Négocier la guérison du petit malade

Vaste pays de plus d’un million de km² pour un peu moins de 3,8 millions d’habitants, la Mauritanie doit faire face à de nombreuses difficultés en terme de développement des services de base pour l’éducation et la santé. Les enfants mauritaniens sont diversement confrontés à des problèmes d’accès aux richesses, à la scolarisation et aux soins de santé. Des villages dans la vallée du fleuve, des campements maures des régions désertiques aux habitations de Nouakchott et Nouadhibou, les territoires contrastent les situations quotidiennes de vie des enfants. À des processus d’urbanisation rapide, se greffent de nouveaux enjeux d’éducation et de socialisation pour les familles. Le choix d’élever les enfants en milieu urbain ou rural peut se traduire par des circulations entre les villes et les villages, renouvelant les configurations familiales dans lesquelles les enfants grandissent.

La pluralité culturelle des enfances tient à la diversité de la société mauritanienne, partagée entre d’une part les Maures parlant l’hassanya, d’autre part les populations dites « négromauritaniennes », terme désignant les Pulaar, Soninké et Wolof. Depuis les événements de 1989, qui ont conduit des milliers de Négro-Mauritaniens à se réfugier au Sénégal, l’opposition entre Maures et Négro-Mauritaniens s’est accentuée et reste présente sur l’échiquier politique (N’Diaye, 2010). Les tensions entre ces groupes ne sont pas sans incidences sur la socialisation des enfants, notamment sur les stratégies relatives à leur scolarisation et leur intégration sociale. Bien que les traits culturels en partage soient nombreux, les structures de parenté, la place des enfants dans leurs familles, les modes de soins de maternage ou encore les habitudes de recours thérapeutiques admettent des variations fonctions des appartenances à ces groupes. La société mauritanienne reste également marquée par des hiérarchies sociales de castes. Malgré une quatrième abolition officielle en 1980, l’esclavage resurgit sous d’autres formes sournoises d’appropriation du travail (Botte, 2005), les anciens esclaves demeurant socialement marginalisés (Botte, 2005 ; Leservoisier, 2005). Ces formes d’inégalité peuvent concrètement tramer l’accès des enfants aux services sociaux et de santé. Les pratiques en termes d’éducation et de soins aux enfants admettent des variations dans le prolongement des castes. C’est notamment le cas pour les descendants d’esclaves dit harratines, qui ne représentent pas seulement un groupe infériorisé de l’ensemble maure, mais sont porteurs de traits culturels spécifiques.

Santé et survie des enfants : de la santé publique à l’anthropologie de la santé 

Problématique majeure, la santé des enfants constitue une priorité de santé publique internationale. Le quatrième des huit objectifs du Millénaire pour le développement (OMD 4) vise une réduction de deux tiers du taux de mortalité infanto-juvénile entre 1990 et 2015. À l’approche du terme des OMD, entre 2010 et 2012, la survie de l’enfant de moins de cinq ans a considérablement progressé dans le monde, passant de 75 à 48 décès pour 1000 naissances vivantes (OMS, 2014). Les dernières estimations pour 2012 signifient qu’un enfant sur 21 décède avant cinq ans. La mortalité néonatale, qui diminue plus difficilement, représente une part croissante de ces décès. S’agissant de la mortalité infantile, les inégalités mondiales sont criantes : le risque pour un enfant de décéder avant son cinquième anniversaire est huit fois plus élevé dans la région Afrique de l’OMS que dans la région Europe (OMS, 2014). Le taux de mortalité des moins de cinq ans est à 95 décès pour 1000 naissances vivantes en 2012 (OMS, 2014). Pour la Mauritanie, ce taux est légèrement plus favorable que dans la région Afrique dans son ensemble, estimé à 84 décès pour 1000 naissances vivantes (OMS, 2014). Malgré les progrès accomplis, l’atteinte de la cible de l’OMD 4 en Afrique et en Mauritanie est loin d’être acquise. Une large part de ces décès est attribuable aux pathologies néonatales, aux maladies infectieuses et parasitaires : diarrhées, paludisme, pneumonie et infections respiratoires. Mais les enfants sont aussi confrontés à une morbidité importante avec diverses pathologies chroniques comme la drépanocytose, l’asthme, les cancers ou le diabète, encore relativement peu ciblées par les autorités publiques.

Pour lutter contre la mortalité infanto-juvénile, le Gouvernement mauritanien et l’UNICEF ont conjointement établi une Stratégie de Lutte pour la santé et la survie de l’enfant, dont la mise en œuvre a débuté en 2010. Cette stratégie repose notamment sur la promotion et la généralisation de quelques interventions reconnues pour avoir un impact élevé sur la mortalité infantile, afin d’atteindre l’OMD 4. Certaines des interventions concernent le champ de la prévention (promotion de l’allaitement maternel exclusif, du lavage des mains, utilisation des moustiquaires imprégnées,…) d’autres reposent sur le dépistage et la prise en charge médicale de certaines symptomatologies telles que la fièvre, les difficultés respiratoires, la malnutrition. Les facteurs sociaux et culturels opposent certaines résistances à la mise en œuvre de ces interventions : des difficultés qui se situent tant du côté des familles, de leurs pratiques quotidiennes et de leurs réticences à recourir aux soins médicaux, que du côté de l’organisation du système de santé et de la qualité de l’offre de soin. La Stratégie de Lutte pour la santé et la survie de l’enfant définit comme « goulot d’étranglement » les obstacles sociaux que sont « le manque d’information des populations » et la « faible motivation des professionnels de santé ». Autant dire que la part octroyée au social comme facteur de survie de l’enfant est congrue.

Etudier l’accessibilité des soins à Nouakchott 

L’amélioration des taux de survie des enfants suppose que ceux-ci accèdent à des soins appropriés. Or, le taux de fréquentation des structures sanitaires reste relativement faible pour la Mauritanie. L’étude d’Ibrahima Sy et al. (2010) sur les recours aux soins à Nouakchott trouve que seulement 50,8% des personnes interrogées déclarent recourir aux soins modernes pour les affections les plus courantes que sont les infections respiratoires aiguës et les diarrhées, malgré une accessibilité géographique satisfaisante. L’étude relève d’importantes disparités d’accès aux soins, ainsi qu’une tendance à recourir aux soins tardivement, en situation d’aggravation des symptômes. Malgré la densité de l’offre de soin, les inégalités sociales et territoriales se conjuguent et dans certains quartiers défavorisés, les soins médicaux sont quasiment inaccessibles pour la population (Taleb et al. 2006). Notre objectif est de reconsidérer ce paradoxe selon une approche globale et anthropologique de l’accessibilité des soins.

En amont des recours, toute démarche thérapeutique suppose l’identification des maux ressentis et observés. Ce premier repérage a lieu au sein de la famille, sur fond de savoirs populaires. Les décisions thérapeutiques découlent ensuite de conciliations, négociations ou sacrifices ayant pour objet de mobiliser les ressources nécessaires à tel ou tel recours. Afin de comprendre les recours aux soins des parents mauritaniens, encore faut-il comprendre les enjeux socioculturels traversant leurs rapports aux systèmes de santé. Ainsi, la question de l’accessibilité des soins renvoie à des problématiques comme le rapport au service public, ou aux différences sociales, culturelles et statutaires dans la société mauritanienne. Une lecture fine et attentive des différences socioculturelles permet de comprendre les diverses configurations facilitant ou entravant l’accès des enfants aux options de l’offre thérapeutique. La question du coût des soins peut être questionnée par l’approche qualitative. Le paiement direct joue certes en défaveur des plus pauvres, mais il ne constitue pas le seul facteur explicatif. La mise en œuvre de l’Initiative de Bamako (IB) en 1993, qui s’est accompagnée en Mauritanie d’une hausse de l’activité des structures, n’aurait eu qu’un impact limité sur l’accès aux soins des pauvres, sachant que la population s’est montrée prête à payer davantage pour une meilleure qualité des soins (Audibert & Mathonnat, 2000). Les coûts indirects (frais de déplacement, manque à gagner) peuvent contribuer pour beaucoup aux difficultés d’accès aux soins des Mauritaniens, comme l’a montré Yannick Durant Bourjate (2009) s’agissant de la tuberculose. Quant aux mécanismes de solidarité susceptibles de contribuer à la protection sociale et l’accès aux soins des Mauritaniens, ils ont été idéalisés par les autorités publiques et les organisations internationales, alors qu’ils contribuent aussi à générer des inégalités (Ballet & Hamzetta, 2003). Ces solidarités, comme étudié ailleurs en Afrique, fonctionnent moins bien dans les milieux les plus pauvres (Vuarin, 1993 ; Vuarin, 1994 ; Vidal, 1994).

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Table des matières

Introduction
Chapitre I : Inscriptions théoriques et choix méthodologiques
I-1 Références conceptuelles dans le champ de l’anthropologie
I-1-1 De l’anthropologie de l’enfance à l’anthropologie de la pédiatrie
I-1-2 Décrire et caractériser l’offre de soin
I-1-3 Etudier les itinéraires thérapeutiques
I-2 La méthodologie mise en œuvre : restituer le travail anthropologique
I-2-1 Les conditions d’enquête et son déroulement
I-2-2 Rassemblement, analyse et synthèse des données
I-2-3 Autour d’une trajectoire de maladie : pistes de travail
Chapitre II : Les enfants en milieu haal pulaar, soins quotidiens et maladies
II-1 Les enfants haalpulaaren en famille
II-1-1 Enfants et système de parenté
II-1-2 Âges, catégories de l’enfance et sociabilités infantiles
II-2 Soins quotidiens, précautions, protections
II-2-1 Protéger l’enfant à naître
II-2-2 Soins et protections du nouveau-né
II-2-3 Alimentation du nouveau-né
II-3 Représentations des principales maladies de l’enfance en milieu haal pulaar
II-3-1 Came et tekko : ces maladies qui « prennent » les enfants
II-3-2 Maladies du ventre et de la peau
II-3-3 Addo : maux des poussées dentaires
II-3-4 Sooynabo : une maladie que les docteurs ne savent pas soigner
II-3-5 Fièvres et terminologie multiple du paludisme
II-3-6 Ñaw-ñawto : l’enfant faible et maladif
II-3-7 « Ñaw ɓaleeɓe » : maladies des génies et des sorciers
II-4 Interprétations et nominations de la maladie
II-4-1 Des entités nosologiques aux interprétations en situation
II-4-2 Nominations et récits en partage
II-4-3 Statuts sociaux des locuteurs et poids de la parole
II-4-4 Nominations et recours thérapeutiques
II-4-5 Etre désigné « malade » : conséquences sur le statut des enfants
Chapitre III : Pluralisme thérapeutique des guérisseurs
III-1 Les pratiques des guérisseurs urbains : éléments de description
III-1-1 Islam et pratiques thérapeutiques
III-1-2 Des pratiques thérapeutiques se référant à des « traditions » plurielles
III-2 Statuts des guérisseurs : positionnements thérapeutiques et sociaux
III-2-1 Les guérisseurs et la « revalorisation de la médecine traditionnelle »
III-2-2 Les guérisseurs face à la biomédecine : adaptations et stratégies de légitimation
III-2-3 Traiter les maladies des enfants, une question qui divise les guérisseurs
III-2-4 Implantation spatiale des guérisseurs à Nouakchott
III-3 Perceptions de l’offre de soin des guérisseurs
III-3-1 Terminologie pulaar de l’offre de soin : ɓileejo, cerno et daɓotoodo
III-3-2 Perceptions des guérisseurs en milieu maure
Chapitre IV : Système de santé et espaces thérapeutiques
IV-1 L’offre de soin biomédicale : aspects historiques et actuels développements
IV-1-1 Système de santé à l’époque coloniale
IV-1-2 Evolution du système de santé et situation actuelle
IV-2 Perceptions du système de santé par les Mauritaniens
IV-2-1 Un rapport au système de santé marqué par la méfiance
IV-2-2 Le système de santé comme espace de coûts et de profits
IV-2-3 « C’est la Mauritanie ! » : l’offre publique dépréciée
IV-3 Les « espaces thérapeutiques » : variations socioculturelles et intrafamiliales
IV-3-1 « Familiarité » résidentielle et construction des espaces thérapeutiques
IV-3-2 Des espaces thérapeutiques infantiles
IV-3-3 Différences ethniques dans les espaces thérapeutiques
IV-3-4 Des espaces thérapeutiques différenciés par le genre
IV-3-5 L’influence de l’âge : des générations charnières dans les espaces thérapeutiques
Chapitre V : Entre les murs de la pédiatrie, soins et parcours de soins
V-1 L’accès aux soins hospitaliers : admissions et qualités des prises en charge
V-1-1 L’admission à l’hôpital : des moments denses et révélateurs
V-1-2 Des admissions aux prises en charge : éléments problématiques
V-1-3 La qualité des soins : focus sur l’hygiène et la douleur
V-1-4 Informer dans la relation thérapeutique
V-2 Parcours de soins : des parents négociant a l’hôpital
V-2-1 Des trajectoires de maladie diversement négociées
V-2-2 Des parents acteurs des parcours hospitaliers
V-2-3 L’idéal de protection familiale de l’enfant malade
Conclusion  
Bibliographie

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