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Le burnout dans la littérature : entre connaissances établies et zones d’ombre
De nombreuses définitions
Burnout
Une revue systématique de 2019 menée par Rotenstein et al (1) prétend avoir recensé 142 définitions différentes du concept de burnout. Dans la CIM-11 (Classification Internationale des Maladies, onzième version, parue en 2019) (2), le burnout est défini comme suit : « syndrome résultant d’un stress chronique au travail qui n’a pas été correctement géré, et caractérisé par trois dimensions : un sentiment de déplétion d’énergie voire d’épuisement, une distanciation mentale avec le travail ou un sentiment de négativisme ou de cynisme à son sujet, et enfin un ressenti d’inefficacité ou de perte d’accomplissement personnel ». La classification précise que ce phénomène est spécifiquement décrit dans un contexte professionnel, et ne peut pas être utilisé dans d’autres contextes. Ces trois dimensions proviennent des travaux menés par deux psychologues américaines, que nous évoquerons plus loin. La présence concomitante ou non de ces trois axes et la relation entre ceux-ci, sont la cause des multiples « définitions » décrites par Rotenstein (1).
On retrouve ce même triptyque dans la définition française, celle de l’épuisement professionnel, terme utilisé par l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité) comme l’équivalent français au mot « burnout » dans une publication de 2017 (3). Il est défini comme un « ensemble de réactions consécutives à des situations de stress professionnel chronique dans lesquelles la dimension de l’engagement est prédominante », puis sont présentées les trois dimensions, ici l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation aussi qualifiée de cynisme, et enfin le sentiment de non-accomplissement personnel au travail.
Une autre définition, plus concrète au plan individuel, nous est fournie par Clément Duret, médecin du travail à l’origine de plusieurs travaux sur le sujet, dans une fiche pratique sur le diagnostic du burnout éditée en décembre 2018 (4) : il parle de dysphorie durable, consistant en un épuisement émotionnel, des symptômes psychiques et comportementaux, plus ou moins accompagnés de signes physiques non spécifiques, ces éléments étant en lien avec le travail et apparaissant lors de l’exposition d’un individu à des facteurs de risque professionnels spécifiques. Il précise que les patients concernés n’ont en général pas d’antécédents d’ordre psychiatrique. On rejoint la vision du CRRMP (Comité Régional de Reconnaissance en Maladie Professionnelle, cf. II.4.3), qui considère que la qualification de burnout implique un lien « direct et essentiel » entre les symptômes présentés par le patient et son activité professionnelle.
Si l’on cherche une définition sociologique, un document de 1982 par le psychologue Cary Cherniss (5), édité à l’occasion d’un symposium autour du burnout, présente une dichotomie intéressante. Intitulé « Burnout : Two Ways of Defining It and Their Implication », il oppose une vision scientifique ou technique, qui identifie le burnout comme une réaction au stress, et une vision morale ou religieuse, considérant le phénomène comme une perte de sens ou d’engagement moral.
Finalement, une interrogation demeure quant à ces définitions : le burnout est-il une maladie ? C’est l’avis de Schmid et al, dans l’article « Le burnout est-il une entité nosographique distincte ? » publié dans la revue Psychologie Française en 2019 (6) : les auteurs considèrent le burnout comme une maladie au terme de la définition générale (7) de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), qu’ils interprètent comme une atteinte au bien-être de l’individu. Cependant si l’on reprend la définition OMS, qui est en réalité celle de la santé, elle dit ceci : « la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social », ce qui correspond à l’analyse de Schmid, toutefois elle contient une seconde partie, qui suit : « et ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité ». Il semblerait donc qu’il existe pour l’OMS un état dans lequel un individu peut ne pas souffrir de maladie, mais n’être pas non plus en pleine santé ; c’est ce qu’analyse le journaliste et médecin français Jean-Yves Nau dans un article de 2016 (8) ; il définit trois états, concernant plus précisément la santé mentale : le bien-être psychologique, la détresse psychologique et les troubles mentaux. Nau étaye ses propos en citant le rapport rendu en 2016 à l’Académie nationale au sujet du burnout (9), qui analyse comme suit : « tout symptôme anxieux ne saurait être considéré comme révélateur d’un trouble anxieux, toute tristesse comme révélatrice d’une dépression caractérisée. Et toute fatigue ou épuisement ne peut être considéré comme pathologique ». Effectivement, après avoir envisagé une reconnaissance du burnout en tant que maladie, l’OMS tranche à l’occasion de l’élaboration de la CIM-11 en 2018 (cf. II.1.2) : le burnout ne sera pas classé comme une maladie. On remarquera qu’il n’est pas proposé de définition du burnout dans le DSM V, bien que ce concept puisse être intégré dans un item de cette classification.
Définitions annexes
Il s’agit ici de présenter des termes fréquemment usités dans le contexte d’étude du burnout. Tout d’abord, le stress, défini par le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales) (10) comme une « agression de l’organisme par un agent physique, psychique, ou émotionnel entrainant un déséquilibre qui doit être compensé par un travail d’adaptation ». Le stress est aussi la « réponse non spécifique que donne le corps à toute demande qui lui est faite » d’après H. Selye, médecin québécois et pionnier de l’étude du concept, dans son ouvrage « Stress sans détresse » (11) paru en 1974. Auteur des premiers modèles sur le stress dès les années 1930, il précise que cette réponse de l’organisme est multiple (biologique, physiologique, cognitive, émotionnelle), qu’elle a initialement une finalité d’adaptation, mais que lorsque les réponses se chronicisent et que la situation dépasse les capacités d’adaptation de l’organisme, des conséquences néfastes peuvent survenir par épuisement. Le psychologue Richard Lazarus, également auteur de modèles d’étude du stress (12), le qualifie de « transaction particulière entre un individu et une situation, dans laquelle celle-ci est évaluée comme débordant ses ressources et pouvant mettre en danger son bien-être ».
Les risques psychosociaux ou RPS : ce sont les risques pour la santé mentale, physique et sociale qui sont engendrés par les conditions d’emploi, les facteurs organisationnels et relationnels ; ils peuvent avoir un impact sur le fonctionnement mental de l’individu, voire provoquer des troubles psychosociaux. Ils sont au cœur du rapport Nasse et Légeron de 2008 (cf. II.2.4).
Enfin la qualité de vie au travail (QVT), qui se conçoit, selon l’Accord National Interprofessionnel (ANI) paru en 2013 (13), comme un « sentiment de bien-être au travail perçu collectivement et individuellement, qui englobe l’ambiance, la culture d’entreprise, l’intérêt du travail, les conditions de travail, le sentiment d’implication, le degré d’autonomie et de responsabilisation, l’égalité, un droit à l’erreur accordé à chacun, une reconnaissance et une valorisation du travail ».
D’une classification à l’autre
Jusque récemment, c’est-à-dire jusqu’à la publication de la 11ème version (15) de la Classification Internationale des Maladies (CIM-11), approuvée en 2019 et récemment rentrée en vigueur (1er janvier 2022), le burnout était assimilé à différents syndromes sur le plan nosographique. Dans un article paru en 2017 dans la Revue Médicale de Liège (16), deux propositions sont faites, l’une concernant la CIM-10 et l’autre le DSM-V (Manuel Diagnostique et Statistique, cinquième version éditée en 2013).
La première, dans la CIM 10, considère le burnout comme une forme de « neurasthénie liée au travail », code Z73.0 (18) ; le tableau clinique est celui d’une fatigue voire d’un épuisement après un effort physique ou psychique d’intensité mineure, les plaintes étant persistantes dans le temps et décrites comme invalidantes. Ce diagnostic implique la coexistence de deux symptômes ou plus parmi : douleurs musculaires, sensation ébrieuse, céphalées de tension, troubles du sommeil, impossibilité à se relaxer et irritabilité. Ces sensations ne sont pas améliorées par le repos, la relaxation ni les loisirs, et l’épisode doit persister au moins trois mois. La seconde proposition concerne un item du DSM V intitulé « trouble de l’adaptation avec humeur dépressive, anxieuse ou mixte » (19). Ici, le patient développe des symptômes émotionnels ou comportementaux en réponse à un stress clairement identifié évoluant depuis moins de trois mois. Les symptômes disparaissent en général dans les six mois après la disparition de leur cause.
Désormais, dans la CIM 11 (15), le burnout sera classé sous le code QD85 et appartiendra à la sous-catégorie des « problèmes associés à l’emploi et au chômage », elle-même faisant partie des
« facteurs influençant l’état de santé ». Tout comme dans la CIM-10 (20), dans laquelle les troubles mentaux étaient classés sous la lettre F, dans la CIM-11, le burnout n’appartiendra pas à cette catégorie, qui constitue désormais la section 6, mais il appartiendra à la section 24 qui regroupe les
« facteurs influençant l’état de santé ou le contact avec les services de santé ». Ainsi se confirme, tel que mentionné dans le paragraphe précédent, la volonté de l’OMS de ne pas considérer le burnout comme une maladie psychiatrique.
Une épidémiologie pauvre
Peu d’études se sont penchées sur l’incidence et la prévalence du burnout dans la population géné-rale, notamment en France où ce type d’étude concerne presque exclusivement les professions de santé : l’étude REPAR publiée en 2019 (21) cherche à quantifier l’épuisement professionnel chez les médecins anesthésistes-réanimateurs, et de nombreuses thèses étudient également ce phénomène (C. Mani en 2016 (22) chez les internes de la région PACA, C. Boisard (23) en 2018 chez les internes d’Île de France, G. Picquendar en 2016 (24) pour les médecins normands) ; certaines se présentant sous la forme de méta-analyses (Z. Kansoun en 2017 (25), rétrospective depuis 2000). Une étude à grande échelle (26) est en cours, intitulée AMADEUS (AMéliorer l’ADaptation à l’Emploi pour limiter la soUffrance des Soignants, résultats attendus en 2022) mais elle concerne une fois encore, unique-ment les professions de soin.
Pour une vision plus globale de la population, il faut étudier des travaux comme SALVEO (27), dirigée par les canadiens Marchand et Durand et publiée en 2015, qui cible le sujet de la santé mentale. C’est l’une des plus importantes études réalisées à ce jour sur le sujet, avec un échantillon de 2 162 parti-cipants. Selon les résultats, la prévalence du burnout dans cette population serait de 3.9%. Deux autres études citées par la Revue Médicale de Liège (16) ont cherché à déterminer l’épidémiologie de l’épuisement professionnel.
En 2006 une étude néerlandaise (28) de l’European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, fait état d’une incidence de 10% sur 10 ans ; puis en 2011, une étude belge (29) du service public fédéral « Emploi, Travail et Concertation sociale », d’une incidence de 0.8% sur 3 mois. La revue systématique de Rotenstein et al (1), qui a synthétisé en 2019 les données de 182 études réparties sur 45 pays, rapporte quant à elle une prévalence particulièrement variable, de 0 à 80% des participants, selon les travaux et les méthodes d’analyse utilisées. Cette importante disparité s’explique par l’absence de consensus concernant les outils diagnostiques utilisés (cf. II.3.4) et l’ana-lyse des résultats obtenus : quel seuil de positivité ? Faut-il considérer l’individu comme présentant un burnout s’il présente une seule caractéristique ou doit-il « valider » au moins deux, voire toutes les dimensions (de Maslach, cf. II.3.3) ?
Nous pouvons cependant citer le baromètre de surveillance de Santé Publique France (30), qui sans jamais mentionner tel quel le terme de burnout, analyse au sein des maladies à caractères profes-sionnel (MCP), la situation de « souffrance psychique en lien avec le travail ». Ainsi, Khirredine et al, spécialistes en santé publique, ont publié en 2015 les résultats d’une enquête rétrospective (31) : ils retrouvent une prévalence en 2012 de 3.1% chez les femmes et de 1.4% chez les hommes contre 2.3% et 1.1% respectivement en 2007. L’équipe de V. Gigonzac, chargée d’études scientifiques et également de Santé Publique France, travaille en parallèle sur l’attribution de certains suicides aux conditions de travail ; son rapport de 2021 (32) qui analyse des dossiers de 2018, propose une définition des suicides en lien potentiel avec le travail, et classe dans cette catégorie environ 10% des dossiers étudiés.
Jean-Yves Nau analyse également, dans son même article de 2016 (8) les difficultés posées sur le plan épidémiologique, et les met en relation avec l’imprécision des « limites » du burnout. Il men-tionne que de nombreux chiffres « circulent », dont celui de trois millions de Français concernés en 2014, avancé par un « cabinet spécialisé dans la prévention des risques professionnels ». Effective-ment, les services de ressources humaines de certaines entreprises développent leurs propres indi-cateurs de prévention des risques psychosociaux, et font parfois appel à des cabinets spécialisés dans la prévention et l’amélioration de la qualité de vie au travail.
Actuellement en France, les statistiques du burnout sont possiblement imbriquées avec celles de la dépression, cotées F322 ou F321, ou encore celles du trouble mixte anxieux et dépressif, F421. Il sera important de communiquer sur la cotation spécifique QD85 de la CIM-11, afin de permettre l’extrac-tion de données épidémiologiques spécifiques au burnout.
Histoire du burnout
Naissance et développement du concept
La notion d’épuisement professionnel a été introduite par le psychiatre français Claude Veil, qui mena dès 1949 (33) des études sur la fatigue des travailleurs, alors employé comme ingénieur en organi-sation dans les houillères du Nord de la France. Il théorise la distinction entre fatigue physiologique et fatigue pathologique, qu’il sépare elle-même entre surmenage (fatigue chronique) et épuisement (fatigue irréversible). Dans les suites de sa carrière, il rapporte des consultations de plus en plus fréquentes avec des patients « pseudo-névrotiques », présentant cette fatigue pathologique qu’il at-tribue à leur activité professionnelle. Dans un article de 1959 (34), Veil caractérise cet épuisement professionnel comme une « rupture avec l’état antérieur », évoquant le passage d’un niveau critique dans les capacités de l’individu. Il utilise pour cela une analogie intéressante, celle du dépassement de seuil d’un compte bancaire (35) : tant que celui-ci est approvisionné, tous les paiements sont auto-risés, mais une fois le découvert atteint, même le plus petit retrait devient impossible. Ainsi en est-il de la fatigue du professionnel, selon ses observations : une fois le seuil d’épuisement dépassé, il devient incapable d’accomplir ne serait-ce que la tâche la plus simple. Veil insiste également sur la complexité des situations à l’origine de cet épuisement, et en particulier sur l’intrication entre les caractéristiques de l’individu et celles de son environnement de travail, qui jouent un rôle conjoint dans la genèse de la pathologie.
Cependant, c’est aux Etats-Unis que se développe ensuite le concept. Si la première utilisation du terme « burnout » est attribuée à Harold B. Bradley en 1969 dans un article ayant trait à la prise en charge des jeunes délinquants (36), c’est l’implication du psychanalyste d’origine allemande Herbert J. Freudenberger qui est plus souvent citée comme originelle. En effet, celui-ci publie en 1971 un article (37) qui marque un tournant dans l’étude du burnout ; il décrit un phénomène qu’il a observé (et lui-même vécu) alors qu’il travaillait dans une free clinic (équivalent des actuels centres de « dé-sintoxication ») de New York : ses jeunes collègues présentaient, au bout d’un an d’activité environ, un tableau clinique particulier et surtout similaire, notamment une fatigue physique majeure et des troubles émotionnels. Dans un second article (38) en 1974, dans la lignée de Veil, Freudenberger utilise également une métaphore : il compare ses collègues à des « immeubles en feu » dont les ressources intérieures « se consument sous l’action des flammes (d’où le terme burn out, qui signifie littéralement « brûler, se consumer »), ne laissant qu’un immense vide » mais dont la façade masque extérieurement l’atteinte. Enfin, le même Freudenberger décomposera, à partir de ses nombreuses observations, le processus en douze stades, de l’envie de faire ses preuves jusqu’au burnout, en pas-sant par la spirale du déni et la perte des liens sociaux et familiaux.
Avant même les observations de Freudenberger, un secteur en particulier avait été touché par une pathologie étrangement ressemblante, celui des aiguilleurs du ciel. Avec l’intensification massive du
trafic aérien dans les années 1960-1970, et dans un contexte alliant manque de formation et de matériel, horaires prolongés et complexification des outils, plusieurs collisions aériennes furent dé-plorées, rendant nécessaire une enquête sur l’origine de ces funestes évènements. Celle-ci, menée par l’Université de Médecine de Boston (39), mettra en évidence chez un nombre important de con-trôleurs aériens des symptômes de ce qu’on appellera bientôt le burnout.
La vulgarisation du concept ainsi créé doit beaucoup aux psychologues californiennes Christina Ma-slach et Susan Jackson, dont les observations contemporaines à celles de Freudenberger, concer-naient également des professionnels du soin, en particulier les travailleurs sociaux. C’est leur travail (40) qui aboutit à la définition des trois dimensions du burnout, à savoir l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation et la perte de l’accomplissement personnel ; cette segmentation des symptômes est encore aujourd’hui la plus connue. Les deux femmes mettent au point en 1981 (41) l’auto-ques-tionnaire MBI (Maslach Burnout Inventory, cf. II.3.4) qui servira de support à de nombreuses études, permettant au burnout de passer d’un statut pseudo-scientifique, à celui de sujet méritant l’attention de la communauté scientifique.
L’économiste Robert Golembiewski complète dès 1983 (42) le travail de Maslach, par une approche chronologique au plan individuel. Avec son équipe, ils mettent au point un schéma d’installation du burnout par phases, à savoir d’abord la dépersonnalisation, suivie de la perte d’accomplissement personnel et enfin de l’épuisement émotionnel, qui marque la décompensation de la situation. Ils étoffent ensuite ce modèle jusqu’à définir 8 phases, à travers une combinaison de scores « bas » ou « élevés » attribués selon les trois axes, et résumées dans le tableau ci-dessous ; ces travaux seront critiqués et ajustés par les auteurs eux-mêmes et leurs contemporains, permettant d’affiner le mo-dèle. Les phases seront notamment rapprochées en 4 clusters.
Théorisation : les grands modèles
Modèles transactionnel et motivationnel
En 1984, les psychologues Richard Lazarus et Susan Folkman, réputés pour leurs travaux sur le stress, décrivent le modèle dit transactionnel (43), qui tend à démontrer que les processus de stress et de burnout n’ont pas pour origine uniquement l’individu ou son environnement, mais qu’ils sont liés l’un à l’autre et s’influencent mutuellement : on retrouve l’hypothèse de Claude Veil. Puis Lazarus précise ce modèle par le principe dit de « double évaluation » : face à une situation donnée, une première évaluation permet de considérer le danger présenté, et une seconde consiste à peser les ressources à disposition pour l’affronter ; ainsi la réaction de l’individu ne dépend pas uniquement de la situa-tion, mais aussi de son analyse en regard des ressources dont il dispose.
Durant la même décennie, Stevan Hobfoll, spécialiste ès sciences du comportement, développe la théorie de la conservation des ressources (44), qui tend à expliquer le processus d’installation du stress : selon lui, une perte de ressources déclenche chez l’individu un réflexe de conservation d’éner-gie : on parle de stratégies de coping. Cependant, d’après son analyse, cette réponse est elle-même cause d’une perte de ressources, et si elle s’avère inefficace, l’individu se retrouve dans une situation de double déplétion d’énergie, atteignant parfois l’épuisement.
Ayala Pines, psychologue israélienne, propose en 1993 dans son ouvrage « Professional Burnout »
(45) une approche dite motivationnelle. Elle soutient l’hypothèse selon laquelle le travail permet à l’Homme de donner un sens à sa vie ; d’après elle, si cette quête de sens échoue, c’est-à-dire si le travail ne répond pas à ce besoin, survient le risque de burnout. Ainsi, les aspects du travail les plus pourvoyeurs de burnout seraient ceux qui empêcheraient l’individu de répondre à ses attentes exis-tentielles ; d’autre part, le manque de sens dans le travail aurait tendance à majorer le ressenti de fatigue sur le plan émotionnel. Il existe un point commun entre les travaux de ces chercheurs, dans leur description du processus à l’origine du burnout : ils mettent en évidence un déséquilibre. Pour Cary Cherniss, dans la lignée de Lazarus et Folkman, il se situe entre les capacités du patient (ses ressources personnelles et organisationnelles) et les exigences de son emploi ; pour Ayala Pines, entre ses attentes et la réalité auquel il est confronté : elle parle de « stresseurs ».
Modèles effort-récompense et contraintes-ressources
On retrouve le principe de recherche d’équilibre ou balance, dans les travaux de Johannes Siegrist. Ceux-ci sont considérés (46), avec ceux de son confrère sociologue Robert Karasek, comme un modèle majeur dans la compréhension des mécanismes de stress au travail. Karasek, à la fin des années 1970, aboutit par ses travaux à un modèle (47) décrivant l’interaction entre la demande psycholo-gique et la latitude décisionnelle. Celui-ci sera complété en 1988 par Johnson et Hall (48) qui ajoutent à cette équation le soutien social, pour former le modèle DCS (Demand Control Support). Dans le même esprit, Siegrist développe en 1996 le modèle effort-récompense (49), qui consiste en une com-paraison « mathématique », symbolisée par une balance, entre les efforts fournis par le travailleur et les récompenses reçues.
Explorant toujours ce principe de déséquilibre, les chercheurs Lee et Ashforth entreprennent dans les années 1990 une méta-analyse de la littérature (50). Ils cherchent à explorer les liens entre les concepts de demande et de ressources dans le cadre professionnel, et les trois dimensions décrites par Maslach et Jackson. Ils montrent alors que la dimension la plus fortement associée à ces concepts est la première, l’épuisement émotionnel. A partir de cette méta-analyse, un certain nombre de tra-vaux de recherche se concentreront plus particulièrement sur cette facette du burnout au détriment des deux autres. Dans le même temps, Christina Maslach continue son étude du phénomène. Dans l’ouvrage « The Truth about Burnout » (51) publié en 1997 avec son confrère psychologue Michael Leiter, ils élaborent le modèle dit « des discordances », évocation des différents facteurs organisa-tionnels responsables de l’apparition du burnout, à travers un écartèlement entre la nature de l’indi-vidu et celle de la tâche demandée. Ils identifient ainsi comme discordances la surcharge de travail et l’insuffisance de rétribution, mais aussi le manque d’autonomie (ou de contrôle), l’effondrement du collectif, les manquements à la justice et les conflits de valeur.
Au début des années 2000, les sociologue Demerouti, Bakker et Schaufeli (52) introduisent un nou-veau modèle, job demands-resources (JD-R), reliant séparément les contraintes et les ressources pro-fessionnelles aux symptômes de burnout. Leurs résultats seront différents de ceux de Lee et d’Ash-forth : ils concluent en effet que l’augmentation des contraintes serait responsable de l’épuisement, tandis que le manque de ressources induirait plutôt du désengagement. De plus, leurs travaux mè-neront à l’élaboration d’un nouvel outil (cf. II.3.4). Plus récemment encore et notamment dans un article de 2014 (53), Pedro Gil-Monte, professeur de Psychologie sociale et organisationnelle à l’uni-versité de Valence, étudie l’implication de l’antagonisme et de l’ambiguïté de rôles dans l’apparition du burnout et obtient des résultats significatifs. Il fait partie des premiers à étudier la relation entre les conflits interpersonnels au travail, et le burnout.
Le point de vue sociologique
Si l’on prend du recul sur le plan sociétal, on peut considérer que des cas de « burnout » ont été rapporté plusieurs siècles avant sa conceptualisation, notamment dans la Bible, avec la désillusion de Moïse au désert ou l’épuisement d’Elie après l’accomplissement de sa tâche.
William Schaufeli, professeur de psychologie du travail, place, quant à lui, la genèse de la notion de burnout dans un contexte de « guerre contre la pauvreté » et de révolution culturelle, dans le chapitre « Burnout : a short Socio-Cultural History » de l’ouvrage collectif « Burnout, Fatigue, Exhaustion » paru en 2017 (54). Il développe de la manière suivante : d’une part, la « guerre contre la pauvreté » ayant suscité de nombreuses vocations dans le domaine social, et ainsi accéléré la professionnalisa-tion de ce domaine dans l’après-seconde guerre mondiale, la jeunesse américaine se retrouve con-frontée à une immense charge de travail, tout en étant tributaire d’un système de plus en plus gigan-tesque et anonyme. La seconde cause évoquée – la révolution culturelle des années 1960 aux Etats-Unis – a selon lui pour conséquences une diminution de l’autorité et du prestige traditionnellement associés aux professions d’aide (médecins, pompiers, police), et une augmentation des exigences des usagers. Au total, Schaufeli implique dans l’augmentation de ce phénomène, le remplacement d’une société traditionnelle par ce qu’il nomme le « capitalisme flexible » (terme emprunté à Richard Sen-nett et qui qualifie une société dans laquelle les institutions sont mal définies et mouvantes), auquel viendrait s’ajouter le développement d’une culture narcissique.
Un tournant majeur s’opère durant les années 1980, avec l’exportation du concept de burnout de notre côté de l’Atlantique. Tout comme en Amérique du Nord, la mondialisation, la privatisation de nombreuses entreprises et la libéralisation des marchés obligent à une transformation rapide du monde du travail. De nouvelles contraintes s’imposent aux travailleurs, de nouvelles capacités à ac-quérir (notamment avec l’apparition et l’évolution de l’outil informatique), une accélération néces-saire pour répondre aux demandes de productivité croissantes ; c’est notamment l’analyse du socio-logue et philosophe allemand H. Rosa, dans son livre « Accélération » (55). Il existe cependant une différence majeure entre les Etats-Unis et l’Europe, qui ne réside pas dans ces phénomènes qui aug-mentent le risque de burnout, mais dans la classification de celui-ci : là où les américains le considè-rent comme un fait sociétal, une partie des européens érige le concept de burnout au rang de dia-gnostic médical. Ainsi, dès l’an 2000 aux Pays-Bas (56), des recommandations sont éditées concer-nant le burnout ou « neurasthénie liée au travail » ; les autres pays nordiques sont également cités en exemple, notamment la Suède qui vote dès 1991 un amendement à la Loi sur l’environnement de travail (57), obligeant les entreprises à créer un environnement de travail propice à la santé mentale des employés.
Zoom sur la France
Malgré l’attribution possible de la découverte du concept à un Français, le psychiatre Claude Veil, l’apparition d’une littérature française sur le sujet et sa popularisation n’auront effectivement lieu qu’après les années 1980 et les recherches aux Etats-Unis et au Canada. Jean-Yves Nau (8) situe cette « prise de conscience collective » tout d’abord au niveau des professionnels notamment dans le do-maine la santé mentale, avec la publication d’ouvrages dont « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien » par la psychiatre Marie-France Hirigoyen en 1998. L’extension de cette prise de conscience à la population française a ensuite pris forme à travers des évènements médiatiques, dont la tragiquement célèbre « affaire France Télécom » (58, 59) : après la privatisation partielle de l’entreprise en 2004, et dans le but de se séparer d’une partie des employés sans avoir recours au licenciement, une politique interne de « démissions provoquées » est mise en place par les dirigeants, via une formation particulière des managers. Le résultat sera le suicide de plusieurs dizaines de sa-lariés entre les années 2006 et 2009, aboutissant à un procès pour « harcèlement moral » du PDG et de certains de ses cadres, jugés coupables et condamnés en 2019.
On assiste alors dès 2009 à la mise en place d’un plan d’urgence de prévention des RPS par le Ministre du Travail, M. Xavier Darcos, lors d’une séance exceptionnelle du COCT (Conseil d’Orientation sur les Conditions de Travail). Ce plan d’urgence sera guidé entre autres, par le rapport (60) de l’économiste Philippe Nasse et du psychiatre Patrick Légeron publié en 2008, et commandé un an auparavant par le précédent Ministre du Travail, M. Xavier Bertrand.
Sur le plan législatif toujours, la compréhension du processus de stress au travail, guidée par des recherches depuis Claude Veil mais également par l’évolution des CHSCT (Comités d’Hygiène, de Sé-curité et des Conditions de Travail, instances de sécurité, étendues à toutes les professions en 1982 mais que préfiguraient de comités apparus dès le XIXème siècle) via la reconnaissance des RPS, se concrétise en 2008 avec la signature de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) (13, 14) sur le stress au travail. Celle-ci est en réalité une transposition d’un accord européen (61) ratifié en 2004, dont les objectifs étaient d’attirer l’attention sur la problématique du stress au travail afin de le pré-venir, le détecter et éviter ses complications. Le 17 août 2015, une proposition de loi (62) émanant du député François Rebsamen, est votée, qui portera son nom ; cette loi permet la reconnaissance du burnout, ou plutôt d’une « pathologie psychiatrique ayant pour origine le travail », en tant que mala-die professionnelle. Une autre proposition de loi, déposée par le député Ruffin en 2018 (63), fut, elle, rejetée ; elle avait trait à la création d’un tableau de maladie professionnelle propre aux pathologies psychiatriques liées au travail.
L’Assemblée Nationale continue cependant d’étudier de près la problématique de la souffrance au travail, en témoignent les propositions concluant un rapport de la Commission des Affaires Sociales
(9) rendu en 2017, qui sont au nombre de vingt-sept. Les rapporteurs soulignent, entre autres, la nécessité de mise en place un codage des arrêts de travail afin de mieux appréhender la prévalence du burnout, d’un outil diagnostique francophone performant sur le modèle du CBI (cf. II.3.4), d’ex-périmenter l’abaissement voire la suppression du taux d’IPP (incapacité professionnelle permanente) nécessaire à la reconnaissance comme maladie professionnelle, de permettre aux médecins du travail d’attester de pathologies constatées chez les salariés et leur lien avec l’activité professionnelle, ou encore de faire évaluer le coût actuellement supporté par la branche maladie de la Caisse d’Assurance Maladie concernant ces pathologies.
L’Académie Nationale de Médecine, de son côté, par le biais d’un groupe de travail mené par le psy-chiatre Jean-Pierre Olié, auteur de nombreux travaux sur le sujet, avait émis en 2016 un rapport sur le burnout (64), dans lequel elle déplorait la confusion provenant des limites imprécises de ce concept et son absence des nosographies, en reprécisait les facteurs de risque et promouvait l’implication des entreprises, des services de santé au travail et du Ministère de la Santé dans sa prévention, notam-ment à travers l’information du grand public.
Clinique
Etiopathogénie
Avant d’étudier en détails la symptomatologie du burnout, il est intéressant de se pencher sur ce qui mène à son apparition : facteurs de risque ou protecteurs, avec la proposition de modèles et l’étude des profils à risque.
Facteurs de risque
Le rapport (65) du Collège d’expertise sur le suivi des risques psychosociaux au travail, coordonné en 2011 par Michel Gollac et Marceline Bodier à la demande du Ministère du Travail et à la suite du rapport Nasse-Légeron, regroupe les facteurs de risque de burnout en six pôles :
– Les exigences du travail : intensité, rythme, horaires, complexité, mais aussi interruptions incessantes, instructions contradictoires et objectifs irréalistes ou imprécis,
– Les exigences émotionnelles, comme la nécessité de maîtriser, dissimuler ou falsifier ses émotions, par exemple au contact du public, voire de la souffrance ou de la mort,
– Le manque d’autonomie : insuffisance des marges de manœuvre, absence de participation aux décisions, absence d’utilisation ou de développement des compétences,
– Le manque de soutien social : mauvaise qualité des rapports entre collègues ou avec l’organisation, mais également soucis de justice organisationnelle, de rémunération, de perspectives de carrière ou de procédures d’évaluation,
– Les conflits de valeurs, c’est-à-dire une situation d’incompatibilité entre l’objectif, les effets ou les méthodes de travail, et les convictions du travailleur,
– Enfin, l’insécurité de l’emploi : peur du licenciement, d’une baisse de revenus ou d’un déclassement, craintes pour l’avenir du métier ou l’évolution des conditions de travail.
Pour Michel Delbrouck, médecin, psychothérapeute et directeur de l’Institut de Formation et de Thé-rapie pour Soignants (Belgique), et auteur en 2011 également, de l’ouvrage « Comment traiter le Burnout » (66), il est nécessaire de séparer :
– Les facteurs « internes », liés à l’activité professionnelle : volumes et exigences de travail, rythme, pénibilité, aspects psychologiques vécus au travail, manque de reconnaissance et de soutien, facteurs organisationnels et relationnels, environnement professionnel,
– Des facteurs « externes », liés à l’environnement familial et social : conflits, soucis financiers ou médicaux, absence de soutien par une croyance.
Facteurs protecteurs
En parallèle ou plutôt en miroir, différents travaux ont voulu mettre en avant des facteurs protecteurs. Ils évoquent les besoins du travailleur, qui s’ils trouvent une réponse positive, peuvent permettre de faire reculer le risque de burnout. Dans un article de 2016, Gillet et al s’appliquent à décrire les « Effets du soutien organisationnel perçu et des caractéristiques de l’emploi sur l’anxiété au travail et l’épuisement professionnel » ; le sous-titre précisant : « le rôle médiateur de la satisfaction des besoins psychologiques ». Ces besoins fondamentaux, au nombre de trois, sont l’autonomie, la com-pétence, et l’affiliation dans la relation. Les résultats de leur étude menée sur plus de 450 salariés de différents secteurs, révèlent que le soutien organisationnel perçu, défini comme la « perception de l’employé quant au fait que son organisation valorise ses contributions et se soucie de son bienêtre » est positivement relié à la satisfaction des besoins psychologiques, et que cette satisfaction entraine une diminution des risques d’anxiété au travail et d’épuisement professionnel.
Cette étude ainsi que de nombreuses autres, a pour base théorique un modèle d’étude de la motiva-tion : la théorie de l’autodétermination. Proposée (68) puis développée (69) par Deci et Ryan à partir de 1985, celle-ci explique que l’individu cherche, malgré ou grâce à son environnement (profession-nel, entre autres), à répondre à ses besoins d’autonomie, de compétence et d’affiliation. La réponse à ces besoins, serait sous-tendue par la justice organisationnelle, le soutien social, la charge de travail et la charge émotionnelle, mais également par des facteurs internes tels que la résilience.
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Table des matières
I. Introduction
II. Le burnout dans la littérature : entre connaissances établies et zones d’ombre
1) Définitions et classifications
II.1.1. De nombreuses définitions
II.1.2. D’une classification à l’autre
II.1.3. Une épidémiologie pauvre
2) Histoire du burnout
II.2.1. Naissance et développement du concept
II.2.2. Théorisation : les grands modèles
II.2.3. Le point de vue sociologique
II.2.4. Zoom sur la France
3) Clinique
II.3.1. Etiopathogénie
II.3.2. Physiopathologie
II.3.3. Symptomatologie
II.3.4. Outils diagnostiques
II.3.5. Diagnostics différentiels
4) Prise en charge
II.4.1. Démarches et accompagnement
II.4.2. Répartition des rôles
II.4.3. Reconnaissance administrative
III. Etude
1) Matériel et méthode
III.1.1. Bibliographie
III.1.2. Type d’étude
III.1.3. Recrutement
III.1.4. Entretiens
III.1.5. Analyse des données
2) Résultats
III.2.1. Définition
III.2.2. Clinique
III.2.3. Gravité
III.2.4. Outils
III.2.5. Différentiel
III.2.6. Etiologies
III.2.7. Qualification administrative
III.2.8. Collaboration
III.2.9. Difficultés et points positifs
III.2.10. Remarques par groupe
IV. Discussion
1) Définition et épidémiologie
2) Etiologies et sociologie
3) Clinique
4) Un outil primordial : le temps
5) Diagnostics différentiels : la dépression, et les autres
6) Les grandes questions administratives
7) Rôle du médecin traitant et collaboration
V. Conclusion
VI. Annexes
VII. Bibliographie
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