Nitrogen uptake rate measurements
Le cycle du carbone en milieux marins
La forte capacitรฉ de lโocรฉan ร emmagasiner le dioxyde de carbone (CO 2) atmosphรฉrique par dissolution (Gross & Gross 1996) en fait un รฉlรฉment majeur du cycle biogรฉochimique du carbone. Premiรจrement, le CO 2 dissous dans les eaux de surface des ocรฉans est entraรฎnรฉ vers les fonds marins lors de la formation des eaux profondes froides ร la hauteur des rรฉgions subarctiques (Duxbury & Duxbury 1989, Brown et al. 1992). Le carbone inorganique sera isolรฉ de lโatmosphรจre pour quelques centaines voire un millier dโannรฉes, soit jusquโau retour des masses dโeau profondes vers les grandes zones dโupwelling de la divergence tropicale. ร ces latitudes, le CO 2 dissous dans lโeau est de retour en surface et pourra รชtre dรฉgaz รฉ vers lโatmosphรจre (Duxbury & Duxbury 1989). Deuxiรจmement, le carbone est รฉgalement exportรฉ vers les fonds marins sous forme de matiรจre organique qui a รฉtรฉ รฉlaborรฉe par la photosynthรจse du phytoplancton dans la zone รฉclairรฉe de la surface des ocรฉans. Le carbone organique particulaire descend dans la colonne dโeau, soit sous forme de cellules phytoplanctoniques entiรจres, de pelotes fรฉcales, de neige marine ou encore via les migrations verticales des organismes (Legendre & Le Fรจvre 1991). Lโadvection horizontale et verticale du matรฉriel organique dissous rรฉfractaire ร la dรฉgradat ion est aussi considรฉrรฉe comme une voie dโexportation importante (Legendre & Gosselin 1989, Legendre & Le Fรจvre 1991, Carlson et al. 1994). Lโexportation de cette matiรจre organique produite par les microalgues vers les profondeurs est appelรฉe ยซ la pompe biologique ยป (Volk & Hoffert 1985, Legendre & Le Fรจvre 1991).
Dans les milieux polaires, lโintensitรฉ de la pompe biologique ร CO 2 est affectรฉe par les couvertures de glace et de neige puisque celles-ci influencent, dans un premier temps, les รฉchanges calorifiques et gazeux entre lโatmosphรจre et la surface de lโocรฉan (Maykut 1978). Dans un deuxiรจme temps, le couvert de glace diminue substantiellement le niveau de pรฉnรฉtration de la lumiรจre dans la colonne dโeau (Massom 1988), ce qui influence lโinitiation printaniรจre de la floraison du phytoplancton (Legendre et al. 1992, Rysgaard et al. 1999). La glace de mer sert รฉgalement de support pour le dรฉveloppement de communautรฉs dโalgues unicellulaires (Horner & Schrader 1982, Horner et al. 1992, Gosselin et al. 1997). Au printemps, ces algues de glace reprรฉsentent une source de nourriture hรขtive pour les organismes des maillons trophiques supรฉrieurs vivant ร la base de la glace, ร lโinterface glace-eau et dans la colonne dโeau (Michel et al. 1996, Nozais et al. 2001). Il est possible de formuler une premiรจre hypothรจse qui stipule que la rรฉduction du couvert de glace permettrait une augmentation de la photosynthรจse en raison dโune pรฉnรฉtration accrue de la lumiรจre dans la couche de surface de lโocรฉan. En outre, la fonte d u couvert glaciel entraรฎnerait la formation dโune couche stratifiรฉe sous la glace qui permettrait aux cellules phytoplanctoniques de se maintenir dans la zone euphotique. Cependant, le couvert de glace rรฉduit non seulement la lumiรจre mais aussi la turbulen ce dans la colonne dโeau. En lโabsence de couvert de glace, le vent peut mรฉlanger trรจs fortement la couche de surface. Cโest pourquoi une hypothรจse contraire pourrait stipuler quโร lโinverse, le mรฉlange des eaux de surface par le vent et la marรฉe aprรจs la fonte de la glace risque de rรฉduire la production phytoplanctonique. Actuellement, il est difficile de prรฉvoir lequel de ces deux scรฉnarios serait prรฉdominant suite ร la fonte de la banquise de glace arctique. Dans les rรฉgions arctiques, les flux verticaux de carbone atmosphรฉrique par voie dโรฉchanges gazeux ร lโinterface air-eau (Yager et al. 1995, Miller et al. sous presse) et les flux de carbone organique particulaire par voie de sรฉdimentation (Michel et al. 1996, sous presse) et par voie de transport de carbone organique dissous par advection (Wheeler et al. 1996) sont profondรฉment influencรฉs par la prรฉsence de glace annuelle et pluriannuelle.
En certains endroits des rรฉgions polaires existent des รฉtendues ร faible couvert de glace ou dโeau libre entourรฉe de glace de mer. Ces endroits, appelรฉs polynies (Smith et al. 1990, Lewis et al. 1996), peuvent se reformer ร chaque annรฉe en un point gรฉographique fixe. Elles sont alors dรฉsignรฉes sous le terme ยซ polynies rรฉcurrentes ยป (Stirling 1980). Annรฉe aprรจs annรฉe, ces aires ouvertes soutiennent une faune importante et variรฉe (Brown & Nettleship 1981, Stirling et al. 1981), probablement en raison de leur grande productivitรฉ (Stirling 1980, 1997, Smith & Rigby 1981). Selon la rรฉcente hypothรจse de ยซ rectification saisonniรจre ยป proposรฉe par Yager et al. (1995), le cycle annuel du flux de CO2 ร lโinterface air-eau qui prรฉvaut dans les rรฉgions ร couvert saisonnier de glace, notamment les polynies, diffรฉrerait du flux typiquement rencontrรฉ dans les systรจmes marins situรฉs a ux basses latitudes et exempts de glace de mer. Effectivement, la variation saisonniรจre du couvert de glace et la forte production primaire permettraient aux polynies arctiques dโรชtre, sur une base annuelle, de nets piรจges ร CO 2 (Yager et al. 1995, Miller et al. sous presse). Au printemps et ร lโรฉtรฉ, le phytoplancton incorpore le carbone inorganique dissous dans les eaux de surface pour le transformer en carbone organique par voie de photosynthรจse. ร la fin de lโรฉtรฉ, ce carbone organique est rapidement tran sfรฉrรฉ vers les eaux profondes, rรฉduisant ainsi les concentrations de CO2 dans les eaux de surface. Le gradient de concentration entre lโatmosphรจre et les eaux de surface ainsi crรฉรฉ provoque un flux de CO 2 de lโatmosphรจre vers la colonne dโeau. En hiver, la respiration des organismes surpasse la fixation du carbone ; la couche de surface est alors saturรฉe en CO2, mais le couvert de glace qui referme la polynie empรชche tout dรฉgazage vers lโatmosphรจre. Au printemps, avant la fonte de la couverture glacielle, les algues qui vivent ร la base de la glace utilisent le CO2 dissous avant quโil ne retourne vers lโatmosphรจre. De plus, lโeau douce provenant de la fonte de la glace de mer crรฉe, prรจs de la surface, une mince couche fortement stratifiรฉe qui isole le CO2 dans la colonne dโeau. Sur une base annuelle, les eaux de surface saturรฉes en CO2 ne sont donc jamais en contact direct avec lโatmosphรจre, ce qui prรฉvient le dรฉgazage et conserve le CO2 dans les eaux de la polynie. Par consรฉquent, les polynies et les rรฉgions du plateau continental arctique sous couvert saisonnier de glace pourraient agir comme des piรจges annuels ร CO 2 (Yager et al. 1995, Miller et al. sous presse).
La polynie des Eaux du Nord
Situรฉe dans le dรฉtroit de Smith, au nord de la baie de Baffin, la polynie des Eaux du Nord (North Water Polynya, 75-79ยบN, 66-80ยบW; Figure 1) est dรฉlimitรฉe ร lโouest par lโรฎle dโEllesmere, Canada, et ร lโest par le Groenland, Danemark (Smith et al. 1990). La frontiรจre septentrionale de la polynie est une barriรจre de glace dโune trรจs grande stabilitรฉ qui relie les deux rives du dรฉtroit de Smith (Dunbar 1969). Ce pont de glace, qui bloque lโentrรฉe de la polynie ร la glace formรฉe plus au nord (Ito & Mรผller 1977), persiste habituellement jusquโau mois dโaoรปt, mois au cours duq uel il se brise ร la hauteur du bassin de Kane
Figure 1. Carte des stations รฉchantillonnรฉes dans la rรฉ gion des Eaux du Nord
(Dunbar 1969). Au sud, la limite de la polynie varie considรฉrablement selon les conditions climatiques et les saisons (Dunbar 1969, Stirling 1980, Smith & Rigby 1981, Smith et al. 1990). La rรฉgion des Eaux du Nord est rarement ouverte pendant lโhiver (Steffen & Ohmura 1985) et le couvert de glace peut sโรฉtendre sur 95% de sa surface en janvier (Melling et al. 2001). En saison estivale, lโexpansion de la polynie est telle que la limite sud finit par disparaรฎtre complรจtement. La rรฉgion nโest alors plus entourรฉe de glace, et elle cesse dโรชtre une polynie au sens technique du terme (Dunbar 1969). De toutes les polynies de lโArctique canadien, la polynie des Eaux du Nord est non seulement la plus grande, avec une superficie maximale de 80 000 km2 (Steffen & Ohmura 1985), mais aussi la plus riche en espรจces dโoiseaux et de mammifรจres marins (Stirling et al. 1981, Brown & Nettleship 1981). Depuis deux ร trois millรฉnaires, les populations considรฉrables de phoques annelรฉs (Phoca hispida) et dโours polaires (Ursus maritimus) des Eaux du Nord attirent les Inuits sur ce territoire de chasse exceptionnel (Schlederman 1980). La rรฉgion des Eaux du Nord figure parmi les systรจmes les plus productifs des deux pรดles (Barber et al. 2001b, Klein et al. sous presse, Tremblay et al. sous presse b).
Le schรฉma gรฉnรฉral de la circulation de surface comprend deux principaux courants (Melling et al. 2001, Bรขcle et al. sous presse). La rรฉgion ouest des Eaux du Nord est dominรฉe par un courant froid provenant de lโocรฉan Arctique qui circule vers le sud le long de la cรดte canadienne. La portion orientale des Eaux du Nord est sous lโinfluence des eaux atlantiques. En effet, les eaux plus chaudes et plus salรฉes de lโocรฉan Atlantique entrent dans la baie de Baffin via le courant groenlandais de lโouest (ยซ West Greenland Current ยป) et une partie de ces eaux circule vers le dรฉtroit de Lancaster. Une autre partie poursuit son cours vers le nord en suivant la cรดte du Groenland, et ce, jusquโร la station E2 (Figure 1) dans la rรฉgion des Eaux du Nord. En surface, une couche homogรจne dโeau froide de 30 ร 100 m dโรฉpaisseur isole cette masse dโeau plus chaude qui circule en profondeur. Dans cette colonne dโeau stratifiรฉe, lโeau la plus chaude se situe ร une profondeur variant entre 200 et 400 m (Lewis et al. 1996, Melling et al. 2001).
La formation dโune polynie repose sur des phรฉnomรจnes atmosphรฉriques et ocรฉaniques. Conventionnellement, on dรฉcrit deux mรฉcanismes dโouverture qui peuvent agir seuls ou ensemble (Smith et al. 1990). Lorsque les vents et les courants marins entraรฎnent les glaces au large ร la mesure quโelles se forment, une polynie de chaleur latente (de lโanglais ยซ latent heat polynya ยป) est crรฉรฉe. La formation continuelle de nouvelle glace libรจre de la chaleur latente de fusion, ce qui permet dโรฉquilibrer les pertes de chaleur de lโocรฉan au profit de lโatmosphรจre, et par consรฉquent, de garder la polynie libre de glace . Par contre, lorsquโil y a une remontรฉe dโeau suffisamment chaude pour รฉroder le couvert de glace en surface et empรชcher ou ralentir la production de nouvelle glace, la polynie est dite de chaleur sensible (ยซ sensible heat polynya ยป). Lโexistence de la polynie des Eaux du Nord est principalement due ร un phรฉnomรจne de chaleur latente par lequel les glaces sont chassรฉes par les vents persistants provenant du nord et par le courant marin dominant issu de lโocรฉan Arctique qui se dirige vers le sud (Muench 1971, Melling et al. 2001). La seule prรฉsence de la barriรจre de glace au nord, qui empรชche le remplacement des glaces par dโautres glaces nordiques, est suffisante pour permettre ร la polynie de sโouvrir sans quโaucun apport de chaleur dโorigine ocรฉanique ne soit nรฉcessaire (Melling et al. 2001).
Bien quโil ne puisse pas provoquer directement la fonte prรฉcoce de la glace en surface, le flux de chaleur sensible entraรฎnรฉ en surface par turbulence ร partir du courant groenlandais de lโouest pourrait rรฉduire dโenviron un tiers le couvert de glace le long de la cรดte groenlandaise et ainsi contribuer ร maintenir la polynie (Melling et al. 2001). ร chaque annรฉe, la fonte de la glace le long de la cรดte du Groenland dรฉbute un mois avant lโouverture du cรดtรฉ canadien de la polynie (Yackel et al. 2001). Le flux de chaleur sensible ou encore les plus chaudes tempรฉratures atmosphรฉriques observรฉes sur la rive groenlandaise (Barber et al. 2001a) pourraient รชtre responsables dโun tel รฉvรฉnement puisquโils contribueraient ร rรฉduire lโรฉpaisseur de la glace dans cette rรฉgion.
Le mรฉcanisme de chaleur latente permet ร la polynie de sโouvrir bien avant les rรฉgions adjacentes sous couvert de glace, ce qui confรจre ร la rรฉgion une plus longue pรฉriode de floraison du phytoplancton et explique en partie sa grande productivitรฉ annuelle. Le cycle de production des Eaux du Nord dรฉbute avec lโouverture de la polynie en avril et se prolonge jusquโร la fin de septembre (Klein et al. sous presse). Les concentrations en chlorophylle a (chl a) dans la zone euphotique sont faibles en avril (ca. 21 mg chl a m-2), maximales en mai et juin (ca. 110 mg chl a m-2) et relativement constantes (ca. 75 mg chl a m-2) durant le reste de la saison de croissance (Klein et al. sous presse). Pour la pรฉriode dโavril ร juillet 1998, la biomasse du phytoplancton (incluant les protistes) รฉtait composรฉe ร 70% de diatomรฉes (Lovejoy et al. sous presse). Selon Booth et al. (sous presse), le bloom printanier, dominรฉ par la diatomรฉe centrique Thalassiosira sp., dรฉbute en mai dans lโest et le sud de la polynie et progresse vers le nord dรจs juin. ร cette pรฉriode, la diatomรฉe centrique Chaetoceros socialis domine la communautรฉ phytoplanctonique au sud.
La pรฉriode productive semble se poursuivre jusquโau mois de septembre, les floraisons sโรฉtendant ร lโouest et au nord. Les caractรฉristiques physiques de la colonne dโeau expliqueraient lโinitiation du bloom dans la partie orientale de la polynie (Mei et al. sous presse). Tel que mentionnรฉ prรฉcรฉdemment, la chaleur sensible entraรฎnรฉe par turbulence (voir Melling et al. 2001) de mรชme que la tempรฉrature atmosphรฉrique plus chaude observรฉe par Barber et al. (2001a) contribueraient ร rรฉduire lโรฉpaisseur du couvert de glace le long de la cรดte du Groenland, gardant ainsi un couvert glaciel plus mince que celui retrouvรฉ du cรดtรฉ canadien durant toute lโannรฉe. Ainsi, une pรฉnรฉtration accrue de la lumiรจre dans la couche mรฉlangรฉe de surface recouverte dโune mince couche glacielle favoriserait le dรฉveloppement prรฉcoce du phytoplancton de la rรฉgion groenlandaise. Alors que la saison avance, la biomasse du phytoplancton augmente et absorbe davantage de lumiรจre, ce qui, dโune part, rรฉduit la profondeur de la zone euphotique, et dโautre part, permet dโemmagasiner de la
chaleur dans lโeau en surface. La chaleur ainsi gagnรฉe rรฉchaufferait la couche de surface, et augmenterait donc la stratification verticale de la colonne dโeau, ce qui favoriserait le bloom du phytoplancton (Mei et al. sous presse). Ce bloom prรฉcoce contribue non seulement ร la forte productivitรฉ dans la zone euphotique des Eaux du Nord, mais รฉgalement ร une exportation considรฉrable de matiรจre organique de la zone รฉclairรฉe de surface vers les organismes des rรฉseaux trophiques supรฉrieurs et รฉventuellement vers les profondeurs marines. La production particulaire moyenne annuelle des Eaux du Nord a รฉtรฉ estimรฉe ร 152 g C m-2, dont 92 g C m-2 sont susceptibles dโรชtre exportรฉs hors de la zone euphotique (Klein et al. sous presse).
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Table des matiรจres
I. INTRODUCTION GรNรRALE
Le cycle du carbone en milieux marins
La polynie des Eaux du Nord
La notion de production nouvelle
II. PHYTOPLANKTON NITROGENOUS NUTRITION IN THE NORTH WATER, NORTHERN BAFFIN BAY, IN AUGUST-OCTOBER 1999
ABSTRACT
RรSUMร
INTRODUCTION
MATERIAL AND METHODS
Chemical and biological measurements
Nitrogen uptake rate measurements
Calculations
Statistical analysis
RESULTS
Physical environment
Particulate organic nitrogen and phytoplankton biomass
Nitrogen uptake rates
f-ratios and new production
DISCUSSION
Phytoplankton dynamics in late growth season
Spatial distribution in early autumn
Phytoplankton nitrogenous nutrition
New and export production in the North Water
Annual total and new production in the North Water
III. CONCLUSION GรNรRALE
IV. RรFรRENCES
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