Je suis aide-soignant diplômé d’État depuis huit ans. Cette situation se déroule dans une unité de soins palliatifs, où j’exerce en qualité d’aide-soignant depuis deux ans et où j’ai pu constater l’unicité de chaque prise en charge. Chaque patient est différent : même si nous traitons des maladies similaires, chaque patient arrive avec sa culture, son vécu, son histoire familiale et sa situation sociale, qui vont malheureusement ou heureusement influencer sa prise en charge. Dans le cadre de ce poste, j’effectue une amplitude horaire de douze heures et travaille en binôme avec une infirmière. Au sein du service, l’équipe soignante au quotidien se compose de trois infirmiers et trois aides-soignants ainsi que d’une équipe pluridisciplinaire composée de médecins, de cadres de santé, d’une psychologue, d’une assistante sociale, d’un agent de service hospitalier, d’une kinésithérapeute, d’une socio-esthéticienne et d’une arthérapeute. Au quotidien, je prends en soins cinq patients en binôme avec une infirmière.
Narration de la situation clinique
C’est dans ce cadre professionnel que j’ai été confronté au cas de Mme H., âgée de 19 ans et d’origine africaine (Mali). Atteinte de la maladie de Lafora, elle a été admise en unité de soins palliatifs pour une prise en charge palliative dans un contexte de crises d’épilepsie myoclonique progressive génétique pharmaco-résistante avec décision de non réanimation survenue à l’âge de 14 ans. Elle présente des clonies des membres supérieurs. C’est une patiente somnolente, ne pouvant exprimer ses plaintes et symptômes et qui connaît des douleurs importantes lors des mobilisations ainsi qu’une hypotonie généralisée. Mme H est née de parents consanguins qui sont cousins germains : ils sont originaires du Mali, appartiennent à l’ethnie Soninke et sont de confession musulmane. Sa mère, femme de ménage, est arrivée en France en 1999. Son père travaille à Rungis. Mme H est la troisième enfant d’une fratrie de sept. Les deux aînés sont décédés au Mali, respectivement à 21 et 17 ans, de la même pathologie, dont souffre leur sœur.
Les symptômes évolutifs de cette maladie sont les suivants :
• des crises d’épilepsie
• des pneumopathies d’inhalation à répétition
• un ralentissement intellectuel
• des myoclonies au repos et pendant les mobilisations
• de multiples paralysies.
• une cécité (perte de la vue).
• une démence se traduisant par une perception erronée des choses.
La mort peut survenir de 2 à 10 ans après le début de la maladie et parfois beaucoup plus tard. Mme H. présente des troubles cognitifs à type de ralentissement psychomoteur, de nombreux épisodes de myoclonie, des crises tonico-cloniques généralisées et un traumatisme crânien suite à une crise généralisée.
Après deux jours au sein de l’unité, la mère de la patiente est venue avec des onguents et des décoctions en provenance du Mali afin de réaliser quotidiennement des bains et des massages rituels à sa fille. La mère de Mme H. était présente tous les matins dans le service à la première heure de la journée pour effectuer ces différents soins rituels malgré le fait qu’elle réveillait Mme H. et que ces soins engendraient de fortes douleurs. Lorsque sa mère la massait, Mme H criait de douleur et, pour autant, la mère n’arrêtait pas ses gestes. Pour la mère, plus sa fille criait, plus cela signifiait que les onguents étaient efficaces. Force était de constater que la mère de la patiente ne comprenait pas la pathologie dont souffrait sa fille. Elle se questionnait sur son origine et disait que son époux avait mieux compris les choses.
A plusieurs reprises, nous avons essayé sans succès de la convaincre d’arrêter les massages et qu’il était souhaitable que l’on équilibre ses douleurs pour qu’elle puisse réaliser les soins rituels. Nous lui avons proposé un entretien pour trouver ensemble une solution pour soulager les douleurs de Mme H. Pour la mère, nous étions en train de l’empêcher de prendre soin de sa fille, ce qui était intolérable pour elle puisqu’elle ne souhaitait que sa guérison. Un jour, n’y tenant plus, nous avons fait barrage de notre corps et nous sommes interposés entre la mère et la fille. La mère est alors sortie de la chambre en claquant la porte et n’est revenue que le soir en disant se sentir accusée de faire du mal à sa fille. Suite à cet événement, une médiation transculturelle fut requise par le médecin Il ressort de cette situation plusieurs incompréhensions ou compréhensions différentes entre la mère de la patiente et les soignants. Alors que les soignants sont dans une démarche de prise en charge palliative et de soins de confort, nous nous demandons dans quelle mesure sa mère a accepté la situation et ne cherche pas, à travers ses décoctions et massages, à conjurer le sort, guérir sa fille et lui éviter une mort certaine compte tenu du décès des deux aînés de la fratrie.
S’ajoute un deuxième niveau d’incompréhension ou tout du moins de conceptions différentes. Cette situation a fait surgir en moi une situation conflictuelle d’ordre interculturel. Nous nous interrogeons sur la signification et l’importance des rituels faits par la mère. Qu’est-ce que cela signifie pour elle dans sa culture ? Est-ce lié à une conception différente de la maladie et donc des soins à apporter ? Le questionnement est d’autant plus pertinent que les parents de Mme H. ont déjà perdu deux enfants de la même maladie. Son comportement s’explique-t-il par un sentiment de culpabilité de la mère à l’égard de sa fille compte tenu de ce que la maladie résulte d’un mariage consanguin.
Analyse de la situation clinique
Problèmes posés par la situation :
• Prise en charge d’une patiente jeune (19 ans)
• Incompréhensions entre la mère et les soignants, ce qui engendre des difficultés relationnelles
• L’incompréhension par la mère de Mme H. de la pathologie et de l’état de santé de sa fille tout en sachant qu’elle a déjà perdu deux jeunes enfants
• La barrière linguistique : la mère ne comprend pas très bien le français, ce qui constitue un handicap important. Il se pose la question de ce que la maman a réellement compris de l’évolution de la pathologie de sa fille.
Problèmes que la situation m’a posés :
• La prise en charge d’une patiente jeune comme mentionné ci dessus atteinte d’une maladie invalidante dans la fleur de l’âge avec une espérance de vie très courte.
• Une situation conflictuelle interculturelle pour mieux accompagner la mère sans toutefois la déposséder et sans exclure les soins qu’elle prodigue à sa fille.
• La barrière linguistique : comme mentionné ci-dessous, elle a constitué un handicap avec la mère tout au long de la prise en charge de sa fille.
• La triade parents, soignant, enfant (patiente).
La problématique :
Nous allons étudier la question de l’implication de la mère dans la planification quotidienne des soins (application des différents onguents venus du Mali) ainsi que la médiation transculturelle mise en place pour écouter, comprendre et informer les parents de l’état de santé ainsi que du devenir de Mme H. Voici la formulation de la problématique telle qu’elle s’est posée aux soignants : comment résoudre cette situation conflictuelle interculturelle pour accompagner au mieux la fin de vie de Mme H. tout en ne dépossédant pas totalement la mère et en ne l’excluant pas des soins à prodiguer ?
Recherche documentaire : cadre théorique
La théorie de la communication
L’origine du terme « communication » vient du dérivé latin « communicare » qui signifie « mise en commun, échange, action de faire part ». La communication implique à la fois un émetteur et un récepteur distincts. Au niveau de l’émetteur, les idées sont encodées puis transmises par l’intermédiaire d’un canal d’émissions. Tout comportement, qu’il soit verbal ou non verbal, en présence d’un autre individu est communication. La communication « offre à tous un moyen d’entrer en contact. Elle donne un sentiment de participation avec un autre et permet le partage de l’information, de signaux ou de messages, sous la forme d’idées et de sentiments » . La communication fait partie du soin et son importance est reconnue. Malheureusement, bien souvent, l’absence de communication élève des barrières entre le patient (et/ou sa famille) et l’équipe soignante. Pour revenir à la situation étudiée, étant – au niveau des soignants – de culture différente de cette famille originaire du Mali, nous nous sommes retrouvés étrangers et impuissants à communiquer : la mère de Mme H. s’est sentie incomprise et nous avons eu au sein de l’équipe soignante du mal à lui transmettre nos messages sur l’état de santé de sa fille et sur le protocole de soins. Sans la possibilité de communiquer, les soins vont être inadéquats. Les équipes soignantes ont besoin, non seulement d’avoir une connaissance de la communication avec les malades d’une même culture que la leur, mais aussi d’approfondir les connaissances des facteurs sociaux et culturels qui peuvent affecter la communication. La communication et la culture sont étroitement imbriquées. La communication est le moyen par lequel la culture est transmise. « Dans une communication, on peut être iatrogène : il faut aller à la rencontre de l’autre » et porter une attention aux émotions et aux mécanismes de défense des uns et des autres. Il est important d’avoir une dimension cognitive et une dimension émotionnelle dans la communication ainsi qu’une approche systémique de la situation de cette famille : cette mère était-elle prête à entendre la finitude de sa fille et de ses enfants ? À envisager la mort de son enfant avant la sienne ?
L’approche interculturelle dans les soins
« La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » . L’interculturel est avant tout une démarche et non une réalité objective ; il permet une coexistence pacifique et solidaire entre les populations. Le préfixe « inter » suggère des interactions, des échanges, des partages, des complémentarités, des coopérations. L’interculturel sert à entretenir dans le meilleur des cas des souhaits, des espoirs. L’approche interculturelle est composée de trois démarches, à savoir la décentration ; la découverte du cadre de référence de l’autre ; la négociation / la médiation. Cette approche devrait permettre de surmonter des obstacles à la compréhension et au respect de la diversité culturelle. Le concept d’approche, d’attitude interculturelle a été préféré aux compétences interculturelles, définies en tant que capacités à communiquer avec des personnes de cultures différentes, à surmonter les échecs dans la communication et à être plus efficace. Le concept de compétence interculturelle a pris naissance dans les années 1990 avec le développement de la mondialisation et a été appliqué en tant que critère de sélection des personnes les plus aptes à s’adapter à un travail à l’étranger. L’approche interculturelle est une méthodologie qui induit une démarche compréhensive dans laquelle on évite de catégoriser et dans laquelle la culture est considérée comme une variable parmi d’autres. L’approche interculturelle repose sur le triangle notionnel diversité / singularité / universalité, à travers lequel on ne cherche pas à pointer les différences, à expliquer par ces dernières plutôt à les repérer et à les comprendre. On cherche à trouver un équilibre entre la totale singularité d’autrui et son inscription dans sa totale universalité, à reconnaître en l’autre un sujet singulier et un sujet universel par la rencontre, la relation et non l’analyse de sa culture.
C’est l’infirmière américaine Madeleine Leininger qui, à la fin des années 70, a développé une théorie des soins transculturels : elle a introduit une orientation anthropologique dans les soins. Selon cette théorie, « tout soin intervient dans un contexte culturel » : identifier et comprendre la culture du patient permet d’adapter les soins infirmiers au sens que ce dernier donne à sa maladie. Il est essentiel que les soins proposés soient en cohérence avec les convictions culturelles du patient. «La relation soignant-soigné pose la question du rapport à l’autre, à la différence, plus généralement à la confrontation interculturelle au sens plénier. » Les pratiques de soins aujourd’hui impliquent nécessairement la rencontre, l’interculturalité. Du fait de la mondialisation et de l’évolution de la société française, l’hôpital est confronté à des patients issus de pays et de cultures diverses. Cela engendre des conflits d’identité et de reconnaissance induits par des perceptions divergentes du monde, de soi, de la maladie.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME
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