Naissance et genèse du concept d’empathie

Naissance et genèse du concept d’empathie 

Aux États-Unis, le concept d’empathie apparaît sous le terme de « sympathie » au 18ème siècle dans les systèmes d’éthique défendus par les philosophes Hume (1739) et Smith (1759), qui le définissaient comme le partage d’une émotion entre deux personnes. Le concept d’empathie apparaît en Allemagne avec les travaux du philosophe Robert Vischer en 1873 sous le terme Einfühlung signifiant « ressenti de l’intérieur ». À cette époque, ce terme concerne le domaine esthétique et désigne la capacité d’une personne à saisir le sens d’une œuvre d’art (Vischer, 1994). Ce n’est qu’à partir de 1909 que le concept d’empathie émerge dans le domaine de la psychologie. À la suite de Lipps (1903) qui pose les bases de la théorie de l’esprit, Titchener (1915) entrevoit deux rôles possibles de l’empathie : un rôle lié aux phénomènes perceptifs et un rôle lié aux phénomènes sociaux. Quelques années plus tard, Woodworth (1938) évoque à son tour l’empathie comme explication possible des illusions d’optique, et remarquera que pour identifier les émotions à partir de photographies de visages, l’observateur perçoit les états émotionnels d’autrui en imitant ses expressions.

Tout au long du 20ème siècle, les chercheurs vont considérer l’empathie selon différents angles et proposer des définitions théoriques et opérationnelles variées. Dans les années 1960 (Hoffman, 1977 ; Katz, 1964 ; Mehrabian & Epstein, 1972),  est généralement appréhendée comme une réponse affective aux émotions d’autrui, caractérisée par : – le fait d’éprouver les états émotionnels et sentiments d’autrui en réponse à leur expression faciale ou leur comportement émotionnel (Aronfreed, 1968 ; Stotland, 1969) ;
– une sensibilité aux sentiments d’autrui (Rogers, 1975) ;
– la capacité à partager les émotions d’une autre personne (Cronbach, 1955) ;
– une identification transitoire du statut émotionnel d’autrui, sans perdre sa propre identité ou rompre les frontières du soi (Schafer, 1959).
Avec le développement de la psychologie cognitive et des théories de l’apprentissage social (Bandura, 1986), l’empathie a été définie comme un processus cognitif impliquant la capacité à adopter le rôle d’autrui et à reproduire les patterns de ses réactions (Bandura, 1986 ; Borke, 1971 ; Dymond, 1949) ainsi que la capacité à prendre la perspective d’une autre personne (Feffer, 1959). Par la suite, cette capacité à comprendre les états affectifs d’autrui a été nommée prise de rôle affective ou affective role taking, alors que la capacité à comprendre l’état cognitif d’une autre personne a été appelée la prise de rôle cognitive ou cognitive role taking (Gladstein, 1983). Progressivement, l’empathie a été conceptualisée comme un processus multidimensionnel complexe incluant à la fois des composantes émotionnelles et non émotionnelles (Davis, 1980, 1983 ; Feshbach, 1975 ; Hoffman, 1975 ; Williams, 1990).

L’empathie au cœur de la cognition sociale

La façon dont les humains interagissent socialement est influencée par leur compréhension des états mentaux d’autrui incluant les sentiments, désirs, pensées et intentions. La cognition sociale fait référence aux opérations mentales sous-jacentes aux interactions sociales incluant les processus impliqués dans la perception, l’interprétation et la production de réponses aux intentions, dispositions et comportements concernant soi et autrui (Augoustinos, Walker & Donaghue, 2014 ; Brothers, 1990 ; Fiske & Taylor, 1991). Selon Godefroy, Jeannerod, Allain et Le Gall (2008), différentes compétences en cognition sociale peuvent être identifiées, à savoir : la prise de décision, la compréhension des émotions, la théorie de l’esprit, l’empathie, ou encore le raisonnement social (Godefroy, Jeannerod, Allain & Le Gall, 2008). Le concept de théorie de l’esprit (ou TOM pour theory of mind) a été défini par Premack et Woodruff (1978) comme « l’attribution des états mentaux à soi et à autrui». Comprendre les états mentaux d’autrui en associant leurs expériences et émotions d’autrui aux siennes permet de prévoir les intentions, mais aussi de prédire les actions futures des autres et d’adapter notre comportement à ces prédictions (Blakemore, 2010 ; Godefroy et al., 2008). Cette connaissance permet le développement de compétences socio-émotionnelles comme l’empathie pour autrui (Hughes & Leekam, 2004). D’autres auteurs ont davantage insisté sur les processus émotionnels caractérisant l’empathie (Batson, 1987 ; Eisenberg & Fabes, 1992). Pour Batson et al., (1987), l’empathie est « un sentiment de préoccupation, de compassion et de tendresse ressenti envers autrui après avoir été témoin de la souffrance d’une autre personne ». De la même façon, Eisenberg (2000) considère l’empathie comme une « réponse affective qui (1) découle de l’appréhension et de la compréhension de l’état ou de la condition émotionnelle d’une autre personne et (2) correspond à un état semblable à ce qu’autrui ressent ou devrait ressentir ». Hoffman (1987) l’a définie comme « la réponse affective qui est plus appropriée à la situation de quelqu’un qu’à la sienne propre » (Hoffman, 1987). L’ensemble de ces travaux permet d’introduire une approche multidimensionnelle dans la compréhension des processus impliqués dans l’empathie (Frith & Frith, 2012 ; Shamay-tsoory, 2011 ; Singer, 2006), et de dégager deux dimensions fondamentales de l’empathie : la dimension cognitive, qui désigne la capacité de prise de perspective (Decety, 2002), et la dimension affective, qui désigne la capacité à ressentir et partager les sentiments d’autrui (Batson, 2009 ; Bernhardt & Singer, 2012 ; Eisenberg, 2000 ; Singer & Lamm, 2009).

Les précurseurs d’une approche multi-dimensionnelle 

Dans les années 1980, Davis défendait l’importance d’une conception multidimensionnelle de l’empathie impliquant quatre dimensions (i.e. prise de perspective, préoccupation empathique, détresse personnelle et fantaisie). Davis (1983) considère l’empathie comme un trait de personnalité stable et une capacité consistant à la fois en une composante cognitive et en une composante affective (Davis, 1983). La prise de perspective, première composante du modèle de Davis (1983), est une capacité cognitive qui est liée à la prise en compte du point de vue des autres. Davis a basé les deuxième et troisième dimensions de son modèle sur la composante affective. La préoccupation empathique, deuxième composante du modèle, est la tendance à ressentir de la sympathie ou de l’intérêt pour autrui (Davis, 1983). Elle correspond à une réaction émotionnelle impliquant des sentiments de tristesse ou de préoccupation pour autrui découlant de l’appréhension ou de la compréhension de l’état émotionnel d’autrui. La préoccupation empathique peut donner lieu à une motivation à adopter un comportement prosocial, c’est-à-dire un comportement profitant à autrui comme l’aide, le partage ou le réconfort (Batson et al., 1991 ; Eisenberg et al., 1997 ; Kristjánsson, 2004). La détresse personnelle (Davis, 1983), troisième composante du modèle, est la tendance à ressentir de la détresse ou de l’inconfort en réponse à la détresse émotionnelle d’autrui (Davis, 1983). Contrairement à la sympathie, la détresse personnelle est associée à une motivation à réduire sa propre détresse (Batson, 1991 ; Eisenberg & Fabes, 1990). Batson (1998) propose un modèle de l’empathie-altruisme dans lequel la sympathie est associée à une motivation à adopter un comportement altruiste envers autrui (i.e. altercentrique), alors que la détresse personnelle est une émotion centrée sur soi (i.e. égocentrique). Contrairement à la sympathie, la détresse personnelle n’est supposée conduire à un comportement prosocial que lorsque c’est le moyen le plus simple d’atténuer ou de réduire son propre état émotionnel négatif (e.g. inconfort ou anxiété ; Batson, 1991). La fantaisie (composante à la fois cognitive et affective de l’empathie) reflète la capacité de s’impliquer émotionnellement dans des fictions ou des fantasmes et exige la capacité de changer de perspective et d’y réagir émotionnellement (Davis, 1983) .

Outre le modèle de Davis, d’autres chercheurs comme Eisenberg (1994) ont apporté des contributions théoriques et scientifiques notables à la conceptualisation multidimensionnelle de l’empathie. De ces différents apports, nous retiendrons qu’il existe un large consensus sur trois composantes principales : (a) une réponse affective à une autre personne qui implique souvent, mais pas toujours, le partage de l’état émotionnel de cette personne ; (b) une capacité cognitive à prendre le point de vue de l’autre personne ; et (c) des mécanismes permettant de tenir compte des origines des sentiments de soi et d’autrui (Davis, 2018 ; Decety, 2002 ; Decety & Hodges, 2006 ; Eisenberg, 2000 ; Hodges & Wegner, 1997). Par ailleurs, les approches actuelles tendent vers une conceptualisation multi-dimensionnelle de l’empathie selon quatre composantes, impliquant (1) la composante affective, (2) la composante cognitive, (3) la composante comportementale, et (4) la régulation émotionnelle. En raison des interactions réciproques entre chacune de ces composantes (Decety, 2010), les dimensions de l’empathie que nous aborderons dans la section suivante ne pourront être traitées de manière isolée. Les liens entre les différentes composantes du modèle seront donc discutés.

Les différentes composantes de l’empathie 

La composante affective  

L’empathie affective, ou la capacité à partager l’expérience émotionnelle des autres (i.e. « je ressens ce que vous ressentez »), comprend le concept de partage émotionnel (Trevarthen & Aitken, 2001). Le concept de partage émotionnel est initié par la contagion émotionnelle, qui correspond à « un processus automatique et primitif par lequel l’observation des émotions chez un agent déclenche des émotions isomorphes chez un second agent » (Hatfield, Cacioppo & Rapson, 1993). Ce phénomène ascendant ou bottom-up non conscient donne lieu à des vécus subjectifs relatifs à l’empathie affective : la sympathie, la détresse personnelle, ou encore la préoccupation empathique. La contagion émotionnelle est certainement l’expression la plus primaire du partage des émotions qui ne nécessite pas de traitement émotionnel conscient, et peut être conceptualisée comme la capacité de détecter l’état affectif immédiat d’une autre personne (Trevarthen & Aitken, 2001).

Sur la base de ce postulat, certains chercheurs ont tenté d’expliquer la dimension affective de l’empathie selon le modèle de perception-action (Preston & De Waal, 2002). Selon ce modèle, le partage affectif reposerait sur un mécanisme de couplage perception-action par lequel la perception de l’état émotionnel d’autrui active automatiquement la représentation de cet état par le percepteur, amorçant ainsi les réponses cérébrales et comportementales associées (Preston & De Waal, 2002). Le couplage précoce perception-action peut être considéré comme un élément constitutif de l’intersubjectivité et de la résonance affective (Meltzoff & Decety, 2003 ; Van Baaren, Holland, Kawakami & Van Knippenberg, 2004). La résonnance affective peut être expliquée par la théorie de la simulation selon laquelle le traitement de l’information sociale implique l’activation d’états neuronaux correspondant à ceux que l’observateur vit dans une situation semblable (Gallese, 2003). Les théories de la simulation ont été grandement renforcées par la découverte des neurones miroirs, qui existeraient aussi chez l’humain (i.e. ensemble de neurones qui s’activent lorsqu’un singe réalise une action ou qu’il observe la même action effectuée par un de ses congénères  ; Rizzolatti, Fabbri-Destro & Cattaneo, 2009). Par conséquent, ce modèle souligne que l’empathie affective implique d’entrer en résonance avec le vécu émotionnel d’autrui et d’expérimenter ce que l’autre vit.

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Table des matières

INTRODUCTION
Partie 1 Approche théorique
Chapitre 1 Approche multidimensionnelle de l’empathie
1.1. Naissance et genèse du concept d’empathie
1.2. L’empathie au cœur de la cognition sociale
1.3. Les précurseurs d’une approche multi-dimensionnelle
1.4. Les différentes composantes de l’empathie
1.4.1.La composante affective
1.4.2.La composante cognitive : « la prise de perspective »
1.4.3.La composante comportementale
1.5. Évaluation des différentes dimensions de l’empathie
1.6. L’association entre la régulation émotionnelle et l’empathie
1.6.1.Emotions et régulation émotionnelle
1.6.2.Stratégies adaptatives et non adaptatives de régulation émotionnelle
1.6.3.Implication des processus de régulation émotionnelle dans la réponse empathique
1.7. Caractérisation des mécanismes neurovégétatifs impliqués dans l’empathie
1.7.1.Implication du système nerveux autonome dans les processus émotionnels
1.7.2.L’activité électrodermale
1.7.3.Étude des mécanismes neurovégétatifs impliqués dans l’empathie
Synthèse du chapitre
Chapitre 2 De l’attachement à l’empathie
2.1. Les concepts clés de la théorie de l’attachement
2.1.1. Comportements d’attachement, base de sécurité et système d’exploration
2.1.2. Autres systèmes motivationnels
2.1.3. Les différents patterns d’attachement
2.1.4. Le développement des stratégies primaires et secondaires
2.1.5. Les modèles internes opérants
2.1.6. Le modèle de Fraley et Waller (1998): une approche bi-dimensionnelle de l’attachement
2.1.7. Le modèle dynamique d’activation de Mikulincer et Shaver (2003) de l’enfance à l’âge adulte
2.2. Rôle des processus d’attachement dans le développement de l’empathie
2.2.1. Approche développementale de l’empathie
2.2.2. Le rôle de l’attachement dans le développement de l’empathie
2.2.3. La régulation émotionnelle à l’interface de l’empathie et de l’attachement
2.3. Apport des neurosciences sociales à la compréhension du lien entre l’attachement et l’empathie
2.3.1. Caractérisation des mécanismes centraux et neurovégétatifs impliqués dans les processus d’attachement
2.3.2. Caractérisation des mécanismes neurovégétatifs impliqués dans l’association entre l’attachement et l’empathie
Synthèse du chapitre
Problématique
Partie 2 Approche empirique
Étude 1 Emotion regulation and empathic abilities in young adults: The role of attachment-styles
Abstract
1. Introduction
1.1. Attachment and empathy
1.2. Attachment, emotion regulation and empathy
2. Method
2.1. Participants
2.2. Procedure
2.3. Measures
2.4. Statistical analyses
3. Results
3.1. Intergroup comparisons
3.2. Structural modeling
4. Discussion
4.1. Differences in emotion regulation and empathy according to attachment style
4.2. Relationships between attachment, emotion regulation and empathy
4.3. Limitations and strengths
5. Conclusion
References
Étude 2 The influence of attachment styles on autonomic correlates of perspective-taking
Abstract
1. Introduction
2. Method
2.1. Participants
2.2. Measures
2.3. Stimuli validation
2.4. Procedure
2.5. Physiological response measurements and data processing
2.6. Statistical analyses.
3. Results
3.1. Differences in physiological responses between self perspective-taking and other perspective-taking conditions in all participants
3.2. Differences in physiological responses during the baseline period (T1)
3.3. Effect of attachment group on physiological responses during induction period (T2)
3.4. Effect of attachment group on physiological responses during recovery period (T3)
3.5. Correlations between self-reported perspective-taking tendencies (IRI) and physiological responses during induction period (T2)
4. Discussion
References
Partie 3 Discussion générale
1. Résumé du cadre théorique de la thèse
2. Synthèse des résultats
2.1. L’empathie, un processus multidimensionnel
2.2. Rôle de l’attachement dans la perception des compétences socio-émotionnelles
2.3. La régulation émotionnelle : variable médiatrice du lien entre l’attachement et l’empathie
2.4. Influence des styles d’attachement sur les réponses physiologiques en situation de prise de perspective
2.5. Association entre les capacités de prise de perspective et la réponse physiologique
3. Limites et forces des études
4. Perspectives de recherche
4.1. Apport des neurosciences sociales à la compréhension des mécanismes cérébraux impliqués dans l’empathie
4.2. L’empathie, un phénomène interpersonnel
4.3. Influence des modèles internes opérants sur les modèles de fonctionnement physiologique en réponse aux stresseurs environnementaux
5. Perspectives cliniques et thérapeutiques
5.1. L’attachement, un axe de travail de thérapeutique essentiel
5.2. Enseigner l’empathie, un travail nécessaire
5.3. … mais non suffisant : la régulation émotionnelle, pierre angulaire du développement empathique
5.4. Vers d’autres approches thérapeutiques
CONCLUSION

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