Le groupe ‘‘nanomatériaux’’ au Centre d’Elaboration de Matériaux et d’Etudes Structurales (CEMES-CNRS) est un groupe pluridisciplinaire. Il s’intéresse à l’élaboration, à la caractérisation structurale et chimique, aux propriétés physiques, électriques, magnétiques et optiques de matériaux structurés à l’échelle nanométrique.
Au sein de ce groupe, nous nous intéressons à la caractérisation de la matière à l’échelle nanométrique en utilisant la spectroscopie Raman-Brillouin (RB). La diffusion RB est une spectrométrie optique qui permet d’accéder à l’acoustique de très haute fréquence. Dans la gamme térahertz (THz), cette dernière implique des vibrations ayant des longueurs d’onde dans la gamme nanométrique (dans le silicium 1THz ↔ λ ≈ 8 nm). Elle permet donc de déterminer les paramètres structuraux et les propriétés physiques de nanostructures.
Trois travaux de thèse successifs ont précédé le travail qui sera décrit dans ce mémoire. La spectroscopie RB y a été mise en œuvre dans différents systèmes et l’interprétation des résultats expérimentaux a été développée avec pour but de faire évoluer la technique vers un outil de caractérisation des propriétés structurale, mécanique et optique de nanostructures. Tout d’abord, Maximilien Cazayous a étudié le confinement électronique et l’organisation spatiale dans des plans et multiplans de boîtes quantiques (BQ) par spectroscopie RB en s’appuyant à la fois sur une étude expérimentale et sur un travail de modélisation quantique et de simulation. Il a mis en évidence la présence d’interférences RB dans ces systèmes. Les phonons acoustiques impliqués dans le processus RB ayant des longueurs d’onde dans la gamme allant de quelques nanomètres à plusieurs dizaines de nanomètres constituent une sonde interne de ces nano-systèmes [Caza_02.a]. Ensuite, Fanny Poinsotte a également travaillé sur des plans de BQ mais en associant cette fois-ci la spectroscopie RB et l’acoustique picoseconde. Ces deux techniques expérimentales permettent en effet de sonder de façon complémentaire les interactions entre les phonons acoustiques et la matière. Elle a mis en évidence la génération efficace de phonons acoustiques dans des BQ semi-conductrices. Elle a par ailleurs étudié la diffusion RB dans des couches de silicium (Si) d’épaisseurs nanométriques se présentant sous forme de membranes ou de couches supportées. Une modélisation par une approche classique de la diffusion RB a été développée à cet effet. Elle a démontré le rôle déterminant des effets des cavités optiques et acoustiques dans la diffusion RB de fines couches de Si [Poin_06].
La thèse de Fanny Poinsotte marque une transition : nous abandonnons les systèmes 3D que sont les BQ pour nous consacrer aux systèmes 2D. Les BQ sont des systèmes très complexes et hétérogènes (forme, composition, champs de déformation et contraintes, …). Ils sont trop complexes pour être décrits de façon réaliste dans la modélisation du processus de diffusion inélastique de la lumière. Ceci limite forcément l’exploitation quantitative des mesures expérimentales. Nous avons donc choisi de nous concentrer sur une géométrie beaucoup plus simple : celle des couches ultra-minces. Par la suite, Nelson Lou s’est intéressé plus précisément à l’élaboration de structures à base de couches ultraminces de Si ainsi qu’à leur caractérisation par spectroscopie RB. Il s’est particulièrement focalisé sur les effets de l’environnement sur la diffusion RB de cette nanocouche de Si en fabriquant des systèmes modèles d’empilements de couches nanométriques de différents matériaux (silicium, nitrure de silicium et oxyde de silicium). Il a pu mettre en évidence l’importance des effets de cavités acoustiques et optiques en procédant à des comparaisons systématiques entre les spectres expérimentaux et simulés [Lou_09].
Spectroscopie Raman-Brillouin
La spectroscopie Raman-Brillouin (RB) est une technique optique mettant en jeu la diffusion inélastique de la lumière par les phonons acoustiques. Leur domaine de fréquence étant le THz, les longueurs d’onde de ces ondes acoustiques sont alors nanométriques. Par la suite, elles sont comparables aux dimensions caractéristiques des structures que nous souhaitons sonder.
Ainsi dans cette première partie du chapitre, nous nous intéressons à la spectroscopie Raman-Brillouin. Dans un premier temps, un bref historique de la diffusion de la lumière est présenté. Ensuite nous détaillerons le principe de la diffusion inélastique dans les cas simples d’un cristal massif et d’une membrane. Enfin, nous décrivons le spectromètre utilisé durant les travaux de cette thèse en mettant l’accent sur sa particularité ainsi que ses principaux avantages.
Diffusion de la lumière
Lorsqu’on éclaire un cristal par un faisceau de lumière, la lumière interagit avec la matière. Elle peut être absorbée, réfléchie, transmise ou diffusée. On s’intéresse au dernier cas où la matière diffuse la lumière dans toutes les directions de l’espace. Les défauts et les fluctuations spatiales du potentiel électronique dans le solide sont à l’origine de ce phénomène. On distingue 2 types de diffusion.
Diffusion élastique :
Elle a lieu sans échange d’énergie entre la lumière et la matière, les photons diffusés ont la même énergie que les photons incidents. Les fluctuations statiques et dynamiques sont à l’origine de la diffusion élastique. C’est la diffusion Rayleigh. Elle est nommée d’après John William Strutt Rayleigh, un physicien anglais qui en a fait la découverte. Il est lauréat du prix Nobel de physique de 1904.
Diffusion inélastique :
L’énergie du rayonnement diffusé est différente de l’énergie du rayonnement incident. Les fluctuations dynamiques cohérentes sont à l’origine de la diffusion inélastique. Le rayonnement diffusé inélastiquement met en jeu les excitations élémentaires de la matière (phonons, plasmons, …). On s’intéresse au cas où l’interaction photon électron implique un phonon comme le montre la Figure I-1. Ainsi, on parle de processus Stokes lorsque de l’énergie est perdue par le rayonnement et qu’un phonon est créé, et de processus anti-Stokes lorsque de l’énergie est gagnée par le rayonnement et un phonon est absorbé. Au cours d’une diffusion inélastique, l’énergie totale est conservée. On parle des diffusions Brillouin et Raman.
Diffusion Brillouin
C’est la diffusion inélastique d’un photon par les phonons acoustiques du milieu. La première étude théorique de ce type de diffusion de la lumière a été réalisée par Mandelstam en 1918 [Land_84, Fabe_97, Novi_00] mais son travail n’a été publié qu’en 1926 [Mand_26]. L. Brillouin (Figure I-2.a) a prédit indépendamment la diffusion de la lumière par des ondes acoustiques [Bril_22]. Plus tard, Gross a donné la confirmation expérimentale de cette prédiction dans les liquides et les cristaux [Gros_30]. On parle de la diffusion Brillouin. À l’époque, ce processus était appelé la diffusion Mandelstam-Brillouin. Les mesures de la diffusion Brillouin sont habituellement réalisées à l’aide d’un interféromètre Fabry-Pérot [Sand_72.a, Sand_75].
Diffusion Raman
C’est la diffusion inélastique d’un photon par les phonons optiques du milieu. Ce phénomène fut prédit par Adolf Smekal en 1923. En Inde, en 1928, C. V. Raman (Figure I-2.b) était le premier scientifique à décrire et à expliquer dans une revue indienne [Rama_28.a] puis dans une série d’articles dans la revue ‘‘Nature’’ [Rama_28.b-c-d] l’observation expérimentale de ce phénomène dans les liquides. Ce processus a été ensuite appelé d’après le nom de son découvreur [Fabe_03]. Il est lauréat du prix Nobel de physique de 1930 pour ses travaux sur la diffusion de la lumière. C’est la première fois qu’un chercheur indien qui a fait toutes ses études en Inde reçoit un prix Nobel.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre I Outil et méthodologie
I.1 Spectroscopie Raman-Brillouin
I.1.1 Diffusion de la lumière
I.1.2 La diffusion inélastique de la lumière : cas simples du cristal massif et de la membrane
I.1.3 Approche expérimentale
I.2 Modélisation et Simulation
I.2.1 Modèle photoélastique de la diffusion inélastique de la lumière
I.2.2 Descriptif des systèmes étudiés
I.2.3 Simulation
I.3 Microscopie électronique en transmission
I.3.1 Notions de base
I.3.2 Approche expérimentale
I.4 Bilan et Méthodologie
Chapitre II Diffusion RB dans des couches supportées et concept de sonde intégrée
II.1 Couches supportées
II.2 Système sans cavités
II.2.1 Descriptif du système sans cavités
II.2.2 Réponse du système sans cavités : calcul de l’intensité diffusée
II.2.3 Effet de l’épaisseur d’une couche supportée
II.2.4 Effet de l’épaisseur d’une couche supplémentaire
II.3 Système avec cavités
II.3.1 Descriptif du système avec cavités
II.3.2 Cavité acoustique
II.3.3 Cavité optique
II.4 Bilan
Chapitre III Mesure de la vitesse du son dans des couches ultrafines d’alumine
III.1 Objectif
III.2 Substrat SOI comme sonde intégrée
III.3 Elaboration des échantillons
III.4 Mesure des paramètres structuraux par MET et simulations Raman-Brillouin
III.4.1 Effet de l’épaisseur de la couche d’alumine
III.4.2 Epaisseur et profils chimiques par MET
III.4.3 Effet de la présence d’une couche interfaciale
III.5 Vitesse du son de l’alumine
III.5.1 Spectres expérimentaux et analyse de la position des pics
III.5.2 Détermination de la vitesse
III.6 Discussion
III.7 Conclusion
Chapitre IV Structure de l’oxyde natif de Ge et cinétique de l’oxydation
IV.1 Objectif
IV.2 Système d’intérêt
IV.2.1 Présentation du système
IV.2.2 Elaboration des échantillons
IV.2.3 Choix de la longueur d’onde excitatrice
IV.3 Comparaison: Silicium et Germanium
IV.3.1 Cavités
IV.3.2 Spectres Raman-Brillouin
IV.4 Oxyde natif
IV.4.1 Analyse structurale
IV.4.2 Épaisseur de l’oxyde natif de Ge
IV.4.3 Couche interfaciale
IV.5 Oxyde natif après traitement de la surface du Ge
IV.5.1 Etude structurale de l’échantillon initial
IV.5.2 Traitement par eau déionisée
IV.5.3 Traitement par HF
IV.5.4 Discussion
IV.6 Conclusion
Conclusion générale