La seiche de Manche Sepia officinalis est un Mollusque Céphalopode qui constitue une ressource économique importante pour la région Normandie. Avec en moyenne 4000 à 7000 tonnes débarquées par an en criée (source : normandiefraicheurmer.fr) par les flottes hauturières et côtières, il s’agit de la quatrième ressource halieutique de la région en terme de tonnage. Ce stock est soumis à de fortes variations annuelles en raison notamment des conditions environnementales. L’espèce étant sémelpare, chaque génération assure successivement la pérennité de l’espèce sans jamais cohabiter avec les juvéniles. Un prélèvement excessif dans le stock de géniteurs ou une année de recrutement plus faible se traduit par une chute rapide du stock qui peut toutefois être compensée tout aussi rapidement par un bon recrutement. La seiche est donc une espèce fragile qui nécessite un suivi afin de préserver une ressource halieutique majeure des côtes normandes.
Si le suivi et l’évaluation des stocks de seiches constituent une approche incontournable dans une politique visant à préserver la ressource, l’étude des mécanismes régulateurs associés à la reproduction doit être réalisée en parallèle afin d’accéder à une compréhension globale des variations de stock. Grâce aux travaux réalisés dans notre équipe, il est aujourd’hui admis que la régulation de la ponte chez la seiche fait intervenir trois types de régulateurs : les neuropeptides étroitement associés à la perception des paramètres environnementaux, les peptides régulateurs ovariens opérant une synchronisation des différents organes constitutifs de l’appareil génital, et les phéromones sexuelles impliquées dans la stimulation de l’accouplement et la phase finale de l’émission des ovocytes mais aussi suspectées de faciliter le recrutement des géniteurs sur les aires de ponte côtières.
Les neuropeptides ont été les premiers régulateurs de ponte étudiés chez cette espèce. Leur identification a été réalisée sur la base de leur activité biologique au niveau des organes de l’appareil génital femelle. Ces peptides exprimés par le système nerveux central (SNC) modulent les contractions du tractus génital et des glandes annexes, participant respectivement au transport de l’ovocyte et à la sécrétion de la capsule. Ils sont par ailleurs suspectés de jouer un rôle dans la régulation de la vitellogénèse des follicules ovariens et dans la synthèse des produits capsulaires (Henry and Boucaud-Camou, 1993). Depuis peu, les nouvelles techniques de séquençage (NGS) ont rendu accessible l’acquisition massive de données transcriptomiques.
La réalisation de plusieurs transcriptomes de système nerveux de seiches mâles et femelles sexuellement matures est à l’origine de l’identification de l’ensemble du neuropeptidome (Zatylny-Gaudin et al, 2016). Des analyses in silico couplées à une approche peptidomique ont permis la sélection de familles de neuropeptides potentiellement impliquées dans la régulation de la ponte. À partir de critères basés sur le profil d’expression des transcrits et sur la localisation tissulaire des neuropeptides matures, deux familles de neuropeptides ont finalement été sélectionnées pour une exploration fonctionnelle et structurale : les Crustacean CardioActive Peptides (CCAPs) et les FLGamides. Les CCAPs sont surexprimés dans le SNC des femelles en ponte versus des mâles matures. Cette surexpression est particulièrement marquée dans la masse sous-œsophagienne (MSSO). Cette région du SNC et en particulier le lobe palléovisceral situé en position postérieure innerve les viscères et l’appareil génital, et communique avec la seule aire neurohémale décrite chez la seiche. Par ailleurs, les 3 neuropeptides prédits à partir du précurseur protéique des CCAPs sont détectés dans les terminaisons nerveuses de la glande de l’oviducte et dans les glandes nidamentaires principales (GNP). Les FLGamides ont été décrits pour la première fois chez la seiche Sepia officinalis (ZatylnyGaudin et al., 2016). Tous les neuropeptides prédits à partir des deux précurseurs protéiques ont été identifiés en spectrométrie de masse. Ils sont présents dans l’ensemble de l’appareil génital et notamment dans le stroma ovarien, où ils sont les seuls neuropeptides à être détectés. Ils sont présents dans l’hémolymphe, ce qui permet de prédire un statut de neurohormones. Un second type de régulateurs a été identifié chez S. officinalis : les peptides régulateurs ovariens, impliqués dans la régulation paracrine de l’appareil génital. Ils sont exprimés par les follicules ovariens et sont libérés dans la lumière de l’oviducte par les ovocytes. Ils sont impliqués dans la synchronisation du tractus génital et bloquent la libération des ovocytes pendant la période qui précède l’accouplement (Bernay et al., 2005, 2004). Enfin, ils sont à l’origine de la cyclisation des contractions de l’oviducte (Bernay et al., 2006a; Zatylny et al., 2000b, 2000c).
Le modèle Sepia officinalis
Généralités
La seiche est un Mollusque Céphalopode gonochorique (Figure 1). Elle appartient à la sous classe des Coleoidea (Figure 2) qui regroupe également les calmars et les poulpes. La seiche porte dix bras (Décapodes), ce qui la différencie des poulpes qui n’en n’ont que huit (Octopodes). Comme tous les Céphalopodes, la seiche est un animal exclusivement marin. Elle est necto-benthique et vit dans les eaux néritiques, où elle réalise des migrations saisonnières horizontales et verticales. La seiche est sémelpare, c’est-à-dire que chaque génération ne se reproduit qu’une seule fois avant de mourir. Cependant, les femelles peuvent pondre de façon fractionnée pendant plusieurs semaines, permettant ainsi de constituer une masse de 500 à 2000 œufs avant de mourir (Bidder et al., 1989). Le gonochorisme à dimorphisme sexuel se traduit par des mâles plus élancés, plus volumineux, et aux patterns plus contrastés que ceux des femelles .
Le régime alimentaire de la seiche se compose principalement de crabes et de crevettes, mais également de poissons osseux (principalement des gobies, lançons, et labres, et parfois des poissons plats), de mollusques et de vers (némertiens et polychètes) en fonction de la composition et de la disponibilité dans l’écosystème (Guerra, 2006). Les plus grands individus peuvent pratiquer le cannibalisme sur les plus petits, particulièrement lorsque la densité est élevée (élevage). Les juvéniles se nourrissent essentiellement de petites crevettes, de leur larves (mysis) et d’amphipodes (Bidder et al., 1989). Les seiches se nourrissent exclusivement d’animaux vivants, bien qu’en captivité elles peuvent se nourrir de surimi (Guerra, 2006), de poissons congelés ou de morceaux de maquereaux (observations personnelles). Il est question dans cette étude de la population de Manche de la seiche commune Sepia officinalis (Linné 1758). On rencontre cette espèce sur l’ensemble des côtes d’Atlantiques Nord-Est. La limite méridionale de la répartition géographique se situe au niveau des côtes d’Afrique du Sud et la limite Nord au Sud de la Norvège. Cette espèce comprend plusieurs populations qui se distinguent par la durée de leur cycle de vie qui varie en fonction de la latitude géographique et par la distance parcourue lors de la migration. En Méditerranée le cycle est réduit à environ 16 mois du fait de la température moyenne annuelle qui est supérieure à celle rencontrée par les populations plus septentrionales comme la population de Manche dont le cycle est de 22 mois en Baie de Seine. La durée du cycle de vie aura donc un impact sur la stratégie de reproduction avec des concentrations massives de reproducteurs dans les secteurs les plus septentrionaux et une période de ponte relativement réduite.
Anatomie
Anatomie générale
La seiche est un coléoïdé : son corps est mou et possède une coquille interne. Il est divisé en deux régions distinctes : le céphalopodium et le complexe palléoviscéral (Figure 3). Le céphalopodium est la partie la plus antérieure de l’animal. Elle se compose d’une part de l’appareil brachial : huit bras munis de ventouses organisées en lignes transversales sur la face interne, et de deux tentacules préhensiles rétractables pourvus de ventouses uniquement aux extrémités.
Chez le mâle, le quatrième bras gauche est spécialisé dans le transfert des spermatophores dans la poche copulatrice de la femelle, on le désigne sous le nom de bras hectocotyle. Cette partie porte aussi la masse buccale avec des mâchoires en bec de perroquet inversé, ainsi qu’une paire d’yeux bien développés à pupilles en W et recouverts d’une membrane transparente. Un pseudo crâne cartilagineux renferme le SNC qui est traversé par l’œsophage. Enfin, l’entonnoir, ou siphon, permet d’évacuer les fluides et les matières de la cavité palléale (encre, fèces…) mais aussi l’eau de mer perfusant les branchies. L’évacuation sous pression grâce à la contraction puissante des muscles du manteau permet de propulser l’animal. Ce mode de déplacement, propre aux Céphalopodes, permet aux seiches de réaliser des migrations annuelles de moyenne amplitude.
Le complexe palléovisceral, contient les viscères (appareils reproducteur, digestif, et circulatoire), ainsi que la poche du noir. La coquille interne (os de seiche) est une structure composée de chambres et de septums permettant à l’animal de réguler sa flottabilité.
Le système nerveux central
Le SNC est particulièrement bien développé chez les Céphalopodes par rapport aux autres Mollusques (Bidder et al., 1989). Il résulte de la céphalisation et de la fusion des ganglions nerveux des Mollusques (Figure 4). Ainsi, les ganglions cérébroïdes forment la masse susœsophagienne (MSO) qui comprend les centres moteurs supérieurs, les centres d’analyse des récepteurs sensoriels et les centres de la mémoire. La MSSO provient de la fusion des ganglions palléoviscéraux, pédieux et viscéraux. Cette masse est le siège des centres moteurs inférieurs et intermédiaires. Les lobes optiques sont des structures réniformes situées de part et d’autre du cerveau. Ils baignent dans le corps blanc, tissu suspecté de jouer un rôle dans l’hématopoïèse. Ils sont reliés à la MSO par les pédoncules oculaires et sont issus des ganglions cérébroïdes. Sur la partie dorsale du pédoncule se trouve la glande optique. La structure histologique des différents lobes présente la même organisation : un cortex constitué des corps cellulaires des neurones entoure le neuropile : zone fibrillaire contenant quelques des plages cellulaires. La masse centrale du système nerveux est entourée d’une capsule plus ou moins fermée coté dorsal. Cette capsule crânienne est un cartilage dont les cellules se ramifient dans une matrice hyaline qui ressemble de très près à celle des vertébrés (Person and Philpott, 1969). Le cerveau des coléoïdés est volumineux comparé à celui d’autres invertébrés ou des vertébrés inférieurs et il ne représente qu’une partie de la masse nerveuse. En effet il existe d’autres masses nerveuses dans le corps de l’animal, ainsi le terme de ganglion est réservé aux formations nerveuses relativement éloignées du cerveau.
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Table des matières
Introduction générale
I. Contexte, problématique et objectifs
II. Le modèle Sepia officinalis
A. Généralités
B. Anatomie
1. Anatomie générale
2. Le système nerveux central
3. L’appareil reproducteur
a. Les organes génitaux femelles
b. Les organes génitaux mâles
4. L’appareil circulatoire
5. L’organe olfactif
C. Cycle de vie de la seiche de Manche
D. Reproduction
1. L’ovogénèse
2. L’accouplement
3. La ponte
E. Comportement
III. Peptides et polypeptides régulant la ponte
A. Introduction
B. Les neuropeptides
1. Présentation générale
2. Les neuropeptides chez les Mollusques
C. Les régulateurs ovariens
1. Régulation paracrine chez les Mollusques
2. Régulation paracrine chez la seiche
D. Les phéromones sexuelles
1. Présentation générale
2. Les phéromones sexuelles
3. Phéromones sexuelles chez les Insectes
4. Phéromones sexuelles chez les Mammifères
5. Phéromones sexuelles chez les Mollusques non Céphalopodes
6. Phéromones sexuelles chez les Céphalopodes
IV. Approches expérimentales
Matériels et méthodes
I. Matériel Biologique
A. Animaux
B. Prélèvements de matériel biologique
II. Approche transcriptomique
A. Extraction d’ARN
B. Séquençage et création d’une banque de transcrits
C. Analyses in silico
III. Approche peptidomique
A. Extractions
1. Extraction de neuropeptides
2. Extraction de phéromones à partir de la GOVI et des capsules d’œufs
3. Extraction de phéromones à partir d’eau d’incubation d’œufs
B. Purification
1. Chromatographie Liquide Haute performance en phase inverse (rpHPLC)
a. Purification de phéromones du milieu d’incubation des œufs
b. Purification de capsules internes et externes
c. Purification de phéromones de GOVI
2. Nano-LC-MALDI-TOF/TOF
C. Réduction, alkylation et digestion trypsique
D. Spectrométrie de masse
E. Séquençage d’Edman
IV. Production de la phéromone β en système recombinant
A. Transformation bactérienne
B. Contrôle de l’intégration du plasmide par PCR
C. Production en système recombinant
D. Extraction et purification de la phéromone β recombinante
E. Dosage Bradford et gel SDS-PAGE
1. Dosage Bradford
2. Gel SDS-PAGE
Conclusion générale
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