Niveau langagier et utilisation du smartphone

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En Suisse, l’enseignement des langues revêt une signification toute particulière. De par son contexte linguistique avec ses quatre langues nationales et sa position géographique centrale dans le continent européen, il est important pour la Suisse de donner du sens à un enseignement efficient des langues. De plus, la constante augmentation de la mobilité des citoyens helvétiques motive également cette nécessité. C’est dans ce but que la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) a adopté en 2004 une stratégie nationale pour les langues, qui est d’ailleurs reprise dans l’accord intercantonal sur l’harmonisation de la scolarité, le concordat HarmoS. Cette stratégie prévoit qu’une première langue étrangère (une langue nationale) soit enseignée au plus tard à partir de la 5e année et une seconde au plus tard à partir de la 7e année (généralement l’anglais). Comme l’indique la réglementation cantonale de la CDIP1 , la première langue étrangère enseignée est donc l’allemand pour tous les cantons romands2 ainsi que le Jura bernois. En Suisse romande, les élèves étudient donc l’allemand de la 5e à la 11e HarmoS, soit pendant une durée totale de 7 ans. Cependant, l’apprentissage de cette langue en particulier se révèle souvent être un défi. C’est en tout cas ce que l’on entend de la bouche de certains enseignants. Au niveau romand, le Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) fixe les objectifs d’apprentissage pour les langues étrangères dans le Plan d’études romand (PER) : à la fin de leur scolarité obligatoire, les élèves sont censés atteindre un niveau intermédiaire (A2-B1) 3 . Cependant, dans la pratique professionnelle, nous pouvons faire les deux observations suivantes. Premièrement, beaucoup d’élèves rencontrent des difficultés à atteindre cet objectif ou sont promus en fin de 11e sans pour autant l’avoir atteint. De plus, les élèves semblent souvent avoir un a priori négatif ou un manque d’intérêt vis-à-vis de la langue de Goethe. D’autres ont déjà réfléchi sur les causes de ces a priori et des représentations négatives4 . Dans ce travail, je ne chercherai donc pas tant à comprendre le pourquoi de cet état de fait mais plutôt à travailler sur l’aspect didactique des leçons d’allemand et de leur conception afin de tenter d’apporter des pistes de réflexion pour tendre vers un enseignement plus efficace de celles-ci.

Présentation de l’objet de recherche

Depuis plusieurs années en Suisse romande, l’enseignement de l’allemand et des langues secondes en général (appelées aussi L2), subit des transformations profondes. Comme le note Sarah Widmer 5 , la façon d’enseigner l’allemand aujourd’hui diffère beaucoup de celle qui était en vigueur il y a dix ou quinze ans. Auparavant, l’enseignement d’une langue insistait beaucoup sur l’écrit alors qu’aujourd’hui on cherche à donner davantage de place à l’oral. Ce changement de paradigme conduit naturellement à une réflexion sur les compétences communicatives, culturelles et plurilingues nécessaires aux élèves pour avoir cette interaction avec autrui : « Le rôle et la fonction de [la 2e langue nationale] dans un pays plurilingue, ainsi que les aspects culturels seront particulièrement pris en compte » (CDIP 2004, p.2). Pour parvenir à ce but, l’enseignement des langues cherche donc favoriser l’utilisation de nouvelles approches comme la perspective actionnelle et l’approche interculturelle. Cette dernière figure clairement dans les remarques spécifiques pour l’enseignement de l’anglais de l’allemand du PER 6 : Par ailleurs, l’apprentissage d’une langue implique nécessairement une réflexion interculturelle portant (a) sur les éléments qui distinguent les cultures en contact, et (b) sur le fonctionnement de la communication entre personnes parlant des langues différentes.

La formation pédagogique de la HEP-Bejune prend bien évidemment en compte cette approche et cherche à sensibiliser les futurs enseignants au potentiel et à la plus-value que peut apporter l’approche interculturelle dans l’enseignement des langues. Mais la notion d’interculturalité a aussi ses limites, nous le verrons. C’est pour cette raison que le terme de transculturalité (en lien avec la perspective actionnelle) est apparu dans la dernière décennie chez certains auteurs en sciences sociales.

En tant que futur enseignant d’allemand, le manque d’attrait de la part des élèves pour les cours d’allemand me concerne personnellement. Je souhaitais en apprendre davantage sur cet outil qu’est l’interculturalité mais aussi le tester dans des conditions de la classe afin de confronter la théorie à la pratique. Ainsi, dans un premier temps, nous chercherons à définir les concepts clés de la problématique et tenterons de faire une synthèse théorique sur les concepts d’interculturalité et de transculturalité et leur place respective dans les approches en verve afin de mieux comprendre ce qui les différencie. Puis, dans un deuxième temps, nous tenterons de voir quels effets peuvent avoir une séquence interculturelle sur la motivation et, dans une moindre mesure, sur les représentations des élèves dans une classe d’allemand du secondaire.

Cadre théorique

Concepts-clés de la recherche

Didactique des langues-cultures Deux concepts à la base de ce travail sont ceux de « didactique des langues » et de « culture». Du point de vue de l’anthropologie culturelle, le lien entre pratiques langagières et culturelles semble évident (Kay & Kempton, 1984). Mais dans quelle mesure l’enseignement d’une langue implique-t-elle l’enseignement d’une culture ? Au niveau européen, les textes du Conseil de l’Europe, comme le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, 20017 ), posent les bases d’une vision européenne commune sur ce sujet : « En résumé, développer la dimension interculturelle de l’enseignement des langues, c’est reconnaître les objectifs suivants : faire acquérir à l’apprenant une compétence aussi bien interculturelle que linguistique ; le préparer à des relations avec des personnes appartenant à d’autres cultures ; permettre à l’apprenant de comprendre et d’accepter ces personnes « autres » en tant qu’individus ayant des points de vue, des valeurs et des comportements différents ; enfin, aider l’apprenant à saisir le caractère enrichissant de ce type d’expériences et de relations. » (Byram, Gribkova & Strarkey, 2002, je souligne) .

Pour ces auteurs, l’objectif premier est de développer chez l’apprenant une double compétence à la fois linguistique et culturelle 8 . Langue et culture sont en effet non seulement indissociables mais aussi complémentaires, comme les deux faces d’une même pièce. C’est pour cette raison que le terme de didactique des langues-cultures est souvent préféré à la vision quelque peu réductrice du terme de « didactique des langues ». En Suisse, la Loi sur les Langues, en vigueur depuis 2010, s’inscrit clairement dans cette même perspective. En effet, l’article 15 précise que « l’enseignement des langues nationales prendra en compte les aspects culturels liés à un pays multilingue. » (Loi sur les Langues, 2007, p.5). Ce concept abstrait d’« aspects culturels » est repris, comme nous l’avons vu dans l’introduction, dans le texte de la CDIP mais il est davantage développé dans le PER. Cependant, on notera l’absence, dans la définition du PER, du terme de « comptétence interculturelle » – pourtant présent dans le CECRL – au profit de celui de « réflexion interculturelle ». Comme nous l’avons vu, cette réflexion porte sur deux aspects distincts.

Premièrement, sur les « éléments qui distinguent les cultures en contact » et deuxièmement sur le «fonctionnement de la communication entre personnes parlant des langues différentes ». Afin de simplifier la terminologie autour de cette même notion (compétence interculturelle et réflexion interculturelle), nous utiliserons dans la suite du travail le terme de « compétence interculturelle » car il exprime d’une part la présence d’un apprenant et, d’autre part, qu’il s’agit d’une capacité qui est appelée à se développer chez l’apprenant.

Culture et identité

Afin de comprendre la notion de compétence interculturelle, il est d’abord nécessaire de définir le concept de culture. Comme point de départ, nous reprenons la définition proposée par Paulette Rozon (2011, p. 210) qui définit la culture comme étant : […] l’ensemble des traits distinctifs spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social et qui englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. Cette définition fait apparaître deux aspects essentiels de la culture. Premièrement, la culture se retrouve à plusieurs niveaux de l’échelle sociale : à un niveau global (une société) et à un niveau plus local (un groupe social). Il est nécessaire de préciser que l’échelle locale peut (et doit) inclure le niveau individuel : une société ou un groupe social sont avant tout formés d’individus. Deuxièmement, cette définition de Rozon montre toute la complexité du concept de culture. Il englobe une multitude l’éléments matériels (les arts, les lettres) et immatériels (les modes de vie, les systèmes de valeurs, les traditions, les croyances). Une autre définition de la culture est proposée par le chercheur en sociolinguistique Leo Loveday, cité ici par John Corbett : [Culture] involves the implicit norms and conventions of a society, its methods of “going about things”, its historically transmitted but also adaptive and creative ethos, its symbols and its organisation of experience. (Corbett, 2003, p.20) Selon Loveday, une société se construit un ensemble de croyances et de présuppositions qui sont considérées alors, comme le note Corbett, comme faisant partie d’un « sens commun ». La culture d’un groupe peut alors être considérée comme la relation entre les croyances, les valeurs du « sens commun » et les modes de vie, l’art et la communication que ce groupe produit. Le langage servant, selon Corbett, à organiser cette expérience, à construire et à maintenir l’identité et la cohésion d’un groupe dont les valeurs, les croyances et les normes sont en perpétuelle renégociation. Comme le notent Philippe Blanchet et Daniel Coste, une critique des approches culturelles de ces dernières années porte sur une « relégation au second plan des individus », une « relégation au second plan de l’explication des besoins sociaux » et finalement une relégation au second plan des contextes d’expressions culturelles » (Blanchet & Coste, 2010, p. 46). Ces auteurs s’opposent à cette vision « quasi- mécaniste » qui considère la culture comme une « sorte de programme sémantico cognitif » (ibid, p.47). Ils reprennent la critique de Paul Kay qui apporte une définition différente du concept de culture : Une culture ne fournit pas de théorie unifiée du monde – ou de vision du monde – à ses détenteurs, pas plus que ne le fait une langue. La culture consiste bien plus en une vaste batterie de schémas qui représentent des événements et des états du monde. […] En conséquence, une culture est comme une boîte à outils conceptuelle qui contient des outils pour faire du sens avec le monde. (Blanchet & Coste, 2010, p.47, je souligne) .

L’anthropologue norvégienne Unni Wikan parle de la culture dans le même sens. Cependant, elle va plus loin en décrivant également le processus de rencontre entre les cultures. Elle résume en trois points la problématique autour de ce concept. Ils sont ici rapportés par F. Dervin et B. Fracchiolla (2012, p. 8) : – la culture est une construction, un concept qui ne peut ni penser, ni sentir, et qui n’existe pas, elle n’est pas un agent – c’est toujours un individu qui fait et pense ; – les individus se rencontrent, et non les cultures ; – la culture est un instrument d’exoticisation, qui joue avec et exagère les différences. Elle [Wikan] explique : « Talk of ”culture ” and the picture that springs to mind is one of difference, divergence, and distance ». Les différences sont souvent présentées comme étant externes aux groupes ; elles ignorent et écartent les différences internes – alors que celles-ci sont tout à fait évidentes au quotidien. Comme le relèvent ici F. Dervin et B. Fracchiolla, la notion de culture est intimement liée à l’individu. Cette vision rappelle la critique faite par Blanchet & Coste que nous avons évoquée plus haut. La culture, ou devrait t’on dire les cultures, ne sont pas les agents de ce processus. Ce sont bel et bien les individus qui en sont les acteurs et cela que ce soit à l’échelle d’une société, d’un groupe social ou de l’individu lui-même. Il y a donc autant de cultures différentes qu’il y a d’individus. Les deux derniers points expliqués par Wikan posent les bases de ce que l’on appelle l’approche interculturelle. Il s’agit d’une rencontre, d’un échange entre deux individus et c’est précisément lors de cet échange qu’un échange entre les cultures peut avoir lieu. Ce processus correspond à ce que Nathalie Auger, citée ici par Philippe Blanchet et Daniel Coste, appelle la rencontre interculturelle: Dès qu’il y a relation, il y a altérité et, de fait, interculturalité […] la complexité culturelle de chacun, traversée d’éléments collectifs et singuliers, fait de chaque rencontre une rencontre interculturelle. (Blanchet & Coste, 2010, p. 10) Il est important de rappeler que la rencontre interculturelle dont parle Auger a lieu à l’échelle de deux individus. C’est cela qui motive certains auteurs à préférer parler de rencontre entre des individus plutôt que de rencontre entre des cultures. Comme le rappelle Alain Touraine (1994) : Lorsque l’accent est mis sur les cultures de départ et d’arrivée considérées comme des systèmes fermés ou même comme des corps de valeurs opposés, les difficultés des immigrants deviennent très grandes et souvent insurmontables […]. On devrait donc moins parler de rencontre entre des cultures et davantage d’histoire d’individus qui passent d’une situation à une autre et qui reçoivent de plusieurs sociétés et de plusieurs cultures des éléments dont sera formée leur personnalité. (Hily, 2001, p. 9) La rencontre se fait ici à un autre niveau que celui de l’interaction entre deux cultures ou entre deux groupes sociaux. En effet, cela se passe au niveau de l’individu lui-même. Cela a pour effet, selon Touraine, de casser la vision systématique d’une rencontre entre deux cultures considérées comme figées et opposées l’une à l’autre. Pour appliquer cela au contexte de la classe, il ne s’agit pas pour l’enseignant de proposer aux élèves une rencontre entre deux cultures (la culture allemande versus la culture suisse) mais de rendre les apprenants attentifs au fait qu’il s’agit d’une rencontre entre un individu qui habite en Allemagne (avec une histoire, un contexte social, familial, etc. qui lui sont propres) et l’apprenant lui-même (porteur de sa propre histoire, de son propre contexte social, etc.). Le dernier point de Wikan exprime précisément ce à quoi la compétence interculturelle (qui s’inscrit dans l’approche interculturelle et qui découle de l’échange interculturel) cherche à apporter une solution. Avoir à l’esprit la différence, la divergence et la distance lorsque l’on échange sur les cultures est une posture qui peut réellement menacer des valeurs à la base de notre société comme l’égalité, la tolérance ou la fraternité. Nous développerons cet élément plus loin dans notre travail.

Lorsque l’on parle d’individu, on en vient forcément à parler d’identité et c’est pour cette raison que nous avons choisi de traiter la notion d’identité en lien avec le concept de culture. Comme nous l’avons vu plus haut, la culture se définit entre autres à travers un système de valeurs, des traditions et des croyances. Cela implique que chaque individu porte un identité, définie entre autres par des représentations mentales sur sa propre culture ou sur la culture de l’autre. Dervin & Fracchiolla citent Ewing, pour qui tout individu projette un soi ou des représentations de soi, qui sont multiples et changeantes, et qui dépendent de contextes d’interactions et de stimuli extérieurs (Dervin & Fracchiolla, 2012, p. 9). Ces représentations jouent bien sûr un rôle important dans l’apprentissage des langues, comme le note Nathalie Müller (1998, p. 9) : Apprendre une langue, ce n’est pas uniquement mettre en œuvre des compétences cognitives, c’est aussi actualiser un ensemble de représentations de la langue qu’on apprend, représentations de soi, de son groupe, des autres groupes. Cela signifie donc pour nous en didactique des langues cultures que l’apprenant arrive chargé de ses représentations et de ses préjugés sur la langue. Mais cette citation montre qu’il est possible de faire évoluer ces représentations et de remettre en question, dans une certaine mesure, les stéréotypes négatifs vis-à-vis de la langue allemande, mais aussi vis-àvis de sa propre « culture » et de soi-même. Un dernier aspect à prendre en compte est la dimension multiculturelle de nos sociétés contemporaines. Dans un monde où il devient toujours plus facile de se déplacer, d’échanger à travers les moyens de communication, les réseaux sociaux et Internet, la notion de culture se complexifie. Par conséquent, il devient impossible de résumer une population entière ou même un groupe social à une seule culture. Même s’il est important de reconnaître qu’il peut y avoir des traits communs à l’échelle d’une population ou d’un groupe social, ceux-ci ne peuvent pas suffire à définir cette population ou ce groupe social. Le concept de culture est loin d’être homogénéisant. Pour donner un exemple local, toute la population suisse romande parle français, cependant on ne parle pas le même français à Sion et à Genève (pas seulement du point de vue de l’accent). C’est ce qu’exprime Olivier Meunier (2014, p.13) en écrivant que les notions de culture et de société ne sont pas « superposables », puisque les sociétés actuelles sont pour la plupart multiculturelles. Cet état de fait est également applicable à la salle de classe. Comme le note Puren, il n’y a pas de milieu réellement homogène du point de vue culturel :Même dans des environnements entièrement monolingues (une seule langue maternelle chez les apprenants, qui est aussi celle de l’enseignant), il y a forcément des décalages entre la culture d’enseignement et la culture d’apprentissage, et à l’intérieur de la culture d’apprentissage, il y a toujours des différences importantes d’un apprenant à l’autre, dues non seulement aux stratégies individuelles, mais aussi aux expériences et parcours antérieurs, au niveau et type de motivation, aux profils cognitifs, etc. : il n’existe jamais de milieu culturel vraiment « homogène. » (2011, p.11) .

Cette réflexion autour du concept de culture nous mène donc penser la culture dans un sens pluriel (les cultures), à les voir comme un phénomène complexe, en perpétuelle évolution et qui prennent leur source à l’échelle de chaque individu. La rencontre entre deux individus permet cet échange entre les cultures qui leur sont propres et crée cette rencontre interculturelle que l’on cherche à appliquer en didactique des langues-cultures.

Approche communicative et interculturalité

Avant de définir le concept d’interculturalité en didactique des langues cultures, il convient de définir le contexte dans lequel il s’inscrit. Pour cela, nous dresserons un bref historique de l’évolution des différentes méthodologies appliquées dans l’enseignement des langues au niveau européen. Cela permettra également de comprendre comment et pourquoi ce concept est peu à peu apparu en didactique des langues-cultures. Nous proposons de reprendre ici le modèle d’évolution historique des configurations didactiques9 présenté par Christian Puren (2008). Il a l’avantage de montrer clairement les transformations de chaque méthodologie en fonction de plusieurs critères : compétences sociales (langagières et culturelles) de référence et les actions sociales qui s’y rapportent ainsi que des tâches scolaires correspondantes. Pour chaque méthodologie (ou configuration didactique), Puren démontre comment chacune s’est construite selon une mise en adéquation maximale (Puren utilise le terme d’homologie) entre perspective actionnelle (les actions et les tâches à réaliser en langue étrangère auxquelles elle prépare les apprenants) et perspective culturelle (les compétences culturelles auxquelles elle prépare les apprenants) (Puren, 2002). Pour Puren, la « méthodologie traditionnelle » du XIXe siècle visait la compétence sociale langagière de relecture des grands textes classiques en lien avec la lecture (comme action sociale) et la traduction (comme tâche scolaire) Puren parle de « compétence transculturelle » pour décrire la perspective culturelle de cette méthodologie, mais il s’agissait ici d’acquérir et de partager des valeurs universelles humanistes expliquées par Émile Durkheim. Le terme « transculturelle » utilisé ici revêt un sens différent (et même en opposition) avec le sens que nous cherchons à définir dans ce travail. La méthodologie traditionnelle ne s’intéressait pas à construire des connaissances culturelles sur les particularités de telle ou telle culture mais à cette « culture générale », ce « fond commun de l’Humanité » construit autour des valeurs du Vrai, du Beau et du Bien (Puren, 2002).

La deuxième construction didactique correspond à une méthodologie dite « active » qui est restée en vigueur dans l’enseignement scolaire français jusque dans les années 1960. L’objectif social de référence est de rendre les apprenants capables d’entretenir et de développer des connaissances culturelles à travers des documents authentiques comme la littérature encore, bien sûr, mais aussi à travers les nouveaux médias de l’époque : revues, journaux, et plus tard émissions de radio et de télévision. Les progrès de la fin du XIXe et du début du XXe siècle (dans les transports, la diffusion de l’information, les) transforment les objectifs d’apprentissage pour les langues étrangères. Il est désormais possible d’être en contact avec l’Autre, même si ce contact reste très distant et extrêmement ponctuel. Pour la première fois, il est question dans la « méthodologie active » de mobiliser des connaissances culturelles. Puren nomme ce processus « compétence métaculturelle » dans lequel il s’agit de parler « sur » ou « à propos de ». Cela montre bien cette notion de distance dont nous avons parlé plus haut.

La troisième construction didactique, l’« approche communicative » trouve ses débuts dans les années 1980. Puis c’est l’introduction du CECRL dans la fin des années 1990 qui a posé les bases de la dernière construction didactique, la perspective actionnelle. Nous développerons ces deux approches dans les lignes suivantes. Il faut préciser que Puren sépare la didactique du plurilinguisme (vivre avec) et la perspective actionnelle (agir avec). Nous proposons de les traiter ensemble sous le terme « perspective actionnelle » car elles se rattachent toutes les deux au CECRL et trouvent naissance à la même période. Cependant, il faut impérativement garder à l’esprit qu’elles portent sur des compétences (langagières et culturelles) différentes.

Avant d’aller plus loin, il est nécessaire de clarifier un aspect terminologique en lien avec cette dernière construction didactique. Certains auteurs parlent d’ « approche actionnelle » et d’autres, de « perspective actionnelle » ; le CECRL utilise d’ailleurs les deux expressions. Afin d’éviter toute confusion dans la suite du travail, nous préférerons le terme de « perspective actionnelle » car, comme le relève Puren (2011, p.9), il exprime un sens de « diversité » à disposition de l’enseignant. Après avoir décrit l’évolution des configurations didactiques à travers le XXe siècle, nous pouvons maintenant nous concentrer davantage sur le lien entre l’approche communicative et la compétence interculturelle. Avec cette approche, l’objectif social change à nouveau. Il s’agit de préparer les élèves à « cohabiter harmonieusement dans une société qui est de plus en plus multilingue et multiculturelle » (Puren, 2008, p.5). C’est dans ce contexte que le CECRL introduit la notion de « compétence plurilingue et pluriculturelle », qu’il présente de la façon suivante : La compétence plurilingue est la capacité d’acteurs sociaux à gérer les situations où, « dans leurs langue et leur culture première, (ils) sont, au cours du processus de socialisation, exposés à différentes variétés linguistiques et à la différentiation culturelle interne à toute société complexe ». (CECRL, 2001 p.105, je souligne) Et de préciser d’avantage: Cette compétence se caractérise aussi par le faitque, dans sa mise en œuvre, les capacités et les connaissances tant générales que langagières (que possède un individu) sont sollicitées de manière différentiée. Par exemple, les stratégies mobilisées pour la réalisation de tâches à dimension langagières peuvent varier suivant les langues auxquelles il est fait recours. Ainsi, des savoir-être soulignant l’ouverture, la convivialité, la bonne volonté (dans la gestuelle, les mimiques, la proxémique générale) peuvent, dans une langue dont on maîtrise mal la composante linguistique, compenser cette relative déficience au cours de l’interaction avec un natif, alors que, dans la langue mieux maîtrisée, le même acteur pourrait avoir une attitude plus distante ou plus réservée. (Ibid.) Ce que nous pouvons retenir de cet extrait, c’est que les apprenants se doivent d’acquérir une compétence plurilingue (pour faire face aux différentes variétés linguistiques) et une compétence interculturelle (pour faire face à la différentiation culturelle). Ces deux compétences, telles que présentées ici, sont à la fois complémentaires mais aussi, selon nous, rétroactives. En effet, la compétence plurilingue peut à notre sens développer la compétence interculturelle et inversement : lorsque l’apprenant a recours à des savoirs-être culturels (ouverture, convivialité), cela peut le mener à compléter sa compétence plurilingue pour cette situation ou ce champ lexical. À l’inverse, lorsqu’un apprenant dispose d’un niveau langagier suffisant, il possible qu’il développe sa compétence interculturelle en modifiant son savoir-être dans une situation donnée .

Conclusion

Cette recherche est illustrative des enjeux actuels qui concernent l’approche interculturelle dans les sciences de l’éducation. Le potentiel interculturel présent chez les élèves et dans certains manuels scolaires reste, dans la grande majorité des cas, sousexploité. Il est vrai qu’inclure l’approche interculturelle dans une séquence d’enseignement peut représenter un défi pour l’enseignant. Intégrer l’approche interculturelle, c’est prendre des risques, quitter la sécurité de sa zone de confort et accepter de céder une part de contrôle aux élèves. Cependant, le potentiel est présent, il vaut la peine d’être exploité et une telle démarche peut donner des résultats. Bien qu’il soit difficile de dire dans quelle mesure la compétence interculturelle a impacté les élèves, nous avons vu dans l’analyse des résultats, que la séquence basée sur l’approche actionnelle et interculturelle a d’une manière globale suscité de l’intérêt et de la motivation de leur part. En effet, le choix du thème des médias a été pour plusieurs élèves une source de motivation importante. Néanmoins, quelques élèves ont montré qu’ils avaient appris des éléments nouveaux sur les cultures de l’Autre à travers la séquence et qu’ils s’étaient posés des questions sur leur propre mode de vie. Cette recherche montre donc que le développement de la dynamique motivationnelle chez les élèves résulte de la combinaison de plusieurs des conditions proposées par Roland Viau: le sentiment d’auto efficacité des élèves, l’interaction entre les élèves, l’utilisation des MITIC, etc… Et peut être le plus important, le thème de par sa pertinence, son authenticité et bien sûr sa composante culturelle .

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Table des matières

INTRODUCTION
1.1. CONTEXTE DE LA RECHERCHE
1.2. PRESENTATION DE L’OBJET DE RECHERCHE
2. CADRE THEORIQUE 
2.1. CONCEPTS-CLES DE LA RECHERCHE
2.1.1 Didactique des langues-cultures
2.1.2. Culture et identité
2.1.3. Approche communicative et interculturalité
2.1.4. Perspective actionnelle et transculturalité
2.1.5. Motivation
2.2. QUESTIONS DE RECHERCHE ET HYPOTHESES
2.2.1. Question de recherche
2.2.2. Hypothèses
3. METHODOLOGIE
3.1. LA SEQUENCE DIDACTIQUE
3.2. LE PROFIL DES ELEVES
3.3. OBJECTIFS DE LA SEQUENCE
3.4. ACTIVITES DE LA SEQUENCE
3.5. EVALUATION DE LA SEQUENCE
4. RESULTATS
4.1. ANALYSE DU QUESTIONNAIRE
4.1.1. Potentiel plurilingue
4.1.2. Représentations
4.1.3. Niveau langagier et utilisation du smartphone
4.2. ANALYSE DU QUESTIONNAIRE
4.2.1. Vidéo
4.2.2. Tâche finale
4.2.3. Motivation
5. CONCLUSION

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