Aujourd’hui les technologies MEMS (Micro Electro Mecanical Systems) nous offrent une capacité à réaliser des systèmes miniaturisés à moindre coût. En association avec les technologies microélectroniques, elles sont devenues de plus en plus largement diffusées. Nées à la fin des années 1980, ces technologies ont permis de mettre à point des systèmes autonomes, performants, collectifs et complexes en utilisant la technologie multifonctionnelle microélectronique sur silicium [1-3]. Depuis lors, elles sont devenues d’usages courants dans les industries et ont trouvé des domaines d’applications très divers, tels que l’automobile *4,5+, l’espace *6-8], le secteur médical [9,10], la défense [11-14]. Grâce à la nouveauté de ces technologies et leur aptitude à la miniaturisation, il a été possible de minimiser les volumes et les coûts de fabrication dans les microsystèmes embarqués et à assurer leur diffusion.
L’intérêt d’investir dans des projets dédiés aux MEMS reste grand aujourd’hui dans le monde entier. Les perspectives d’industrialisation des microsystèmes selon les besoins et les applications demandées évoluent et continuent d’évoluer favorablement à grande vitesse. Parmi les différentes applications des technologies MEMS, la génération et la gestion de l’énergie embarquée ont ouvert de nouvelles voies technologiques. Une option possible, combinaison entre la microélectronique et la pyrotechnie, vise à intégrer des microsources d’énergie thermiques ou de pression dans les microsystèmes afin de pouvoir, dans un premier temps, stocker de l’énergie dans ces systèmes et ensuite récupérer cette énergie libérée pour l’utiliser : c’est le domaine de la MICROPYROTECHNIE initiée au LAAS dans les années 90.
La pyrotechnie était initialement liée aux industries militaires et spatiales mais avec l’évolution des exigences de sécurité dans les automobiles et le développement des airbags, s’est ouverte une nouvelle voie vers les applications civiles. C’est dans cette perspective que notre équipe de recherche au LAAS-CNRS a proposé un concept innovant de pyroMEMS sur silicium, dans les années 1995 dans le cadre de la thèse de C.ROSSI pour les applications médicales [15-17]. Le nouveau domaine dédié aux micro-dispositifs a ouvert diverses applications telles que la micro propulsion, le micro actionnement pneumatique, la microsoudure in situ, les micro-sources d’énergie, que ce soit pour le secteur civil ou militaire.
ETAT DE L’ART ETPROBLEMATIQUE
Les matériaux énergétiques sont une classe de matériaux capable de libérer de l’énergie dans certaines conditions d’utilisations. Notre laboratoire a été le premier dans les années 1995 à proposer un usage des matériaux énergétiques dans les micro dispositifs ce qui a engagé un important processus d’innovations dans le choix des matériaux (compatibilité avec les technologies microélectroniques) et dans leur mise en œuvre pour des usages embarqués divers et innovants. Notre thèse s’inscrit donc dans une succession de travaux qui visent la mise au point de nouvelles générations de matériaux susceptibles d’être intégrés sur des systèmes d’allumages miniaturisés. Mais le choix d’un matériau intégrable est un problème complexe, d’une part parce qu’il doit pouvoir être déposé dans le processus de fabrication du micro dispositif support et d’autre part parce qu’il doit permettre d’actionner dans de bonnes conditions d’autres matériaux énergétiques plus traditionnels.
Contexte
Depuis l’invention de la poudre noire il y a 1000 ans, la fabrication des matériaux énergétiques est basée sur deux procédés principaux. L’incorporation « physique » dans une molécule, d’agents oxydants et réducteurs permet de produire des matériaux énergétiques dits monomoléculaires comme la nitrocellulose, nitroglycérine, trinitrotoluène. Le mixage de poudre d’agents oxydants (nitrate de potassium, d’ammonium, perchlorate…) avec une poudre réductrice (carbone, souffre…) permet d’obtenir les matériaux énergétiques dits composites (la poudre noire est un exemple illustratif). Jusque dans les années 1970, le développement et la recherche autour des matériaux énergétiques qu’ils soient monomoléculaires ou composites, étaient principalement motivés pour des applications militaires et spatiales avec comme objectif principal d’optimiser les performances, les comportements de flamme, la stabilité, les propriétés détoniques ou propulsives, le vieillissement et mieux contrôler leur sensibilité.
D’ailleurs, des progrès très importants en chimie moléculaire ont permis de mettre au point de nouvelles formulations et molécules énergétiques permettant d’avoir des matériaux énergétiques stables tout en étant réactifs et générant l’effet désiré (optique, mécanique ou thermique en un temps très court) de façon fiable. C’est sans aucun doute ce qui a permis la diffusion massive des matériaux énergétiques dans des secteurs industriels nombreux. Citons la sécurité civile et militaire, le génie civil, la démolition, les feux d’artifice, l’industrie automobile et bien sûr le spatial. Selon le SFEPA (Syndicat des Fabricants d’Explosifs, de Pyrotechnie et d’Artifice)[134] le chiffre d’affaires de la pyrotechnie en France est de l’ordre de 1200 M€. Au début des années 90 a émergé l’idée d’intégrer sur les microsystèmes silicium des matériaux énergétiques dans la perspective de disposer des micro actionnements locaux dans des volumes extrêmement petits (inférieurs au mm3 ) desforces relativement conséquentes (~ 0,1N). L’exemple le plus illustrateur du mariage des matériaux énergétiques avec les microsystèmes est sans aucun doute l’airbag. Mais d’autres applications importantes pour la santé *1,2+, l’espace *3,4,5] et le militaire [6,7,8,9] sont en cours de développement. Le LAAS a été un des instigateurs de cette discipline technologique dès 1995 avec la thèse de C. Rossi [10] qui a proposé un concept nouveau basé sur l’intégration d’une couche de matériau énergétique solide sur une puce de silicium, dispositifs appelés ensuite PYROMEMS . Il s’agissait initialement d’intégrer des matériaux énergétiques conventionnels de type propergol sur des initiateurs en silicium pour répondre à une problématique d’injection de médicament.
Cette idée d’intégrer des matériaux énergétiques sur des puces de silicium a été développée par la suite dans diverses applications : la micro propulsion [11,19], la microinitiation *20,22+, la génération de gaz pour l’actionnement *23+, le chauffage et soudure localisé *24+, la microsoudure *111+ et même pour applications dans l’industrie électronique et microélectronique: fusible, commutation, interrupteur, sécurisation de circuit[25].
Le concept de PYROMEMS a été utilisé aussi par des équipes internationales situées aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Aux Etats-Unis, on trouve par exemple le « Lawrence Livermore National Laboratory (LLNL) » [26,27] et l’université de Berkeley en Californie [28,29], le « Los Alamos National Laboratory » [30] au Nouveau Mexique, Georgia Institute of Technology [31-34+, l’université du Missouri *35-36] et Sandia National laboratory [37 39]. En Europe, on retrouve notamment l’université de Neuchâtel *40,41+ et le CEA – LETI [42] et en Asie, il existe des équipes aussi en Chine et au Japon .
De son côté, le LAAS depuis les années 95 a poursuivi le développement du concept. Dans les premières années (95-2000), l’effort technologique a porté essentiellement sur l’intégration par report des matériaux énergétiques de type propergol en couche épaisse (~100μm) à partir de technologies classiques que sont le collage, la sérigraphie *45+ et plus tard le jet d’encre *46+ sur des initiateurs silicium de dimension supérieure au millimètre carré. Cela nécessitait donc de déposer le matériau, une fois le dispositif finalisé.
Depuis les années 2000, avec la tendance à la miniaturisation croissante des dispositifs, nous avons été confrontés à deux issues technologiques et matériaux. Les couches énergétiques déposées pouvaient présenter des délaminations lors de l’initiation liées à la différence de coefficient thermique et engendrant alors des problèmes de fiabilité. D’autre part, en deçà du millimètre, les matériaux conventionnels utilisés (propergol, double base et composite) n’assurent pas de combustion soutenue aux faibles dimensions et en couche mince (<500µm). C’est alors que nous avons envisagé de lancer une réflexion sur l’élaboration d’une nouvelle génération de matériaux énergétiques adaptés aux microsystèmes avec comme objectif d’explorer des couches minces énergétiques (épaisseur<100µm) à très forte réactivité et énergie tout en étant sécurisées, stables et intégrables en technologie MEMS c’est-à-dire en salle blanche.
Parallèlement à cette réflexion menée au LAAS en 2005 et publiées dans le Journal of sensors and actuators [131], la diffusion massive de matériaux énergétiques dans de nombreux secteurs d’applications grand public tels que le médical, l’automobile et l’aérospatial ont amené de nouvelles exigences matériaux en terme de performances (maîtrise des effets de la décomposition du matériau, multifonctionnalité ou « intelligence » du matériau) mais aussi en terme de non toxicité et écotoxicité.
Les matériaux thermites
La découverte des thermites remonte à 1893, lorsque le chimiste allemand Hans Goldschmidt essaie de mettre au point une façon de synthétiser des métaux purs en se passant de carbone. Il arriva à synthétiser du chrome pur par voie aluminothermique et se rendit compte rapidement de l’intérêt de sa découverte pour la soudure. Le nom thermite vient du très fort dégagement de chaleur que ces réactions engendrent, pouvant atteindre des températures de plus de 7000K .
D’un point de vue chimique, la réaction thermite désigne la réaction d’oxydoréduction d’un métal fortement réducteur par les atomes oxygène d’un oxyde. Contrairement à certaine réaction d’oxydation, les réactions thermites se font par transfert de chaleur et nécessitent donc une énergie d’activation, tout en libérant beaucoup d’énergie (équation n°1) :
M1+M2O→ M1O+M2+ΔH(1)
Avec M1 : Métal (généralement de l’aluminium), M2 : Métal ou matériau non métallique, M1O et M2O : oxydes métalliques correspondant et ΔH : chaleur de réaction.
Les principaux couples étudiés dans le domaine scientifique sont: Al/Fe2O3 [119-121], Al/MoO3 [123,124], Al/NiO [124-126],et Al/CuO[62,63,127-129] .
Apport de la nanostructuration pour ces matériaux
Comme précédemment mentionné pour les matériaux composites, lorsque les thermites sont issus de mélange de poudres macroscopiques de dimensions supérieures au micromètre, la quantité d’énergie dégagée et la vitesse de réaction sont fonction du ratio entre oxydant et réducteur *57+. Dans les conditions stœchiométriques l’énergie libérée par la réaction exothermique atteint sa valeur maximale et la réactivité est limitée par le temps de diffusion des réactifs, elle est donc fonction de leur proximité. Ainsi, l’intimité et la morphologie des réactifs (taille des grains de poudre [55]) dans ces matériaux sont des éléments très sensibles pour leurs performances. C’est ainsi que les thermites à grain microscopique souffrent d’une réactivité lente : M. L. Pantoya et al. *56+ ont montré que dans le cas d’une thermite Al/MoO3, le délai d’allumage était de 6s pour des microparticules d’Al de 20 μm de diamètre, ce qui est extrêmement long comparé aux matériaux énergétiques conventionnels (compris entre quelques microsecondes et la seconde pour le tétranitrate de pentaérythritol ou PETN) .
C’est donc un handicap majeur pour leur fonctionnement en couche mince car à ces vitesses de combustion la chaleur de réaction s’évacue dans le substrat et la flamme s’éteint. Les thermites, quoique ayant un fort potentiel énergétique, souffrent d’une réactivité trop faible pour leur exploitation directe dans les microsystèmes. L’idée exploitée par M. L. Pantoya, T. P. Weihs ou encore M. R. Zachariah aux Etats-Unis, l’ISL et le LAAS a été de diminuer la taille des réactifs en travaillant soit à partir de nanopoudres [58-61] ou par la nanostructuration *54,62,63,64+ ce qui permet d’augmenter la réactivité. En effet, si l’on considère la réduction de la taille des particules, cela a pour effet d’augmenter l’intimité des réactifs (cf. figure3) en augmentant leur surface de contact (aussi appelée surface spécifique) *66+. Par exemple, une particule d’aluminium de 30 μm de diamètre a une surface spécifique de 0,07 m2 /g environ contre 74 m2 /g pour une même particule de 30 nm de diamètre (surface spécifique d’une particule de poudre = surface de la particule / masse de la particule).
Résumé des travaux sur les nanothermites
Dès 1995, Aumann et al [65] ont fabriqué par mixage des composés MoO3/Al avec un diamètre de particule compris entre 20 et 50 nm. Lorsque le mélange est stœchiométrique, la densité d’énergie atteinte est de 16kJ/cm3 . D’après les auteurs, le mélange peut brûler 1000 fois plus vite que les composites thermiques à grains macroscopiques. Bockmon et al [66] ont comparé différents échantillons d’Al/MoO3à granulométrie variable. La vitesse de combustion moyenne mesurée passe approximativement de 685 à 990 m/s lorsque la taille de la particule d’Al diminue de 121 à 44 nm. En comparaison, à l’échelle du micron l’Al/MoO3 brûle à 10 mm/s [111] Les auteurs mentionnent aussi que la vitesse de réaction devient indépendante de la taille de la particule d’aluminium lorsque cette dernière atteint un diamètre critique de 40nm dans leur cas. Cela peut être expliqué par l’épaisseur constante de la couche d’Al2O3 : quand la nanoparticule d’Al devient très petite, la proportion en masse de la couche de Al2O3 native enrobant l’Al peut inhiber la réaction thermique entre l’Al et le réducteur. Bhattacharya et al *75+ ont mesuré la vitesse de combustion du CuO/Al et Bi2O3/Al nanoscopique : elle atteint 440 m/s et 150 m/s pour le CuO/Al et Bi2O3/Al nanoscopique respectivement. Valliappan et al [67] ont mesuré la vitesse de combustion de quatre différents nanothermites Al/WO3, Al/MoO3, Al/CuO, Al/Fe2O3 respectivement 412m/s, 362m/s, 280m/s et 30m/s. Zhu et al ont montré que la chaleur de réaction des multicouches Al/CuO avec les couches de Cr peut atteindre jusqu’à 2,8KJ/g *68+. Matirosyan et al ont montré qu’en utilisant des nanoparticules de Bi2O3 avec un diamètre de 40-50nm, l’énergie liberé de la réaction chimique de cette nanothermite peut atteindre jusqu’à 20kJ/g avec une pression maximale de 12MPa et une vitesse de combustion égale à 2500m/s [69]. Cheng et al ont mesuré la vitesse de combustion pour le couple nanostructuré d’Al/Fe2O3 jusqu’à 500m/s .
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 : ETAT DE L’ART ET PROBLEMATIQUE
1 Introduction
2 Contexte
3 Les matériaux thermites
4 Apport de la nanostructuration pour ces matériaux
5 Résumé des travaux sur les nanothermites
6 Etat de l’art des procédés de synthèse des nanothermites
6.1 Mixage de nanopoudre
6.2 Arrested reactive Miling (ARM)
6.3 Assemblage dirigé de nanopoudre
6.4 Procédés dits « Sol-gel »
6.5 Les procédés de nanostructuration
6.5.1 La nanostructuration 1D, 2D
6.5.2 Structure type Coreshell
6.5.3 Structures « multicouches »
7 Résumé
8 Notre problématique et objectif de cette thèse
9 Conclusion
CHAPITRE 2 : CARACTERISATIONS DES MULTICOUCHES AL/CUO : ANALYSES MORPHOLOGIQUES, CHIMIQUES ET THERMIQUES
1 Introduction
2 La technologie de dépôt des multicouches Al/CuO
2.1 Procédé de dépôt
3 Caractérisations structurelles et analyses chimiques des multicouches Al/CuO et des interfaces Al-CuO et CuO-Al 32
3.1 Caractérisation structurelle des couches Al, CuO et de leurs interfaces
3.2 Analyse chimique des couches Al et CuO et de leurs interfaces
3.2.1 Principe des analyses XPS
3.2.2 Résultats des analyses XPS
4 Eléments de compréhension de la formation et rôle des interfaces
4.1 Mise en place d’une expérience visant à comprendre la formation de la couche AlxCuyOz entre CuO et Al
4.2 Dépôt d’une interface nanocontrollée d’Alumine par ALD (Atomic L ayer Deposition)
4.3 Résultats
5 Etude de la réactivité et chaleur de réaction des multicouches
5.1 Description des analyses thermiques par DSC
5.2 Description du banc de mesure de la vitesse de propagation de la flamme
5.3 Influence de la couche barrière sur la réactivité d’une bicouche Al-100nm / CuO-100nm
5.3.1 Préparation des échantillons
5.3.2 Résultats
5.4 Influence de la stœchiométrie et de l’épaisseur des couche s sur la réactivité et chaleur de réaction
5.4.1 Préparation des échantillons
5.4.2 Résultats des analyses DSC
5.4.2.1 Influence de la stœchiométrie
5.4.3 Influence de l’épaisseur des couches
5.4.3.1 Effet de recuits post-dépôt
5.4.4 Résultats des mesures de combustion
5.4.4.1 Effet des épaisseurs et stœchiométrie des couches sur la vitesse de combustion
6 Conclusion
CHAPITRE 3 : EXEMPLE D’APPLICATION DES MULTICOUCHES AL/CuO : CONCEPTION ET REALISATION D’UN SYSTEME D’ALLUMAGE SECURISE ET INTELLIGENT SUR PUCE
1 Introduction
2 Problématiques des systèmes d’initiation : apport potentiel des nanothermites
2.1 Cahier des charges
3 Conception de l’allumeur sécurisé intégrant la puce d’initiation à nanothermite
3.1 Fabrication de la puce d’initiation à nanothermite Al/CuO
3.2 Procédé de fabrication des puces d’initiation à nanothermites
3.2.1 Niveau 1 : Réalisation des résistances en Cr/Pt/Au
3.2.2 Niveau 2 : Connections électriques en or
3.2.3 Niveau 3 : Isolation électrique entre la résistance et la nanothermite Al/CuO
3.2.4 Niveau 4 : Dépôt de la nanothermite
3.2.5 Découpe
3.3 Caractérisations électriques de l’initiation de la nanothermite Al/CuO
3.3.1 Mesure des puissances et temps d’initiation
3.3.2 Mesure des puissances de réaction
3.4 Caractérisation de l’allumage d’un propergol par la nanothermites
3.4.1 Description de l’expérience et du montage
4 L’actionneur rotatif d’armement et désarmement
5 Assemblage des démonstrateurs
6 Electronique de commande
7 Résultats des tests finaux
7.1 Tests d’allumage en position sécurisée
7.2 Tests d’allumage en position armée
8 Conclusion
CONCLUSION GENERALE
REFERENCES