sociales et/ou politiques : « persécutions politiques, conflits armés, violations graves des droits de l’Homme, catastrophes naturelles, pauvreté, absence de perspectives » (www.admin.ch/migration). Arrivés seuls en Suisse, sans parent ou représentant légal, par conséquent privés de tous repères, tant affectifs, sociaux que culturels, les MNA se trouvent dans une situation particulièrement vulnérable. La Suisse, conformément à la Convention des Droits de l’Enfant (ci-après, CDE), ratifiée en 1997, se doit de garantir le respect de la présente Convention à l’ensemble des enfants relevant de sa juridiction. Elle est donc tenue de mettre en place les mesures nécessaires afin de favoriser le développement harmonieux des MNA qu’elle accueille. Comme le souligne Widmer (2017, cité par l’Alliance pour les droits des enfants migrants, 2017), « il n’y a pas d’enfant réfugié ou d’enfant légal – illégal. L’enfant a droit à son existence et à être accepté comme un enfant. »
Parmi les 2000 demandes d’asile déposées par des MNA en Suisse en 2016, la majorité concerne des jeunes hommes âgés de 16 à 18 ans. Ces derniers s’installeront sur le territoire suisse pour plusieurs années ou définitivement. L’intégration de ces jeunes est donc un point essentiel, que celle-ci soit envisagée à court, moyen ou long terme. Il s’agit d’un processus nécessaire au bien-être de chacun, soit le migrant et la population d’accueil. La notion d’intégration est complexe et suscite de vifs débats et réactions tant au niveau des politiques locales ou internationales que de la communauté scientifique. Cependant, peu de recherches s’intéressent aux points de vue des migrants concernant l’intégration. Que pensent les mineurs non-accompagnés de leur intégration? Qu’est- ce que cela représente pour eux? Quels défis et difficultés rencontrent-ils dans ce processus complexe ? Nous tenterons donc de répondre à ces questions en mettant en lumière la parole des MNA au sujet de leur intégration.
Notion de mineurs non accompagnés
Il convient, dans un premier temps, de définir notre objet de recherche. Qui sont les mineurs non-accompagnés ? Le présent chapitre s’attellera à cette définition.
Le Comité des droits de l’enfant (2005, p. 5), dans son observation générale n°6, définit le mineur non-accompagné comme « un enfant (…) qui a été séparé de ses deux parents et d’autres membres proches de sa famille et n’est pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilité par la loi ou la coutume ». Il distingue la notion de MNA de celle d’enfant isolé. En effet, ce dernier est « un enfant (…) qui a été séparé de ses deux parents ou des personnes qui en avaient la charge (…) mais pas nécessairement d’autres membres de sa famille » (Comité des droits de l’enfant, p.5) .
Au niveau européen, le SCEP (Separated Children in Europe Programme) privilégie la notion d’enfants séparés. Cette appellation correspond d’avantage à la problématique. Elle met notamment l’accent sur le fait que ces enfants sont tous séparés de leurs parents et souffrent de cette situation, qu’ils soient accompagnés ou non d’autres membres de la famille (Save the Children, Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés et UNICEF, 2009).
La législation suisse définit également la notion de mineurs non accompagnés. Il s’agit alors de « quiconque n’a pas encore 18 ans révolus » (OA1, 2011), qui dépose une demande d’asile et est « séparé de ses deux parents et qui n’est pas pris en charge par un adulte investi de cette responsabilité par la loi ou la coutume » (Directive du 1er janvier 2008 relative à la procédure). Il convient de préciser ici que les jeunes engagés dans une procédure d’asile et dans l’attente d’une décision du Secrétariat d’Etat aux Migrations (ci-après, SEM) sont parfois appelés RMNA, soit requérants d’asiles mineurs non-accompagnés. L’emploi des termes MNA ou RMNA varie selon les auteurs, désignant les jeunes engagés dans une procédure d’asile ou de manière plus générale, ceux arrivés seuls en Suisse, sans parent ni représentant légal. Cependant, la législation suisse discute uniquement des MNA se trouvant dans une procédure d’asile. Or, l’ensemble des MNA présent sur le territoire suisse n’est pas engagé dans cette procédure. Certains vivent dans la clandestinité (Stoecklin, Scelsi et Anthony, 2013). De plus, la grande majorité des MNA engagés dans une procédure d’asile obtient une décision du SEM, avant ses 18 ans, dès lors il n’est plus considéré comme requérant d’asile. Il y a donc un vide juridique dans la législation suisse, qui ne considère pas l’ensemble des situations possibles.
Les définitions présentées ci-dessus varient quelque peu. Cependant, il est possible de mettre en évidence trois éléments communs pour définir la notion de mineur non accompagné: la minorité d’âge, la condition d’étranger et la potentielle situation de danger ou de délaissement liée à l’absence des parents ou des représentants légaux (Hernandez, 2014). C’est donc l’ensemble de ces trois éléments qui définit le MNA. Or, dans les faits, Hernandez (2014, p.22) relève que la situation de ces enfants est, trop souvent, déterminée par un « traitement juridique centré sur la condition d’étranger » au détriment d’une prise en charge à la lumière des droits de l’enfant.
Dans ce travail, l’acronyme MNA sera privilégié sans considération du statut juridique de l’enfant, soit livret N, ou permis F ou B, ceci afin de faciliter la lecture mais également pour souligner le fait qu’il s’agit avant tout d’enfants. Il convient donc de les considérer comme tels au sens de la CDE, sans discrimination aucune liée à leur statut. De plus, il s’agit de l’acronyme traditionnellement utilisé en Suisse.
Convention relative aux droits de l’enfant
Il est essentiel de présenter ici la Convention des Droits de l’enfant, qui est un outil de référence indispensable lorsqu’il est question d’enfants et donc également de mineurs non-accompagnés. La Suisse étant un pays de tradition moniste, le droit international prime sur le droit interne et est directement applicable, comme le mentionne l’art.190 de la Constitution fédérale (Cst).
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant a été adoptée par l’Assemblée Générale en 1989. On la qualifie souvent de « révolutionnaire » (Zermatten, 2005, cité par Stoecklin, 2016) car elle a offert à l’enfant des droits participatifs. Grâce à cet instrument normatif, la place de l’enfant dans la société a évolué. Ainsi, la Convention reconnaît l’enfant comme un sujet de droits, acteur dans la société. Il n’est plus uniquement considéré comme un être vulnérable et à protéger, comme dans les Déclarations des droits de l’enfant de 1924 et 1959, qui soutenaient une vision très paternaliste de l’enfant. La CDE garantit à l’enfant des droits à la protection, à des prestations et à la participation. On y retrouve des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels. Ce traité a donc permis de réaffirmer des droits fondamentaux en précisant qu’ils concernent également les enfants, de renforcer certains droits fondamentaux en mentionnant que les enfants ont besoin d’une protection supérieure et d’ajouter des droits spéciaux. La Suisse ayant ratifiée la présente Convention en 1997, s’est engagée, comme l’ensemble des Etats parties, à respecter les 54 articles présents dans ce traité, « à tout enfant relevant de (sa) juridiction, sans distinction aucune » (art.2, CDE).
Afin de s’assurer du respect de la CDE et d’évaluer « les progrès accomplis par les Etats parties » (art.43, CDE), un organe de traité a été mis en place. Composé de 18 membres, le Comité des droits de l’enfant surveille les Etats parties grâce au mécanisme de rapportage. En effet, chaque pays signataire doit soumettre, tous les cinq ans, un rapport au Comité des droits de l’enfant (art. 44, CDE). Suite à cela, le Comité émet des recommandations aux pays en vue d’améliorer le respect de la CDE. En plus de son travail de surveillance, le Comité tente de guider les Etats parties dans l’interprétation de la CDE. Ainsi, il rédige des Observations générales afin de donner des lignes directrices quant à l’interprétation de certains articles ou thématiques conformément aux droits de l’enfant. En 2005, suite à de nombreux constats de non- respect des droits des MNA, le Comité des droits de l’enfant, a rédigé une observation générale n°6 les concernant, intitulée « le traitement des enfants non-accompagnés et des enfants séparés en dehors de leurs pays d’origine». En se basant sur les principes de non-discrimination (art.2, CDE), d’intérêt supérieur de l’enfant (art.3, CDE) et du droit à exprimer librement son opinion (art.12, CDE), cette observation générale n°6 (Comité des droits de l’enfant, 2005, p. 4) a pour objectifs de « faire en sorte que ces enfants puissent avoir accès à leurs droits et en jouir » et « fournir des orientations relatives à la protection, à la prise en charge et au traitement approprié des enfants non-accompagnés ou séparés ».
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Table des matières
Introduction
Partie théorique
1 Notion de mineurs non accompagnés
2 Cadre légal
2.1 Convention relative aux droits de l’enfant
2.1.1 Non-discrimination
2.1.2 Intérêt supérieur de l’enfant
2.1.3 Droit à la vie, à la survie et au développement
2.1.4 Respect des opinions de l’enfant
2.2 Droit fédéral
2.3 Droit cantonal
2.4 Défis identifiés
3 MNA dans le canton du Jura
3.1 Etat des lieux de la prise en charge
3.1.1 Hébergement
3.1.2 Assistance et accompagnement social
3.1.3 Représentation légale
3.1.4 Accès aux soins médicaux
3.1.5 Education et formation
3.1.6 Soutien à l’intégration sociale
3.1.7 Passage à l’âge adulte
3.2 Défis identifiés
4 Intégration en Suisse
4.1 Politique d’intégration fédérale
4.2 Mesures d’intégration cantonales
4.3 Défis identifiés
5 Cadre conceptuel
5.1 Notion d’intégration
5.2 Notion d’enfant- acteur
6 Questions et hypothèses de recherche
7 Méthodologie de recherche
7.1 Méthode
7.2 Construction de l’entretien
7.3 Profils des MNA interviewés
7.4 Précautions éthiques
7.5 Récolte des données
7.6 Limites de la recherche
Partie empirique
8 Résultats
8.1 Connaissances linguistiques
8.2 Education et formation
8.3 Connaissances de la société d’accueil
8.4 Participation aux institutions communes
8.5 Relations sociales
8.6 Ouverture, tolérance, respect
9 Analyse des résultats
10 Discussion
11 Recommandations
Conclusion
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