Mythe et quête des origines

MYTHE ET QUETE DES ORIGINES

Ce qui semble caractériser toutes les civilisations, c’est que chacune d’elles «surgissait » à l’existence, aussi nécessairement que l’est toute existence singulière. Or, si cette existence nécessaire participe au procès de mise en forme de toute société, en cela que l’organisation sociale ne se pose pas toujours la question de la rationalité civilisationnelle, sur le plan individuel par contre, la compréhension des schémas de pensée et même des pratiques sociétales ne sont pas toujours comprises aussi rationnellement que l’auraient souhaité les sociétés qui engendrent les individus.

Et d’abord, toute société, toute civilisation a besoin, ne serait-ce que de manière formelle, d’apparaître cohérente à ses membres. Ce préalable nous semble déterminant pour fonder en valeur les pratiques individuelles, et audelà, toute l’organisation sociale. Ensuite, la dure réalité existentielle apparaît parfois insoutenable ; parce que l’existence murmure toujours comme une immense erreur : soit parce qu’elle n’est pas ce qu’elle aurait dû être, soit parce qu’elle est la conséquence d’une chute, d’un péché. En tout état de cause, que nous nous situions sur le plan temporel ou religieux, le constat est le même : l’homme ne peut prendre en charge son histoire qu’en la référant à un moment hors du temps et de l’espace, un moment qui se situe au-delà de l’histoire.

Si l’homme éprouve le besoin de se référer à cet illo tempore, c’est parce que l’histoire ne fonctionne pas de manière autotélique quant à la détermination de son sens. Nous pouvons donc dire que toute histoire ne peut se faire rationnelle qu’en se fondant sur une forme d’extase temporelle qui lui garantisse cette rationalité même.

Enfin, si les civilisations ont besoin de recourir à cette forme « anhistorique », c’est parce qu’il est possible d’établir une équivalence entre la quête de l’origine et la quête identitaire. De toute manière, l’histoire a besoin de se justifier. Elle a besoin de s’ériger comme une nécessité face aux consciences singulières. Cela participe même de la cohésion sociale, de l’harmonie communautaire ; et cela n’est possible que lorsque chaque membre, et tous à la fois, se réfèrent aux mêmes schémes culturels qui façonnent ce qu’on pourrait appeler la conscience collective. Comme on peut le voir donc, le recours à l’en-deçà de l’histoire supplée une déficience de celle ci, incapable en son sein de s’auto-justifier : Il faut donc sortir de l’histoire pour la voir naître. Il s’agit maintenant, à cet instant précis, puisque la nécessité de cerner cette histoire au-delà de l’histoire se fait jour, de voir ce que renferme ce moment hautement important de la vie des civilisations ; mais Il s’agit aussi, d’examiner son rapport à l’histoire humaine. En d’autres termes, de voir comment le mythe « se sauve » en imprégnant, en imbibant nos réalités quotidiennes ; mais aussi, en accédant à la rationalité, à la fois par son mode d’être et par son mode d’expression. Nous tenterons, enfin, d’en comprendre la structure, à travers l’examen du mythe adamique, non parce qu’il est le premier auquel l’histoire se réfère, mais parce qu’il constitue pour nous, le réfèrent le plus universel, en cela qu’il engage plus de la moitié de l’humanité, ne serait-ce qu’à ce titre de garantie pour la foi.  Toutes les religions dites révélées font remonter l’origine du monde à Dieu. Et si Dieu appelle à l’existence toutes choses, c’est pour disposer toutes ces choses pour l’homme – Adam.

Mais ce texte ne nous paraît pas seulement important à ce titre pour notre étude. Il est vrai, que pour nous aussi, l’acte de foi permet de lui garantir une certaine logique interne, logique sans laquelle, aucun mythe ne peut être compréhensible. Nous n’occulterons donc pas le phénomène religieux inscrit à l’intérieur de ce texte fondateur qu’est la Genèse. En tout état de cause, il s’agira d’examiner la structure de ce texte et de voir, en quoi ses éléments constitutifs renvoient à une nature universelle de l’homme. Il s’agira enfin, de voir dans le texte de Rousseau, en l’occurrence le Second Discours, les différents « mythèmes » (ensemble d’éléments ou de situations renvoyant au mythe).

LE MYTHE : ESSAI DEFINITIONNEL

Aujourd’hui, s’interroger sur l’être du mythe peut apparaître inopportun, voire incongru. Elle est d’autant moins pertinente ,une telle question, que le langage courant nous a habitués à examiner cette notion sans nous donner la peine de percer l’œil du concept et de creuser jusqu’à la racine. Or, revêtir le manteau de la philosophie, c’est bien avant tout se départir de toute considération « populiste ». Non parce que le philosophe est hors du temps, et donc de son époque ; mais parce qu’il est du devoir de la philosophie de travailler aux « marges » de l’opinion et du sens commun.

Voilà pourquoi, avant d’arriver à l’examen des textes, il est peut-être nécessaire de faire un déblayage conceptuel pour mieux se mettre en face de notre objet. Mais qu’est-ce que donc le mythe ?

La définition la plus courante, et que nous trouvons dans nos dictionnaires usuels est celle qui apparente le mythe à tout ce qui n’est pas réel. Et c’est celle-là même que nous retrouvons au sens 3 du Littré : « Familièrement, le mythe, dit-il, est ce qui n’a pas d’existence réelle ». Définition tout de même très sommaire et générique, dans la mesure où elle englobe à la fois l’idée de rêve. Or cette manière de considérer le mythe exclut de son champ, a contrario, tout ce qui peut être perçu par nos sens. Le mythe est dans ce cas contraire à tout ce qui est palpable ; donc, à l’histoire. L’on comprend dès lors pourquoi nous ne nous attarderons pas sur une telle conception. L’une de nos hypothèses de travail dans l’analyse de cette notion, c’est que, justement, tout mythe est en relation avec l’histoire ; en conséquence, avec la réalité. A cette définition familière, le Littré ajoute : « particulièrement, le mythe est un récit relatif à des temps ou à des faits que l’histoire n’éclaire pas, et contenant soit un fait réel transformé en notion religieuse, soit l’invention d’un fait à l’aide d’idée. Le mythe est un trait fabuleux qui concerne les divinités ou des personnages qui ne sont que des divinités défigurées ». Certes, cette deuxième définition ne balaie pas tous les contours du concept. Cependant, elle l’éclaire à deux titres au moins. Et d’abord, la relation du mythe à l’homme est clairement manifestée, en cela qu’il rend compte de « faits que l’histoire n’éclaire pas ». Cela veut dire qu’il existe des données historiques qui ne peuvent pas être prises en charge par elle. Ici, comme nous l’avons déjà souligné, le mythe a pour fonction de rendre intelligible l’histoire, c’est-à dire en justifiant les phénomènes historiques qu’elle engendre. Ensuite, nous pouvons retenir par rapport à cette définition que le mythe renferme une dimension religieuse : « Le mythe est un trait fabuleux qui concerne des divinités ou des personnages qui ne sont que des divinités défigurées ». Si nous parcourons les grands mythes fondateurs, nous nous rendons compte combien le fait religieux traverse de part en part les sociétés humaines ; mais surtout, combien il détermine les relations interindividuelles à l’intérieur de ces sociétés. Le texte de la Genèse que nous tenterons d’analyser est plus qu’édifiant. L’histoire de nos civilisations est une histoire religieuse. Que le monde soit l’œuvre d’un démiurge ou d’un Dieu, cela n’a aucune importance à nos yeux. Ce qui est fondamental, par rapport à la question du mythe, c’est faire apparaître cette nécessaire relation de l’histoire à quelque chose qui en serait l’origine. En conséquence, si nous voulons comprendre l’histoire, nous devons aussi être à même d’avoir un regard régressif sur cette catégorie à partir de laquelle elle prend sens, donc devient intelligible à elle-même. Bien sûr, il y a une nécessaire relation de l’histoire à ce « hors-temps ». Cependant, nous ne voulons pas signifier par là que la seule manière pour l’histoire de se prendre en charge soit  la référence au mythe. Il nous plaît ici de revenir sur les autres modes de prise en charge des sociétés qui sont le conte d’une part ; et de l’autre, la légende. Le professeur Mamoussé Diagne est revenu de manière exhaustive sur ces deux aspects dans sa Critique de la raison orale ; notamment dans la 3ème partie consacrée justement au « hors-temps ». Qu’il veuille bien nous permettre de reprendre pour notre compte la distinction qu’il a établie, d’une part, entre conte et mythe ; de l’autre, entre légende et mythe. En substance, nous retenons que le conte apparaît comme étant une manifestation sociale du mythe, du moins, tel qu’il se donne par rapport au signifiant- Le signifié relevant pour notre part toujours de l’abstrait- . Ce que nous voulons dire par là, c’est qu’il se décline toujours sous l’angle pédagogique. Ainsi, le conte est-il, pour reprendre Christianne Seydou citée par M. Diagne «comme l’avatar populaire – et pédagogique – des mythes. ». Telle est aussi la signification de Kaïdara faite à Hammadi à la fin de son parcours initiatique : « Retiens bien ce que tu viens d’apprendre et transmetslle de bouche à oreille jusqu’à tes petits enfants. Fais- en un conte pour les héritiers de ton pouvoir. Enseigne-le à ceux dont les oreilles bienheureuses se fixent sur une tête agréable et chanceuse. » A la puissante analyse du professeur Diagne, nous voudrions, humblement, ajouter quelques remarques qui nous permettrons de conclure sur cette fonction pédagogique du conte dont nous venons de parler.

La première, c’est que le texte de Kaïdara ne se donne pas dans un ordre logique. En conséquence, il faudrait le lire à l’envers pour en saisir le sens. Les différentes injonctions du texte se présentent de façon anachronique et c’est cela qui lui donne un caractère « initiatique ». L’initiation est en effet le processus à travers lequel l’apparence bariolée des choses se mue en leur sens nocturne. En conséquence pour découvrir l’ « or caché » dans les haillons du gueux, il fallait attendre que la nuit se donnât dans sa plénitude, et que toutes choses redevinssent elles-mêmes. Mais, pour y parvenir, aussi bien le conteurinitiateur que celui à qui le récit est destiné, se mettent en scène et revêtent des « habits sacerdotaux ».

C’est en réalité cette formidable mise en scène que l’on peut constater au moment où Kaïdara se met à dévoiler les différents signes que Hammadi a rencontrés au pays des nains. Le jaillissement lumineux après chaque dévoilement vient, à la fois, signifier l’accès à la connaissance-sagesse ; mais surtout, l’intersubjectivité qui est cette volonté d’osmose entre le « je » et le « tu ». C’est à cette seule condition d’ailleurs que la narratologie, l’étude scientifique du récit devient possible .

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Table des matières

Introduction
Première partie : Mythe et quête des origines
A. Le mythe : Essai définitionnel
B. Le sacré et le profane
C. Le mythe dans le Second Discours
Deuxième partie : La Genèse : Essai d’interprétation des symboles
A. Symbolisme du mythe de la chute
B. Le récit « yahviste »
Troisième partie : histoire, décadence
A. La question de l’histoire
B. Histoire comme clôture
C. Histoire : quand les masques parlent
Conclusion
Bibliographie

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