NEUROIMAGERIE DE L’ADOLESCENT « A RISQUE » D’ADDICTION

Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études

Émergence du concept

Aussi loin que nous pourrions remonter dans le temps, la notion de vulnérabilité et la dichotomie entre vulnérabilité et résilience ont été perçues par les sociétés, qui ont essayé de contrôler la vulnérabilité ainsi que sa transmission générationnelle par divers moyens. Dans les années 1960, la littérature scientifique apporte de nombreuses observations établissant que pour une même cause donnée associée à une maladie, le devenir est pathologique ou non (exemple d’Hinkle 1972 dans un contexte de maladies coronariennes). Le concept émerge peu à peu en tant qu’objet de recherche dans les années 1970 aux Etats-Unis. Le psychiatre Huston reporte que la perte d’un proche améliorerait la capacité d’un individu à supporter plus tard d’autres pertes de proches dans sa vie (Huston 1971). Cette suggestion est confirmée par une équipe qui examina les critères de dépression chez des époux devenus veufs depuis plus d’une année. Parmi ceux qui allaient bien, un nombre plus important de deuils précédents dans leur histoire étaient reportés par rapport à ceux qui étaient devenus déprimés (Bornstein et al, 1973). Ce phénomène « de psycho-immunisation » a été décrit par Karl, un garçon de 14 ans (Murphy et Moriarty 1976), « quand tu affrontes une expérience stressante, elle te renforce comme un vaccin pour une future crise ». L’analogie avec le processus de vaccination qui consiste à stimuler les réponses immunitaires adaptatives en exposant l’individu à des formes non pathogènes d’un micro-organisme provient du fait que l’exposition à l’adversité peut potentiellement stimuler et renforcer les ressources d’un individu.
D’autres auteurs avaient très tôt étudié l’importance de l’environnement dans le développement de l’enfant. Pour Anna Freud (1895-1982), qui s’est occupée de nourrissons et jeunes enfants recueillis (Hampstead Nurseries) à Londres dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale, l’interaction de l’enfant avec son environnement est primordiale pour son développement mental. Des éléments essentiels doivent être présents tels que la satisfaction du besoin d’attachement, de stabilité émotionnelle, et une perpétuelle influence éducative (Freud et Burlingham 1943). A la même époque, René Spitz (Etats-Unis, 1947) et John Bowlby (Grande- Bretagne) font autorité dans le domaine des atteintes à l’attachement très tôt dans la vie comme cause de pathologie future. John Bowlby (1907-1990), qui a également travaillé sur les enfants de Londres pendant la guerre, développe la théorie de l’attachement qui postule que les expériences d’attachement précoce ont des effets durables et donc une pertinence clinique. La qualité des soins parentaux que reçoit un enfant dans les premières années de sa vie est un facteur déterminant de sa future santé mentale (Bowlby 1952).
La psychologue Emmy Werner (1929-2017) est la première à avoir utilisé le terme de résilience (resiliency) de la très grande majorité des enfants et leur potentiel de développement personnel. Elle a étudié une large cohorte de la période prénatale (nés en 1955) jusqu’à l’âge adulte à Kauai (Hawaii). La force de ses travaux repose sur la méthodologie longitudinale de long terme avec un très faible taux d’attrition puisqu’à 18 ans, 88% des sujets étaient encore suivis (n=660). Tout en collectant les rapports médicaux et scolaires, Emmy Werner évalue entre autres les effets du stress prénatal et de l’environnement familial sur le développement des enfants à 2 ans puis à 10 ans, ainsi que les conséquences à long terme des problèmes de comportement et d’apprentissage observés dans l’enfance. A 10 ans, le soutien éducationnel et émotionnel de la famille atténuait le risque de problèmes évalués à la naissance. A l’inverse, l’interaction entre stress biologique précoce et instabilité familiale menait à un haut risque de développer des problèmes de comportement ou d’apprentissage à 10 ans quel que soit le statut socioéconomique. Les troubles de comportement et d’apprentissage présents à 10 ans s’amélioraient à 18 ans chez ceux qui recevaient du soutien familial. A 18 ans, seuls 6% des individus exposés à un stress prénatal de léger à sévère (44%) ont développé un trouble psychiatrique ou un comportement sociopathe (Werner et Smith 1979).
Un tiers des enfants étaient désignés à « haut risque ». Nés dans la pauvreté, soumis à des degrés de stress prénatal de modérés à sévères, ils vivaient dans un environnement familial soumis à des conflits, divorce, alcoolodépendance ou trouble psychiatrique parentaux. Dans une étude focalisée sur ce groupe à haut risque, deux tiers d’entre eux ont développé des troubles d’apprentissage ou de comportement à l’âge de 10 ans, ainsi que des troubles de santé mentale et de délinquance à l’âge de 18 ans. L’autre tiers, décrit comme « vulnérables mais invincibles », n’a pas développé de tels problèmes ni à 10 ans ni à 18 ans (Werner 1996).

Modèles de résilience psychique

Modèle d’invulnérabilité / modèle de résilience

Le psychanalyste James Anthony (Anthony 1974 ; The invulnerable child, Anthony et Cohler 1987) explique que le contexte familial dans lequel l’enfant arrive va déterminer un niveau d’exposition à l’adversité, au risque et au stress. Pour certains le monde est sécurisant, stable et prévisible ; ils sont nés dans l’acceptation, l’intérêt et l’attention.
Pour d’autres, la vie est courte, rude et brutale. Ils ont des parents qui ne les désiraient pas, les ont rejetés, battus, négligés… Cependant, au même niveau d’exposition à l’adversité ou de non-exposition, le devenir des enfants peut être variable. Par conséquent, le facteur environnemental d’exposition n’est pas le seul facteur déterminant, les caractéristiques individuelles jouent également un rôle primordial. James Anthony utilisa « l’analogie des trois poupées » faites de trois matériaux différents mais exposées au même coup de marteau. La première en verre se brise complétement, la seconde en plastique garde une marque permanente et la troisième en acier ne se déforme même pas. Cette représentation dépeint des individus « invulnérables ». Il précise que le devenir de ces poupées sera différent si l’environnement interpose entre elles et le marteau des objets qui vont atténuer ou freiner le coup (« umbrellas »).
A Londres, Michael Rutter (Rutter 1985 ; Rutter 1993) revient sur ce terme ambigu d’« invulnérabilité » qu’il trouve juste de remplacer par celui de « résilience » pour les raisons suivantes. Premièrement, le terme « invulnérabilité » implique une résistance absolue alors qu’il est plus approprié de considérer la résistance au stress comme un phénomène possédant plusieurs niveaux. Certains individus sont plus résistants que d’autres mais chacun a ses limites (Murphy et Moriarty 1976, « vulnerability spectrum »). Deuxièmement, le terme implique que cette caractéristique s’applique à toutes les circonstances, ce qui est peu plausible. Il y a un panel de mécanismes par lesquels les facteurs de risque opèrent, et très probablement les déterminants qui constituent la résilience ne sont pas les mêmes selon la nature du mécanisme déclenché par le facteur de risque. Troisièmement, le concept dénote un déterminant intrinsèque à l’individu alors que les recherches indiquent que la résilience réside dans l’interaction de l’individu avec sa famille et son environnement. Quatrièmement, le terme indique une caractéristique invariable alors que les changements développementaux chez l’enfant et l’adolescent peuvent influencer le processus de résilience. Michael Rutter définit la résilience comme un résultat relativement bon pour quelqu’un malgré son expérience de situations présentant un risque majeur pour le développement d’un trouble psychopathologique (Rutter 1999), comparativement à quelqu’un qui, exposé aux mêmes situations, développerait un certain nombre de problèmes associés.

Modèle de reprise de développement après un traumatisme

En France, les travaux de Boris Cyrulnik portent sur la résilience en tant que processus permettant à un individu de maintenir son intégrité psychique ou de reprendre un développement après un traumatisme (Cyrulnik et Duval 2006). En psychanalyse, la conception freudienne du traumatisme (une sorte de «peau» qui peut faire l’objet d’une effraction) a été traduite comme « un évènement de la vie du sujet qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets durables qu’il provoque dans l’organisation psychique » (Laplanche et Pontalis 1967). Le traumatisme peut engendrer un état de stress posttraumatique (PTSD, Post-Traumatic Stress Disorder) qui par ailleurs est hautement comorbide. Plus de 80% des personnes souffrant de PTSD souffriraient d’autres troubles psychiatriques (Solomon et Davidson 1997). Pour Boris Cyrulnik, la résilience c’est « comment reprendre un développement après une agonie psychique » (Cyrulnik 2015) c’est-à-dire qu’au moment où une personne qui a subi un traumatisme tente de le surmonter, elle met en place un processus de résilience qui se traduit par la reprise d’un développement, potentiellement plus riche qu’auparavant [« un merveilleux malheur »] (Cyrulnik 1999). Il précise que la résilience n’est pas une simple adaptation à l’adversité : « Les mécanismes de défense [immatures] comme le déni, la régression, l’agression [passive] ou la projection peuvent être considérés comme adaptatifs mais non résilients » et l’adaptation peut être négative (ex : régression durable qui engendre une adaptation de mauvaise qualité) (Cyrulnik et Duval 2006).
Dans ce modèle, un sujet affecté qui parvient à reprendre un développement est lui aussi résilient (Cyrulnik et Duval 2006).
Au Canada, dans la continuité du modèle de reprise de développement après un traumatisme, le psychanalyste Michel Lemay décrit la résilience comme « un formidable réservoir de santé potentielle dont dispose jusqu’à une certaine limite tout être humain confronté à des situations difficiles » (Lemay 2001). Ces ressources peuvent être activées spontanément par les individus ou être stimulées par une aide extérieure, familiale, éducative, thérapeutique, communautaire… (Anaut 2005).

Modèle de la compétence face à l’adversité

Les travaux d’Ann Masten et Norman Garmezy (1918-2009) développent la théorie de la résilience en tant que « compétence » comportementale dans un contexte de stress, de défi d’adaptation ou de développement dans l’adversité (Masten et Garmezy 1985 ; Masten 2014). En psychologie, la compétence se définit comme une adaptation efficace à l’environnement. Sa réalisation est observable dans différents domaines de la vie et résulte de l’interaction complexe entre l’enfant et son environnement (Masten et Coatsworth 1998). La compétence signifie résilience potentielle, chez celui qui a les capacités mais qui n’est pas encore exposé à l’adversité. Le résilient est celui qui est compétent et qui est exposé à l’adversité. Ann Masten décrit le caractère ordinaire de la résilience (« ordinary magic », Masten 2001) qui dans la plupart des cas constitue l’exploitation de systèmes fondamentaux d’adaptation humaine. Elle explique que « si ces systèmes sont protégés et en bon état de fonctionnement, le développement est robuste même face à de graves adversités. [En revanche,] si ces systèmes fondamentaux sont altérés, antérieurs ou consécutifs à l’adversité, alors le risque de problèmes de développement est beaucoup plus grand, en particulier si les risques environnementaux sont prolongés. »

Modèle d’adaptation au stress

Le modèle neurobiologique d’adaptation au stress met en avant le fait qu’en dépit de l’exposition à des niveaux parfois très élevés, la plupart des individus maintiennent un fonctionnement psychologique et physique normal sans développer de troubles de santé mentale. Ici, la résilience se traduit par un processus actif et adaptatif de réponse au stress et pas seulement par une absence d’anomalies pouvant altérer la capacité de gestion du stress. Des médiateurs neurochimiques, hormonaux et neuropeptidiques de la réponse psychobiologique au stress ont été identifiés et réfèrent à la résilience ou à la vulnérabilité (Charney 2004). Quelques exemples suivent parmi ceux listés en Annexe 1 (p. 207). Concernant les facteurs de résilience, la dehydroepiandrosterone, hormone libérée en même temps que le cortisol lors d’un stress aigu, peut contrer les actions du cortisol et a une action antioxydante et antiinflammatoire qui lui est propre. La testostérone pourrait être un facteur pro-résilient par son action sur l’humeur et la sociabilité. Le Neuropeptide Y, un neurotransmetteur peptidique, module la réponse au stress chez l’animal, et des études chez l’homme confirment la possibilité qu’il puisse représenter un facteur de protection au stress (revues : Haglund et al, 2007 ; Russo et al, 2012).
Pour résumer, les trois premiers grands modèles de résilience psychique ont été élaborés dans une approche socio-psychodynamique chez l’homme (Rutter, Cyrulnik et Masten). Les deux grands courants de pensée (Staudinger et al, 1995) qui prédominent dans les études de la résilience dans le développement mais également dans le vieillissement (Rowe et Kahn 1987 ; Schulz et Heckhausen 1996 ; Ryff et al, 1998) soulignent la dichotomie entre résilience comme rémission après une agonie psychique (Cyrulnik 2012) et la résilience comme maintien du développement en dépit de l’exposition à des circonstances adverses (Masten 2014). Certains vont même plus loin et conceptualisent la résilience en opposition marquée avec le processus de rémission (revue : Bonanno, 2004).

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

PARTIE 1 : INTRODUCTION
INTRODUCTION GENERALE
I. LA RESILIENCE
A. DEFINITIONS
B. ÉMERGENCE DU CONCEPT
C. MODELES DE RESILIENCE PSYCHIQUE
D. FACTEURS DE RISQUE ET DE PROTECTION GENERAUX
II. LA RESILIENCE ET LA VULNERABILITE EN ADDICTOLOGIE
A. BREF HISTORIQUE : DU COMPORTEMENT AU CIRCUIT DE LA RECOMPENSE
B. LA RESILIENCE ET LA VULNERABILITE EN ADDICTOLOGIE
C. STADES DE RESILIENCE EN ADDICTOLOGIE
D. FACTEURS DE RISQUE ET DE PROTECTION DE L’ADDICTION
III. NEUROIMAGERIE DE L’ADOLESCENT « A RISQUE » D’ADDICTION
A. ÉTUDES CHEZ LE SUJET JEUNE ADDICT
B. ÉTUDES CHEZ LE SUJET JEUNE VULNERABLE
C. ÉTUDES CHEZ LE SUJET JEUNE RESILIENT
IV. PROBLEMATIQUE, HYPOTHESES ET OBJECTIFS
A. PROBLEMATIQUE
B. HYPOTHESES
C. OBJECTIFS
PARTIE 2 : METHODOLOGIE
I. BASES DE DONNEES
A. BASE DE DONNEES IMAGEN
B. BASE DE DONNEES APPAL-RECCAP
II. METHODES D’IMAGERIE
A. IRM ANATOMIQUE
B. IRM FONCTIONNELLE
C. IRM DE DIFFUSION
III. ANALYSES STATISTIQUES
A. TRAJECTOIRES DE POLY-CONSOMMATION
B. HISTOIRE FAMILIALE D’ALCOOLODEPENDANCE
PARTIE 3 : RESULTATS
I. TRAJECTOIRES DE POLY-CONSOMMATION
A. CARACTERISTIQUES PSYCHOMETRIQUES ET SOCIODEMOGRAPHIQUES
B. ANALYSES D’IRM ANATOMIQUE
C. ANALYSES D’IRM DE DIFFUSION
D. ANALYSES PSYCHOLOGIQUES
E. MODELE DE PREDICTION
II. HISTOIRE FAMILIALE D’ALCOOLODEPENDANCE
A. CARACTERISTIQUES CLINIQUES, PSYCHOMETRIQUES ET NEUROPSYCHOLOGIQUES
B. ANALYSES D’IRM ANATOMIQUE
C. ANALYSES D’IRM FONCTIONNELLES LORS D’UNE TACHE DE RECOMPENSE
D. CORRELATIONS ENTRE DONNEES PSYCHOLOGIQUES ET D’IMAGERIE
PARTIE 4 : DISCUSSION INTEGREE
I. RAPPEL DES HYPOTHESES ET RESUME DES RESULTATS
A. TRAJECTOIRES DE POLY-CONSOMMATION
B. HISTOIRE FAMILIALE D’ALCOOLODEPENDANCE
II. RESILIENCE ET VULNERABILITE
A. FACTEURS CEREBRAUX
B. TRAITS DE PERSONNALITE
C. EVENEMENTS DE VIE NEGATIFS ET MALTRAITANCES
D. POIDS RELATIFS DES DIFFERENTS FACTEURS
III. CONSIDERATIONS SUR LA RESILIENCE CHEZ L’ADOLESCENT
A. MATURATION CEREBRALE
B. TRAJECTOIRES DE RESILIENCE
IV. LIMITATIONS
A. CONCEPTION ET ECHANTILLONNAGE
B. APPROCHE METHODOLOGIQUE
C. MESURES PSYCHOMETRIQUES
D. MESURES EN IRM
V. CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
A. CONCLUSION INTEGREE
B. CONCLUSION GENERALE
RÉFÉRENCES
ANNEXES

Télécharger le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *