Naissance des Siedlungen

Entre 1918, fin de la Première Guerre mondiale et janvier 1933, prise de pouvoir des national-socialistes, la ville de Berlin s’est développée comme métropole de l’art moderne. « Groß Berlin », le grand Berlin de 1920, avec une surface de 876 km², comptait mondialement comme une des plus grandes villes, et, avec une population de 3,86 millions d’habitants, se situait au sein des villes les plus peuplées juste après New York et Londres. Berlin comme considérable ville industrielle, Berlin comme ville nodale au milieu de l’Europe, Berlin comme centre d’art et d’architecture, Berlin comme « Weltstadt ». La ville-mondiale de la République de Weimar, nommée ainsi par Martin Wagner, comptait comme centre culturel de l’Avant-garde Moderne et espace conflictuel entre traditionalisme et modernisme. Au sein de cette richesse culturelle et du mouvement réformateur social, un rôle – ou un média – prépondérant était l’architecture : le Nouveau Berlin était un lieu de la culture constructive, la « Baukultur ». Les domaines de l’architecture et de l’urbanisme trouvaient à Berlin de nouvelles formes à travers les avant-gardistes et se développaient rapidement même à travers les années de guerre et donc de paralysie constructive : les visions utopiques sur papiers de l’Avant-garde Moderne, comme la célèbre Alpine Architektur de Taut, les tentatives expressionnistes ou les projets non réalisés comme l’immeuble en verre imaginé par Mies van der Rohe, illustraient une nouvelle pensée architecturale.

Naissance des Siedlungen 

Conditions de vie dans le « steinerne Berlin »

Une source particulière permet de dresser un panorama des conditions d’habitation à Berlin au début du 20ième siècle. Entre 1901 et 1920 le travail documentaire de la « Berliner Ortskrankenkasse für den Gewerbebetrieb der Kaufleute, Handelsleute und Apotheker »  manifeste non seulement les misérables conditions de vie des classes ouvrières et des employés, mais dévoile le fonctionnement d’un marché du logement régi par le régime de la propriété foncière et quatre phénomènes inacceptables : le surpeuplement, la pénurie, le prix élevé des loyers, la mauvaise qualité du bâti. Depuis la fin du 19ième siècle, se loger était synonyme de vivre coincé à plusieurs dans des espaces minimes. Vivre entassé signifiait vivre à 6 voire 10 personnes dans une pièce d’environ 20 m². Exprimé de manière statistique, il s’agissait de 20 000 appartements surpeuplés. Autrement dit, presque 150 000 habitants, soit 7 % de la population berlinoise, vivaient avec au moins 5 autres personnes dans une même pièce, sans compter le sous-locataire, le fameux Schlafbursche. Pour un de ces logements rudimentaires, l’habitant devait en 1904 débourser de 175 à 220 marks par an. Un employé de commerce ou un technicien, qui gagnait entre 1200 à 1500 marks par an, détenait les moyens de payer un tel loyer, mais pas celui d’un deux pièces-cuisine, à 420 marks par an. Pour un simple ouvrier, le marché locatif se limitait strictement à une chambre de 20 m², où il pouvait prétendre loger sa famille, alors que 70 700 autres étaient contraints de se réfugier dans des caves. Après la guerre, cette situation s’empira. Ce fut le moment de subir la paralysie constructive des années de guerre. La crise du logement s’avéra catastrophique, d’autant plus que le retour des soldats et les nombreux mariages soulignèrent le boom de la population. « Se marier est bien. Ne pas se marier est mieux. »  affirmait la revue Wohnungswirtschaft de 1926 en racontant l’anecdote d’un employé fiancé, qui, en vue de sa prochaine union, demanda un logement et reçut la réponse suivante de la part d’un bureau municipal du logement : « l’attribution d’un logement n’est guère envisageable avant un délai de huit à dix ans. (…) Nous vous aurons averti à temps des difficultés en matière de logement au-devant desquelles vous allez du fait de votre mariage. » Dans l’ensemble de l’Allemagne et de manière intense à Berlin, la population s’entassait dans les appartements des Mietskasernen, ces immeubles d’habitation – ou casernes d’habitation – à 4 ou 5 étages organisés autour d’une cour, où ni l’air, ni la lumière ne pénétraient. Dans le célèbre ouvrage de Werner Hegemann, Das steinerne Berlin ( 1930 ), est mis en exergue la vie dans la « größte Mietskasernenstadt der Welt ». La conception des Mietskasernen est connue à travers les lois de 1853 : Hinterhaus et Seitenhaus ( immeubles à l’arrière de la cour ) pouvaient détenir la même hauteur ( de 22 mètres au maximum ) que le Vorderhaus ( immeuble côté rue ) et se regroupaient autour d’une ou plusieurs cours d’au minimum 5,30 x 5,30 m.

Cette crise du logement se laisse appréhender par la définition même d’un logement surpeuplé du point de vue des autorités de l’époque : un logement détenait « trop » d’habitants si dans un appartement d’une pièce ( avec cuisine ) plus de cinq personnes s’y abritaient, et, dans le cas d’un 2 pièces, s’il s’agissait de plus de 10 personnes. Les conséquences sociales et humaines de la crise du logement furent dramatiques : à Berlin, le taux de mortalité dans les appartements 1-pièce était de 164 0/00, dans les 2 pièces de 23 0/00 et dans ceux pourvus de multiples pièces de 5 0/00 ( Jenkins, 1973, p. 34). Cette importante mortalité est directement liée à la surpopulation des logements, mais aussi aux rudes conditions de vie, qui elles, découlaient des logements et de leurs équipements mêmes. Vers 1900, 710 000 personnes habitaient des logements dotés d’une seule pièce chauffée, et, de manière générale, les quartiers et leurs immeubles manquaient d’air et de lumière – la conséquence directe étant une menaçante humidité. Sur 519 000 logements enquêtés, 91,6 % ne détenaient de salle de bain, dans 48,2 % les toilettes ou quelconques équipements sanitaires se situaient dans la cour ou étaient intégrés dans les espaces de circulation, notamment les cages d’escaliers. Seulement 12,3 % disposaient d’une gazinière et 0,7% d’une installation électrique: la majorité s’éclairant toujours avec des lampes à gaz. Werner Sombart, un sociologue et économiste allemand, décrit en 1906 la vie dans les Mietskasernen :

« …( ici prend fin le lieu et le sentiment du chez soi ; ici, où à travers les fenêtres ouvertes en quelques jours d’été – comme en ces lieux où l’on cuisine, lave et repasse, l’atmosphère n’est supportable les fenêtres fermées – pénètre tout le brouhaha des machines, des cris d’enfants, des grondements provenant de la cour, les vapeurs et les odeurs des 40 ou 50 cuisines rances respirant le suif. Ici, où aucune porte ne peut être ouverte sans qu’un regard curieux, jaloux ou apitoyé n’entre ; ici, où la maison semble être enfer, le bar et la maison close le ciel. Ici, où la prison et l’asile prennent peur. ) » .

L’ultime exemple et manifestation bâtie de cette misère est le célèbre Meyershof à Wedding, quartier côté Nord du centre de Berlin. Sur cette même parcelle, un immeuble donnant sur la rue – Vorderhaus – fut suivi de cinq autres immeubles alignés et reliés par plusieurs longues et étroites cours. Comme dans la plupart des Mietskasernen, il y avait majoritairement des appartements d’une à deux pièces. Les 257 appartements s’organisaient de part et d’autre d’un long couloir commun : si l’on souhaitait aller dans la cuisine, il fallait emprunter ce couloir sans fenêtre. Les toilettes se situaient dans chaque deuxième cour, et, les autres cours étaient emplies de petits commerces alimentaires ( stands ) entre lesquels les enfants jouaient. Meyershof fut une image frappante de la misère du prolétariat où, entassés, les 2000 habitants vivaient malades et désespérés dans d’abominables conditions de vie.

Le logement comme priorité nationale 

Les organisations professionnelles d’employés s’étaient dès la fin du 19ième siècle émues des conditions de logement réservées à leur corporation, comme nous avons pu le voir à travers l’enquête de la Berliner Ortskrankenkasse. A la différence de la situation française, où le logement populaire relève historiquement d’une initiative philanthropique ou patronale reprise par les pouvoirs publics, ce sont, en Allemagne, les syndicats d’employés qui font de l’élaboration de l’habitat de masse et du logement en général, une priorité nouvelle. Accompagné de l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale pendant le dernier tiers du 19ième siècle ( en liaison avec les transformations du commerce et de l’industrie ), les Angestellte – les employés en français  , l’habitation s’affirme comme signe distinctif du niveau de vie : le logement devient un moyen par lequel l’employé souhaite marquer son appartenance à la classe moyenne. Dès lors l’amélioration des conditions d’habitation devient une revendication importante. En réalité, les premières tentatives lancées contre la crise du logement et les déplorables conditions de vie, furent menées relativement tôt – vers 1860, alors que l’époque wilhelminiennemême ( jusqu’en 1918 ) est associée à une néfaste évolution urbaine de la ville de Berlin, que ce soit dans le sens architectural ou social. De la crise nait le concept des Genossenschaften, qui existent aujourd’hui encore. En français le terme de Genossenschaft se traduit par « coopérative », alors que le terme « Genosse » même s’apparente à la notion de « compagnon ». La terminologie révèle l’idée d’un ordre participatif. Ce dernier fonctionne par autogestion ainsi que par soutiens professionnel et finan cier mutuels. Ces initiatives privées furent entièrement instaurées à partir de 1889, grâce à la loi Reichsgenossenschafts-Gesetz, qui incita un nombre conséquent d’investisseurs privés à la réalisation de logements à bon marché. Les réalisations de ces Genossenschaften parsèment jusqu’aujourd’hui Berlin et prennent diverses formes architecturales : il s’agit de Wohnblöcke comme le Beamten-Wonungs-Verein conçu par Paul Mebes à Charlottenburg, ou de Gartenstädte comme la célèbre Gartenstadt Staaken par Paul Schmitthenner. Les Genossenschaften qui fonctionnaient sans aide ni soutien public, étaient parvenues à réaliser environ 125000 logements dans l’ensemble du Reich. Un résultat considérable, mais face à l’envergure de la crise, un résultat insuffisant. Elles constituèrent néanmoins le premier pas envers une nouvelle perception sociale de l’habitat.

A la différence de ce qui se passa sous l’Empire wilhelminien, les pouvoirs publics se voient, au lendemain de la guerre, contraints d’intervenir pour enrayer le manque en logement et la pénurie de matériaux de construction. Les mesures déjà prises au début des années 1920 sont reconduites, telles que le blocages des loyers et la répartition des matériaux, mais se révèlent nettement insuffisantes face à la crise du logement. La république de Weimar adopte alors une solution radicale et décide de prélever un impôt sur les loyers perçus dans les logements construits avant guerre, afin de consacrer la moitié à l’édification de logements neufs. Au sein de cette grande politique du logement, les efforts sont particulièrement dirigés vers la Heimstätte 5 . Le terme venant directement de l’anglais « homestead » ( ferme ou propriété ), il symbolise le foyer authentique de la famille allemande, et, plus précisément, une maison avec jardin dans la périphérie urbaine. Cet idéal de l’habitat est promulgué dans la Constitution de Weimar en 1919 qui manifeste l’effort de la nation à « donner à chaque citoyen allemand ainsi qu’à chaque famille allemande et en particulier à chaque famille nombreuse une demeure saine et confortable et un lieu de travail correspondant à ses besoins ». Les Siedlungen qui furent le fruit de ces efforts représentent pleinement cet idéal d’une maison familiale avec jardin. Si le but poursuivi par les pouvoirs publics est l’intensification de la construction de petits logements pour la population défavorisée et l’amélioration des conditions d’habitation de la population berlinoise la plus modeste, l’État même ne s’engage directement que par le moyen des Wohnungsführsorgegesellschaften ( WFG ) . Il s’agit de Sociétés d’encouragement à la construction de logements qui encadrent la distribution de l’aide provenant de l’impôt sur le loyer et qui garantissent la qualité des logements ainsi construits. Les standards élaborés par ces 13 WFG du Reich donnent les prescriptions réglementaires sur la qualité des logements, que ce soit pour les sociétés de construction d’utilité publique ou les maîtres d’ouvrage privés, tels que les Genossenschaften. Quant aux sociétés de construction d’utilité publique mêmes, elles sont créées par les confédérations syndicales d’employés qui ne limitèrent pas leur travail à l’élaboration d’enquêtes sur les conditions d’habitation. Sous la république de Weimar, les syndicats d’employés fondent trois sociétés de construction. La moins connue est la Heimat, générée par les adhérents du syndicat national-libéral. Quant à la Gagfah, créée en 1918, elle est soutenue par tous les courants syndicaux. Celle qui nous intéressera cependant particulièrement en ce travail est la Gehag, proche aux idéologies socialistes, qui réalisa les Siedlungen de l’avant-garde moderne.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

Introduction
1. Naissance des Siedlungen
– Conditions de vie dans le „steinerne Berlin“
– Le logement comme priorité nationale
– Le rationalisme
2. Architecture des Siedlungen
– La thématique des Siedlungen
– La Hufeisensiedlung à Neukölln
– Onkel Toms Hütte à Zehlendorf
– La Siemensstadt à Charlottenburg/Wilmersdorf
– La Weißestadt à Reinickendorf
3. Vers le statut de „patrimoine“
– La guerre des toits
– Un patrimoine incommode
– La patrimonialisation des Siedlungen
4. Les logiques patrimoniales d’aujourd’hui
– La théorie du Denkmalschutz
– Les supports juridiques
– Les institutions du patrimoine
– Le Denkmalpflegeplan
– L’objectif de l’architecte
5. Les objectifs d’entretien des Siedlungen
– La conservation des Siedlungen
– Subtilité d’architecture moderne
– État actuel des Siedlungen
– Substance originale, image originale
6. La praxis de la Denkmapflege
– Diversité architecturale et méthodologie
– Urbanisme et entretien
– Couleur et entretien
– Paysage et entretien
7. Les Siedlungen d’hier et la vie d’aujourd’hui
– Situations géographiques et valeurs immobilières
– Confort et modes de vie
– Adaptation technique et performances énergétiques
– Temporalité et monument historique
Conclusion
être patrimoine
Epilogue : Le Denkmalschutz conflituel
Annexes

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *