MOYENS DE DEPISTAGE DU CANCER DE LA PROSTATE
ARTICLE ORIGINAL
INTRODUCTION
Depuis plusieurs années, la légitimité du dépistage du cancer de la prostate (CaP) est débattue. En effet, bien qu’il s’agisse du cancer le plus fréquent chez l’homme (26.7% des cancers)(2), il reste d’évolution lente. Des études internationales de niveau de preuve élevé telles que l’ « EuropeanRandomised Screening for Prostate Cancer » (ERSPC)(9) en Europe et la « Prostate, Lung, Colorectal and Ovarian Cancer Screening » (PLCO)(8) aux Etats unis présentent des résultats contradictoires : en effet l’ERSPC montre une diminution de la mortalité par CaP de 29% dans le groupe dépisté contre le groupe non dépisté avec un suivi médian de 13 ans, tandis que l’étude PLCO ne montre pas de bénéfice du dosage du PSA sur la mortalité par CaP. Les enjeux de ce débat sont ainsi centrés sur les notions de surtraitement et de surdiagnostic.
Les recommandations en France sont, elles aussi, contradictoires. D’un côté l’HAS (14) et le collège de médecine générale(16) préconisent de ne pas faire de dépistage sauf chez les patients présentant des troubles urinaires. De l’autre, l’Association Française d’Urologie (AFU)(7) et l’European Association of Urology (EAU)(18) recommandent une détection précoce individualisée du CaP avec une information éclairée, chez des patients ayant un bon performans status et une espérance de vie supérieure à 10-15 ans.
Les médecins généralistes jouent un rôle essentiel dans la prévention de la santé, notamment via le dépistage. Ils sont les premiers prescripteurs de PSA (87%, contre 3.5% par les urologues en 2011)(19). L’objectif de l’étude était d’évaluer les pratiques des médecins généralistes du Maine et Loire concernant le dépistage du cancer de la prostate.
MÉTHODES
Il s’agissait d’une enquête descriptive transversale dressant un état des lieux des pratiques des médecins généralistes concernant la prescription le dépistage du cancer de la prostate. Un questionnaire en ligne était envoyé aux 894 médecins généralistes du Maine et Loire référencés par la faculté de médecine d’Angers. On dénombre actuellement en Maine et Loire 1076 médecins généralistes en activité. Les données ont été recueillies entre juin et juillet 2016.
Le support de l’enquête était un questionnaire anonyme, réalisé en ligne sur le site de sondage Sondage Online (https://www.sondageonline.fr) (Annexe 1). Le questionnaire comprenait 41 questions hiérarchisées en cinq thématiques :
– Données sociodémographiquesdu praticien.
– Les facteurs de risque du cancer de la prostate.
– Le dosage des PSA.
– La réalisation du toucher rectal.
– Les avis concernant de dépistage du cancer de la prostate.
Les données ont été analysées avec les logiciels Excel® (Microsoft®, USA), et SPSS 11.0® software (SPSS Inc.®, Chicago, USA).
RÉSULTATS
DONNEES SOCIO DEMOGRAPHIQUES
Nous avons reçu 118 réponses, ce qui représente un taux de réponse de 11%. L’âge médian des participants était de 42 ans. Les autres données sociodémographiques sont résumées dans le tableau I.
PRATIQUE DU DEPISTAGE
Parmi les 118 médecins qui ont répondu à l’étude, 83 (70%) proposaient un dépistage contre 35 (30%) qui ne le proposaient pas à leurs patients. Il existait une différence significative de prescription entre les sexes : 61% des hommes contre 80% des femmes pratiquaient le dépistage (p=0,013). On ne retrouvait par contre pas de différence de prescription en fonction de l’âge (praticiens de plus ou moins 50 ans) (p=0,516), du milieu d’exercice (p=0,490), de la date de la dernière FMC (p=0.232), du statut de maître de stage universitaire (p=0,659), ou de la proportion d’hommes de plus de 50 ans dans la patientèle du praticien (p=0.763).
Les questions concernant les modalités de prescription du dépistage (recherche de facteurs de risque, dosage du PSA et toucher rectal) n’ont été posées qu’aux 83 médecins qui pratiquaient le dépistage.
Soixante huit pourcent (n=56) des médecins privilégiaient un dépistage individuel contre 32% (n=27) qui pratiquaient un dépistage de masse. On ne constatait pas de différence significative de pratique selon le sexe (p=0,273), l’âge du praticien (p=0,123), le milieu d’exercice (p=0,352), la date de la dernière FMC (p=0,856), le statut de maître de stage universitaire (p=0,747) ou la proportion d’hommes de plus de 50 ans dans la patientèle (p=0,092).
RECHERCHE DE FACTEURS DE RISQUE ET ATTITUDE EN FONCTION
Parmi les 83 médecins réalisant le dépistage, 65 médecins (80%) recherchaient les facteurs de risque de cancer de la prostate contre 16 (20%) qui ne le faisaient pas. Les facteurs de risque recherchés sont résumés dans la figure 3.
Pour 17 médecins (22%), le risque de cancer de la prostate était augmenté en cas de troubles mictionnels du bas appareil.
Soixante cinq médecins sur 81 (77%) modifiaient leurs modalités de dépistage en cas de facteurs de risque chez leur patient, les différentes attitudes sont résumées dans la figure 4.
MODALITES DE PRESCRIPTION DU PSA
La fréquence de dosage des PSA ainsi que l’âge de dépistage, en fonction de la présence ou non de facteurs de risques de cancer de la prostate sont résumés dans les figures 5, 6, 7 et 8.
Quatre vingt quinze pourcent des médecins dosaient le PSA total sérique. Quarantesix des 80 médecins interrogés (58%) dosaient le rapport PSA libre/total sérique, les
circonstances sont résumées dans la figure 9. La figure 10 résume les valeurs de PSA à partir desquelles les médecins généralistes sollicitent l’avis d’un spécialiste urologue.
L’information délivrée au moment de la prescription de PSA était uniquement orale pour 68 des médecins interrogés (86%). Deux médecins (3%) utilisaient une information écrite : l’un une fiche du journal Prescrire et l’autre une ancienne thèse. Onze médecins (14%) ne délivraient aucune information.
Enfin pour 75 médecins (94%), la prescription de PSA seule était insuffisante dans la démarche de dépistage de cancer de la prostate.
TOUCHER RECTAL
Le toucher rectal faisait partie de l’examen clinique pour 47 des médecins (59%) mais seuls 23 d’entre eux (30%), le faisaient de façon systématique dans la démarche de dépistage de cancer de la prostate. On retrouvait une différence significative entre les sexes : parmi les médecins qui faisaient un toucher rectal, 77% (n=36) étaient des hommes contre 23% (n=11) de femmes (p<0.001). En revanche, il n’existait pas de différence significative entre les praticiens de plus et moins de 50 ans (p=0.539) et ceux qui sont maîtres de stage ou non (p=0.986). Les motifs de non réalisation du toucher rectal sont résumés dans la figure 11. Par ailleurs 47% des personnes interrogées (n=35/75) estimaient qu’être une « examinatrice » constituait une limite à la réalisation du toucher rectal.
La fréquence de réalisation du toucher rectal par les médecins généralistes dans le cadre du dépistage du cancer de la prostate est détaillée dans la figure 12. Soixante deux des médecins interrogés (79%) estimaient qu’un taux de PSA normal n’était pas forcément associé à un toucher rectal normal.
DEBAT ET OPINIONS
Les raisons qui poussaient les médecins généralistes à ne pas proposer de dépistage de cancer de la prostate sont résumées dans la figure 13. Les sources d’informations ayant permis aux praticiens de se faire une opinion dans le débat sur le dépistage du cancer de la prostate sont représentées dans la figure 14.
Par ailleurs, 35% (n= 7/20) des médecins répondants concernés affirmaient doser leur propre PSA, et 56% (n= 34/77) des médecins répondants encourageaient leurs proches à réaliser un dosage de leur PSA.
Les opinions des médecins généralistes concernant le dépistage du cancer de la prostate sont regroupées dans la figure 15.
Enfin, les avis des praticiens sur la pratique du dépistage du cancer de la prostate tel qu’il est pratiqué actuellement (dosage du PSA associé à un toucher rectal) sont résumés dans la figure 16. Ces opinions variaient en fonction de leurs pratiques : dépistage pratiqué ou non et réalisation du toucher rectal ou non. Ces données sont rapportées dans le tableau II.
DISCUSSION ET CONCLUSION
L’objectif de cette étude était de faire l’état des lieux des différentes attitudes des médecins généralistes du Maine et Loire quant au dépistage du CaP. On constatait qu’une majorité des praticiens (70%) proposaient le dépistage du CaP. Parmi eux, 68% pratiquaient un dépistage individuel contre 32% qui pratiquaient un dépistage de masse. La pratique d’un dépistage de masse est actuellement non recommandée, aussi bien par l’AFU(7), l’EAU(18) et la HAS(14). Un dépistage individuel, sur une population ciblée, est néanmoins préconisé par ces trois sociétés savantes, seulement l’HAS le restreint aux hommes ayant une symptomatologie génito-urinaire, alors que l’EAU et l’AFU le recommandent pour les hommes entre 50 et 75 ans ayant une espérance de vie de plus de 15 ans. On constate par ailleurs une tendance à la diminution du dépistage du CaP par les médecins généralistes : une étude de 2006(20) rapportait que 98% des généralistes auvergnats dépistaient le CaP, alors qu’une autre étude de 2013 dans l’Oise(21) rapportait un taux de 88%.
On constatait que les femmes pratiquaient significativement plus le dépistage que les hommes (respectivement 80% et 61%, p=0,013). Les praticiens hommes étaient peut être plus réticents à proposer le dépistage, car se sentant davantage concernés par les effets indésirables d’un traitement radical. Rappelons d’ailleurs que seuls 35% des médecins concernés dosaient leur propre PSA. En revanche, il n’y avait pas de différence significative en fonction de l’âge, du milieu d’exercice, de la date de la dernière FMC, du statut de maître de stage universitaire, ou de la proportion d’hommes de plus de 50 ans dans la patientèle du praticien. Ainsi nous n’avons pas mis en évidence de profil de praticien particulier proposant ou ne proposant pas le dépistage.
Une majorité de médecins recherchaient et adaptaient leur attitude en fonction des facteurs de risque (77%), principalement en débutant le dépistage plus précocement, et en pratiquant des dosages de PSA plus rapprochés que pour les autres patients. A noter que 22% des praticiens estimaient à tort que le risque de cancer de prostate était augmenté en cas de troubles mictionnels, alors que cela ne constitue pas un facteur de risque de CaP.
Même s’il existait une disparité des pratiques pour le dosage du PSA, 2 attitudes prédominaient : pour les patients sans facteurs de risque, le dépistage était réalisé entre 50 et 75 ans avec un PSA tous les 1 ou 2 ans ; pour les patients avec facteurs de risque, le dépistage était réalisé entre 50 et 75 ans et le PSA était dosé tous les ans. En revanche, rares étaient les praticiens qui adaptaient la fréquence du dosage du PSA en fonction du taux initial. L’AFU(7)et l’EAU(18) recommandent en effet de réaliser un premier dosage de PSA à 50 ans (ou 45 ans en cas de facteurs de risques de CaP) et d’adapter selon le taux obtenu la fréquence des dosages suivants.
Concernant le toucher rectal (TR), seuls 30% des médecins le réalisaient systématiquement. Pour 41% des praticiens le TR ne faisait pas partie de l’examen clinique, or une étude de 1993 montrait que 18 % des cancers de prostate étaient révélés par le TR alors que la valeur du PSA total est normale(22). Les femmes le pratiquaient moins que les hommes (23% contre 77%) et 47% des médecins considéraient que le fait d’être une examinatrice constituait une limite pour la réalisation du TR. Cette tendance était également observée dans une étude conduite en France entre décembre 2007 et janvier 2008(23) avec une pratique du toucher rectal plus fréquente par les hommes que par les femmes : 69% contre 54%(OR=1.86; 95% CI=1.31-2.63). Les motifs de non réalisation du TR étaient principalement le manque de fiabilité de l’examen et le manque d’expérience des praticiens.
On constatait également une hétérogénéité dans la fréquence de réalisation du TR, même si une majorité des médecins le faisaient tous les ans ou tous les 2 ans. Notre étude révèle que la sensibilisation des praticiens de médecine générale à l’intérêt du toucher rectal pourrait constituer un objectif pédagogique pour les FMC d’une part ainsi qu’au cours de la formation des internes.
Les opinions des praticiens concernant le dépistage du CaP divergeaient : certains avaient un avis très tranché, d’autres avaient des difficultés à se positionner entre les différentes recommandations. Il en ressortait que 37% des médecins interrogés estimaient devoir abandonner le dépistage du CaP tel qu’il est pratiqué actuellement (PSA et toucher rectal), et seulement 29% des médecins souhaitaient maintenir le dépistage tel quel.
L’absence de consensus, la crainte du « surdiagnostic » et du « surtraitement » ainsi que le manque de spécificité du PSA et de sensibilité du toucher rectal restaient des freins majeurs au dépistage du CaP. Les perspectives d’avenir sont représentées par les progrès de l’IRM, les biopsies ciblées et la fusion d’images(24), ainsi que le dosage de nouveaux marqueurs comme le PCA3 urinaire(25). D’ailleurs, 17% des praticiens estimaient que le dépistage devait être complété par une IRM prostatique et ils étaient également 17% à estimer qu’il devait être complété par le PCA3 urinaire. La surveillance active des patients présentant un CaP de bon pronostic constituait une alternative thérapeutique de plus en plus proposée, permettant d’éviter d’éventuels effets indésirables liés aux traitements radicaux, néanmoins au prix d’une anxiété chez certains patients(26).
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Table des matières
LISTE DES ABREVIATIONS
RESUME
PREMIERE PARTIE : INTRODUCTION ET RATIONNEL
1. GENERALITES ET HISTOIRE NATURELLE DE LA MALADIE
2. EPIDEMIOLOGIE
3. MOYENS DE DEPISTAGE DU CANCER DE LA PROSTATE
4. ETAT DES RECOMMANDATIONS ACTUELLES
DEUXIEME PARTIE : ARTICLE ORIGINAL
INTRODUCTION
MÉTHODES
RÉSULTATS
1. DONNEES SOCIO DEMOGRAPHIQUES
2. PRATIQUE DU DEPISTAGE
3. RECHERCHE DE FACTEURS DE RISQUE ET ATTITUDE EN FONCTION
4. MODALITES DE PRESCRIPTION DU PSA
5. TOUCHER RECTAL
6. DEBAT ET OPINIONS
DISCUSSION ET CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
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