Nécessité d’un enseignement et d’un apprentissage mixte à la communication
Durant leurs études, les étudiants sont rarement observés dans leur pratique de la communication. Ils apprennent à présenter la prise en charge de leur patient sur le plan biomédical voire organique, non centrée sur leur patient et dans un ordre bien défini (antécédents, mode de vie, histoire de la maladie, …). Ils cherchent ensuite à obtenir auprès des patients les informations dont ils ont besoin et selon l’ordre établi par le “dossier clinique” (10). Pour beaucoup, les étudiants apprennent la communication auprès de leurs pairs sur des bribes de consultations et agissent par mimétisme (1,10). La communication n’est pas au centre de leur formation et les étudiants apprennent par eux-même la communication avec le patient. Cela peut engendrer pour eux des situations difficiles, tant sur le plan relationnel avec le patient que psychologique pour eux. Dans une thèse réalisée en 2018 chez des internes de médecine générale de Toulouse, 94,2% avaient affirmé avoir déjà rencontré des difficultés de communication lors de leur parcours (11). Les internes interrogés étaient favorables à une formation à la communication pour leur future relation médecin-patient. Cette formation était surtout envisagée durant le 3ème cycle. Les internes de première année étaient les plus favorables à cette formation.
Une étude réalisée à Rouen sur les étudiants en deuxième année concluait qu’un enseignement spécifique à la communication était susceptible d’améliorer les compétences des étudiants dans le domaine des échanges interpersonnels (12). La demande des internes de formation à la communication et l’importance de la communication dans la relation médecin patient montrent le réel besoin d’une formation complète à la communication. L’acquisition de cette compétence nécessite un apprentissage précis ainsi qu’une pratique encadrée et précoce dans la formation (13). La communication étant un des outils principaux des médecins, et particulièrement des médecins généralistes, elle doit être enseignée avec une rigueur identique au savoir et au savoir-faire (8), au même titre qu’un geste technique. De la même façon qu’un chirurgien doit pratiquer de nombreuses fois une technique opératoire pour la maîtriser, les compétences communicationnelles nécessitent un enseignement pratique et répété .
Les leçons magistrales de cours théoriques et les exercices sur table peuvent être des éléments de transmission des bases de communication, mais ne garantissent pas l’application de ces savoirs en situation réelle (1). Un apprentissage uniquement théorique de la communication ne peut suffire à acquérir une bonne compétence communicationnelle (13). De même, les habiletés communicationnelles ne s’améliorent pas sur la seule base de l’expérience (1). Une pluralité de l’enseignement, mixant théorie et pratique, assure un meilleur apprentissage de la communication. Au Québec en 2004, les résidents (équivalents des internes en France) recevaient une formation par SEM (Séminaire d’Entrevues Médicales) comportant des ateliers de simulation. Il a été montré qu’un apprentissage expérientiel en plus d’un apprentissage théorique permettait une amélioration significative de la compétence communicationnelle (14). Un enseignement progressif (théorique, puis pratique) à la communication, permet aux internes d’ingérer des concepts de communication, puis de les mettre en pratique via des ateliers .
Bernard Millette, Marie-Thérèse Lussier et Johanne Goudreau ont décrit en 2004 six éléments fondamentaux d’une stratégie efficace pour l’apprentissage de la communication professionnelle des médecins (1), comprenant :
– un référentiel basé sur des données scientifiques probantes
– une pratique répétée des habiletés de communication, avec une rétroaction immédiate et spécifique
– un cursus de formation cohérent et longitudinal
– un processus d’évaluation de l’enseignement
– des activités de « découverte de soi”
– des enseignants maîtrisant une bonne communication, comme “modèle de rôle”.
En France, le temps alloué à l’apprentissage de la communication médecin-patient est souvent insuffisant (1) et lorsque celui-ci est abordé, la présentation par cours magistral a longtemps été privilégiée, plutôt que des approches interactives et expérientielles .
Les enseignements facultaires à la communication en santé en France
Des cours théoriques de communication sont proposés dans de nombreuses facultés. Des cours d’introduction à l’entretien motivationnel sont proposés aux internes de médecine générale, un séminaire obligatoire ayant pour thème « approche centrée-patient” ou des cours d’initiation à la communication en petit groupe (3). Plusieurs facultés de médecine de France ont commencé à intégrer la partie pratique dans leur formation à la communication. Certaines facultés proposent régulièrement des formations pratiques : les internes de médecine générale reçoivent une formation théorique en début d’année, suivie d’une formation pratique en cours d’année par session de simulation (Paris Bobigny). Durant leurs trois années de formation, ces enseignements sont obligatoires et les objectifs pédagogiques progressent, au fur et à mesure de la formation. D’autres facultés proposent des ateliers simulations plusieurs fois par an, ces ateliers “simulations” portent sur plusieurs thématiques dont celle de la communication (Paris Diderot). Certains ateliers sont filmés (Créteils). Dans d’autres facultés, les internes de médecine générale participent à une séance de discussion de groupe au décours des ateliers simulations (Clermont Ferrand).
A la faculté de médecine de Rouen, des cours de communication sont mis en place pour les étudiants en DFGSM2 (2ème année) et DFGSM3 (3ème année) depuis une vingtaine d’années. Ces cours sont dispensés en petits groupes de 20 à 25 étudiants. Les DFGSM2 bénéficient de huit séances d’une heure trente avec une présentation des concepts clés de la communication et des jeux de rôles entre pairs. Les DFGSM3 bénéficient de six séances d‘une heure trente avec deux thèmes principaux abordés : les annonces difficiles en médecine et les difficultés de « dire » (axé sur les rapports de sexe, le corps et l’intimité). Un atelier de quatre heures est également dispensé aux étudiants. Lors des années suivantes, en DFASM1 (4ème année) et en DFASM3 (6ème année), les cours de communication sont sous le format optionnel d’Unité Enseignement libre.
Pour les internes de médecine générale de Rouen, il est proposé des ateliers communication avec présentation d’un cas clinique ayant une problématique communicationnelle, avec au décours une simulation du cas entre internes (un interne jouant le rôle du médecin et l’autre jouant le rôle du patient). La communication peut également être développée dans les traces et le portfolio des étudiants, dans l’objectif d’approche par compétences, ainsi que dans les Groupes d’Échanges de Pratiques (GEP). Elle peut aussi être travaillée lors du Stage Ambulatoire en Soins Primaires en Autonomie Supervisée (SASPAS) qui permet une supervision indirecte des internes et avec le développement de la Supervision par Observation Directe avec Enregistrement Vidéo (SODEV). En 2017, la SODEV a été testée à Rouen durant le semestre d’été avec neuf internes et MSU (Maître de Stage des Universités). Elle était décrite comme performante pour l’acquisition des compétences de médecine générale, notamment pour la communication médecin-patient.
Création d’un nouveau format d’enseignement à la communication à Rouen
Les ateliers communications proposés aux internes de médecine générale peuvent présenter quelques limites. Lors de l’atelier, les internes rapportent des cas cliniques leur ayant posé problème. Il est ensuite proposé aux internes de rejouer la consultation. Or, la problématique rapportée est souvent multiple (médicale, sociale et communicationnelle), et, il peut être difficile pour l’interne de ne prendre en compte que la composante communicationnelle de la consultation. La simulation se fait entre co-internes et le biais est alors important : crainte du jugement entre pairs, utilisation du vocabulaire médical et technique pour se faire facilement comprendre et réflexion sur la composante médicale du cas (16). La SODEV, lors du protocole testé en 2017, était décrite comme performante pour l’acquisition des compétences de médecine générale, notamment pour la communication médecin-patient (17). Lors d’une thèse en 2012 sur la SODEV à Rouen, il était mis en avant que malgré une meilleure évaluation des compétences communicationnelles de l’interne, la SODEV présentait quelques inconvénients. La durée de la rétroaction semblait être une contrainte pour les médecins généralistes déjà en manque de temps. La méconnaissance des techniques de supervision pouvait expliquer certaines difficultés de MSU lors de la rétroaction (18). Au vu des recherches bibliographiques sur l’apprentissage de la communication décrites ci-dessus, il est réfléchi au sein du Département Universitaire de Médecine Générale (DUMG) de Rouen un nouveau format d’enseignement à la communication pour les internes de médecine générale. L’objectif pédagogique de ce nouveau format d’enseignement est l’apprentissage précoce, progressif et évolutif de la compétence communicationnelle aux internes de médecine générale. Une formation précoce, dès le début de l’internat, répétée et progressive dans la difficulté permet à l’interne un meilleur apprentissage et une maîtrise optimale de la communication (19). Il est démontré que si les compétences communicationnelles peuvent être enseignées, elles peuvent aussi être oubliées (20), la répétition de la formation permet donc un meilleur apprentissage de la communication .
Ce format d’enseignement s’appuie sur différents outils pédagogiques qui ont des objectifs complémentaires dans l’apprentissage de la communication :
– la SODEV : permet une mise en situation authentique de l’interne supervisé par son maître de stage
– les jeux de rôle de communication entre internes : permettent un échange et partage entre pairs de situations communicationnelles complexes
– les ateliers thématiques : ateliers actuellement en réflexion, qui seraient centrés sur un thème de communication (ex : gestion des émotions, formes de communication : langage verbal, non verbal, paraverbal) qui apporteraient des outils théoriques aux internes pour l’amélioration de leur communication
– la CoSiR, qui fait l’objet de l’étude qui va être détaillée ensuite.
|
Table des matières
Introduction
Contexte
La communication en médecine
La communication en médecine générale
Nécessité d’un enseignement et d’un apprentissage mixte à la communication
Les enseignements facultaires à la communication en santé en France
Création d’un nouveau format d’enseignement à la communication à Rouen
Définition de la Consultation Simulée avec Rétroaction (CoSiR)
Recherche action – Journée CoSiR
Bibliographie du contexte
Article
Résumé
Méthode
Etude qualitative par entretiens semi-dirigés
Population étudiée
Modalités de recueil
Analyse des données
Ethique
Résultats
Population de l’étude
Les internes étaient tous intéressés par la CoSiR avec des raisons multiples
La CoSiR était approuvée comme un bon outil pédagogique
Discussion
Conclusion
Bibliographie de l’article
Annexes
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Liste des abréviations
Liste des tableaux et figures
Résumé