La vigne (Vitis vinifera L.) est une des espèces pérennes les plus cultivées. La superficie mondiale du vignoble est de 8 millions d’hectares, et ses produits, essentiellement le vin, le jus de raisin et le raisin de table sont consommés dans le monde entier. Le raisin de table et le raisin de cuve représentent, respectivement, 21% et 76% de la production totale de raisin. Les 75 millions de quintaux de raisins consommés par an dans le monde en font le deuxième fruit le plus consommé après les agrumes. Le vin et ses produits dérivés se placent en deuxième position des alcools les plus consommés dans le monde, après la bière, représentant un chiffre d’affaire annuel mondial de 106 milliards de dollars (sources : OIV, FAO).
Les premières traces archéologiques de la culture de la vigne remontent à 7000 ans avant notre ère en Asie Mineure, alors que les premières traces de production de vin datent de 2000 ans avant notre ère. Au cours des siècles les pratiques viticoles (modes de conduite) et œnologiques (procédés de vinification) ont évolué en fonction des régions viticoles, des cépages, et des types de produits. Ainsi, encore aujourd’hui, plus de 5000 variétés de vigne sont cultivées. En France, plus de 400 appellations d’origines contrôlées coexistent, résultant de traditions et de pratiques culturales spécifiques à des régions parfois très limitées géographiquement. Ces appellations fournissent des vins réputés pour leur originalité, leur typicité et leur appartenance à une culture commune à chaque aire d’appellation. Depuis 1960, cette multitude de traditions vitivinicoles est concurrencée par l’apparition de nouvelles firmes agro-industrielles, qui utilisent des procédés de plus en plus normalisés pour répondre aux demandes de consommateurs désireux d’acheter des produits plus faciles d’accès.
Nécessité d’une approche intégrative du développement de la vigne
L’élaboration du rendement et de la qualité du raisin est le résultat d’interactions complexes entre la plante, les variables de l’environnement et les pratiques culturales mises en place par le viticulteur. Chez la vigne, les déterminants principaux du rendement et de la qualité sont l’architecture du couvert, le nombre de grappes se développant sur les plantes et le microclimat. De nombreuses rétroactions entre le développement des parties végétatives (rameaux herbacés et parties pérennes) et reproductrices (grappes) existent et ne permettent pas de prédire précisément le développement de ces deux ensembles de manière simple et indépendante. Pour le viticulteur, la maîtrise combinée des développements végétatif et reproducteur est un facteur essentiel de l’élaboration de la qualité et de la quantité de la récolte. Cet objectif a entraîné le développement de nombreuses pratiques agronomiques, différentes d’une région viticole à une autre, et qui contribuent à la singularité de la culture de la vigne. Malgré leurs grandes diversités, toutes ces pratiques ont pour but principal de maîtriser l’architecture du couvert et de limiter le développement végétatif par rapport au développement reproducteur. Ceci est indicateur de l’importance des équilibres trophiques en viticulture.
Importance de l’architecture du couvert
Pour comprendre le rôle joué par l’architecture du couvert sur la quantité d’assimilats produits par la plante, une approche énergétique du fonctionnement du couvert végétal peut être utilisée. Monteith (1977) a proposé un formalisme énergétique de la production de biomasse d’un couvert végétal en considérant le couvert végétal comme un système biologique qui se développe en interceptant du rayonnement, et en le convertissant en biomasse.
La quantité de biomasse produite est proportionnelle à l’efficience d’interception du rayonnement (εi) qui détermine la quantité d’énergie lumineuse interceptée pour un rayonnement donné incident (PARi). A l’échelle de la plante individuelle, cette efficience dépend de la surface foliaire, de l’agencement des feuilles dans l’espace et des propriétés optiques des feuilles (Smart, 1973). A l’échelle de la parcelle, cette efficience est souvent directement reliée à l’indice foliaire (m2 de feuillage par m2 de sol) (Watson, 1947). Cet indice foliaire dépend beaucoup, chez la vigne, de la disposition des plantes. En effet, le couvert de vigne est un couvert hétérogène, le plus souvent disposé en rangs bien différenciés. Les caractéristiques de la plantation, en terme d’orientation et de disposition des rangs et des plantes sont considérées comme les facteurs ayant le plus de poids (Champagnol, 1984).
En dehors de l’interception lumineuse, la structure du couvert joue sur le microclimat des grappes et affecte l’élaboration du rendement. Le microclimat thermique et lumineux à proximité au sein du couvert l’année précédant le cycle végétatif détermine la fertilité de ces bourgeons, et ainsi le nombre potentiel de grappes par rameau et de baies par grappe se développant au cours du cycle de développement annuel (Buttrose, 1974). Plus controversé, car résultant sans doute d’une combinaison de facteurs, un effet du microclimat sur le volume final des baies a aussi été mis en évidence (Reynolds et al., 1986). La structure du couvert, l’entassement des grappes et l’humidité au sein du couvert ont un impact sur l’occurrence des maladies cryptogamiques, notamment pour les infections par le champignon Botrytis cinerea (Gubler et al., 1987 ; Smithyman et al., 1997). Toutes les mesures prophylactiques visant à réduire l’entassement du feuillage et des grappes permettent de limiter les infections et de rendre plus efficaces les traitements phytosanitaires pour limiter les pertes de rendement liées aux infections multiples.
Le microclimat à proximité des grappes est un des facteurs déterminant les concentrations en métabolismes primaires et secondaires et, par conséquent, les qualités organoleptiques des baies (Berqvist et al., 2001). De nombreuses études ont montré que les grappes fortement exposées au soleil ont des teneurs en sucre et en polyphénols (anthocyanes) plus élevées que des grappes non exposées (Kliewer et Lieder, 1970 ; Crippen et Morrison, 1986 ; Reynolds et al., 1996). Des effets positifs d’une bonne exposition des grappes ont aussi été mis en évidence sur la synthèse des composés impliqués dans la typicité aromatique du raisin, et, plus particulièrement, sur les terpénols (Navarre et Langlade, 2002). De même, les grappes fortement exposées ont des teneurs en acide malique et des PH plus faibles que celles peu exposées (Buttrose et al., 1971 ; Berqvist et al., 2001 ; Murisier et Ferreti, 2004). Cependant une forte exposition des grappes est souvent liée à une température plus forte des baies qui semble, par contre, avoir un effet négatif sur la concentration en anthocyane et sur la coloration des baies (Kliewer et Torres, 1972 ; Spayd et al., 2002).
De nombreuses interventions culturales sont faites pour atteindre les objectifs déterminés par le viticulteur en terme de développement du couvert. Pour optimiser ces interventions, une réflexion est conduite dès l’établissement du vignoble. Elle porte essentiellement sur l’écartement des plantes sur le rang et sur l’inter-rang afin d’intercepter le maximum de rayonnement (Champagnol, 1984 ; Zufferey et al., 1998), ainsi que sur le choix d’un mode de taille et de palissage améliorant le degré d’ouverture et la hauteur de la végétation (Carbonneau, 1995 ; Carbonneau et Cargnello, 2003 ; Gladstone et Dokoozlian, 2003 ; Murisier, 2007 ; Louarn et al., 2008 (a)). Au cours du cycle végétatif, à l’échelle de la parcelle, des pratiques d’élagage sont aussi réalisées pour limiter l’auto-ombrage entre les rangs (Mabrouk et al., 1997 ; Rives, 2000 ; Dry, 2008). A l’échelle de la plante individuelle, toutes les pratiques d’effeuillage et de palissage, concourent à une réduction de l’auto-ombrage entre les feuilles, et à une meilleure ouverture du feuillage. De nombreux indicateurs empiriques sont estimés afin d’optimiser la structure du couvert, mais ne tiennent généralement pas compte de l’auto ombrage au sein de la plante et du degré d’ouverture de la végétation. L’indicateur le plus utilisé est le rapport entre la hauteur du feuillage et l’écartement inter-rang. Pour cet indicateur, des valeurs proches de 0.8 sont préconisées (Pieri et Gaudillière, 2003 ; Carbonneau et al., 2007). Cependant, malgré l’existence de ces indicateurs, un nombre très important de systèmes de conduites coexistent. Ainsi, Carbonneau et Cargnello (2003) ont récemment recensé plus de cinquante systèmes de conduite couramment utilisés en viticulture (Figure I.1). Ce nombre important de systèmes traduit probablement une part d’empirisme dans leur construction et un manque d’évaluation quantitative de leurs intérêts respectifs.
Importance des rapports « sources – puits »
La vigne est une espèce pérenne à développement indéterminé pour laquelle les développements végétatif et reproducteur sont concomitants. Ils sont donc en interaction tout au long du développement de la plante. De plus la vigne est une liane, susceptible, sans intervention culturale, d’avoir un développement végétatif très important (Bouquet, 2008). L’obtention d’un rendement acceptable, en termes de quantité et de qualité, passe donc nécessairement par la limitation du développement végétatif au profit du développement reproducteur, tout en maintenant une activité photosynthétique suffisante afin de subvenir aux besoins en assimilats des grappes.
En viticulture, de nombreux auteurs ont étudié l’influence des rapports « sources – puits » au travers d’indicateurs empiriques de l’équilibre « sources – puits », tel que le rapport « feuilles – fruits ». Ce rapport « feuilles – fruits » est généralement estimé comme le rapport entre la surface foliaire entre véraison et maturité et la masse fraîche de raisin à maturité. Les instituts techniques préconisent des rapports « feuilles – fruits » variant selon le cépage entre 0.8 et 1m².kg-1 (Murisier, 1996). Des rapports « feuilles – fruits » trop faibles limitent le nombre de baies se développant, par des phénomènes d’avortement à la nouaison (Edson et al., 1993) et limitent la masse des baies (Nuzzo et Matthews, 2006 ; Dai, 2009). De même, des rapports « feuilles – fruits » faibles limitent le développement des parties végétatives. Cette limitation du développement végétatif entraîne de fait une baisse de la quantité d’assimilats disponible pour les grappes (Gal et al., 1995) et une diminution de la quantité de biomasse allouée aux réserves du tronc et des racines (Petrie et al., 2000). Toutefois, une diminution des rapports feuilles – fruits a tendance, à surface foliaire constante, à entraîner une augmentation de la production totale de biomasse, par l’augmentation de l’efficience biologique de conversion de la lumière (Naor et al., 1997 ; Quereix et al., 2001). Le rapport entre la charge en fruits et la surface foliaire intervient aussi directement sur l’élaboration de la qualité de la récolte. Ainsi, pour un génotype donné la teneur en sucre à maturité (Carbonneau, 1980) et la concentration en métabolites secondaires apparaissent comme fortement pénalisées par des rapports feuilles – fruits trop faibles (Kliewer et al., 2000 ; Kliewer and Dokoozlian, 2005).
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Table des matières
Introduction générale
CHAPITRE I. Nécessité d’une approche intégrative du développement de la vigne
1 Contexte agronomique
1.1 Importance de l’architecture du couvert
1.2 Importance des rapports « sources – puits »
2 Développement de la vigne : analyse et modélisation
2.1 Développement potentiel
2.2 Principaux facteurs affectant le développement de la plante
2.3 Diagnostic des connaissances – démarche
3 Influence de la compétition trophique sur le développement du rameau de vigne
Manuscrit 1 : Influence of intra-shoot trophic competition on shoot development of two grapevine cultivars (Vitis vinifera L.)
CHAPITRE II. Utilisation et adaptation du modèle GreenLab pour quantifier l’évolution de la compétition trophique dans le rameau de vigne
1 Approches de modélisation des flux de biomasse dans les plantes
1.1 Les différents types de modèles
1.2 Le modèle GreenLab appliqué à la vigne
2 Utilisation d’un modèle mathématique pour évaluer les déterminants trophiques et non trophiques du développement du rameau de vigne
Manuscrit 2 : Using a mathematical model to analyse the trophic and non-trophic determinants of axis development in grapevine
Annexes
CHAPITRE III. Développement d’un modèle intégrant des interactions entre le développement de la plante, la compétition trophique et l’environnement
1 Couplage d’un modèle de développement et d’un modèle d’allocation de biomasse
1.1 Introduction et objectifs
1.2 Nouvelles règles implémentées dans le simulateur GreenLab-vigne
2 Un modèle stochastique de croissance de la vigne comprenant des interactions entre l’environnement, la compétition trophique et le développement de la plante
Manuscrit 3 : A stochastic growth model of grapevine development with full interaction between environment, trophic competition and plant development
CHAPITRE IV. Discussion sur les hypothèses de modélisation et voies possibles d’amélioration
1 Introduction
2 Le pool commun de biomasse et les relations trophiques entre les organes sont-ils pertinents pour rendre compte de la plasticité observée du développement de la vigne?
Manuscrit 4 : Are the common assimilate pool and trophic relationships appropriate for dealing with the observed plasticity of grapevine development ?
3 Conclusions- propositions d’un nouveau formalisme
3.1 Répartition de la biomasse dans le système
3.2 Morphogenèse « potentielle » et demande en biomasse
3.3 Organogenèse des axes
3.4 Morphogenèse « réelle » et croissance en biomasse des organes
3.5 Autres possibilités de formalismes
Conclusion générale