Le domaine de longueurs d’onde extrême ultraviolet (EUV), compris entre le rayonnement X et le rayonnement ultraviolet, offre de grandes possibilités scientifiques et technologiques. Ces courtes longueurs d’onde, typiquement comprises entre quelques nanomètres et une soixantaine de nanomètres, trouvent de nombreuses applications en physique des plasmas, en astrophysique, en biologie, en métrologie ou en photolithographie EUV. Les propriétés optiques des matériaux dans cette région sont caractérisées par le fait que les indices de réfraction et l’absorption sont fonction de la longueur d’onde ; de plus les forts coefficients d’absorption des éléments dans ce domaine spectral font que les matériaux atténuent la lumière sur quelques micromètres, et que même les gaz absorbent fortement le rayonnement. Cela oblige à travailler sous vide et favorise l’utilisation de systèmes optiques fonctionnant en réflexion.
Les composants optiques en réflexion fonctionnant à des angles proches de l’incidence normale permettent d’augmenter l’ouverture numérique, l’angle solide de collection et de réduire les aberrations par rapport aux optiques fonctionnant en réflexion rasante. D’une manière générale, le coefficient de réflexion en incidence normale à une interface séparant deux milieux est très faible en raison de la faible différence d’indice entre les deux milieux (appelée par la suite contraste d’indice). Le principe des miroirs interférentiels multicouches est d’additionner en phase les réflexions successives obtenues dans un milieu stratifié d’interfaces réfléchissantes. Celles-ci sont obtenues lorsque deux matériaux ont un indice de réfraction différent, c’est-à-dire un contraste d’indice à la longueur d’onde d’utilisation. Un moyen simple d’y parvenir est de réaliser des structures périodiques générant des systèmes d’interférences. Comme dans les cristaux naturels étudiés dès 1912 par W.H et W.L. Bragg. ceci permet d’utiliser la relation entre la longueur d’onde réfléchie λ et la période d de la structure selon l’équation devenue célèbre : m.λ = 2.d.sin(θ) où θ l’angle de rasance et m l’ordre de diffraction du pic de Bragg.
Un choix judicieux des couples de matériaux, associant un matériau « espaceur » et un matériau « réflecteur », permet de créer des miroirs multicouches périodiques « sur mesure » équivalents aux cristaux mais avec des périodes adaptées au domaine EUV (périodes comprises entre 1,5 nm et 30 nm).
La maturité de la recherche sur les revêtements réfléchissants pour l’EUV fait qu’ils sont considérés comme des composants intégrés couramment dans des systèmes optiques tels que les collecteurs des nouvelles sources pour la photolithographie EUV ou les télescopes embarqués pour l’imagerie solaire. Ceci a amené la Sagem, société spécialisée dans le développement d’optiques de précision, et le Centre National d’Études Spatiales, impliqué dans les programmes de recherche et développement des technologies pour les missions spatiales, à soutenir ces travaux de thèse. Elle a été réalisé au sein du laboratoire Charles Fabry de l’Institut d’Optique dans l’équipe optique X-UV du groupe Systèmes et Composants Optiques. Dans ce contexte, l’objectif de ce travail de thèse était de concevoir, réaliser, caractériser et proposer des revêtements fonctionnels, résistants et stables aux environnements spécifiques.
La collaboration avec les utilisateurs des rayonnements EUV est essentielle. Elle permet de mieux anticiper leurs besoins et proposer des solutions innovantes à leur problématique. Ceci se traduit par une prise en compte des environnements d’utilisation des optiques dès la conception des empilements et des fonctionnalités spécifiques telles que l’amélioration de la sélectivité spectrale ou de la tenue en température des propriétés de réflectivité. Le passage à la réalisation des structures conçues théoriquement est un point critique car elle dépend de la maîtrise des épaisseurs des couches de matériau au dixième de nanomètre pour les dépôts périodiques et de la métrologie pour la caractérisation des structures. Cette dernière est primordiale pour l’évaluation des performances ainsi que pour la compréhension des défauts et des évolutions des revêtements optiques.
Applications du rayonnement EUV
Comme nous l’avons vu précédemment, dans la gamme spectrale EUV, les photons ont des énergies plus grandes que les énergies de liaison des électrons périphériques des atomes. Ce rayonnement permet donc d’analyser la matière avec par exemple des applications de spectroscopie. D’autre part, la longueur d’onde étant petite, elle permet d’imager des objets de plus petite dimension en respectant la loi de diffraction. Enfin, le couplage de l’analyse des modifications du rayonnement par la matière et de l’imagerie subnanométrique permet la réalisation d’interféromètre étudiant des phénomènes localisés de petites dimensions et de faible, ou forte, énergie.
Pour ces applications, il a été nécessaire de développer des sources d’émission EUV et des systèmes optiques. Les spectres d’émission des sources sont discrets (sources plasmas générées par décharge ou par laser ; laser à électrons libres ;…) ou continus (rayonnement synchrotron). Pour toutes ces sources, il est nécessaire d’avoir des optiques de collection et de mise en forme du faisceau mais aussi des systèmes d’analyse par imagerie (directe ou par interférométrie).
La photolithographie EUV
Dans le domaine EUV, le principal moteur de développement pour l’industrie des semi-conducteurs, depuis bientôt 20 ans, est la photolithographie autour de la gamme de longueur d’onde 10-14 nm [6, 7]. Les enjeux économiques se chiffrent en milliards d’euros. Les premiers programmes de financement ont débutés aux Etats-Unis d’Amérique sous le nom d’Extreme Ultraviolet Limited Liability Corporation (1997), suivi en Europe par Extreme UV Concept Lithography Development System (EUCLIDES en 1998), au Japon avec ASET EUVL(1998) et en France par le projet d’études et de développement pour la lithographie extrême ultraviolet (PREUVE en 1999). L’objectif est de mettre toujours plus de composants sur une même surface, en augmentant le degré d’intégration et en miniaturisant la dimension des motifs. Le critère de Rayleigh amène à utiliser des longueurs d’onde de plus en plus courtes afin de réduire la dimension caractéristique des motifs. Dans le domaine EUV, il a été retenu le meilleur compromis entre l’obtention d’un bon rendement de source et d’un bon pouvoir réflecteur des miroirs. Les miroirs [a-Si/Mo] permettent l’obtention des meilleures réflectivités en incidence normale pour les longueurs d’onde situées au dessus du seuil L du Si (12,4 nm). La longueur d’onde retenue est autour de 13,5 nm et dépend de la technologie de source.
L’astrophysique
L’astrophysique solaire est une autre application connue de tous avec les images des éruptions solaires dans les films documentaires et grands spectacles. Le Soleil est composé d’un plasma chaud à différentes températures, dont l’ordre de grandeur est de quelques milliers à plusieurs millions de degrés. Son spectre X-UV est composé de raies d’émissions correspondant à des états d’ionisation des éléments présents dans le plasma et correspondant par conséquent à des températures de plasma déterminées. La spectroscopie du Soleil a permis d’identifier les différents matériaux et avec leur état d’ionisation présents dans notre étoile. Ceci a permis de réaliser des missions d’imagerie solaire dont l’objectif est une meilleure compréhension des relations Soleil-Terre en étudiant les mécanismes de dissipation d’énergie dans les couches externes du Soleil, les processus de chauffage de la couronne et d’accélération du vent solaire ainsi que le transfert de l’énergie vers l’espace [8, 9]. Un objectif pratique de ces recherches fondamentales est de réaliser la météorologie des tempêtes solaires afin de mieux se protéger des dommages électromagnétiques sur les installations électriques, les voyageurs et les satellites en orbite autour de la Terre, dont les conséquences peuvent être extrêmement coûteuses. Ceci pourrait se concrétiser par une diminution de l’exposition des panneaux solaires des satellites, une réduction du trafic aérien et la mise à la terre de certaines sections des lignes électriques.
La physique des plasmas
Les plasmas denses sont générés dans les étoiles ou par des événements très énergétiques à des échelles spatiales (de quelques µm à quelques centaines de µm) et temporelles (durée de confinement inférieure à quelques ns) plus petites par la focalisation d’un laser intense sur une cible [10]. L’exploration des interactions lumière-matière dans les plasmas utilise les propriétés des lasers visibles [11, 12]. Cependant l’absorption et la réfraction du faisceau laser sonde limitent la mesure de la densité électronique et des gradients de densité des plasmas que l’on peut étudier avec les longueurs d’onde visibles. L’utilisation du rayonnement EUV permet d’étudier des plasmas de densités électroniques plus élevées et aussi d’obtenir une meilleure résolution spatiale. D’autre part, l’analyse des plasmas émettant dans le domaine spectral des X-UV permet aussi de remonter aux processus physiques à l’origine de l’émission (température, densité, état d’ionisation).
Les intérêts scientifiques, militaires et industriels ont permis le développement d’applications telles que la fusion thermonucléaire par laser (par exemple le projet Laser Méga Joule 1,8 MJ en 240 faisceaux) [13], les lasers X et XUV (LASERIX, Institut de la Lumière Extrême ILE[14], Extreme Light Infrastructure ELI [15, 16],…) et autres sources intenses [17]. Ces projets ont nécessité l’évolution constante de dispositifs de mesures [18, 19] afin d’améliorer les connaissances sur l’interaction lumière-matière et les phénomènes non linéaires d’absorption de l’énergie laser que sont les instabilités paramétriques.
Il est intéressant de noter le développement de l’interférométrie X-UV en amplitude ou en phase pour l’étude de la densité de la matière. Les interféromètres par division d’amplitude nécessitent des lames-séparatrices de très bonne qualité [20]. Ce type de composant nécessite de travailler en réflexion mais aussi en transmission. L’absorption des matériaux dans l’EUV complexifie sa réalisation. Un interféromètre de Michelson a mis en œuvre ce type de composant avec une source laser X (λ = 13,9nm) [21]. Les interféromètres par division de front d’onde, utilisant par exemple un bi-miroir de Fresnel en incidence rasante, ont été aussi développés pour caractériser les plasmas [22-24] mais aussi l’indice optique des matériaux [https://www.chatpfe.com/].
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Table des matières
Introduction
1 Contexte et objectifs
1.1 Domaine EUV
1.1.1 Propriétés du rayonnement EUV
1.1.2 Applications du rayonnement EUV
1.2 Miroirs multicouches EUV
1.2.1 Rappels théoriques
1.2.2 Outils de calcul et d’optimisation des miroirs
1.3 Les défis de la photolithographie EUV
1.3.1 Évolution de la photolithographie
1.3.2 Les sources et optiques pour la photolithographie EUV
1.4 Domaine EUV pour l’astrophysique
1.4.1 Motivation de l’imagerie du Soleil dans l’EUV
1.4.2 Historique des missions dans l’EUV
1.5 Bibliographie
2 Moyens expérimentaux et méthodes
2.1 Moyens de caractérisation
2.1.1 Réflectométrie EUV avec CEMOX
2.1.2 Goniomètre pour la Réflectométrie en X-rasant (GRX)
2.1.3 Réflectométrie EUV et spectrométrie de photoémission X sur BEAR
2.2 Moyens de dépôt
2.2.1 Pulvérisation par faisceau d’ions (IBS)
2.2.2 Pulvérisation cathodique magnétron (MP800)
2.3 Moyens de test à l’environnement
2.3.1 Tenue à la température
2.3.2 Tenue à l’environnement climatique
2.3.3 Tenue à l’érosion ionique
2.4 Bibliographie
3 Multicouches pour les collecteurs de sources plasmas générées par laser
3.1 Conception & réalisation
3.1.1 Choix du matériau barrière
3.1.2 Conception
3.2 Etude de la résistance à l’environnement
3.3 Étude de la résistance à l’érosion ionique
3.3.1 Simulation
3.3.2 Vitesse d’érosion ionique
3.3.3 Érosion ionique en biseau
3.3.4 Conclusion
3.4 Étude de la stabilité en température
3.4.1 Etude pour les collecteurs pour les basses températures
3.4.2 Etude pour les collecteurs chauds
3.5 Conclusion
3.6 Bibliographie
4 Multicouches pour les missions d’observation solaire
4.1 Etat de l’art et motivations
4.1.1 État de l’art sur les imageurs EUV
4.2 Étude de la multicouche B4C/Mo/a-Si
4.2.1 Optimisation de l’empilement
4.2.2 Caractérisation et modélisation
4.2.3 Evaluation de la structure
4.2.4 Conclusion
4.3 Étude de miroirs bi-bandes EUV
4.3.1 Les besoins pour la mission Solar Orbiter
4.3.2 Définition de la structure
4.3.3 Exemple appliqué à l’astrophysique
4.3.4 Bi-bande naturel
4.3.5 Bi-bande à sélectivité paramétrable
4.3.6 Bilan et perspectives sur les miroirs bi-bandes
4.4 Conclusion
4.5 Bibliographie
Conclusions et perspectives
Bibliographie de conclusions et perspectives
Annexe
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