NAISSANCE DES CELLULES CLONES CANCEREUSES
Mutations génétiques et cancer
Le cancer est généralement défini comme une maladie complexe, ou l’accumulation dans une cellule de mutations génétiques conduit à une transformation maligne de celle-ci. La capacité d’une seule cellule transformée à disséminer la maladie à tout l’organisme suit au départ un processus linéaire d’acquisition de nouvelles mutations telle que la substitution de paires de bases dans l’ADN, les insertions ou délétions de quelques paires de bases (indels), les réarrangements chromosomiques, les gains ou les pertes du nombre de copies d’un gène. Récemment des mutations de gènes régulant des processus épigénétiques ont été identifiées (Watson, Takahashi, Futreal, & Chin, 2013). Outre les mutations génétiques, des altérations purement épigénétiques sont vraisemblablement impliquées dans la tumorigénèse .
Deux types de mutations peuvent être impliqués dans l’apparition du cancer et sa progression : les mutations spontanées et les mutations dues à l’environnement cellulaire. Les mutations dites spontanées ne sont pas dues à des agressions extérieures provenant de l’environnement cellulaire. On peut citer par exemple les mutations dues à un mésappariement des bases lors de la réplication de l’ADN. Les mutations qui ne sont pas spontanées sont dues à l’influence de facteurs environnementaux (stress, inflammation, irradiations telles que les UV dans le cas du mélanome…). Les mutations spontanées sont les plus fréquemment retrouvées dans le cancer.
Très récemment, une étude basée sur les données statistiques du cancer a montré que la probabilité de développer un cancer due à l’apparition de mutations spontanées est corrélée au nombre de divisions cellulaires au sein d’un tissu et que l’apparition d’un cancer dû à ce processus n’était pas prévisible. La probabilité de développer un cancer n’est pas la même au sein des différents tissus et organes de l’organisme. Ainsi la probabilité de développer un cancer du poumon est de 6,9%, de 1,08% pour le cancer de la thyroïde alors qu’il n’est que 0,00072 % pour le cancer du cartilage du larynx. Cependant il n’était jusqu’à présent pas possible d’en établir les causes exactes. L’étude réalisée par Tomasetti et Vogelstein propose un élément de réponse basé sur le principe suivant : plus le renouvellement cellulaire au sein d’un tissu est important, plus la probabilité de développer un cancer au sein de ce tissu est grande (Tomasetti & Vogelstein, 2015). Le renouvellement des cellules souches au sein des tissus et organes permet le maintien de l’homéostasie et a lieu plus fréquemment dans certains d’entre eux. Plus le renouvellement de ces cellules souches est élevé, plus le nombre de divisions cellulaire et de réplication de l’ADN (à chaque division) est important. Ainsi, la probabilité que l’apparition d’une mutation spontanée puisse donner naissance à une cellule « souche » cancéreuse, est corrélée au nombre de divisions cellulaires au sein d’un tissu. Cette étude conclut que les mutations spontanées représenteraient environ 2/3 des mutations mises en cause dans l’apparition de cancers, tandis que les mutations dues aux facteurs environnementaux seraient responsables d’un peu moins d’1/3 des cancers (les prédispositions génétiques ne faisant ni parties des mutations spontanées, ni des mutations dues à l’environnement dans le cas présent). Cependant de manière surprenante cette étude n’inclut pas plusieurs cancers fréquents (dont les cancers du sein et de la prostate). Qu’en serait-il si cela était le cas ? De plus cette étude indique que les mélanomes sont dus majoritairement au hasard, or clairement l’environnement est impliqué dans l’apparition de ces tumeurs (exposition au soleil).
L’acquisition d’une mutation génétique au sein d’un type cellulaire composant un tissu (cellule souche, cellule progénétrice, cellule différenciée), qu’elle soit spontanée ou due à l’environnement n’est pas obligatoirement synonyme de cancer. On distingue en effet les mutations dites « driver » des mutations dites « passengers ». Une mutation « driver » va conférer un avantage sélectif directement ou indirectement à la cellule dans laquelle elle apparaît. Cette mutation va être à l’origine de la dérégulation d’un processus cellulaire particulier défini en fonction du gène au sein duquel elle est apparue, et va alors contribuer à l’initiation de la progression tumorale. Quant aux mutations dites « passengers », ce sont des mutations qui ne confèrent aucun avantage sélectif (Vogelstein et al., 2013).
Les mutations spontanées ou dues à l’environnement peuvent apparaître au sein d’un organe dans les cellules souches, les cellules progénitrices ou différenciées, qui le composent. La cellule ayant acquis des propriétés tumorales suite à l’acquisition d’une mutation est alors appelée cellule souche cancéreuse. Cette cellule est à l’origine de la maladie et initie la formation de la tumeur.
Les « cellules souches cancéreuses » peuvent apparaître après plusieurs mutations spontanées dans une cellule souche présente dans une « niche » de cellules souches au sein d’un tissu. Ces mutations peuvent également apparaître dans les cellules progénitrices ou dans des cellules différenciées. Ces cellules souches cancéreuses peuvent aussi apparaître suite à des mutations dans ces trois types cellulaires (souches, progénitrices, différenciées) sous l’influence de facteurs environnementaux (UV (exemple du mélanome), irradiation, carcinogènes, tabac…). Ces cellules souches cancéreuses sont à l’origine de l’initiation de la progression tumorale.
Un autre concept pourrait aussi expliquer la naissance des tumeurs non seulement à partir d’une cellule souche ou d’une cellule différenciée ayant acquis une ou plusieurs mutations mais à partir de la fusion de ces deux types cellulaires.
Autre mode d’acquisition de mutations : la fusion cellulaire
Au sein d’un tissu, les cellules différenciées qui le composent côtoient des « niches » ou « réservoirs » de cellules souches. Lors du développement et de la réparation tissulaire, les cellules souches et les cellules différenciées peuvent fusionner pour donner naissance à de nouvelles cellules différenciées. Or si une cellule souche et une cellule différenciée ayant acquis des mutations génétiques, l’une ou l’autre ou les deux, fusionnent, le mélange de leur matériel génétique altéré peut donner naissance à des clones cellulaires transformés (Bjerkvig et al., 2005).
Progression de la tumeur et hétérogénéité tumorale
Les tumeurs peuvent fréquemment évoluer vers ce qui est nommé l’hétérogénéité tumorale. On peut prendre l’exemple d’un tissu normal au sein duquel une cellule différenciée a accumulé des mutations et acquis des propriétés transformées. Cette cellule devient alors la cellule de départ qui est à l’origine de la formation de la tumeur pouvant donner naissance à de nouveaux clones.
Dans un tissu normal, une mutation A va apparaître dans une cellule. Si cette mutation est dite « driver » elle va permettre à la cellule de proliférer et de donner naissance à de nouvelles cellules. Si une mutation B apparaît au sein de cette première population, il peut alors y avoir des cellules porteuses de la mutation A, et des cellules porteuses à la fois de la mutation A mais aussi de la mutation B. Au cours de la progression tumorale, ces cellules qui présentent les mutations AB peuvent acquérir d’autres mutations que nous nommerons ici C et D. On distinguera alors des cellules porteuses des mutations A, B et C ou A, B et D. Dès lors, une tumeur peut être constituée de clones cellulaires provenant de la même cellule de départ mais ne présentant pas exactement les mêmes mutations génétiques. Il y aura alors des « régions » au sein d’une tumeur où l’on retrouve des altérations génétiques différentes (figure 3).
Cependant un autre cas de figure peut avoir lieu, la cellule d’origine au sein de laquelle est apparue la mutation A peut acquérir une mutation F. Cette seconde mutation peut conférer à la cellule la capacité à envahir tout l’organisme sous forme de métastases. Cette mutation F peut aussi bien apparaître dans les clones cellulaires, porteurs des mutations A et B. Mais elle peut aussi apparaître dans les cellules porteuses des mutations A, B, C ou A, B et D qui composent les deux « régions » de la tumeur (figure 3).
L’hétérogénéité tumorale peut représenter un problème majeur pour le traitement des cancers dans lesquels elle est présente. Si au sein d’une même tumeur une seule cible thérapeutique est prise en compte pour le traitement, mais qu’elle n’est pas exprimée dans la totalité des cellules composant la tumeur, cela peut aboutir à des phénomènes de résistance au traitement et des échecs thérapeutiques. C’est pourquoi la caractérisation des altérations moléculaires présentent au sein d’une tumeur est importante.
Les Caractéristiques du cancer
Six caractéristiques propres aux cellules cancéreuses ont été initialement proposées (Hanahan & Weinberg, 2000). Ces caractéristiques sont : l’indépendance vis-à-vis des signaux prolifératifs, l’échappement aux signaux suppresseurs de croissance, la capacité à envahir l’organe dans lequel la tumeur est apparue, puis le reste de l’organisme via les métastases, l’induction de l’angiogenèse, la résistance à la mort cellulaire (apoptose) et une capacité à proliférer de manière illimitée (Figure 4A). Une réflexion plus approfondie et les récentes recherches et découvertes sur le cancer ont permis de rajouter 4 autres caractéristiques que sont : la dérégulation des voies métaboliques (effet Warburg), l’instabilité génomique et les mutations génétiques, l’inflammation comme facteur promouvant la progression tumorale et enfin la capacité à échapper au système immunitaire (figure 4B), (Hanahan & Weinberg, 2011).
La compréhension des mécanismes impliqués dans la progression tumorale a permis de caractériser les différentes propriétés des cellules cancéreuses et ainsi de développer différents types de drogues spécifiques à chacune de ces propriétés. A l’heure actuelle, ces 10 caractéristiques propres au développement tumoral peuvent être ciblées par un traitement thérapeutique visant l’angiogenèse, l’inflammation, l’échappement à la mort cellulaire ou encore au système immunitaire.
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Table des matières
INTRODUCTION
Chapitre I : Le cancer
1.1 Epidémiologie
1.2 Les origines du cancer
1.2.1 Naissance des cellules clones cancéreuses
1.2.2 Progression de la tumeur et hétérogénéité tumorale
1.3 Les Caractéristiques du cancer
Chapitre II : Le Cancer de la vessie
2.1 La vessie : Anatomie et fonction
2.2 Epidémiologie
2.3 Facteurs de risques
2.3.1 Tabagisme
2.3.2 Facteurs génétiques
2.3.3 Facteurs environnementaux
2.4 Classification histopathologique des tumeurs de vessie
2.5 Origines des tumeurs de vessie
2.6 Voies de progression tumorales
2.6.1 Altérations moléculaires dans la voie des tumeurs papillaires
2.6.2 Altérations moléculaires dans le pathway des CIS
2.7 Classification des tumeurs de vessie : tumeurs luminales et basales
Chapitre III : RTK, structure, activation, voies de signalisation et cancer
3.1 Les récepteurs à activité Tyrosine Kinase (RTK)
3.1.1 Structures et modes d’activation des RTK
3.1.2 Activation des voies de signalisation par les RTKs
3.2 RTKs et cancers
3.2.1 voies de signalisation dérégulées dans le cancer
3.2.2 RTK, voies de signalisations et cancer
3.2.3 Traitements thérapeutiques ciblant les RTKs et leurs voies de signalisations
Chapitre IV : Les récepteurs FGFR : structure, activation, rôles dans le développement et le cancer
4.1 Structure et Activation
4.2 Rôles des récepteurs FGFR dans le développement osseux
4.3 Récepteurs FGFR et Cancers
4.3.1 Mutations, Surexpression et type tumoral
4.3.2 récepteurs FGFR et protéines de fusion
4.3.3 Mutations du récepteur FGFR3 et protéines de fusion
4.3.4 Altérations du gène FGFR3 et kératoses séborrhéiques
4.3.5 Altérations du gène FGFR3 et cancers hématologiques
4.3.6 Altérations du gène FGFR3 et cancer de la vessie
Chapitre V : Traitements thérapeutiques actuels pour les tumeurs de vessie
5.1 Traitements des tumeurs n’envahissant pas le muscle
5.2 Thérapies pour les tumeurs de vessie envahissant le muscle (T2-T4)
5.2.1 Tumeurs T2-T4 de phénotype basal-like et thérapie anti-EGFR
5.3 FGFR3 comme cible thérapeutique
5.3.1 Inhibition de l’activité de FGFR3 par un inhibiteur chimique
5.3.2 Inhibition de l’activité de FGFR3 par un anticorps : le R3mAb
CONCLUSION
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