Pathogénicité
Etant donné la faible pathogénicité des mycétomes pour que ceux-ci parviennent à se développer chez l’hôte, il semble que celui ci devrait présenter une réceptivité particulière. Peu de travaux ont été effectués sur ce sujet et c’est plutôt à la suite d’observations et de constatations que l’on peut avancer quelques hypothèses. L’homme est plus fréquemment atteint que la femme par la maladie. En se basant sur l es études épidémiologiques déjà effectuées dans les zones d’endémie, 70-80% d es malades sont des hommes et 20-30% des femmes [83;84]. Cependant des différences sont à noter : aux Indes 6 femmes sur 17 cas [111], au Tchad 3 femmes sur 24 cas [11] et en Somalie 1 femme sur 14 cas [35]. L’enfant serait-il comme la femme relativement immun vis-à-vis de la maladie ? En effet les mycétomes sont des affections principalement de l’adulte ; l’enfant de moins de 10 a ns est pratiquement indemne [83;84;70]. La sensibilité de l’adolescent serait également relativement faible. Cependant on a noté au Soudan [1] que l’enfant de 0 à 10ans est très souvent infecté et que l’adolescent de 10 à 20 ans serait autant atteint que l’adulte. Il y a eu très peu de travaux s’intéressant au statut immunologique des patients ayant un mycétome. Les deux principales études portant sur cet aspect de l’infection ont des résultats contradictoires. La première, réalisée par Mahgoub et al, a mis en évidence une atteinte des réponses liées aux lymphocytes T chez ce type de patients [62]. Les anomalies les plus marquées étaient retrouvées chez les sujets ayant les formes les plus extensives, ou chez ceux ne répondant pas au traitement. A l’inverse, en Arabie Saoudite, une étude ultérieure n’a pas retrouvé de dysfonctionnement des lymphocytes T dans cette pathologie [17]. Les anomalies retrouvées dans la première étude pourraient être secondaires. Il existe probablement des facteurs individuels qui ne sont pas connus. En faveur de cette hypothèse, on i nvoque la très grande fréquence des traumatismes susceptibles d’être infectants dans les populations des régions d’endémie, qui contraste avec la relative rareté de cette infection. En dehors des zones endémiques, il y a eu quelques observations de mycétomes survenant chez des sujets ayant une maladie sous-jacente, diabète ou déficit de l’immunité [102;139]. Des espèces fongiques rarement mises en cause dans cette pathologie étaient isolées, comme Aspergillus flavus ou Exophiala jeanselmei. Un traumatisme initial de la peau est généralement admis comme étant à l’origine du m ycétome en permettant l’introduction de l’agent pathogène d’origine exogène. Ces traumatismes sont très divers mais en Afrique les blessures par épines dans les régions de la savane dite « armée » sont évoquées [117]. D’autres traumatismes par outil, pierre, morsure ou piqûre d’animal ont également été incriminés [40]. Dans les régions tropicales où les gens marchent avec des sandales, la localisation de la lésion au pied est de loin la plus fréquente en particulier en Afrique (environ 90% des lésions) ou tout au moins aux membres inférieurs 75% dans la statistique de Latapi au Mexique [70]. Dans ce dernier pays, les mycétomes du dos ne sont pas rares (10%) et expliqués par une habitude particulière de portage. Les autres localisations beaucoup plus rares, montrent que les mycétomes peuvent s’implanter dans n’importe quelle région du tissu sous-cutané. Le mycétome reste une lésion localisée qui a peu tendance à se disséminer ; cependant celles-ci peuvent se manifester par dissémination lymphatique aux ganglions satellites en particulier quand l’agent responsable est Nocardia pelletieri. Mais l’existence de mycétomes profonds non fistulisés[1] pourrait remettre en question la porte d’entrée du germe par traumatisme cutané
Atteintes des membres inférieurs
L’atteinte du pied est la plus fréquente, ceci a été observé dans les séries provenant des pays d’endémie excepté le Mexique où la localisation podale ne vient pas en première position [38]. En effet au Mexique ce sont les mycétomes à localisation thoracique qui sont les plus fréquents. Plusieurs types topographiques ont été décrits au niveau du pied [109]. Les localisations aux orteils sont de pronostic favorable lorsqu’il n’y a pas eu d’extension à l’avant-pied. Les mycétomes du dos du pied sont également de pronostic favorable car l’envahissement osseux est tardif. Ce sont ceux de la semelle plantaire, diffus, profonds, à atteinte osseuse rapide, qui sont les plus graves. Au stade avancé, le diagnostic est facile : la tumeur écarte les orteils, l’appui n’est plus possible en raison d’une voussure plantaire. Au stade ultime est réalisé le tableau historique de « pied de Madura » avec atteinte globale du pied. Le malade devient un infirme avec une impotence fonctionnelle plus ou moins marquée. L’atteinte de cheville est la plus extensive, c’est elle qui a le pronostic le plus réservé. La migration des grains est précoce, suivant les gaines vasculo-nerveuses. Les localisations à la jambe et à la cuisse ont une extension superficielle, étendue, il en est de même à l’avant-bras et au bras. Il existe une tendance à l’enkystement au niveau du genou, du coude et de la fesse. Pour cette dernière, deux types devraient être distingués et ceci au double plan étiologique et thérapeutique : le mycétome fongique à grain noir et le mycétome actinomycosique à grain rouge [38 ; 122]. Les atteintes de l’aine sont le plus souvent secondaires, à une atteinte du pied ou à une lésion de proximité, elles peuvent évoluer pour l eur propre compte. L’atteinte primitive de l’aine est exceptionnelle. Il peut y avoir envahissement au périnée, le pronostic est alors redoutable
Evolution de l’infection
L’évolution d’un mycétome se fait plus ou moins inéluctablement vers des complications qui doivent être recherchées systématiquement. La principale est l’atteinte osseuse [38]. Cependant, pour certains auteurs [123] l’atteinte osseuse peut être primitive et procéderait d’une inoculation directe, mais cette thèse se voit très controversée. Les atteintes ganglionnaires sont surtout inguinocrurales en raison de l’atteinte préférentielle du pied. Il faudra distinguer une inflammation non spécifique d’une métastase ganglionnaire qui risque d’évoluer pour son propre compte. Celle-ci est reconnue facilement s’il y a fistulisation avec émission de grains. La fréquence des métastases ganglionnaires varie suivant les séries, elle est probablement sous-estimée. Au Niger, dans une série de 133 patients, une métastase ganglionnaire affirmée par l’histologie était retrouvée chez 9 des 17 malades ayant eu une biopsie ganglionnaire [36]. Ce sont les actinomycètes qui sont les plus souvent en cause, et en particulier Actinomadura pelletieri et Streptomyces somaliensis, probablement en raison de la petite taille de leurs grains. La surinfection bactérienne était considérée comme rare par certains auteurs, mais au Soudan, il a été retrouvé ultérieurement une prévalence élevée de cette complication, surtout en cas de mycétomes fongiques [5]. La surinfection est à l’origine de douleurs, de phagédénisme. Elle augmente l’invalidité et peut être la porte d’entrée de septicémies. Parmi les autres complications, il faut citer l’éléphantiasis d’un membre, les compressions vasculaires et neurologiques, l’envahissement viscéral à partir de l’aine, de la paroi abdominale ou thoracique. Les évolutions mortelles sont exceptionnelles, elles sont dues à des envahissements locaux [39] ou viscéraux. La présence de grains dans différents organes : pancréas, rein, foie, a pu être constatée par l’autopsie d’un patient ayant un mycétome à grains rouges de la paroi abdominale ayant diffusé
CONCLUSION
Les mycétomes se présentent généralement sous forme de tuméfactions polyfistulisées qui émettent des grains. Ils atteignent le tissu sous-cutané et logent préférentiellement au niveau du pied. Ce s ont des affections relativement fréquentes au Sénégal et dont la prise en charge pose problème. Les mycétomes ont une évolution chronique et sont souvent découverts à un stade avancé ne permettant que difficilement d’éviter des complications et un traitement à caractère mutilant. Par ailleurs les agents de mycétomes sont difficilement identifiables par les méthodes de diagnostic dont on dispose dans le pays (analyse mycologique et anatomopathologie). En outre cette maladie est difficile à traiter surtout les eumycétomes. Les antifongiques utilisés jusqu’ici n’ont montré qu’une efficacité limitée. Partant de tous ces constats, nous avons voulu faire une étude sur les mycétomes dans le but de déterminer leur distribution géographique au Sénégal et d’identifier les principaux agents responsables. Notre étude a été à la fois rétrospective et prospective. Sachant que l’existence de cette maladie est intimement liée au climat et dans le souci de ne pas fausser notre cartographie des mycétomes au Sénégal, nous n’avons répertorié que les cas dont l’origine géographique était notée dans les registres. D’autre part nous avons procédé à une analyse mycologique et à un interrogatoire pour les malades de l’étude prospective. Cet interrogatoire s’est fait sur la base d’un protocole et nous a permis d’analyser différents aspects épidémiologiques de la maladie. Nous avons eu un effectif de 113 patients dont 27 cas enregistrés durant la période prospective. L’âge de nos patients était compris entre 13 et 73 ans et ils étaient majoritairement (79,6%) de sexe masculin. Les cultivateurs, les ménagères et les éleveurs étaient les plus représentés. Les patients provenaient du Sénégal (101 cas), mais aussi de la Mauritanie et du Mali. Au Sénégal les régions de Saint-Louis, Louga, Thiès et Diourbel ont enregistré le plus grand nombre de patients. Les lésions étaient principalement localisées au niveau du pied. Les agents étaient fongiques dans 70,3% des cas. Madurella mycetomatis et Actinomadura pelletieri étaient les principaux agents identifiés. Les mycétomes à grains noirs ont été plutôt retrouvés dans le Nord du pays tandis que les grains rouges étaient localisés au centre du pays. Après analyse de nos résultats, on a pu dire que les problèmes liés à cette maladie sont la résultante du retard de la consultation dans les structures sanitaires spécialisées. L’absence de manifestations douloureuses au début de la maladie et les conditions sociales dans ces contrées sont les principales raisons de ce retard. Les mycétomes sont une pathologie méconnue des populations et parfois même des agents de santé en milieu rural. Les agents de santé locaux ne sont pas entrainés pour diagnostiquer et traiter les mycétomes. Les tradipraticiens, à qui les malades ont souvent recours, pensent à un maraboutage qui n’est surement pas du ressort de l’hôpital. Le déplacement pour un traitement dans les hôpitaux urbains constitue une charge financière assez lourde pour ces populations démunies. Ainsi, vu le stade auquel les malades nous parviennent, un acte chirurgical est souvent inévitable et l’amputation est parfois la seule alternative. En plus, en tenant compte de la fréquence des récidives observées pour cette maladie même après un acte chirurgical, il y a tout lieu de croire qu’il n’y a pas une observance du traitement médicamenteux. Les antimycotiques utilisés dans le traitement des mycétomes fongiques n’ont pas montré une capacité à guérir ces derniers. Les praticiens sont ainsi confrontés à beaucoup de difficultés dans la prise en charge des mycétomes. Un diagnostic précoce et une prévention nous semblent plus adaptés, pour le moment, pour contrecarrer cette maladie. En cela une sensibilisation pour les ruraux et une meilleure formation des agents de santé seraient plus que nécessaire. Les autorités sanitaires du pays devraient s’impliquer à freiner cette maladie. Ils pourraient en effet prendre en charge ou au moins subventionner le traitement, et dans cette lancée aider à la recherche dans ce domaine. Cette recherche pourrait s’axer sur la découverte de nouvelles molécules auxquelles les agents seraient plus sensibles et sur la mise au point de techniques de diagnostic plus précises comme la PCR. On pourrait par la même occasion mettre en place l’antifongigramme.
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : GENERALITES SUR LES MYCETOMES
I-1HISTORIQUE
I-2 EPIDEMIOLOGIE
I-2-1 Agents pathogènes
I-2-1-1 Classification
I-2-1- 2 Habitat
I-2-1-3 Morphologie des grains
I-2-1-4 Culture
I-2-1-5 Pouvoir pathogène expérimental
I-2-1-6 Pathogénicité
I-2-2 Modes de contamination
I-2-3 Réservoirs de parasite
I-2-4 Facteurs favorisants
I-2-5 Répartition géographique
I-3 PHYSIOPATHOLOGIE
I-3-1 Aspects macroscopiques des lésions
I-3-2 Aspects microscopiques des lésions
I-4 CLINIQUE
I-4-1 Atteintes des membres inférieurs
I-4-2 Atteintes du tronc et des membres supérieurs
I-4-3 Autres atteintes
I-4-4 Evolution de l’infection
I-5 DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE
I-5-1 Diagnostic mycologique
I-5-2 Diagnostic sérologique
I-5-3 Diagnostic moléculaire
I-5-4 Diagnostic histologique
I-5-5 Diagnostic radiologique
I-6 TRAITEMENT
I-6 -1 But
I-6-2 Moyens
I-6-2-1 Moyens médicamenteux
I-6-2-2 Moyens chirurgicaux
I-6-3 Indications du traitement
I-6-3-1 Traitement des eumycétomes
I-6-3-2 Traitement des actinomycétomes
I-6-4 Résultats du traitement
I-6-5 Suivi thérapeutique
I-7 PROPHYLAXIE
CHAPITRE II : MATERIELS ET METHODES
II-1 CADRE D’ETUDE
II-2 MATERIELS
II-2-1Liste du matériel
II-2-2 Composition et rôle des réactifs
II-2-3 Milieux de culture
II-3 METHDOLOGIE
II-3-1 Patients
II-3-2 Analyse mycologique
II-3-2-1 Prélèvement
II-3-2-2 Examen direct
II-3-2-3 Culture
II-3-2-4 Identification des agents pathogènes
II-3-3Analyse statistique
CHAPITRE III: RESULTATS
III-1 POPULATION D’ETUDE
III-1-1 Répartition par rapport à l’âge
III-1-2 Répartition par rapport au sexe
III-1-3 Répartition par rapport à la profession
III-2 REPARTITION GEOGRAPHIQUE
III-3 LOCALISATION DES ATTEINTES
III-4 ESPECES IDENTIFIEES
CHAPITRE IV : DISCUSSION
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES
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