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Naissance de la notion de personne de confiance
C’est aux États-Unis d’Amérique que pour la première fois on réfléchit à la possibilité pour une personne de déléguer son autorité à une personne secondaire dans le domaine du droit commun. Cette réflexion donne naissance au « durable power of attorney » ou procuration durable. Ce dispositif concernait initialement la délégation de gestion d’affaires de propriété par une personne principale majeure non frappée d’incapacité. Puis il a été étendu en 1954 aux situations d’incapacité de la personne principale. Il a ensuite été réactualisé par de nombreux États avant d’inclure au début des années 1990 le domaine des décisions de santé « durable power of attorney for health care » ou le « proxy » soit la personne de confiance (PC) (1).
En France, la réflexion sur le sujet nait au milieu des années 1990 avec la Charte des Patients Hospitalisés en 1995 (2) en faveur de l’information au patient et qui permet le partage de l’information avec les proches dans certaines situations. Ceci reflète l’évolution d’une médecine française paternaliste vers une autonomie du patient qui devient ainsi l’acteur principal de sa prise en charge en donnant son consentement pour les investigations, interventions chirurgicales ou traitements (3). Cette charte s’inscrit dans le prolongement de l’article 36 du Code de Déontologie Médicale (intégré au Code de la Santé Publique [CSP] depuis le décret n° 2004-802 du 29 avril 2004 devenant l’article R 4172-36 du CSP(4)) qui précise que lorsque « le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité. »
Puis en 1998 le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) (5), lors d’une étude sur le consentement éclairé et l’information des personnes, met en évidence des situations où l’état de santé entraîne une difficulté voire une impossibilité de consentir alors que des décisions médicales importantes doivent être prises. Consentir suppose deux compétences : pouvoir comprendre et pouvoir se déterminer. Il propose donc la désignation d’un représentant ou mandataire chargé d’être l’interlocuteur privilégié des médecins dans les situations où la personne est hors d’état d’exprimer elle-même ses choix, mais aussi d’aider au consentement pour les personnes en perte d’autonomie. Ainsi nait la personne de confiance en France.
La personne de confiance en France
« Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance qui peut être un parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consultée au cas où elle-même serait hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle rend compte de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur tout autre témoignage » non médical (6–8) et « si le malade le souhaite, la personne de confiance l’accompagne dans ses démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l’aider dans ses décisions » selon le CSP (6,9).
La PC est instituée en 2002 par la loi Kouchner (7) en réponse à l’avis du CCNE (5) et aux demandes de la société qui revendique le principe d’autonomie de la personne, le respect de sa dignité et de son individualité.
Ensuite la notion de PC est précisée pour les personnes en fin de vie en 2005 par la loi Leonetti (8).
Sa « désignation est faite par écrit » et est « révisable et révocable à tout moment » (6–8). Depuis la loi Claeys Leonetti de 2016 (9) cette désignation doit être « cosignée par la personne désignée » comme PC garantissant ainsi qu’elle accepte cette mission.
Au fil des années la notion de PC reste peu et mal connue des patients et des PC comme le montrent une étude menée au CHU de Nantes en 2008 (10) et une autre au CHU de Nancy en 2009 (11) dans lesquelles près de 50% des patients ignorent le dispositif légal de la PC, qu’ils ont estimé important ou très important après information (10). Selon une étude de l’Institut National d’Études Démographiques (12), menée en collaboration avec l’Observatoire National des Fins de Vie, seulement 38% des personnes décédées en 2009 avaient désigné une PC. En 2013 une étude menée dans des Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) du Sud-Ouest (13) retrouve que près de 40% des résidents ne connaissent pas le dispositif de la PC. En 2015, lors d’une étude menée par l’équipe de soins palliatifs du CHU de Rouen, Khetta et al (14) mettent en évidence que plus de 50% des patients hospitalisés et des PC ne connaissent pas les rôles conférés par le statut de PC.
Concernant les médecins, en 2003 lors d’une enquête menée par l’AP-HP de Paris (15), 80% des médecins disent connaitre la notion de PC mais seulement 60% des médecins connaissent la possibilité d’être désigné comme PC par leurs patients. Finalement 89% d’entre eux sont prêts à assurer cette mission, pourtant peu de patients, entre 1 et 10% selon les études, désignent leur médecin comme PC (10,15–18). Dix ans plus tard en 2014, le travail de Florine Levasseur (19) mené auprès des médecins généralistes de Haute-Normandie retrouve que 72% des médecins connaissent le dispositif de la PC, 60% ont connaissance de la possibilité d’être eux-mêmes désignés par un patient ce qui les questionne beaucoup et 16% l’ont déjà été. En 2016, une étude sur les représentations et connaissances de la PC et des directives anticipées (DA) des médecins généralistes exerçant en libéral en Drôme (20) et une autre menée chez les médecins généralistes en Ille et Vilaine sur la place du médecin traitant (MT) en tant que PC (21) retrouvent des chiffres similaires hormis une plus grande réticence à être PC d’un patient de la part des médecins.
De plus, un amalgame est trop souvent fait entre PC et personne à prévenir par les patients comme par les médecins. (10,14,16,22)
Devant ces constats de manque d’information et de connaissance de la PC, la loi a évolué. Nous sommes passés d’une simple obligation à proposer la désignation d’une PC en cas d’hospitalisation dans un établissement de santé (6–8) à l’obligation pour le médecin traitant de s’assurer que son patient soit « informé de la possibilité de désigner une PC et, le cas échéant, [de l’inviter] à procéder à une telle désignation » avec un devoir de conseil selon la loi Claeys Leonetti de 2016 (6,9). Ceci implique aussi une formation renforcée des professionnels (9). En effet en 2016, dans l’étude d’Agathe Aubry (23) menée sous forme d’entretiens collectifs avec des médecins généralistes de Normandie au sujet de leurs connaissances et de l’application de la loi Claeys Leonetti, « le discours des médecins révèle qu’ils n’ont qu’une connaissance approximative des dispositifs de personne de confiance » et des modalités de désignation si bien que « peu de médecins savent qu’ils peuvent, eux-mêmes, être désignés comme personne de confiance. » Le travail à faire en matière de formation et d’information des médecins reste donc important.
Le médecin traitant
Le médecin généraliste tel que défini par la World Organization of National Colleges, Academies and Academic Associations of General Practitioners / Family Physicians (WONCA) (24) est le médecin de famille et le MT du patient. Il développe «une approche centrée sur la personne dans ses dimensions individuelles, familiales, et communautaires » et il est le « défenseur du patient » avec lequel il « construit dans la durée une relation […] basée sur une communication appropriée […] la connaissance et la confiance engendrées par des contacts répétés. » Toutes ces caractéristiques font que la possibilité de désigner son MT comme PC prévue par la loi semble appropriée et correspondre aux attentes placées en leur PC par les patients : confiance, respect des choix, accompagnement dans le temps, stabilité, connaissances médicales entre autres choses. (21,22)
Pourtant le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) (25) adopte un tout autre avis voyant « mal comment le médecin traitant pourrait, dans son rôle habituel, être désigné comme personne de confiance de l’un de ses patients. »
La personne de confiance dans d’autres pays
A partir de la note méthodologique sur les DA de la Haute Autorité de Santé (HAS) (26) de 2016, qui s’est intéressée aux dispositifs type PC qui existent dans d’autre pays, nous pouvons faire la synthèse suivante.
Au Canada, la désignation d’un « exécuteur testamentaire biologique » est proposée dans onze États selon un dispositif assez similaire à ce qui peut exister aux États-Unis d’Amérique.
En Belgique, depuis une loi de 2002, le patient peut également désigner une PC au pouvoir représentatif.
En Angleterre et au Pays de Galle, le Mental Capacity Act instauré en 2005, complété par le Statutory Instrument de 2007, permet au patient de désigner une PC pour les soins de santé qui agit en son nom en ce qui concerne les soins et décisions de traitement selon les pouvoirs qui lui sont accordés par le patient : « lasting power of attorney. »
Depuis 2009, en Allemagne la loi prévoit que le patient désigne une PC qui peut attester des choix du patient en cas d’incapacité de ce dernier. A noter qu’en l’absence de PC, et en dehors de l’urgence, un représentant des droits du patient est requis par voie légale.
Au Luxembourg, la désignation d’une PC dans le cade des directives anticipées est prévue par la législation relative aux soins palliatifs, aux directives anticipées et à l’accompagnement de fin de vie en date de 2009.
C’est aussi en 2009 que la PC voit le jour en Suisse sous l’impulsion de l’Académie Suisse des Sciences Médicales reprise ensuite par la loi en 2013 sous forme de « représentant thérapeutique. »
Aux Pays-Bas, il n’existe pas de loi spécifique aux soins palliatifs mais une loi sur l’euthanasie date de 2002 et on retrouve là aussi un représentant thérapeutique.
A ce point de notre travail nous nous sommes donc demandé s’il existait dans la littérature internationale des données objectives sur la possibilité d’être MT et PC d’un patient.
MÉTHODES
Revue de littérature
Au vu de l’existence antérieure de dispositifs similaires à celui de la PC dans d’autres pays, nous avons décidé de réaliser une revue de littérature internationale narrative depuis 1990. Le choix de limiter la recherche aux publications à partir de 1990 a été décidé du fait que la notion de PC est introduite officiellement dans les lois pour la première fois au monde aux États-Unis en 1990.
Bases de données
Du fait des différents domaines sous-tendus par ce questionnement : médical, juridique, éthique, psychologique et sociologique nous avons décidé d’interroger les bases de données du :
– domaine médical : PubMed
– domaine psychologique (bases sélectionnées avec l’aide des bibliothécaires de la faculté de Médecine et Pharmacie de Rouen) : PsyArticles et Psychology and Behavioral Sciences Collection
– domaine sociologique (base choisie avec l’aide des bibliothécaires de la faculté de Médecine et Pharmacie de Rouen aussi) : SocIndex
– domaine éthique : Ethicsweb
– domaine juridique (bases de données exclusivement françaises du fait de la législation propre à chaque État, sélectionnées avec l’aide des bibliothécaires de la faculté de Droit, Sciences Économiques et Gestion de Rouen pour interroger les fonds de littérature juridique et de jurisprudence) : Dalloz, Juricaf, JurisClasseur Lexis 360, Lamyline, Lextenso et Le Doctrinal Plus
Mots clés
Les mots clés en Français
De manière logique les termes choisis sont : personne de confiance et médecin, qui englobe la notion de « médecin traitant ».
Les mots clés en Anglais
La traduction littérale de personne de confiance en anglais : « the person of trust » ou « trusted person » s’est avérée inappropriée pour la littérature anglophone car finalement la personne de confiance relève davantage d’un concept. Après recherche et lecture, les mots clés en anglais retenus sont : surrogate decision maker, proxy decision maker et health care proxy.
Les autres mots clés sont : doctor et physician.
Équations de recherche
Les recherches ont été réalisées entre le 27/01 et le 08/02/2018 sur les bases de données, citées ci-avant, selon les équations sous-décrites.
PubMed
-Recherche n°1 : proxy decision maker OR surrogate decision maker AND doctor avec application des filtres de langue (Anglais et Français uniquement) et de date (1990-2018)
-Recherche n°2 : « health care proxy » AND doctor avec application des filtres de langue (Anglais et Français uniquement) et de date (1990-2018)
Cette seconde équation a été recherchée, pour optimiser l’interrogation de PubMed, car l’expression « health care proxy » est apparue dans les premiers résultats.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. Naissance de la notion de personne de confiance
2. La personne de confiance en France
3. Le médecin traitant
4. La personne de confiance dans d’autres pays
MÉTHODES
1. Revue de littérature
2. Bases de données
3. Mots clés
a) Les mots clés en Français
b) Les mots clés en Anglais
4. Équations de recherche
a) PubMed
b) PsyArticles
c) Psychology and Behavioral Sciences Collection
d) SocIndex
e) Ethicsweb
f) Lextenso
g) Dalloz
h) Juricaf
i) Lamilyne
j) Jurisclasseur Lexis 360
k) Le Doctrinal Plus
5. Critères d’inclusion
6. Critères d’exclusion
7. Grille de lecture
RÉSULTATS
1. Résultats des recherches et inclusion
2. Le médecin traitant peut être la personne de confiance de son patient
a) Prise en charge du patient dans sa globalité bio-psycho-sociale
b) Relation médecin-patient longue dans le temps
c) Relation de confiance entre le patient et son médecin
d) Respect du choix autonome du patient
e) Marge de manoeuvre dans la prise de décisions
f) Protection du patient face aux conflits avec ses proches
g) Devoir éthique de suivre les intérêts supérieurs du patient
h) Situation du patient hospitalisé
i) Communication facilitée avec les autres professionnels de santé
j) Implication émotionnelle moindre
3. Le médecin traitant ne peut pas être personne de confiance de son patient ou avec certaines limites
a) Difficulté d’être juge et partie
b) Conflits de valeurs
c) Conflits d’intérêts
d) Conflit avec la juste répartition des ressources limitées
e) Risque de paternalisme médical
f) Asymétrie de connaissances et de vulnérabilité
g) Incapacité du patient à exprimer ses préférences actée par la même personne choisie pour défendre ses préférenc
h) Peur du conflit avec les proches
i) Faible prédiction des voeux du patient
j) Impact émotionnel négatif pour le médecin
k) Nomadisme médical et manque de disponibilité des médecins
l) Limitation dans le cadre de la recherche biomédicale
m) Risques pour la société
n) Le médecin est déjà le conseiller du patient
4. Entre respecter la liberté de choix du patient et limiter les risques
a) Être juge et partie
b) Limiter les conflits de valeurs
c) Contrôler les conflits d’intérêts financiers et en général
d) Gérer le conflit avec la juste répartition des ressources limitées
e) Lutter contre le paternalisme médical
f) Reconnaitre l’asymétrie de connaissance et de vulnérabilité
g) Déterminer l’incapacité du patient à s’exprimer
h) Améliorer la prédiction des voeux du patient
i) Évaluer le possible impact émotionnel négatif sur le médecin
j) Encadrer le consentement pour la recherche biomédicale
k) Préserver la société, le patient et le médecin
l) Respecter six principes clés
5. Synthèse des résultats
DISCUSSION
1. Limites et biais
a) Observateur unique
b) Choix arbitraire des bases de données et des mots clés
c) Les références étudiées
d) Différences légales entre les États
2. Points forts
a) Sujet original
b) Exploration de différents domaines
c) Implications pratiques
3. Discussion des résultats et de leur application à la situation française
a) Différences en matière de lois
b) Relation entre le médecin traitant et le patient
c) Les différents conflits
d) La fin du paternalisme médical
e) Impact émotionnel négatif pour le médecin
f) Le cas du patient hospitalisé
g) La solution d’accompagnement de la personne de confiance par le médecin traitant
h) La proposition de contrôle par une tierce personne
i) Entre danger concret et dangers hypothétiques
CONCLUSION
ANNEXES
Annexe n° 1 : Grille de lecture
Annexe n°2 : Tableau synthétique des informations générales et spécifiques des références
Annexe n°3 : Résumé des analyses
BIBLIOGRAPHIE
RÉSUMÉ
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