Physiopathologie
L’infection palustre entraîne différents syndromes cliniques en fonction de l’espèce plasmodiale et de l’état immunitaire de l’hôte.
Chez le sujet non immun dépourvu de défenses immunes, la parasitémie peut atteindre des niveaux très élevés (>5 %) et être responsable de paludisme grave ou compliqué.
Chez le sujet immun, les défenses immunitaires contrôlent la parasitémie et le paludisme infection est le plus souvent asymptomatique.
Entre les deux cas, il existe une grande variété de tableaux cliniques.
Seules les formes intra-érythrocytaires (stade de schizonte) ont un effet pathogène. Il est actuellement admis que la rupture du schizonte mûr va provoquer la fièvre par la libération de toxines qui stimulent les macrophages, les lymphocytes et laproduction de tumor necrosis factor (TNF) [7,58]. Les cytokines particulièrement le TNF jouent un rôle primordial dans les divers symptômes du paludisme (figure 3).
Parfois chez des sujets prédisposés et non ou peu immuns, le paludisme peut se compliquer d’atteinte cérébrale.
Le neuropaludisme est caractérisé par la séquestration des hématies parasitées (HP) au sein de micro vaisseaux cérébraux laquelle résulte de la cytoadhérance entre les HP et les cellules endothéliales (CE) des veinules cérébrales [112,113]. Ceci provoquerait une diminution de l’oxygénation du cerveau et d’apport de nutriments, d’où le coma. Le TNF a été identifié comme un des facteurs clés dans le développement de la pathologie et c’est le TNF récepteur-2 qui est impliqué dans le développement du syndrome neurologique.Le rôle potentiel des cellules de l’hôte dans l’induction du neuropaludisme a été établi en particulier celui des plaquettes qui, augmentent significativement la cytho-adhérance entre les HP et les CE cérébrales par un phénomène de pontage [113].
Parasitisme symptomatique ou « Paludisme maladie »
Au delà d’un certain seuil de densité parasitaire très variable selon les individus, la zone géographique et l’espèce plasmodiale, un individu infecté peut présenter un accès palustre. La nécessité d’inclure un seuil pyrogénique a été perçue en essayant d’étudier les relations entre les manifestations cliniques et la densité parasitaire [90].
Les manifestations cliniques du paludisme sont polymorphes et dépendent de l’espèce plasmodiale incriminée, de l’infestation et de l’état immunitaire du sujet. Il existe de ce faitplusieurs tableaux cliniques.
Les formes simples
Accès de primo invasion
Il survient chez le sujet non immun neuf. L’incubation dure en moyenne une dizaine de jours, avec des extrêmes entre 7 et 14 jours.
L’invasion est marquée par une fièvre>39°C, accompagnée de frissons, sueurs, céphalées, myalgies, malaise général. Les signes digestifs sont fréquents : nausées, vomissements, parfois diarrhée. Un bouquet d’herpès labial, une oligurie et une hépatomégalie sont parfois notés.
Accès répétés liés à des reviviscences schizogoniques ou accès intermittents
Les sujets vivant en zone d’endémie et soumis à des piqûres de moustiques infectées itératives, peuvent déclencher des accès palustres à répétition. La crise devient plus typique. Elle est précédée de prodromes à type de fièvre, asthénie, anorexie, nausées.
L’accès évolue selon un rythme régulier à trois temps :
– le stade de frissons marqué par une sensation de froid intense associée à une hypotension artérielle, une fièvre élevée à 39°C et une splénomégalie.
Il dure une heure.
– au stade de chaleur, les frissonscessent, la peau devient sèche et brûlante. La température atteint 40°C – 41°C. Ce stade dure 3 à 4 heures.
– ensuite survient le stade de sueurs caractérisé par des sueurs abondantes qui baignent le malade. La température chute et la tension remonte. Ce stade dure 2 à 4 heures.
En fonction de l’espèce plasmodiale en cause, ces accès se répètent toutes les 48 heures réalisant une fièvre tierce (P. falciparum, vivax, ovale) ou toutes les 72 heures réalisant une fièvre quarte (P. malariae). Non traité, l’accès intermittent peut évoluer vers l’accès pernicieux si l’espèce P. falciparumest en cause ou vers les autresformes graves ou compliquées.
Les formes graves
Elles sont l’apanage de P.falciparum. Divers tableaux cliniques sont possibles :
Accès pernicieux palustre ou neuropaludisme ou paludisme cérébral
C’est l’urgence médicale majeure, le neuropaludisme réalise un tableau d’encéphalopathie aiguë fébrile. Le début est progressif ou brutal, foudroyant le malade en quelques heures. La phase d’état associe : · une fièvre quasi constante avec une température de 39°C jusqu’à 42°C · des signes neurologiques dont les plus fréquents sont les troubles de la conscience à type d’obnubilation pouvantaller jusqu’au coma calme avec hypotonie entrecoupée de crises hypertoniques paroxystiques avec rigidité de décérébration ou de décortication. Les convulsions sont plus généralisées que localisées. Les autres signes sont variables : aréflexie ostéotendineuse, signes d’atteinte pyramidale, paralysies fugaces. Habituellement, il n’y a pas de signes méningés.
D’autres signes de défaillance viscérale sont observés, s’agissant surtout d’une anémie, d’une hypoglycémie. L’œdème pulmonaire est rare et il peut exister une insuffisance rénale fonctionnelle.
L’évolution sans traitement est fataledans 80 % des cas. Bien traité, la guérison sans séquelles survient dans 80 %.
Les formes compliquées
Paludisme viscéral évolutif (PVE)
Il survient chez les enfants de 2 à 5 ans non encore prémunis vivant en zone d’endémie et chez les européens dans des zones d’endémie où existent des souches chloroquinorésisantes et soumis à des infections palustres répétées.
Il se manifeste par une anémie importante, une splénomégalie constante modérée, une cachexie et une fièvre modérée. La recherche d’hématozoaire est positive par intermittence avec une parasitémie faible.
La sérologie révèle des titres d’anticorps très élevés (Ig G). Sous traitement, la réponse est assez rapide.
La fièvre bilieuse hémoglobinurique (FBH)
Elle est observée chez des sujets irrégulièrement protégés par la quinine ayant des accès à P. falciparum, mais aussi peut survenir avec la méfloquine ou l’halofantrine.
Elle se manifeste par un début brutalavec lombalgies, une anémie et fièvre, rapidement suivi d’un ictère, d’une oligurie avec des urines rouges porto témoignant de l’hémolyse intravasculaire massive et d’une chute tensionnelle. Le pronostic est sévère avec 30 % de décès.
La néphrite quartane
C’est une néphropathie glomérulaireavec syndrome néphrotique impur due à P. malariae, liée à une glomérulopathiepar dépôts de complexes immuns.
Le diagnostic paraclinique
Les moyens de diagnostic actuellement utilisés dans les études de terrain permettent la mise en évidence et l’identification de parasites ou de matériel parasitaire dans les prélèvements. Ils comportent des outils classiques et des moyens diagnostiques plus récents.
Outils classiques
La parasitologie sanguine apporte le diagnostic de certitude. Les outils classiques sont le frottis mince et la goutte épaisse.
¾Le frottis mince permet l’étude morphologique des hématozoaires et le diagnostic différentiel entre les espèces plasmodiales.
¾La goutte épaisse, examen de référence de l’OMS, est largement utilisée pour le diagnostic de routine.Sa sensibilité est 10 à 20 fois plus élevée que celle du frottis mince. Le problème du diagnostic d’espèce se pose parfois et l’incertitude est le plus souvent sans conséquence sur la conduite thérapeutique.
Moyens diagnostiques plus récents
¾La coloration fluorescente des acides nucléiques par l’acridine orange (AO) ou par le benzothiocarboxypurine (BCP) : QBC (quantitative buffy-coat) et technique de Kawamoto font appel à l’AO.
Ces méthodes ne permettent pas deporter un diagnostic d’espèce [16] ni de faire une densité parasitaire [83].
¾Détection d’antigènes parasitaires par des tests sur bandelette réactive contenant un anticorps monoclonal dirigé contre une enzyme de Plasmodium. Le ParaSight F et le ICT Malaria Pf test détectent l’antigène HRP-2 (histidine-rich-protein-2), spécifique de P. falciparumet ont des performances comparables [56] mais ne permettent pas d’estimer la densité parasitaire. Le test ICT Malaria Pf/Pv détecte l’antigène HRP2 de P. falciparum, de P. vivaxet P. ovaleprobablement mais pas celui de P. malariae[35]. Le test OptiMal détecte la pLDH (lactatedeshydrogénase parasitaire) de P. falciparumet de l’ensemble des plasmodii humains (seuil : 150 parasites/µL).
Ces tests sont pratiques, cependant, ils peuvent détecter des restes d’antigènes après un accès palustre.
Moyens de lutte
La lutte antipaludique est basée aussi bien sur des mesures destinées à réduire la mortalité et la morbidité causées par le paludisme que sur des mesures de prévention.
Réduction de la morbidité et de la mortalité
Le traitement prophylactique et ou curatif du paludisme fait actuellement appel à deux grandes catégories de molécules : les antimalariques d’origine végétale (Quinine et Artémisinine) et les antimalariques de synthèse (Chloroquine, Méfloquine, antibiotiques…).
Les antipaludiques peuvent être classés aussi selon leur cible relevant des différents stades du parasite chez l’homme.
Classification des antipaludiques
Médicaments d’origine végétale
Alcaloïdes du Quinquina
Les quatre principaux alcaloïdes extraits du Quinquina : quinine et ses dérivés (Quinidine, Cinchonine et Cinchonidine) possèdent une activité antipaludique considérable mais, leur efficacité relative dépend de l’espèce de Plasmodium. Parmi ces molécules, seule la quinine demeure un antipaludique majeur [84]. C’est un schizonticide sanguin hautement actif sur toutes les espèces plasmodiales. Elle pénètre bien les hématies mais s’y concentre peu. A l’heure actuelle, elle constitue le traitement de choix dans le traitement de l’accès grave [121].
Artémisinine et ses dérivés
L’Artémisinine (Qinghaosu) est utilisée depuis 2000 ans comme antipaludique dans la médecine traditionnelle chinoise. Elle est connue dans la pharmacopée traditionnelle pour son efficacité contre les fièvres.
Son mécanisme d’action probable est la production de radicaux libres oxygénés permettant le blocage dela réplication de l’ADN parasitaire.
Aujourd’hui l’Artémisinine et ses dérivés sont utilisés dans le monde entier.
Ces composés demeurent efficaces dans la lutte contre le paludisme à P. falciparum, y compris les formes multirésistantes où elles sont associées à un schizonticide d’action plus lente comme la Méfloquine [20,25,114].
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Table des matières
INTRODUCTION
1. GENERALITES SUR LE PALUDISME
1.1. L’épidémiologie
1.1.1. Les agents pathogènes
1.1.2. La transmission du paludisme
1.1.3. L’immunité protectrice
1.1.4. Moyens d’évaluation de l’endémicité et de la transmission palustre
1.2. Physiopathologie
1.3. Diagnostic
1.3.1. Parasitisme asymptomatique ou « paludisme infection »
1.3.2. Parasitisme symptomatique ou « Paludisme maladie »
1.3.3. Le diagnostic paraclinique
1.4. Moyens de lutte
1.4.1 Réduction de la morbidité et de la mortalité
1.4.2. Les mesures de prévention
1.5. Chimiorésistance
1.5.1. Tests in vivo
1.5.2. Tests in vitro
1.5.3. La recherche demarqueurs moléculaires
2. PALUDISME AU SENEGAL
2.1. Particularités géographiques
2.2. Faciès épidémiologiques
2.3. Transmission du paludisme au Sénégal
2.3.1. Vecteurs
2.3.2. Espèces plasmodiales
2.4. Morbidité etmortalité palustre
2.5. Lutte contre le paludisme au Sénégal
2.6. Etude de la sensibilité de P. falciparumaux antipaludiques
2.6.1 Chimiorésistance à la chloroquine
2.6.2. Chimiorésistance aux autres antipaludiques
PATIENTS ET METHODES
1. CADRE D’ETUDE
1.1. Présentation, historique et fonctionnement
1.2. Population
1.3. Activités économiques et conditions de vie
1.4. Situation scolaire
1.5. Données climatiques
1.6. Endémie palustre dans la zone d’étude
1.7. Système de soins de santé à Niakhar
2. METHODOLOGIE
2.1. Description de la cohorte
2.1.1. Critères de sélection de la cohorte
2.1.2. Les critères de non sélection
2.2. Evaluation de la morbidité
2.2.1. Méthodes d’étude
2.2.2. Confection des gouttes épaisses
2.2.3. Détermination de la parasitémie
2.2.4. Définition des accès palustres
2.2.5. Critères d’inclusion et d’exclusion pour l’étude de morbidité
2.3. Attribution des traitements
2.4. Efficacité thérapeutique
2.4.1. Critères d’inclusion
2.4.2. Critères d’exclusion
2.5. Suivi post-thérapeutique
2.6. Recueil des données
2.7. Analyses statistiques
2.7.1. Les indicateurs de morbidité
2.7.2. Les indicateurs de l’efficacité thérapeutique
RESULTATS
1. CARACTERISTIQUES DE BASE DE L’ECHANTILLON
1.1. Répartition des enfants de la cohorte selon le village
1.2. Répartition des enfants de la cohorte selon le sexe
1.3. Répartition des enfants de la cohorte selon l’âge
1.4. Moyenne d’âge en fonction du village
1.5. Répartition des enfants selon le village et le sex ratio
1.6. Moyenne d’âge par sexe
2. ENQUETE MORBIDITE
2.1. Caractéristiques de la morbidité palustre dans la zone
2.1.1. Nombre d’accès palustres par enfant et par an
2.1.2. Part des accès palustres graves
2.1.3. Poids de la morbidité palustre en fonction des villages
2.1.4. Incidence mensuelle des accès palustres
2.2. Fréquence des signes et des symptômes en fonction de l’âge
2.2.1. Corps chaud
2.2.2. Convulsions
2.2.3. Vomissements
2.2.4. Diarrhées
2.2.5. Anémie clinique
2.2.6. Anorexie
2.2.7. Fièvre
2.2.8. Sueurs et frissons
2.2.9. Ictère
2.3. Relation entre symptômes et densité parasitaire
2.3.1. Densité parasitaire moyenne à J0 et température
2.3.2. Classes de densité parasitaire et troubles digestifs
2.4. Densité parasitaire moyenne à J0 et âge
3. EFFICACITE THERAPEUTIQUE
3.1. Réponses thérapeutiques au test d‘efficacité in vivo sur 28 jours
3.1.1. Au sein de la cohorte
3.1.2. Au sein de chaque combinaison médicamenteuse
3.2. Gamétocytes et traitement
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES