A l’échelle globale, la croûte continentale peut être vue comme I’interface entre un cycle interne des éléments, qui se déroule en grande partie dans le manteau, et un cycle externe, régit par les interactions entre atmosphère, hydrosphère, biosphère et sédiments. La croûte supérieure est le reilet plus ou moins direct du cycle externe, de par l’érosion et la sédimentation. La croûte inférieure présente une situation a priori plus compliquée parce que les transferts de matière (déformation, métamorphisme, métasomatisme, magmatisme) sont plus difficiles à quantifier et même seulement à identifier. En particulier, les relations entre croûte et manteau ne sont pas toutes élucidées.
L’importance des fluides dans la croûte terrestre est attestée par leur implication dans de nombreux phénomènes géologiques importants tels les minéralisations à caractères économiques, le cycle de certains éléments comme le carbone, les transferts de chaleur, la modification de la rhéologie et le contrôle de la déformation (des séismes à la séparation des continents), la production de magmas et la variété des magmas produits. Bien que désignés comme étant une phase à l’équilibre avec les roches métamorphiques et magmatiques, les fluides sont rarement conservés au sein des roches. Leur sources, leurs flux et leurs modes d’écoulement sont relativement mal connus bien qu’ils soient I’objet de nombreux travaux.
Les études de la croûte inférieure dans les localités réputées (Bamble, Rogaland et Tromso (Norvège ), Adirondacks (Grenville, USA), sud de I’Inde, Sri Lanka, Ivrée (Alpes italiennes), Nordeste brésilien …) ont rarement été des approches pluridisciplinaires et aucune n’a à ce jour combiné la géologie structurale, la pétrologie, la géochimie des isotopes stables et la gravimétrie à l’échelle du segment de croûte exposé afin d’en obtenir une image complète et tridimensionnelle. En particulier, si les Adirondacks ont fait I’objet de nombreuses études pétrologiques et géochimiques des fluides, les relations avec les structures tectoniques ne sont pratiquement pas envisagées. À I’opposé, les études structurales foisonnent dans le Nordeste brésilien alors que les interrogations d’ordres pétrologique et géochimique demeurent. En outre, les échelles d’étude restent locales ou régionales et concernent rarement le continent, et encore moins la lithosphère, bien que la littérature sur les granulites désigne fréquemment le manteau comme I’un des acteurs principaux. Inversement, la gravimétrie, excepté dans le cadre de prospections minières, retient généralement des longueurs d’onde de I’ordre du millier de kilomètres, ce qui empêche toute possibilité de I’associer à des caractéristiques structurales et géochimiques de la croûte continentale.
SYNTHÈSE BIBLIOGRAPHTQUE SUR LA NATURE ET LA DISTRIBUTION DES FLUIDES À L’ÉCHELLE DE LA LITHOSPHÈNE
Les fluides sont impliqués dans une trðs grande variété, de processus géologiques. Leur nature, leurs origines, leur distribution et leurs effets ont été étudiés en de très nombreuses circonstances, depuis des environnements de croûte supérieure jusque dans le manteau, pour les continents conìme pour les océans. Cependant, les études intégrées des fluides à l’échelle de la lithosphère restent rares. Ce chapitre présente une revue des principaux fluides impliqués dans la lithosphère. Nous nous attacherons à déterminer plus particulièrement quels sont les paramètres qui contrôlent la présence et la mobilité des fluides, en particulier dans la partie supérieure du manteau et dans la croûte inférieure, afin d’en donner une image synthétique à partir de travaux récents. La lithosphère désigne la croûte et la partie supérieure du manteau, distinguée de I’asthénosphère par ses propriétés mécaniques (voir la récente discussion de Anderson (1995)). Discuter des transferts de fluide à l’échelle de la lithosphère nécessite de se référer au cadre géodynamique de la tectonique des plaques.
Nature des fluides de la lithosphère
Le terme « fluide » regroupe ici les magmas (silicatés et carbonatés) ainsi que les volatils. Les magmas silicatés, d’origine mantellique ou crustale, sont de loin les plus abondants et les mieux échantillonnés des magmas, parce que disposant de nombreux dérivés en surface. Les magmas carbonatés (carbonatites et kimberlites) sont rares à la surface de la Terre. Cette rareté est I’objet de discussions. Barker (1996) souligne la quasi-impossibilité pour ces magmas de s’extraire du manteau et non pas la rareté de la production de ces magmas à partir d’un système péridotite-CO2-H2O, qui peut être fertile (Wyllie, 1979). Les magmas carbonatés sont considérés comme de puissants agents du métasomatisme dans le manteau (voir par exemple Harte, 1981 et Menzies, 1990). La migration des magmas silicatés est aussi responsable de modifications chimiques des roches mantelliques (Bodinier et al., 1990). L’importance des magmas sera ici restreinte à leur capacité à transférer de la chaleur et de la matière, et plus particulièrement à incorporer, transporter et libérer des volatils (Burnham, 1979; Carroll et Holloway, 1994).
Le terme « volatil » regroupe les fluides non magmas, donc de faible viscosité, à l’état vapeur, critique ou liquide, de natures chimiques variées. Les magmas ont été les premiers éléments reconnus impliqués dans les transferts manteau – croûte. Les volatils sont moins bien connus parce que plus difficilement « fossilisés » que les magmas. Ils représentent également des volumes moindres et ont une capacité plus forte que les magmas à migrer dans la croûte. Toutefois les volatils de la lithosphère présentent un intérêt majeur parce qu’ils sont un lien entre les cycles géochimiques internes et externes et de ce fait interagissent avec I’atmosphère et les océans. Ils peuvent également conduire à des minéralisations à caractère économique. De plus, les volatils affectent fortement les conditions de fusion et de déformation des roches. Leur distribution est donc de première importance. pour comprendre la rhéologie de la lithosphère, depuis la tectonique des plaques jusqu’aux séismes. Les principaux volatils de la lithosphère contiennent les éléments H, C, O, N, S, F, Cl, combinés pour les principaux sous des formes peu nombreuses en fonction de l’état d’oxydation de la portion de lithosphère considérée: H2O, CO2, CH4. N2, CO, H2 (Watson et Brenan, 1987 ; Wyllie, 1987 ; Brenan et Watson, 1988 ; ‘Wood et al., i990; Evans ,1996). La répartition des volatils dans les différents réservoirs terestres est très inégale (Jambon, 1994). Elle dépend de la stabilité des phases-hôtes du volatil dans le réservoir considéré, de la quantité initiale sur Terre de ses éléments constitutifs, de la masse du réservoir et des flux entrants et sortants. Il est difficile de présenter les teneurs en volatils des principaux réservoirs de la lithosphère (manteau, croûte, magmas basaltiques et granitiques …). La croûte est extrêmement hétérogène du point de vue de sa composition chimique. Une valeur moyenne est peu représentative. Les processus magmatiques fractionnent très fortement les volatils (incompatibles) et l’étude des produits du magmatisme renseigne peu facilement sur les teneurs en volatils du manteau, d’où de nombreuses controverses. Des Marais (1985) discute la méthode de Javoy et al. (1982), et Zhang ef.Zindler (1993) discutent la méthode de Marty et Jambon (1987). L’expérimentation mesure surtout les solubilités, donc les valeurs à saturation des volatils dans les magnìíìs et les principaux facteurs qui les gouvernent, mais on ne connaît que très peu les teneurs en situation naturelle (voir le volume édité par Carroll et Holloway, 1994). De nombreuses tentatives de bilans des volatils dans le manteau et de calculs de flux sortants ont toutefois été menées (voir par exemple Javoy et al., 1982; Des Marais, 1985 ; Marty et Jambon, 1987;zhangetzindler, rgg3 ; Jambon, 1994 etwood et al., 1996). La distribution et le transfert des halogènes dans la lithosphère sont encore peu connus (V/edepohl,1974;Smithetal., 1981 ;Brenan, 1993;Jambon, 1994).Lefluoretlechlore entrent en proportion parfois importante dans les amphiboles (Vanko, 1986), les micas (Stern et Klein, 1983) et certains magmas (Förster, 1990). Ils sont reconnus comme étant de puissants ligands impliqués dans la mobilité de nombreux éléments chimiques (voir la revue de Yardley et Banks (1994)).
Les gaz rares sont des volatils particuliers. Ils ne sont apparemment pas retenus dans les réservoirs lithosphériques, n’interagissent avec aucun élément et tendent à se concentrer dans I’atmosphère, ce qui en fait de bons traceurs -quoique controversés (Zhang etZindler,Igg3)- du dégazage mantellique. Ce sont des éléments passifs qui n’ont pas de rôle connu dans la stabilité des phases de la lithosphère, contrairement aux autres volatils cités précédemment.
Méthodes d’étude des fluides
Les méthodes d’études des fluides dans la lithosphère sont variées parce que rarement directes. Elles ont généralement une représentativité faible car elles sont inféodées à un objet géologique particulier. Le volcanisme est le phénomène majeur révélant des fluides d’origine lithosphérique ou asthénosphérique: magmas silicatés et carbonatés, volatils. L’hydrothermalisme, continental conìme océanique, est une manifestation probante de I’existence de la circulation de fluides, sur des échelles locales à régionales. La géologie minière et la pétrologie métamorphique ont souligné I’importance des transports de masse sous contrôle d’une phase fluide. La géochimie des isotopes stables a prouvé sa capacité à démontrer I’existence de circulations fluides dans des portions variées de la lithosphère et à déterminer I’origine des fluides impliqués (voir par exemple, Valley et al. (1986)). L’étude des fluides dans la lithosphère se réduit souvent à l’étude des roches à I’affleurement ou obtenues lors de forages, ce qui représente une infime partie de la lithosphère, avec beaucoup de croûte supérieure, peu de croûte inférieure et seulement de rares portions exposées de manteau (massif de péridotites, ophiolites). Les forages ont l’avantage de permettre la récupération in situ des fluides, et de confronter les observations pétrologiques, géochimiques et géophysiques (Fuchs et al., 1990). Seuls deux grands forages continentaux existent (KTB en Allemagne, et le forage en presqu’île de Kola, projet russe). Leur implication sur la connaissance des fluides dans la lithosphère reste faible. Les forages en domaine océanique sont plus nombreux ; ils constituent le seul véritable mode d’exploration du plancher du monde du silence. Les forages profonds ou réalisés dans des croûtes amincies restent rares (programmes ODP 504b, 735b et Hess Deep, voir par exemple Mével et Cannat, I99l ; Robinson et al., 1991 et Gillis, 1993). Les xénolites, enclaves de roches remontées par les laves des volcans, sont volumétriquement très peu importants mais ont produit l’échantillonnage le plus varié et le plus profond du manteau (Nixon, 1987), comme de la croûte (Rudnick, 1992). La position anormale de morceaux profonds de lithosphère à I’affleurement est déjà une première barrière quant à la représentativité de ces roches vis à vis du manteau « normal ». La pétrologie expérimentale à haute pression tente de recréer les conditions de pression et température de la lithosphère et de I’asthénosphère, mais cette technique se heurte à la petite taille des échantillons produits. L’avenir est maintenant à l’utilisation des paramètres thermodynamiques mesurés sur des systèmes simples à haute pression elou à haute température dans des modèles minéralogiques numériques du manteau (Matas et al., 1996). Toutefois, la prise en compte des fluides dans ces modèles n’est pas encore à I’ordre du jour. Les études in situ des fluides à l’échelle de la lithosphère reposent principalement sur les méthodes indirectes de la géophysique; essentiellement des mesures de conductibilité électrique (Frost et al., 1989b; Thompson et Connolly, 1990; Glover et Vine, 1994; Marquis et al., 1995). Les interprétations font encore I’objet de débats quant à la nature (fluide, film minéral, déformation localisée ?) des anomalies de vitesse sismique et de conductivité électrique (Frost et Bucher, 1994; Suetnova et al., 1994; Gough, 1986). Les sismologues discutent encore de la mise en jeu de fluides dans les mécanismes de rupture des failles (Melosh, 1996).
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Table des matières
INTRODUCTION
1. SYNTHÈSE EMLIOGRAPHIQUE SUR LA NATURE ET LA DISTRIBUTION DES FLUTDES À L’ÉcuELLE DE LA LITHoSpHÈnn
1.1 Nature des fluides de la lithosphère
1.2 Méthodes d’étude des fluides
1.3 Distribution des principaux flux de fluides concernant la lithosphère
1.4 Image des fluides lithosphériques
1.4.1 Panorama Pression-Profondeur-Température des fluides dans la lithosphère
I.4.2 É,coulement des fluides
3.4 Les traces des fluides sur le terrain
3.5 Formation des gisements de phlogopites
1.4.3 Échantillonnage direct des fluides de la lithosphère : les inclusions fluides
1.5 Le débat sur les fluides dans les granulites
1.6 Conclusions
2. COMPOSTTTONS TSOTOPIQUES C-O-H DE QUELQUES RÉSERVOIRS DE LA LITHOSPHÈRE
2.ILe manteau et ses fluides
2.2 Les réservoirs crustaux
2.3 Conclusions
3. APERÇU SUR LA CÉOIOCM DE MADAGASCAR ET DE SES GRANULITES
3.1 Cadre global et géodynamique
3.2 Lithologie, pétrologie et structures des granulites malgaches
3.3 La campagne de terrain
3.6 Conclusion
4. DISTRIBUTION DES FLUIDES ET ÉCOUTNUENTS EN FONCTION DES STRUCTURES TECTONIQUES : UNE APPROCHE PAR LA GÉOCHIMIE DES ISOTOPES STABLES
4.1 Écoulement des fluides en fonction de l’échelle des zones de cisaillemert (article : Fluid flow versus scale of shear zones in the lower continental crust and the granulite paradox)
4.2 Complément sur les interactions fluide-roche à l’échelle de la croûte inférieure malgache obtenu par I’analyse des carbonates de lithologies variées
4.2.1Complément sur les marbres : hétérogénéités locales
4.2.2 Caractérisation de I’ altération des marbres
4.23 Étude systématique du carbonate des métabasites et clinopyroxénites
4.2.4Les carbonates associés au magmatisme crustal
4.2.5Les carbonates des gneiss
4.3 Le graphite : I’autre regard sur le carbone crustal
4.3. 1 Équilibres calcite-graphite et thermométrie
4.3.2 compositions isotopiques des graphites et infiltration
4.4 Bilande l’étude des isotopes stables C-O des roches carbonatées en relation avec les structures tectoniques
4.4.I Les marbres et les différents couplages entre compositions isotopiques du carbone et de I’oxygène : vers un modèle de mélange
4.4.2 lmportance de la dévolatilisation
4.5 Conclusion
5. MODÉLISATION DE L’INFILTRATION
5.1 Revue critique des modèles d’infiltration
5.2 Choix du modèle d’infiltration
5.3 Établissement et exploitation du modèle
5.3.1 Énoncé du modèle
5.3.2 Écriture du bilan de masse et choix des paramètres
5.3.3 Résultats
5.3.4 Discussion et conclusions
6. PANORAMA DE LA COMPOSITION ISOTOPIQUE DE L’HYDROCÈNB
6.1 compositions isotopiques des micas de lithologies variées
6.2 Hydrogène et fluor des phlogopites des mines
6.3 Conclusion à l’étude des compositions isotopiques et teneurs en I’hydrogène
CONCLUSION