Niveau langagier et utilisation du smartphone
En Suisse, lโenseignement des langues revรชt une signification toute particuliรจre. De par son contexte linguistique avec ses quatre langues nationales et sa position gรฉographique centrale dans le continent europรฉen, il est important pour la Suisse de donner du sens ร un enseignement efficient des langues. De plus, la constante augmentation de la mobilitรฉ des citoyens helvรฉtiques motive รฉgalement cette nรฉcessitรฉ. Cโest dans ce but que la Confรฉrence suisse des directeurs cantonaux de lโinstruction publique (CDIP) a adoptรฉ en 2004 une stratรฉgie nationale pour les langues, qui est dโailleurs reprise dans lโaccord intercantonal sur lโharmonisation de la scolaritรฉ, le concordat HarmoS. Cette stratรฉgie prรฉvoit quโune premiรจre langue รฉtrangรจre (une langue nationale) soit enseignรฉe au plus tard ร partir de la 5e annรฉe et une seconde au plus tard ร partir de la 7e annรฉe (gรฉnรฉralement lโanglais). Comme lโindique la rรฉglementation cantonale de la CDIP1 , la premiรจre langue รฉtrangรจre enseignรฉe est donc lโallemand pour tous les cantons romands2 ainsi que le Jura bernois. En Suisse romande, les รฉlรจves รฉtudient donc lโallemand de la 5e ร la 11e HarmoS, soit pendant une durรฉe totale de 7 ans. Cependant, lโapprentissage de cette langue en particulier se rรฉvรจle souvent รชtre un dรฉfi. Cโest en tout cas ce que lโon entend de la bouche de certains enseignants. Au niveau romand, le Confรฉrence intercantonale de lโinstruction publique de la Suisse romande et du Tessin (CIIP) fixe les objectifs dโapprentissage pour les langues รฉtrangรจres dans le Plan dโรฉtudes romand (PER) : ร la fin de leur scolaritรฉ obligatoire, les รฉlรจves sont censรฉs atteindre un niveau intermรฉdiaire (A2-B1) 3 . Cependant, dans la pratique professionnelle, nous pouvons faire les deux observations suivantes. Premiรจrement, beaucoup dโรฉlรจves rencontrent des difficultรฉs ร atteindre cet objectif ou sont promus en fin de 11e sans pour autant lโavoir atteint. De plus, les รฉlรจves semblent souvent avoir un a priori nรฉgatif ou un manque dโintรฉrรชt vis-ร -vis de la langue de Goethe. Dโautres ont dรฉjร rรฉflรฉchi sur les causes de ces a priori et des reprรฉsentations nรฉgatives4 . Dans ce travail, je ne chercherai donc pas tant ร comprendre le pourquoi de cet รฉtat de fait mais plutรดt ร travailler sur lโaspect didactique des leรงons dโallemand et de leur conception afin de tenter dโapporter des pistes de rรฉflexion pour tendre vers un enseignement plus efficace de celles-ci.
Prรฉsentation de lโobjet de recherche
Depuis plusieurs annรฉes en Suisse romande, lโenseignement de lโallemand et des langues secondes en gรฉnรฉral (appelรฉes aussi L2), subit des transformations profondes. Comme le note Sarah Widmer 5 , la faรงon dโenseigner lโallemand aujourdโhui diffรจre beaucoup de celle qui รฉtait en vigueur il y a dix ou quinze ans. Auparavant, lโenseignement dโune langue insistait beaucoup sur lโรฉcrit alors quโaujourdโhui on cherche ร donner davantage de place ร lโoral. Ce changement de paradigme conduit naturellement ร une rรฉflexion sur les compรฉtences communicatives, culturelles et plurilingues nรฉcessaires aux รฉlรจves pour avoir cette interaction avec autrui : ยซ Le rรดle et la fonction de [la 2e langue nationale] dans un pays plurilingue, ainsi que les aspects culturels seront particuliรจrement pris en compte ยป (CDIP 2004, p.2). Pour parvenir ร ce but, lโenseignement des langues cherche donc favoriser lโutilisation de nouvelles approches comme la perspective actionnelle et lโapproche interculturelle. Cette derniรจre figure clairement dans les remarques spรฉcifiques pour lโenseignement de lโanglais de lโallemand du PER 6 : Par ailleurs, l’apprentissage d’une langue implique nรฉcessairement une rรฉflexion interculturelle portant (a) sur les รฉlรฉments qui distinguent les cultures en contact, et (b) sur le fonctionnement de la communication entre personnes parlant des langues diffรฉrentes.
La formation pรฉdagogique de la HEP-Bejune prend bien รฉvidemment en compte cette approche et cherche ร sensibiliser les futurs enseignants au potentiel et ร la plus-value que peut apporter lโapproche interculturelle dans lโenseignement des langues. Mais la notion dโinterculturalitรฉ a aussi ses limites, nous le verrons. Cโest pour cette raison que le terme de transculturalitรฉ (en lien avec la perspective actionnelle) est apparu dans la derniรจre dรฉcennie chez certains auteurs en sciences sociales.
En tant que futur enseignant dโallemand, le manque dโattrait de la part des รฉlรจves pour les cours dโallemand me concerne personnellement. Je souhaitais en apprendre davantage sur cet outil quโest lโinterculturalitรฉ mais aussi le tester dans des conditions de la classe afin de confronter la thรฉorie ร la pratique. Ainsi, dans un premier temps, nous chercherons ร dรฉfinir les concepts clรฉs de la problรฉmatique et tenterons de faire une synthรจse thรฉorique sur les concepts dโinterculturalitรฉ et de transculturalitรฉ et leur place respective dans les approches en verve afin de mieux comprendre ce qui les diffรฉrencie. Puis, dans un deuxiรจme temps, nous tenterons de voir quels effets peuvent avoir une sรฉquence interculturelle sur la motivation et, dans une moindre mesure, sur les reprรฉsentations des รฉlรจves dans une classe dโallemand du secondaire.
Cadre thรฉorique
Concepts-clรฉs de la recherche
Didactique des langues-cultures Deux concepts ร la base de ce travail sont ceux de ยซ didactique des langues ยป et de ยซ cultureยป. Du point de vue de lโanthropologie culturelle, le lien entre pratiques langagiรจres et culturelles semble รฉvident (Kay & Kempton, 1984). Mais dans quelle mesure lโenseignement dโune langue implique-t-elle lโenseignement dโune culture ? Au niveau europรฉen, les textes du Conseil de lโEurope, comme le Cadre europรฉen commun de rรฉfรฉrence pour les langues (CECRL, 20017 ), posent les bases dโune vision europรฉenne commune sur ce sujet : ยซ En rรฉsumรฉ, dรฉvelopper la dimension interculturelle de lโenseignement des langues, cโest reconnaรฎtre les objectifs suivants : faire acquรฉrir ร lโapprenant une compรฉtence aussi bien interculturelle que linguistique ; le prรฉparer ร des relations avec des personnes appartenant ร dโautres cultures ; permettre ร lโapprenant de comprendre et dโaccepter ces personnes ยซ autres ยป en tant quโindividus ayant des points de vue, des valeurs et des comportements diffรฉrents ; enfin, aider lโapprenant ร saisir le caractรจre enrichissant de ce type dโexpรฉriences et de relations. ยป (Byram, Gribkova & Strarkey, 2002, je souligne) .
Pour ces auteurs, lโobjectif premier est de dรฉvelopper chez lโapprenant une double compรฉtence ร la fois linguistique et culturelle 8 . Langue et culture sont en effet non seulement indissociables mais aussi complรฉmentaires, comme les deux faces dโune mรชme piรจce. Cโest pour cette raison que le terme de didactique des langues-cultures est souvent prรฉfรฉrรฉ ร la vision quelque peu rรฉductrice du terme de ยซ didactique des langues ยป. En Suisse, la Loi sur les Langues, en vigueur depuis 2010, sโinscrit clairement dans cette mรชme perspective. En effet, lโarticle 15 prรฉcise que ยซ lโenseignement des langues nationales prendra en compte les aspects culturels liรฉs ร un pays multilingue. ยป (Loi sur les Langues, 2007, p.5). Ce concept abstrait dโยซ aspects culturels ยป est repris, comme nous lโavons vu dans lโintroduction, dans le texte de la CDIP mais il est davantage dรฉveloppรฉ dans le PER. Cependant, on notera lโabsence, dans la dรฉfinition du PER, du terme de ยซ comptรฉtence interculturelle ยป โ pourtant prรฉsent dans le CECRL โ au profit de celui de ยซ rรฉflexion interculturelle ยป. Comme nous lโavons vu, cette rรฉflexion porte sur deux aspects distincts.
Premiรจrement, sur les ยซ รฉlรฉments qui distinguent les cultures en contact ยป et deuxiรจmement sur le ยซfonctionnement de la communication entre personnes parlant des langues diffรฉrentes ยป. Afin de simplifier la terminologie autour de cette mรชme notion (compรฉtence interculturelle et rรฉflexion interculturelle), nous utiliserons dans la suite du travail le terme de ยซ compรฉtence interculturelle ยป car il exprime dโune part la prรฉsence dโun apprenant et, dโautre part, quโil sโagit dโune capacitรฉ qui est appelรฉe ร se dรฉvelopper chez lโapprenant.
Culture et identitรฉ
Afin de comprendre la notion de compรฉtence interculturelle, il est dโabord nรฉcessaire de dรฉfinir le concept de culture. Comme point de dรฉpart, nous reprenons la dรฉfinition proposรฉe par Paulette Rozon (2011, p. 210) qui dรฉfinit la culture comme รฉtant : [โฆ] lโensemble des traits distinctifs spirituels et matรฉriels, intellectuels et affectifs qui caractรฉrisent une sociรฉtรฉ ou un groupe social et qui englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les faรงons de vivre ensemble, les systรจmes de valeurs, les traditions et les croyances. Cette dรฉfinition fait apparaรฎtre deux aspects essentiels de la culture. Premiรจrement, la culture se retrouve ร plusieurs niveaux de lโรฉchelle sociale : ร un niveau global (une sociรฉtรฉ) et ร un niveau plus local (un groupe social). Il est nรฉcessaire de prรฉciser que lโรฉchelle locale peut (et doit) inclure le niveau individuel : une sociรฉtรฉ ou un groupe social sont avant tout formรฉs dโindividus. Deuxiรจmement, cette dรฉfinition de Rozon montre toute la complexitรฉ du concept de culture. Il englobe une multitude lโรฉlรฉments matรฉriels (les arts, les lettres) et immatรฉriels (les modes de vie, les systรจmes de valeurs, les traditions, les croyances). Une autre dรฉfinition de la culture est proposรฉe par le chercheur en sociolinguistique Leo Loveday, citรฉ ici par John Corbett : [Culture] involves the implicit norms and conventions of a society, its methods of โgoing about thingsโ, its historically transmitted but also adaptive and creative ethos, its symbols and its organisation of experience. (Corbett, 2003, p.20) Selon Loveday, une sociรฉtรฉ se construit un ensemble de croyances et de prรฉsuppositions qui sont considรฉrรฉes alors, comme le note Corbett, comme faisant partie dโun ยซ sens commun ยป. La culture dโun groupe peut alors รชtre considรฉrรฉe comme la relation entre les croyances, les valeurs du ยซ sens commun ยป et les modes de vie, lโart et la communication que ce groupe produit. Le langage servant, selon Corbett, ร organiser cette expรฉrience, ร construire et ร maintenir lโidentitรฉ et la cohรฉsion dโun groupe dont les valeurs, les croyances et les normes sont en perpรฉtuelle renรฉgociation. Comme le notent Philippe Blanchet et Daniel Coste, une critique des approches culturelles de ces derniรจres annรฉes porte sur une ยซ relรฉgation au second plan des individus ยป, une ยซ relรฉgation au second plan de lโexplication des besoins sociaux ยป et finalement une relรฉgation au second plan des contextes dโexpressions culturelles ยป (Blanchet & Coste, 2010, p. 46). Ces auteurs sโopposent ร cette vision ยซ quasi- mรฉcaniste ยป qui considรจre la culture comme une ยซ sorte de programme sรฉmantico cognitif ยป (ibid, p.47). Ils reprennent la critique de Paul Kay qui apporte une dรฉfinition diffรฉrente du concept de culture : Une culture ne fournit pas de thรฉorie unifiรฉe du monde โ ou de vision du monde โ ร ses dรฉtenteurs, pas plus que ne le fait une langue. La culture consiste bien plus en une vaste batterie de schรฉmas qui reprรฉsentent des รฉvรฉnements et des รฉtats du monde. [โฆ] En consรฉquence, une culture est comme une boรฎte ร outils conceptuelle qui contient des outils pour faire du sens avec le monde. (Blanchet & Coste, 2010, p.47, je souligne) .
Lโanthropologue norvรฉgienne Unni Wikan parle de la culture dans le mรชme sens. Cependant, elle va plus loin en dรฉcrivant รฉgalement le processus de rencontre entre les cultures. Elle rรฉsume en trois points la problรฉmatique autour de ce concept. Ils sont ici rapportรฉs par F. Dervin et B. Fracchiolla (2012, p. 8) : โ la culture est une construction, un concept qui ne peut ni penser, ni sentir, et qui nโexiste pas, elle nโest pas un agent โ cโest toujours un individu qui fait et pense ; โ les individus se rencontrent, et non les cultures ; โ la culture est un instrument dโexoticisation, qui joue avec et exagรจre les diffรฉrences. Elle [Wikan] explique : ยซ Talk of โculture โ and the picture that springs to mind is one of difference, divergence, and distance ยป. Les diffรฉrences sont souvent prรฉsentรฉes comme รฉtant externes aux groupes ; elles ignorent et รฉcartent les diffรฉrences internes โ alors que celles-ci sont tout ร fait รฉvidentes au quotidien. Comme le relรจvent ici F. Dervin et B. Fracchiolla, la notion de culture est intimement liรฉe ร lโindividu. Cette vision rappelle la critique faite par Blanchet & Coste que nous avons รฉvoquรฉe plus haut. La culture, ou devrait tโon dire les cultures, ne sont pas les agents de ce processus. Ce sont bel et bien les individus qui en sont les acteurs et cela que ce soit ร lโรฉchelle dโune sociรฉtรฉ, dโun groupe social ou de lโindividu lui-mรชme. Il y a donc autant de cultures diffรฉrentes quโil y a dโindividus. Les deux derniers points expliquรฉs par Wikan posent les bases de ce que lโon appelle lโapproche interculturelle. Il sโagit dโune rencontre, dโun รฉchange entre deux individus et cโest prรฉcisรฉment lors de cet รฉchange quโun รฉchange entre les cultures peut avoir lieu. Ce processus correspond ร ce que Nathalie Auger, citรฉe ici par Philippe Blanchet et Daniel Coste, appelle la rencontre interculturelle: Dรจs quโil y a relation, il y a altรฉritรฉ et, de fait, interculturalitรฉ [โฆ] la complexitรฉ culturelle de chacun, traversรฉe dโรฉlรฉments collectifs et singuliers, fait de chaque rencontre une rencontre interculturelle. (Blanchet & Coste, 2010, p. 10) Il est important de rappeler que la rencontre interculturelle dont parle Auger a lieu ร lโรฉchelle de deux individus. Cโest cela qui motive certains auteurs ร prรฉfรฉrer parler de rencontre entre des individus plutรดt que de rencontre entre des cultures. Comme le rappelle Alain Touraine (1994) : Lorsque lโaccent est mis sur les cultures de dรฉpart et dโarrivรฉe considรฉrรฉes comme des systรจmes fermรฉs ou mรชme comme des corps de valeurs opposรฉs, les difficultรฉs des immigrants deviennent trรจs grandes et souvent insurmontables [โฆ]. On devrait donc moins parler de rencontre entre des cultures et davantage dโhistoire dโindividus qui passent dโune situation ร une autre et qui reรงoivent de plusieurs sociรฉtรฉs et de plusieurs cultures des รฉlรฉments dont sera formรฉe leur personnalitรฉ. (Hily, 2001, p. 9) La rencontre se fait ici ร un autre niveau que celui de lโinteraction entre deux cultures ou entre deux groupes sociaux. En effet, cela se passe au niveau de lโindividu lui-mรชme. Cela a pour effet, selon Touraine, de casser la vision systรฉmatique dโune rencontre entre deux cultures considรฉrรฉes comme figรฉes et opposรฉes lโune ร lโautre. Pour appliquer cela au contexte de la classe, il ne sโagit pas pour lโenseignant de proposer aux รฉlรจves une rencontre entre deux cultures (la culture allemande versus la culture suisse) mais de rendre les apprenants attentifs au fait quโil sโagit dโune rencontre entre un individu qui habite en Allemagne (avec une histoire, un contexte social, familial, etc. qui lui sont propres) et lโapprenant lui-mรชme (porteur de sa propre histoire, de son propre contexte social, etc.). Le dernier point de Wikan exprime prรฉcisรฉment ce ร quoi la compรฉtence interculturelle (qui sโinscrit dans lโapproche interculturelle et qui dรฉcoule de lโรฉchange interculturel) cherche ร apporter une solution. Avoir ร lโesprit la diffรฉrence, la divergence et la distance lorsque lโon รฉchange sur les cultures est une posture qui peut rรฉellement menacer des valeurs ร la base de notre sociรฉtรฉ comme lโรฉgalitรฉ, la tolรฉrance ou la fraternitรฉ. Nous dรฉvelopperons cet รฉlรฉment plus loin dans notre travail.
Lorsque lโon parle dโindividu, on en vient forcรฉment ร parler dโidentitรฉ et cโest pour cette raison que nous avons choisi de traiter la notion dโidentitรฉ en lien avec le concept de culture. Comme nous lโavons vu plus haut, la culture se dรฉfinit entre autres ร travers un systรจme de valeurs, des traditions et des croyances. Cela implique que chaque individu porte un identitรฉ, dรฉfinie entre autres par des reprรฉsentations mentales sur sa propre culture ou sur la culture de lโautre. Dervin & Fracchiolla citent Ewing, pour qui tout individu projette un soi ou des reprรฉsentations de soi, qui sont multiples et changeantes, et qui dรฉpendent de contextes dโinteractions et de stimuli extรฉrieurs (Dervin & Fracchiolla, 2012, p. 9). Ces reprรฉsentations jouent bien sรปr un rรดle important dans lโapprentissage des langues, comme le note Nathalie Mรผller (1998, p. 9) : Apprendre une langue, ce nโest pas uniquement mettre en ลuvre des compรฉtences cognitives, cโest aussi actualiser un ensemble de reprรฉsentations de la langue quโon apprend, reprรฉsentations de soi, de son groupe, des autres groupes. Cela signifie donc pour nous en didactique des langues cultures que lโapprenant arrive chargรฉ de ses reprรฉsentations et de ses prรฉjugรฉs sur la langue. Mais cette citation montre quโil est possible de faire รฉvoluer ces reprรฉsentations et de remettre en question, dans une certaine mesure, les stรฉrรฉotypes nรฉgatifs vis-ร -vis de la langue allemande, mais aussi vis-ร vis de sa propre ยซ culture ยป et de soi-mรชme. Un dernier aspect ร prendre en compte est la dimension multiculturelle de nos sociรฉtรฉs contemporaines. Dans un monde oรน il devient toujours plus facile de se dรฉplacer, dโรฉchanger ร travers les moyens de communication, les rรฉseaux sociaux et Internet, la notion de culture se complexifie. Par consรฉquent, il devient impossible de rรฉsumer une population entiรจre ou mรชme un groupe social ร une seule culture. Mรชme sโil est important de reconnaรฎtre quโil peut y avoir des traits communs ร lโรฉchelle dโune population ou dโun groupe social, ceux-ci ne peuvent pas suffire ร dรฉfinir cette population ou ce groupe social. Le concept de culture est loin dโรชtre homogรฉnรฉisant. Pour donner un exemple local, toute la population suisse romande parle franรงais, cependant on ne parle pas le mรชme franรงais ร Sion et ร Genรจve (pas seulement du point de vue de lโaccent). Cโest ce quโexprime Olivier Meunier (2014, p.13) en รฉcrivant que les notions de culture et de sociรฉtรฉ ne sont pas ยซ superposables ยป, puisque les sociรฉtรฉs actuelles sont pour la plupart multiculturelles. Cet รฉtat de fait est รฉgalement applicable ร la salle de classe. Comme le note Puren, il nโy a pas de milieu rรฉellement homogรจne du point de vue culturel :Mรชme dans des environnements entiรจrement monolingues (une seule langue maternelle chez les apprenants, qui est aussi celle de lโenseignant), il y a forcรฉment des dรฉcalages entre la culture dโenseignement et la culture dโapprentissage, et ร lโintรฉrieur de la culture dโapprentissage, il y a toujours des diffรฉrences importantes dโun apprenant ร lโautre, dues non seulement aux stratรฉgies individuelles, mais aussi aux expรฉriences et parcours antรฉrieurs, au niveau et type de motivation, aux profils cognitifs, etc. : il nโexiste jamais de milieu culturel vraiment ยซ homogรจne. ยป (2011, p.11) .
Cette rรฉflexion autour du concept de culture nous mรจne donc penser la culture dans un sens pluriel (les cultures), ร les voir comme un phรฉnomรจne complexe, en perpรฉtuelle รฉvolution et qui prennent leur source ร lโรฉchelle de chaque individu. La rencontre entre deux individus permet cet รฉchange entre les cultures qui leur sont propres et crรฉe cette rencontre interculturelle que lโon cherche ร appliquer en didactique des langues-cultures.
Approche communicative et interculturalitรฉ
Avant de dรฉfinir le concept dโinterculturalitรฉ en didactique des langues cultures, il convient de dรฉfinir le contexte dans lequel il sโinscrit. Pour cela, nous dresserons un bref historique de lโรฉvolution des diffรฉrentes mรฉthodologies appliquรฉes dans lโenseignement des langues au niveau europรฉen. Cela permettra รฉgalement de comprendre comment et pourquoi ce concept est peu ร peu apparu en didactique des langues-cultures. Nous proposons de reprendre ici le modรจle dโรฉvolution historique des configurations didactiques9 prรฉsentรฉ par Christian Puren (2008). Il a lโavantage de montrer clairement les transformations de chaque mรฉthodologie en fonction de plusieurs critรจres : compรฉtences sociales (langagiรจres et culturelles) de rรฉfรฉrence et les actions sociales qui sโy rapportent ainsi que des tรขches scolaires correspondantes. Pour chaque mรฉthodologie (ou configuration didactique), Puren dรฉmontre comment chacune sโest construite selon une mise en adรฉquation maximale (Puren utilise le terme dโhomologie) entre perspective actionnelle (les actions et les tรขches ร rรฉaliser en langue รฉtrangรจre auxquelles elle prรฉpare les apprenants) et perspective culturelle (les compรฉtences culturelles auxquelles elle prรฉpare les apprenants) (Puren, 2002). Pour Puren, la ยซ mรฉthodologie traditionnelle ยป du XIXe siรจcle visait la compรฉtence sociale langagiรจre de relecture des grands textes classiques en lien avec la lecture (comme action sociale) et la traduction (comme tรขche scolaire) Puren parle de ยซ compรฉtence transculturelle ยป pour dรฉcrire la perspective culturelle de cette mรฉthodologie, mais il sโagissait ici dโacquรฉrir et de partager des valeurs universelles humanistes expliquรฉes par รmile Durkheim. Le terme ยซ transculturelle ยป utilisรฉ ici revรชt un sens diffรฉrent (et mรชme en opposition) avec le sens que nous cherchons ร dรฉfinir dans ce travail. La mรฉthodologie traditionnelle ne sโintรฉressait pas ร construire des connaissances culturelles sur les particularitรฉs de telle ou telle culture mais ร cette ยซ culture gรฉnรฉrale ยป, ce ยซ fond commun de lโHumanitรฉ ยป construit autour des valeurs du Vrai, du Beau et du Bien (Puren, 2002).
La deuxiรจme construction didactique correspond ร une mรฉthodologie dite ยซ active ยป qui est restรฉe en vigueur dans lโenseignement scolaire franรงais jusque dans les annรฉes 1960. Lโobjectif social de rรฉfรฉrence est de rendre les apprenants capables dโentretenir et de dรฉvelopper des connaissances culturelles ร travers des documents authentiques comme la littรฉrature encore, bien sรปr, mais aussi ร travers les nouveaux mรฉdias de lโรฉpoque : revues, journaux, et plus tard รฉmissions de radio et de tรฉlรฉvision. Les progrรจs de la fin du XIXe et du dรฉbut du XXe siรจcle (dans les transports, la diffusion de lโinformation, les) transforment les objectifs dโapprentissage pour les langues รฉtrangรจres. Il est dรฉsormais possible dโรชtre en contact avec lโAutre, mรชme si ce contact reste trรจs distant et extrรชmement ponctuel. Pour la premiรจre fois, il est question dans la ยซ mรฉthodologie active ยป de mobiliser des connaissances culturelles. Puren nomme ce processus ยซ compรฉtence mรฉtaculturelle ยป dans lequel il sโagit de parler ยซ sur ยป ou ยซ ร propos de ยป. Cela montre bien cette notion de distance dont nous avons parlรฉ plus haut.
La troisiรจme construction didactique, lโยซ approche communicative ยป trouve ses dรฉbuts dans les annรฉes 1980. Puis cโest lโintroduction du CECRL dans la fin des annรฉes 1990 qui a posรฉ les bases de la derniรจre construction didactique, la perspective actionnelle. Nous dรฉvelopperons ces deux approches dans les lignes suivantes. Il faut prรฉciser que Puren sรฉpare la didactique du plurilinguisme (vivre avec) et la perspective actionnelle (agir avec). Nous proposons de les traiter ensemble sous le terme ยซ perspective actionnelle ยป car elles se rattachent toutes les deux au CECRL et trouvent naissance ร la mรชme pรฉriode. Cependant, il faut impรฉrativement garder ร lโesprit quโelles portent sur des compรฉtences (langagiรจres et culturelles) diffรฉrentes.
Avant dโaller plus loin, il est nรฉcessaire de clarifier un aspect terminologique en lien avec cette derniรจre construction didactique. Certains auteurs parlent dโ ยซ approche actionnelle ยป et dโautres, de ยซ perspective actionnelle ยป ; le CECRL utilise dโailleurs les deux expressions. Afin dโรฉviter toute confusion dans la suite du travail, nous prรฉfรฉrerons le terme de ยซ perspective actionnelle ยป car, comme le relรจve Puren (2011, p.9), il exprime un sens de ยซ diversitรฉ ยป ร disposition de lโenseignant. Aprรจs avoir dรฉcrit lโรฉvolution des configurations didactiques ร travers le XXe siรจcle, nous pouvons maintenant nous concentrer davantage sur le lien entre lโapproche communicative et la compรฉtence interculturelle. Avec cette approche, lโobjectif social change ร nouveau. Il sโagit de prรฉparer les รฉlรจves ร ยซ cohabiter harmonieusement dans une sociรฉtรฉ qui est de plus en plus multilingue et multiculturelle ยป (Puren, 2008, p.5). Cโest dans ce contexte que le CECRL introduit la notion de ยซ compรฉtence plurilingue et pluriculturelle ยป, quโil prรฉsente de la faรงon suivante : La compรฉtence plurilingue est la capacitรฉ dโacteurs sociaux ร gรฉrer les situations oรน, ยซ dans leurs langue et leur culture premiรจre, (ils) sont, au cours du processus de socialisation, exposรฉs ร diffรฉrentes variรฉtรฉs linguistiques et ร la diffรฉrentiation culturelle interne ร toute sociรฉtรฉ complexe ยป. (CECRL, 2001 p.105, je souligne) Et de prรฉciser dโavantage: Cette compรฉtence se caractรฉrise aussi par le faitque, dans sa mise en ลuvre, les capacitรฉs et les connaissances tant gรฉnรฉrales que langagiรจres (que possรจde un individu) sont sollicitรฉes de maniรจre diffรฉrentiรฉe. Par exemple, les stratรฉgies mobilisรฉes pour la rรฉalisation de tรขches ร dimension langagiรจres peuvent varier suivant les langues auxquelles il est fait recours. Ainsi, des savoir-รชtre soulignant lโouverture, la convivialitรฉ, la bonne volontรฉ (dans la gestuelle, les mimiques, la proxรฉmique gรฉnรฉrale) peuvent, dans une langue dont on maรฎtrise mal la composante linguistique, compenser cette relative dรฉficience au cours de lโinteraction avec un natif, alors que, dans la langue mieux maรฎtrisรฉe, le mรชme acteur pourrait avoir une attitude plus distante ou plus rรฉservรฉe. (Ibid.) Ce que nous pouvons retenir de cet extrait, cโest que les apprenants se doivent dโacquรฉrir une compรฉtence plurilingue (pour faire face aux diffรฉrentes variรฉtรฉs linguistiques) et une compรฉtence interculturelle (pour faire face ร la diffรฉrentiation culturelle). Ces deux compรฉtences, telles que prรฉsentรฉes ici, sont ร la fois complรฉmentaires mais aussi, selon nous, rรฉtroactives. En effet, la compรฉtence plurilingue peut ร notre sens dรฉvelopper la compรฉtence interculturelle et inversement : lorsque lโapprenant a recours ร des savoirs-รชtre culturels (ouverture, convivialitรฉ), cela peut le mener ร complรฉter sa compรฉtence plurilingue pour cette situation ou ce champ lexical. ร lโinverse, lorsquโun apprenant dispose dโun niveau langagier suffisant, il possible quโil dรฉveloppe sa compรฉtence interculturelle en modifiant son savoir-รชtre dans une situation donnรฉe .
Conclusion
Cette recherche est illustrative des enjeux actuels qui concernent lโapproche interculturelle dans les sciences de lโรฉducation. Le potentiel interculturel prรฉsent chez les รฉlรจves et dans certains manuels scolaires reste, dans la grande majoritรฉ des cas, sousexploitรฉ. Il est vrai quโinclure lโapproche interculturelle dans une sรฉquence dโenseignement peut reprรฉsenter un dรฉfi pour lโenseignant. Intรฉgrer lโapproche interculturelle, cโest prendre des risques, quitter la sรฉcuritรฉ de sa zone de confort et accepter de cรฉder une part de contrรดle aux รฉlรจves. Cependant, le potentiel est prรฉsent, il vaut la peine dโรชtre exploitรฉ et une telle dรฉmarche peut donner des rรฉsultats. Bien quโil soit difficile de dire dans quelle mesure la compรฉtence interculturelle a impactรฉ les รฉlรจves, nous avons vu dans lโanalyse des rรฉsultats, que la sรฉquence basรฉe sur lโapproche actionnelle et interculturelle a dโune maniรจre globale suscitรฉ de lโintรฉrรชt et de la motivation de leur part. En effet, le choix du thรจme des mรฉdias a รฉtรฉ pour plusieurs รฉlรจves une source de motivation importante. Nรฉanmoins, quelques รฉlรจves ont montrรฉ quโils avaient appris des รฉlรฉments nouveaux sur les cultures de lโAutre ร travers la sรฉquence et quโils sโรฉtaient posรฉs des questions sur leur propre mode de vie. Cette recherche montre donc que le dรฉveloppement de la dynamique motivationnelle chez les รฉlรจves rรฉsulte de la combinaison de plusieurs des conditions proposรฉes par Roland Viau: le sentiment dโauto efficacitรฉ des รฉlรจves, lโinteraction entre les รฉlรจves, lโutilisation des MITIC, etcโฆ Et peut รชtre le plus important, le thรจme de par sa pertinence, son authenticitรฉ et bien sรปr sa composante culturelle .
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
1.1. CONTEXTE DE LA RECHERCHE
1.2. PRESENTATION DE LโOBJET DE RECHERCHE
2. CADRE THEORIQUEย
2.1. CONCEPTS-CLES DE LA RECHERCHE
2.1.1 Didactique des langues-cultures
2.1.2. Culture et identitรฉ
2.1.3. Approche communicative et interculturalitรฉ
2.1.4. Perspective actionnelle et transculturalitรฉ
2.1.5. Motivation
2.2. QUESTIONS DE RECHERCHE ET HYPOTHESES
2.2.1. Question de recherche
2.2.2. Hypothรจses
3. METHODOLOGIE
3.1. LA SEQUENCE DIDACTIQUE
3.2. LE PROFIL DES ELEVES
3.3. OBJECTIFS DE LA SEQUENCE
3.4. ACTIVITES DE LA SEQUENCE
3.5. EVALUATION DE LA SEQUENCE
4. RESULTATS
4.1. ANALYSE DU QUESTIONNAIRE
4.1.1. Potentiel plurilingue
4.1.2. Reprรฉsentations
4.1.3. Niveau langagier et utilisation du smartphone
4.2. ANALYSE DU QUESTIONNAIRE
4.2.1. Vidรฉo
4.2.2. Tรขche finale
4.2.3. Motivation
5. CONCLUSION
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