Entre 1960 et 1970, des genres musicaux nouveaux y apparaissent comme le fruit du mélange entre un fonds local, riche et varié et diverses influences étrangères, en particulier françaises. Ce phénomène qualifié d’acculturation peut aussi être décrit comme une hybridation culturelle. La notion d’acculturation suppose une certaine domination culturelle qui place la culture musicale malgache dans une position de subalterne au sein d’une hiérarchie . Celle d’hybridation à l’inverse peut aussi signifier mélange subtil dans lequel cette culture malgache, bien au contraire, montre sa vitalité et sa capacité à s’adapter . Tout au long de ce mémoire, nous allons garder l’expression « hybridation culturelle » car elle reflète le cas de Madagascar dans le domaine musical, objet de notre réflexion. C’est là une des facettes du problème que nous allons tenter d’aborder à travers l’évocation d’un genre musical, le yéyé et de ses dérivés dont la pop musique et le rock qui ont fait fureur durant les années soixante et qui ont connu une diffusion de masse sans précédent grâce aux moyens modernes. Ceux-ci permettent de reproduire la musique à volonté et de la jouer dans des conditions différentes et inédites.
L’hybridation culturelle qui a produit la musique et qui a marqué cette jeunesse, mérite notre attention. Car elle révèle de nombreux et nouveaux domaines dans la société malgache comme les loisirs et la mode. Ceux-ci interpellent essentiellement les jeunes, éléments de plus en plus importants de la société malgache et pour qui peu de place a été proposée entre 1958 et 1970. Certains de ces domaines vont progressivement devenir un espace d’expression des jeunes citadins essentiellement, mais que les ruraux verront comme modèles. Ainsi, les filles du monde rural cherchent à se procurer d’abord des habits à la mode, des parures et des ustensiles de cuisine et des meubles à l’instar de leurs consœurs du monde urbain. De même si pour les garçons, les bœufs ainsi que la charrue restent les biens les plus importants à acquérir ; de plus en plus ils souhaitent posséder des vêtements à la mode et des objets modernes liés aux loisirs tels les postes de radio, les instruments de musique et la montre. Ceci dévoile leur désir d’entrer dans le temps du monde technique . Les jeunes ruraux, filles et garçons, sont tous attirés par la modernité de la vie citadine même s’ils tiennent à un certain mode de vie rurale. Le résultat est une certaine hybridation.
La musique yéyé née en France et transposée à Madagascar est aussi le fruit de cette hybridation culturelle, nous l’évoquerons à travers la carrière des Surfs et des Voanio ainsi que des artistes qui ont gravité dans cette sphère. Les Surfs, originaires de la capitale, furent le premier groupe vocal d’origine malgache à avoir une carrière internationale. A l’inverse, les Voanio, issus de Tamatave, la deuxième ville malgache, furent surtout connus à Madagascar.
Ces groupes, à l’instar de leurs équivalents en France, ont été des modèles pour une partie de la jeunesse. Leur époque les qualifia d’idole, titre d’une œuvre d’un célèbre chanteur de cette génération . Ils propagèrent des valeurs qui transgressent les frontières nationales. Un jeune qu’il soit de Tokyo, de New York, de Paris ou de Tananarive se reconnaît comme faisant partie d’un monde particulier à travers des codes vestimentaires et musicaux spécifiques même si le mercantilisme en tira rapidement profit. A Madagascar, ce sont des citadins issus d’une classe sociale montante, les classes moyennes. Ils disposent d’un budget de plus en plus important destiné aux loisirs , ce qui leur permet d’accéder à ces objet qui caractérisent l’espace planetaire des jeunes. Un tel comportement est facteur de changement pour leur pays d’enracinement.
Ce point nous a amenée à aborder la question des liens entre musique et société durant la première décennie de l’indépendance de Madagascar. Nous fûmes alors amenée à nous pencher sur la société malgache depuis la naissance de la première République en 1958. Nous nous arrêtons en 1972 qui correspond à la fin de la Première République mais aussi à la disparition du yéyé. Celui ci cède la place à de nouveaux genres musicaux sur la scène malgache comme le rock (avec le groupe Pumpkins) ou encore le mouvement « produit du terroir » ou vokatry ny tany porté par les Mahaleo.
Présentation critique de la bibliographie
Comme il n’est d’histoire possible sans érudition, et notre sujet n’échappe en rien à cette règle, il nous a fallu d’abord comprendre et restituer le contexte général des années soixante à la fois dans le monde, en particulier en Europe, et ensuite à Madagascar pour pouvoir aborder le cœur de notre sujet. La source du mouvement yéyé et l’émergence des jeunes sur le plan musical et culturel se situent en Europe avec son apogée en France en Mai 68 . Aussi il nous a fallu nous documenter sur les genres musicaux en particulier le rock qui impose sa propre chronologie. Ceux ci sont à la base des musiques prisées par les jeunes dès la fin des années cinquante.
Bertrand Lemonnier qui travaille sur la culture pop des années 60 en Angleterre, souligne que:
« L’étude des phénomènes culturels de masse a toujours été délaissé par le monde historien. Celui ci a rejeté et sous-estimé la culture de masse. Or il faudrait la considérer comme une contre-culture ».
Par la même occasion, l’auteur fait valoir les travaux de certains auteurs qui ont réagi contre cette sous-estimation. B. Lemonnier met l’accent sur la barrière entre la culture des élites et la culture de masse.
Selon le même auteur, « malgré l’abondance d’ouvrages sur les vedettes pop et l’existence de centres de recherches, ou d’associations consacrées à l’étude des musiques dites populaires », il existe un vide historiographique à propos de la culture de masse. Ce vide est causé par un manque d’intérêt pour le sujet ainsi que par les difficultés que peuvent rencontrer les auteurs à comprendre la période étudiée. Mais ces difficultés peuvent être surmontées à condition que la démarche historique ne soit pas influencée par les sectorisations abusives de l’histoire contemporaine, comme par les entreprises de dévalorisation de la culture de masse. Lemonnier dans son travail met en valeur le disque pop en affirmant que celui ci n’est pas seulement une source pour l’histoire de la musique pop ou de la musique pour les jeunes, mais aussi pour l’histoire des arts plastiques (art pop), graphiques (affiches, design, publicité), l’histoire de l’industrie discographique, et même l’histoire de la poésie contemporaine.
Il écrit :
« Le mouvement pop anglo-saxon a transformé durablement la culture du monde occidental, au-delà même de ses bases géographiques. Une révolution culturelle a bien eu lieu. Les phénomènes macro-culturels d’interdépendance des systèmes médiatiques et techniques, de simultanéité (la mondovision), de circulation des produits et des idées, de mondialisation des échanges ont permis une diffusion rapide et quasi générale du pop dans d’autres pays, malgré l’éventuel obstacle linguistique. Aujourd’hui, le rock est devenu une des seules références culturelles communes à des millions de jeunes dans le monde, par-delà les différences de races, de religions, de langues. C’est une réalité incontestable de la fin du siècle, que l’on aime ou que l’on déteste cette musique et ce qu’elle représente ».
Mais plus qu’un inventaire des genres, B. Lemonnier donne des indices de recherche sur un sujet peu étudié. Pour lui, Le pop a une riche histoire, qui remonte à la Seconde guerre mondiale. Depuis lors, son influence s’exerce sur toutes les facettes de la culture musicale des jeunes. Nous ne pouvons que souscrire à ces conclusions. Elles situent en fait l’une des sources de la musique yéyé malgache en Europe. Et partant, ces genres musicaux occidentaux, mais à prétention universelle, enracinent les jeunes Malgaches de la première décade de l’indépendance à un monde global. Cette situation ne manqua pas de déclencher une chaine de réactions au sein de la société.
Il en est ainsi dans d’autres contrées comme la France avec le mouvement de Mai 1968 qui marque une rupture aussi sur le plan musical. C’est en tous les cas la thèse de Jacques Béraud . L’auteur défend l’idée que la musique française des années soixante a subi trois changements. Le premier fut le choc de la Deuxième guerre mondiale. Le second vient de l’influence du rock and roll américain et des Beatles, qui produira la génération yéyé. Il va s’adresser à un public jeune, celui du baby-boom de l’après-guerre. Cette séquence fut marquée par des artistes tels que Sylvie Vartan, France Gall, Sheila ou encore Johnny Hallyday. Le troisième changement lié au développement économique et culturel français résulte des évènements de mai 1968. D’après l’auteur : « l’autorité culturelle, la célèbre culture française classique et bourgeoise, n’a pas été épargnée par la contestation, et cela va entrainer des bouleversements dans le domaine de la chanson ». L’auteur inventorie même les artistes français qui ont marqué ce bouleversement.
|
Table des matières
Introduction
I°/ Présentation critique de la bibliographie
1. L’approche fonctionnaliste
2. L’approche conservatrice
3. L’approche historienne
II°/ Présentation critique des sources
1. Les sources écrites
2. Les sources orales
3. Les sources audio-visuelles
III°/ Méthodologie et questions de recherche
Chapitre I : Le yéyé arrive à Madagascar : 1958 à 1963
I°/ Liens étroits, indépendance sous tutelle française
II°/ Un paysage musical riche
Chapitre II : Yéyé et identité malgache : 1963-1967
I°/ La carrière internationale des Surfs
II°/ Le renom des Surfs à Madagascar
III°/ Les Voanio : un groupe yéyé malgache ?
Chapitre III : Le yéyé : une contre-culture : 1967-1970
I°/ Les radios pirates du Royaume-Uni
II°/ La Radiodiffusion à Madagascar
III°/ La télévision à Madagascar
IV°/ La contre-culture en Occident
V°/ Culture établie et contre-culture à Madagascar
Chapitre IV : La fin du yéyé : fin 1970-1972
I°/ Rajeunissement de la société et dégradation lente de l’économie
II°/ Une dégradation lente de l’économie
III°/ Effervescence politique et fin du régime PSD de Dadabe
IV°/ Les heures du yéyé sont comptées
Conclusion
Bibliographie
Sitographie