La philosophie nietzschéenne commence par l’étude du passé et de la réalité existante ou celle dont il a vécu. Par son recule avant d’élaborer ou de prendre une nouvelle position, Nietzsche lui-même nomme son siècle comme « le siècle de la science de l’histoire » . Grâce à cette science, Nietzsche reconnaît qu’une partie du commencement de sa philosophie appelée « philosophie à coups de marteau » est issue de la tradition occidentale ; celle-ci prétend entreprendre l’évaluation des valeurs qui ne sont pas objectives : « Nietzsche prend à partie la tradition occidentale de l’un, du sujet et de la volonté, afin d’élaborer la « philosophie à coups de marteau qui se veut évaluation de toutes choses. Aucune valeur n’est objective. » .
NIETZSCHE ET LA PHILOSOPHIE TRADITIONNELLE
LA METAPHYSIQUE TRADITIONNELLE
Chaque philosophe est fils de son temps, à l’instar de Nietzsche. La période qu’il a vécue le poussait à réfléchir, à philosopher. Et Nietzsche est à la fois philosophe, philologue. Son habilité en étude psychologique et philologique facilitaient toute sa recherche. Alors, vu la situation qu’il avait vécu, Nietzsche cherchait une solution non seulement pour la génération de son temps mais surtout pour les générations futures. Pour que cette solution fût réalisée, Nietzsche cherchait ce qui avait été dans le passé parce que le présent en est l’écho, son image du passé. Le résultat de cette découverte du passé se trouve dans la pensée métaphysique traditionnelle où l’on observe un « dualisme », un « idéalisme » comme source de toute décadence de l’humanité. Les autres philosophes prétendent se détacher de ces idées métaphysiques mais les héritent encore et, sont appelés les post socratiques.
LE DUALISME
Dans l’histoire et l’évolution de la pensée philosophique, Socrate est considéré comme un repère historique. C’est la raison pour laquelle il existe deux périodes : l’avant Socrate : le présocratique, et l’après, le post-socratique. Les présocratiques sont encore appelés les premiers philosophes de l’Occident. Ils ont une pensée indélébile dans toute recherche philosophique. Nietzsche est parmi les philosophes qui prennent conscience de leur importance.
En effet, il écrit dans « La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque » :
« Les véritables philosophes grecs sont les présocratiques (avec Socrate quelque chose change). [….]. Ils découvrent avant les sages toutes les grandes conceptions des choses, ils se réduisent eux-mêmes en système. Rien ne donne une idée plus haute de l’esprit grec que ce soudain foisonnement de types, cette façon involontaire de construire au complet toutes les grandes possibilités de l’idéal philosophique . » .
En témoignant sa profonde admiration à l’œuvre et à la pensée de ces philosophes, Nietzsche accepte la conception de la ‘‘Mesure’’. Celle-ci constitue l’expression de l’harmonie entre les parties et le tout selon les présocratiques, plus précisément Pythagore. Puis, cette expression ‘‘mesure’’ inclut la dimension esthétique car elle manifeste le caractère artistique comme Nietzsche met ces œuvres par ordre, en classant la dimension esthétique en premier mérite des présocratiques. Le deuxième mérite de leurs œuvres réside dans la dimension ontologique. En fait, ces présocratiques ont été les premiers à se poser le problème de l’être. Enfin et la troisième mérite de ces philosophes se trouve dans la dimension éthique. Dans cette sphère, ces philosophes ont pu maîtriser à la fois le mépris du savoir et le besoin immodéré du savoir. Et Héraclite est parmi les philosophes présocratiques appréciés par Nietzsche dans sa pensée de l’harmonie de contraire : « L’univers est une lutte, la justice, un conflit et que le devenir est déterminé par la discorde …Le combat est le père et le roi de toute chose ».
Nietzsche reconnaissait que dans la période « pré-morale » (préhistoire) de l’humanité, les anciens grecs ou ‘‘les barbares’’ portaient toujours en eux la hauteur d’esprit optant pour une plus grande vie :
« (…) la valeur ou la non valeur d’une action se déduisait de ses conséquences ; l’acte en lui-même importe aussi peu que ses origines (…) c’était la vertu rétrospective du succès ou de l’échec qui induisait à juger d’une action en bien ou en mal. L’impératif ‘‘connais-toi’’ y était encore inconnu » .
Nietzsche en tant que philosophe de soupçon, c’est-à-dire qui se soucie déjà à ce qui pourrait arriver après quelque temps, fait l’analyse psychologique de cet adage célèbre de Socrate ‘‘connais-toi, toi-même’’, qui accentue la mise en attention de l’homme sur la vie intérieure, car il imagine que par cette vie intérieure, l’homme peut transcender avec l’être suprême. Ce qui veut dire que Socrate a commencé à polluer l’air pur et frais des anciens grecs. Et la notion de dualisme a déjà infesté la vie quotidienne morale, philosophique. Dans ces derniers concepts même, les métaphysiciens jouent leur rôle. Alors ils acquiescent l’antinomie des valeurs de chose. Comme écrit Nietzsche :
« La croyance fondamentale des métaphysiciens c’est la croyance à l’antinomie des valeurs. Même les plus prudents n’ont pas songé à doter, sur ce seuil où le doute était le plus nécessaire, même lorsqu’ils s’étaient jurés de douter de tout. Il faut en effet douter d’abord qu’il existe des antinomies, ensuite de demander si les évaluations et les oppositions de valeurs usuelles auxquelles les métaphysiciens ont imprimé leur sceau ne sont autres, peut-être que des évaluations superficielles, des perspectives provisoires, peut-être prises, par surcroît, sous un certain angle, ou de bas en haut, en perspective en grenouille pour employer une expression familière aux peintres » .
C’est dans cette notion de l’antinomie des valeurs, un système qui admet la coexistence de deux principes des métaphysiciens, où l’on a déduit la notion de la dichotomie de tout comme sensible et l’intelligible, l’apparence et l’essence, l’instinct et la raison, le corps et l’âme, la réalité et le rêve, la permanence et le devenir, l’illusion et la vérité, le bien et le mal, le vrai et le faux, le phénomène et le noumène, bref, le dualisme. Cette doctrine s’enracine dans l’idéologie chrétienne. Le christianisme l’emploie pour effrayer l’homme sur l’idée de l’outre-monde, du monde de vérité, au-delà de notre monde réel qu’il considère comme le monde du péché auquel il faut fuir. Face à cet égard Nietzsche proteste contre ce dualisme. Il déclare :
« On a bonnes raisons de croire que toute espèce de dogmatisme philosophique, si solennel, si définitif, si absolu qu’il se prétendît, n’a jamais dû être qu’une sorte de noble enfantillage, une gaucherie de débutant (…) la pure, la plus tenace, la plus pernicieuse de toutes les erreurs connues a été celle d’un faiseur de système, je veux dire l’invention par Platon de l’esprit et du bien soi. » .
La religion chrétienne inculque à l’homme fort qui a l’habitude de hanter la richesse matérielle. Elle invite celui-ci à la richesse immatérielle. Cette dernière est réservée aux religieux, aux pieux qui promettent la vie éternelle dans le monde suprasensible. Cette pensée dualiste qui scinde le monde en deux parties est due à l’interprétation philosophique du terme métaphysique qui veut dire ‘‘au-delà du monde physique’’ selon la tradition philosophique. Elle est héritée par les faibles, les malades, les chrétiens pour détourner l’ambiance de la vie terrestre au projet de la survivance au paradis. C’est pourquoi l’auteur s’efforce d’agoniser, d’égorger non seulement la mentalité dualiste mais aussi fait-il table rase l’expression de l’idéalisme.
L’IDEALISME
La pensée est assoiffée toujours de connaissances. L’envie de connaître pousse l’homme à comprendre le monde avec sa raison d’être. Et les philosophes antiques prennent leur part à ce sujet qui s’effectue dans la science métaphysique. Pour eux, cette science détermine les causes premières des choses et des êtres éternels immuables. Alors Héraclite et Parménide selon l’histoire de la philosophie occidentale sont considérés comme les pères des métaphysiciens. Pour Héraclite d’Ephèse, le principe qui dirige le monde consiste dans le mobilisme universel et la perpétuelle métamorphose des choses. Tout passe et tout change sans cesse, d’où cette affirmation : « Tout change et rien ne demeure (…) ce qui descendent dans les mêmes fleuves reçoivent des eaux toujours nouvelles car on ne peut pas se baigner deux fois dans les mêmes fleuves » .
La pensée héraclitéenne déclare la transformation ininterrompue des choses, des idées des étants que doivent être passés et péris : « On ne peut pas toucher deux fois une substance périssable dans le même état, car elle se disperse et se réunit de nouveau par la promptitude et la rapidité de sa métamorphose. » Cette affirmation de l’être en devenir annonce la multiplicité, le pluralisme des choses et la relativité de la vérité. Elle est contestée par Parménide dans sa vision moniste du monde. Pour lui, seul l’être statique, immuable, anhistoire, est est. Donc, il est unique, inengendré, inchangeable, impérissable, toujours en son état selon son adage célèbre « l’être est, le non-être n’est pas ». Pour lui, l’être est identique à lui même, c’est-à-dire, il déclare la vérité parfaite et absolue qui dépasse le temps voire l’espace. En effet, pour chercher la vérité, il faut suivre la voie de l’être, puisque, le non-être n’apporte que des fausses réalités, des illusions, faute de son changement incessant.
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Table des matières
INTRODUCTION
I-NIETZSCHE ET LA PHILOSOPHIE TRADITIONNELLE
1.1 LA METAPHYSIQUE TRADITIONNELLE
1.1.1. LE DUALISME
1.1.2. L’IDEALISME
1.1.3. LES POST- SOCRATIQUES
1.2. LE REJET DE LA METAPHYSIQUE ET DU DUALISME DU MONDE
1.2.1. LE PRIMAT DE LA RAISON EN MORALE
1.2.2. LA METHODE GENEALOGIQUE
1.2.3. LE PERSPECTIVISME
II-LE CHRISTIANISME ET LA PERTE DU SENS DE LA TERRE
2.1. LA VICTOIRE DU CHRISTIANISME
2.1.1. L’IDEAL ASCETIQUE
2.1.2. LA MAUVAISE CONSCIENCE ET LE SENTIMENT DES FAUTES
2.1.3. LA PERTE DU SENS DE LA TERRE
2.2. LES CONCEPTS DE VERITE ET DE VERTU
2.2.1. LA VERITE ET L’IDEE DE JUSTICE
2.2.2. LA VERTU MORALE ET RELIGIEUSE
2.2.3. LA VERTU MODERNE
III-LE PROPHETISME DE NIETZSCHE
3.1. LA PHILOSOPHIE A COUPS DE MARTEAU
3.1.1. LE NIHILISME NIETZSCHEEN
3.1.2. LA MORT DE DIEU
3.1.3. L’ETERNEL RETOUR
3.2. NIETZSCHE ET LES NOUVELLES VALEURS
3.2.1. LES TROIS METAMORPHOSES
3.2.2. LA REINSTAURATION DU CORPS
3.2.3. LA NOUVELLE ARISTOCRATIE
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE