Une particule est considérée comme nanométrique lorsqu’au moins une de ses dimensions est comprise entre 1 et 100 nanomètres. Le préfixe « nano » vient du grec « νάνος », qui signifie nain. Leur dimension nanométrique leur confère des propriétés physico-chimiques singulières, différentes de la molécule et du solide. Pour cette raison, le domaine des nanoparticules cristallines d’Or et d’Argent présente un intérêt croissant et, de fait, une littérature scientifique colossale. Par exemple, une simple recherche de mots clés comme « gold », puis « nano » dans le moteur de recherche scientifique « SciFinder » donne une liste de 219655 articles scientifiques (175478 pour l’Argent), dont 10652 (10016 pour l’Argent) publications en Juillet pour l’année 2019. Effectuer un travail bibliographique exhaustif, ne serait ce que pour l’un de ces deux métaux, serait l’œuvre d’une vie. Je vais donc illustrer brièvement l’univers des nanoparticules d’Or et d’Argent pour introduire les problématiques de notre recherche.
Un peu d’histoire
La conception de solutions colloïdales, composées de nanoparticules de métaux nobles, remonte à l’Antiquité romaine. Ces solutions étaient essentiellement utilisées pour la décoration et la coloration des vitraux et céramiques. Une pièce connue est la coupe de Lycurgus, datant du IVème siècle présentée Figure 1. Le verre contient des nanoparticules d’alliage Or-Argent, lui conférant des propriétés optiques spécifiques, comme une couleur verte lorsqu’elle est éclairée en réflexion et une couleur rouge quand elle est éclairée en transmission.
C’est au moyen-âge que les solutions colloïdales d’Or furent utilisées pour la première fois comme agents thérapeutiques pour le traitement des maladies du cœur, de l’épilepsie et de la syphilis. En 1818, Jeremias Benjamin Richter fonde l’hypothèse que dans « l’Or potable rouge ou rose », l’Or est le « plus finement fractionné », tandis que dans les solutions de couleur jaune, les particules d’Or sont « agrégées ». Quarante ans plus tard, la première synthèse chimique de nanoparticule d’Or en solution colloïdale est publiée par Michael Faraday en réduisant un sel de chlorure d’Or par du phosphore blanc, donnant une couleur allant du rouge rubis au vert. Il conclut alors que « l’Or très finement divisé » est à l’origine de la couleur rubis . Ce n’est qu’un siècle plus tard que Turkevich et al. ont prouvé, grâce à la microscopie électronique, que la préparation colloïdale de couleur rouge rubis de Faraday était composée de nanoparticules d’Or d’une taille comprise entre 4 et 8 nm. Il y a environ 5000 ans, les civilisations grecque, romaine, égyptienne et persane utilisaient déjà des objets faits d’Argent comme outils de stockage de la nourriture. Déjà connu pour ses propriétés antimicrobiennes, l’Argent était également utilisé comme vaisselle par les plus grandes dynasties de l’Antiquité. Les propriétés thérapeutiques de l’Argent étaient déjà reportées dans l’ouvrage de l’ancienne médecine indienne appelé « Charak Samhita » . Aujourd’hui, de nombreuses études attribuent également ces propriétés, parmi d’autres, aux nanoparticules d’Argent.
Application
Les nanoparticules d’Or et d’Argent synthétisées aujourd’hui présentent de nombreuses propriétés spécifiques intermédiaires entre le métal massif et moléculaire, ce qui suscite un intérêt certain dans de multiples domaines d’application comme l’électronique, l’optique, la catalyse ou encore la médecine. Quelques exemples non exhaustifs sont présentés ici. Lorsqu’une nanoparticule d’Or est séparée d’un substrat conducteur par un mince film isolant, appliquer une tension de polarisation suffisante permet à un électron de passer à travers la nanoparticule. Plus le potentiel appliqué est important, plus le nombre d’électron capable de passer cette barrière isolante est élevé. Les nanoparticules d’Or ont donc des propriétés de transport électronique applicables à la conception de composants électroniques comme les transistors.
Les nanoparticules d’Or présentent également un phénomène de résonance de plasmon de surface (RPS) lorsque celles-ci sont exposées à un rayonnement électromagnétique polarisant les électrons, provoquant leur oscillation collective.
Ces propriétés optiques trouvent leurs applications dans les pigments utilisés pour colorer les verres, comme la coupe de Lycurgus. La RPS est également la première propriété importante pour les applications des nanoparticules d’Or en imagerie médicale. Lorsque les nanoparticules d’Or absorbent la lumière, elles provoquent un réchauffement local et peuvent être détectées par imagerie photothermique. La visualisation via l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est améliorée par l’utilisation des nanoparticules d’Or bioconjuguées au comme excellents agents de contraste. De plus, les nanoparticules l’Or permettent la réalisation d’imagerie à rayons X in vivo. La deuxième propriété intéressante des nanoparticules d’Or dans le domaine médical est liée aux chaines aliphatiques de leur couche de passivation, composée notamment de thiolates, permettant de greffer des molécules d’intérêt biologique comme des oligonucléotides, des peptides, des polyéthylène-glycols ou des sucres. Leur biocompatibilité permet la fonctionnalisation de ces nanoparticules par des médicaments et des molécules spécifiques au récepteur ciblé. Ainsi le médicament est directement délivré aux cibles dans le corps humain (le foie, les reins, le cerveau …). La diffusion Raman exaltée de surface, appelée SERS (Surface-enhanced Raman scattering) utilise des nanoparticules d’Or comme sondes pour obtenir un signal amélioré, le champ magnétique induit par la RPS permettant d’accroître la polarisabilité des molécules en surface des nanoparticules. Combinées aux méthodes de détection par fluorescence, les nanoparticules d’Or sont habillées de ligands chromophores, comme par exemple un brin d’ADN avec un fluorophore pour que le brin marqué puisse être dosé par les techniques de mesure de fluorescence. Plusieurs méthodes existent pour la détection du VIH, de l’hépatite B et de la tuberculose. Au-delà de la détection, des traitements ont été développés en utilisant des nanoparticules d’Or afin de lutter contre le cancer de manière plus douce que la thérapie photothermique habituelle en ciblant des cellules cancéreuses avec des nanoparticules d’Or bioconjuguées. Le nombre croissant d’applications dans le domaine médical est également justifié de part une toxicité très faible, voire nulle, des nanoparticules utilisées. Contrairement au matériau massif, l’Or sous sa forme nanométrique s’avère également être un excellent catalyseur, même à basses températures. Il a été montré que les nanoparticules d’Or sont très efficaces pour l’oxydation du monoxyde de carbone.
Les nanoparticules d’Argent sont, elles, connues pour montrer d’importantes propriétés antimicrobiennes. De même, les nanoparticules d’Argent présentent des actions antibactériennes prometteuses de par leur caractère, soit inhibitrices, soit bactéricides. Les nanoparticules d’Argent présentent aussi un phénomène de RPS, qui est complémentaire de celui des nanoparticules d’Or. Ces propriétés particulières permettent le développement d’applications dans le domaine médical comme agents thérapeutiques, biocapteurs pour diagnostiquer des maladies, pour de la distribution ciblée de médicaments ainsi que pour de la radiothérapie.
Synthèse de nanoparticules d’Or et d’Argent
Ces applications dépendent des propriétés physico-chimiques des nanoparticules cristallines d’Or ou d’Argent, intrinsèquement liées à leur taille et à leur forme. Il y a donc besoin de protocoles de synthèse permettant de produire des nanoparticules mono-disperses, de forme et de taille bien définie. Cela a conduit à une multitude de voies de synthèse de nanoparticules d’Or et d’Argent dans la littérature. Certaines sont basées sur l’ablation physique ou chimique de volume métallique (approche « Top down »), d’autres sur la réduction chimique de sels métalliques pour agréger le métal réduit (approche « Bottom up »). Nous nous focaliserons sur les synthèses chimiques de type « Bottom up ». Pour les synthèses de nanoparticules d’Or, les synthèses les plus connues sont celle de Turkevich, et celle de Brust. Développée en 1951 et basée sur la réduction des sels d’Or HAuCl4 par le citrate de sodium en milieu aqueux, la synthèse de Turkevich permet d’obtenir des nanoparticules d’Or sphériques et mono-disperses d’un diamètre compris entre 10 et 20 nm. Cette synthèse a été affinée au cours du temps, permettant d’atteindre des nanoparticules mono-disperses d’un diamètre inférieur à 10 nm jusqu’à 250 nm. En suivant l’approche de Faraday, Brust et al. ont mis au point une méthode qui permet de synthétiser des nanoparticules dans des solvants organiques. Un réducteur puissant (NaBH4) est ajouté en présence de sels d’Or ou d’Argent, puis d’alcanethiols, présentant une forte affinité avec l’Or et l’Argent, et conduisent à la formation d’une monocouche organique passivante sur la surface des nanoparticules durant leur croissance. La méthode de Brust produit des nanoparticules d’Or d’une taille de 2 à 6 nm de diamètre et a par la suite été revisitée pour atteindre des tailles de nanoparticules plus grandes. Concernant les synthèses de nanoparticules d’Argent, de nombreuses voies de synthèse ont été proposées ces 20 dernières années, utilisant diverses méthodes de fabrication physique comme l’ablation laser (« Top down »), les réductions par rayonnement gamma, photochimique, ou chimique de sels d’Argent (« Bottom up »). De même que pour les nanoparticules d’Or, certaines synthèses utilisent des alcanethiols pour passiver les nanoparticules d’Argent dans l’optique d’arrêter leurs croissances et contrôler leurs formes. Cette couche de passivation se forme à travers un échange de ligands entre phosphines et alcanethiols, les phosphines composant les sels d’Argent initiaux. Des synthèses dites « vertes », basées sur la réduction de sels d’Argent par des agents biologiques et donc biocompatibles, ont été développées. Ces nanoparticules sont mono disperses et présentent un diamètre pouvant varier de 4 à plus de 200 nm. Ces synthèses « vertes » font des nanoparticules d’Argent les nanoparticules les plus vendues dans le monde, comme agents antibactériens.
Stabilisation des nanoparticules d’Or et d’Argent : Une interface métal-ligand toujours ambigüe
Pour empêcher l’agrégation et l’oxydation des nanoparticules d’Or et d’Argent, des molécules organiques comme les alcanethiols ou les amines sont utilisées pour passiver les différentes nanoparticules. Les molécules formant cette couche de passivation des nanoparticules sont appelées ligands. Les alcanethiols sont souvent les ligands les plus utilisés dans la synthèse des nanoparticules d’Or et régulièrement utilisés pour les synthèses de nanoparticules d’Argent. Les nanoparticules habillées par des alcanethiols sont stables pendant plusieurs mois en présence d’un solvant organique, et peuvent être remises en dispersion après séchage, ce qui n’est pas le cas des nanoparticules non passivées. Depuis 30 ans, plusieurs groupes ont étudié les monocouches auto-assemblées de molécules d’alcanethiols (SAM, pour Self-Assembled Monolayers) sur les nanocristaux d’Or. Ces monocouches moléculaires ont été observées et comparées entre les surfaces d’Or planes, et les surfaces d’Argent planes. Il est apparu que les alcanethiols formant la couche de passivation sont, in fine, transformés en alcanethiolate (RS- ). Ce constat a été amené par la disparition de la bande de vibration caractéristique de la liaison S-H. Néanmoins, le fait que le thiolate soit chargé négativement n’a pas été prouvé, ce qui explique que les études discutent soit de RS- , soit de radical RS● . Ces deux types de SAM sont différemment mais hautement ordonnés entre l’Or et l’Argent, les liaisons formées par ces groupements thiolates induisant d’importantes reconstructions de la surface d’Or comme la formation d’ad-atomes ou de lacunes .
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Table des matières
Introduction
Chapitre I Méthodologie Quantique
I- La base de la mécanique moléculaire quantique
I.1- L’équation de Schrödinger et la fonction d’onde
I.2- Le principe variationnel
I.3- L’approximation Hartree-Fock (HF)
I.4- Système à couche ouverte ou à couche fermée : Restricted vs. Unrestricted HartreeFock
I.5- Approximation Hartree-Fock : Quelles limites?
II- La théorie de la fonctionnelle de la densité
II.1- Introduction
II.2- Le modèle de Thomas-Fermi (TF)
II.3- Les théorèmes de Hohenberg et Kohn (HK)
II.4- Les équations Kohn-Sham (KS)
II.5- Les différentes familles de fonctionnelles
II.6- La théorie de la fonctionnelle de la densité : quelles limites?
III- Le traitement de la fonction d’onde
III.1- Les fonctions de base : gaussiennes et ondes planes
III.2- Les pseudo-potentiels
III.3- Conclusion
IV- L’analyse de la liaison chimique
IV.1- L’analyse orbitalaire
IV.2- L’analyse topologique des fonctions de localisation
IV.3- La théorie quantique des atomes dans des molécules (QTAIM)
IV.4- Fonction de localisation électronique (ELF)
IV.5- Complémentarité ELF QTAIM?
IV.6- Les charges atomiques
V- Choix de la méthodologie
VI- Bibliographie
Chapitre II Etude de l’interaction métal-ligand à l’échelle moléculaire
I- Les ligands modèles
I.1- Paramètres structuraux
I.2- ELF
I.3- NBO
I.4- QTAIM
I.5- Charges atomiques
I.6- Potentiel électrostatique moléculaire (MESP)
I.7- Bilan
II- L’agrégat métallique modèle : la pyramide M20
II.1- Propriétés géométriques de l’agrégat M20
II.2- QTAIM
II.3- ELF
II.4- Charges atomiques
II.5- MESP
II.6- Bilan
III- Interactions MeSH + M20
III.1- Analyse structurelle et énergétique
III.2- QTAIM
III.3- NBO
III.4- Analyse des charges atomiques
III.5- ELF
III.6- Conclusion
IV- Interactions MeS• + M20
IV.1- Analyse structurelle et énergétique
IV.2- Isomères MeS-M20(V)
IV.3- Isomères pontés MeS-M20(EEar)
IV.4- Conclusion
V- Conclusion
VI- Bibliographie
Chapitre III Etude de l’interaction métal-ligand à l’échelle des surfaces
I- Introduction
II- Méthodologie
II.1- Génération des fichiers « .cube »
II.2- Optimisation de la procédure d’analyse
II.3- Validation de la méthodologie pour l’analyse de la liaison M-S
III- Surfaces modèles isolées
IV- Interactions MeSH + surfaces
V- Interactions MeS+ surfaces
VI- Conclusion
VII- Bibliographie
Chapitre IV Modélisation atomistique de l’interaction métal-ligand : champ de force réactif
I- Introduction
II- Les champs de forces de type ReaxFF
II.1- Le principe générique d’un champ de forces
II.2- Comment fonctionne le champ de forces ReaxFF?
II.3- Choix des programmes
II.4- Paramétrage de potentiels ReaxFF : le principe du MCFF
III- Isomères MeS-Au20 : quelles limites des champs de force réactifs existants?
III.1- La pyramide d’Or seule
III.2- Isomères MeS- Au20
III.3- Conclusion
IV- Le potentiel Ag
IV.1- Le potentiel Ag existant est-il fiable pour modéliser des nanoparticules?
IV.2- Re-paramétrage du potentiel Ag
IV.3- Conclusion
V- Paramétrage du potentiel Ag/S/C/H
V.1- Les paramètres à optimiser
V.2- Choix des données du jeu d’entraînement
V.3- Résultats et discussion
V.4- Conclusion
VI- Conclusion
VII- Bibliographie
Conclusion générale
Annexes