Mouvement dans la sphère de l’individu

Mouvement, expression et compréhension : un lien fort entre le corps et l’émotion

« Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » : la nomenclature des programmes 2015 en dit long sur l’importance du mouvement dans la compréhension de notre environnement, et adresse aussi le sujet de l’expression. Comment s’exprime l’individu ? Nous pourrions dire qu’avant tout il s’exprime par des actions (faire, bouger, parler…) volontaires ou involontaires.

Parmi les moyens d’expression classiques, vient naturellement à l’esprit le langage, lié à nos habitudes de communication « d’adultes », mais il est souvent précédé ou accompagné du geste. Il peut s’agir d’un geste expressif construit comme peindre ou jouer de la musique, ou spontané comme sauter de joie, et trépigner d’impatience mais dans tous les cas il reste généralement lié à nos émotions au sens où elles nous poussent à l’action.

Comment sait-on quelle émotion nous ressentons ? Les sophrologues proposeraient sans doute « En scannant notre corps » car il s’agit là d’un pan important de leurs pratiques, rejoignant Damasio (1995) sur la théorisation des émotions secondaires. Là encore c’est en passant par le corps, l’identification des tensions musculaires, des rythmes respiratoires et cardiaques, et autres paramètres purement physiques que se construit peu à peu la conscientisation (compréhension et régulation) de nos émotions. Des théories sur la place de l’émotion dans l’apprentissage ont été mises au point et étayées, notamment par Pestalozzi avec son triptyque « tête, cœur, main» et Damasio dont les travaux mettent en lumière la large place de l’émotion dans la cognition. L’acquisition de telles compétences en lien avec le corps serait donc prometteuse si nous parvenions à y faire accéder les élèves, et cela n’a pas échappé aux enseignants au vu de la multiplication des exercices de pleine conscience dans les classes, à l’appui par exemple d’ouvrages comme « Calme et attentif comme une grenouille » d’Eline Snel dont le succès parle de lui-même.

De manière complémentaire, les neurosciences tendent à prouver, que les émotions jouent un rôle central dans nos processus décisionnels (et par voie de conséquences dans nos actions et nos comportements). Damasio énonce, dans la préface de la nouvelle édition de 2006 de « L’erreur de Descartes : la raison des émotions » : « Ce livre porte sur l’aspect neurologique de l’émotion et sur ses implications dans la prise de décision en général et le comportement social en particulier. […] En me basant sur l’étude neurologique de patients souffrant à la fois de défauts de prise de décision et de troubles de l’émotion, j’ai avancé l’hypothèse, dite des marqueurs somatiques, selon laquelle l’émotion participait à la raison et qu’elle pouvait assister le processus du raisonnement au lieu de nécessairement le déranger, comme on le supposait couramment. Aujourd’hui, cette idée ne fait plus hausser les sourcils ».

Qu’en est-il dans une classe de maternelle ? Si nous postulons que la maturité de la cognition en matière d’émotion progresse tout au long de la vie et qu’à l’arrivée en milieu scolaire, l’enfant est doté d’un système ultra performant, très ramifié mais très peu hiérarchisé (Alvarez 2015, Gueguen 2014), nous pouvons en déduire que la canalisation de l’activité et du mouvement va passer par la canalisation des émotions. Selon Goleman (1995), l’émotion (liée à l’amygdale) précède le raisonnement (lié au cortex préfrontal, zone moins « ancienne » de notre cerveau) : en grossissant le trait, à l’école maternelle nous nous adressons à des êtres « émotionnels » et à l’école primaire à des êtres « raisonnants », avec toute une construction progressive le long du chemin par ailleurs décrite par Maria Montessori au début du XXe siècle dans le passage de « l’esprit absorbant de l’enfant » à « l’esprit raisonnant de l’enfant ». Les « théories de l’esprit » abordées par Thommen, E. (2007) viennent préciser cette évolution. « Les théories de l’esprit acquises par les enfants renvoient à leur capacité à dissocier leurs croyances de celles d’autrui et de la réalité. Cela leur permet d’admettre qu’autrui peut savoir quelque chose qu’ils ignorent et qu’autrui peut agir en fonction d’une croyance contraire à la réalité. Dès l’âge de cinq ans, l’enfant devient capable de raisonner sur les états mentaux puis de distinguer les états mentaux qui correspondent aux verbes mentaux du langage. ». Cette théorie est complétée par celle du contrôle de l’action (Kuhl, 1985) qui fait état d’une phase de « motivation pré-décisionnelle », suivie d’une phase « d’atuo-régulation et d’action ».

In fine, le corps est notre moyen d’expression unique, que ce soit au travers du comportement et son lot de mouvements volontaires ou pas, de la voix et du langage ou même du subconscient avec son lot de somatisations. Son expression est indispensable à notre équilibre. A l’extrême, et pour illustrer que s’exprimer pour interagir est un besoin vital, nous pouvons citer le livre poignant de Jean-Dominique Bauby « Le scaphandre et le papillon ». Il y décrit le « lockedin syndrom », par lequel il se retrouve enfermé dans son propre corps immobile avec pour unique moyen de communication le battement d’une paupière : tout ce qui peut nous permettre d’entrer en communication avec autrui et notre environnement sera mobilisé, de manière volontaire ou pas : notre survie d’« animal social » en dépend.

Pour ce qui est de l’expression involontaire, les travaux de Paul Eckman (notamment sur le mensonge) présentent plus de vingt années de recherches sur les micro expressions faciales et leurs liens avec les émotions .

A l’échelle du corps, d’autres s’attachent à répertorier les types de mouvement (volontaires ou involontaires) et leurs fonctions, comme Jacques Leplat qui indique quatre fonctions principales du geste : « référentielle » (par exemple pour aider quelqu’un à se garer en l’informant avec un geste de la distance à un autre véhicule); « déictique ou monstrative » (pour désigner), « injonctive » (comme l’agent de circulation qui vous fait signe d’arrêter votre véhicule), « phatique » (pour mobiliser l’attention, comme mettre sa main derrière l’oreille pour demander d’écouter). Ces fonctions rejoignent en partie celles décrites par Jean-François Moulin (2004) dans le contexte de la classe qui relève les caractéristiques d’une « gestualité à distance » comportant des gestes « illustrateurs » -proches du mime- , « régulateurs » -par exemple pour donner la parole-, « adaptateurs » – tournés vers soi comme passer la main dans ses cheveux ou vers un objet comme tripoter un stylo-, et « déictiques » ayant pour but « d’attirer l’attention de l’auditeur et qui renforcent ou remplacent les indications verbales ».

Moulin ajoute toutefois la présence complémentaire d’une « gestualité de contact et de toucher » et insiste sur son importance dans la ritualisation des relations. Il leur attribue quinze fonctions diverses que je ne citerai pas ici et allant de la répression à la captation.

L’observation, et le vécu des gestes comme un préalable à la compréhension 

Il n’y a pas d’action sans une forme de planification de l’action, pas de planification sans une certaine forme de conceptualisation et pas de conceptualisation sans observation participative ou non. L’observation me semble donc occuper une place privilégiée dans l’élaboration de nos actions. Jacques Leplat , ajoute un lien intéressant entre l’observation et l’intention de l’auteur du geste observé (p.14) : « La découverte des neurones miroirs apporte un éclairage nouveau pour la compréhension des situations d’imitation en montrant « qu’observer une action, c’est déjà l’exécuter » (Jeannerod, 2005, p. 156). […] pour que l’imitation soit réussie, il faut que l’action exécutée corresponde non seulement à l’action observée mais aussi à son contenu. On a constaté qu’un enfant tend à reproduire non pas ce que l’agent observé a réellement fait, mais ce qu’il avait l’intention de faire. Par exemple, si on lui montre un geste raté, l’enfant refera le geste abouti et non le geste raté. C’est donc qu’il ne simule pas seulement ce qu’il a vu, il anticipe l’intention de l’acteur à partir de ce qu’il voit. […] Cet exemple nous montre bien que l’imitation est fondée sur la simulation de l’état mental de l’acteur, plus que sur la simple reproduction du geste observé » (p. 158). Dans un article récent, Guillain et Pry (2012) remarquent eux aussi que « les neurones moteurs ne codent pas des mouvements particuliers : ils s’activent en fonction de la signification de l’action observée et ils répondent seulement à la vue d’une action finalisée ; ils déchargent, par exemple, lors de l’observation d’un geste de saisie, mais jamais à la vue de la main ou de l’objet considérés séparément… » (p. 116). » La congruence entre l’état mental d’une part et l’action et le geste de l’autre est donc fondamentale. Leplat va même plus loin en décrivant la nécessité, au-delà de l’observation, de réaliser l’activité avec son propre corps pour en permettre la transcription et porter la compréhension des messages : Les mêmes auteurs notent que « l’action observée doit être transcrite dans le système moteur de celui qui l’observe » (p. 117) et ils rappellent que « Wallon soulignait, lui aussi, la nécessité d’une incarnation motrice de l’action observée pour qui veut la comprendre et la reproduire » (id.).

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Table des matières

1. Introduction
2. Partie théorique et réflexions inspirées par la littérature
2.1. Définitions
2.2. Mouvement dans la sphère de l’individu
2.2.1. Corps et acquisition
2.2.2. Mouvement, expression et compréhension : un lien fort entre le corps et l’émotion
2.2.3. L’observation, et le vécu des gestes comme un préalable à la compréhension
2.3. Le mouvement dans l’interaction : un système à dimensions multiples
2.3.1. Ecologie développementale
2.3.2. Interactions et gestion de classe
3. Partie pratique
3.1. Présentation, mode de diffusion et de traitement du sondage
3.2. Analyse des réponses
3.2.1. Contribution du mouvement aux apprentissages
3.2.2. Mouvement et agitation
3.2.3. Facteurs d’interprétation de l’émotion de l’enfant au travers de son mouvement
3.2.1. Pratiques enseignantes
4. Discussion
5. Conclusion
Références
Annexes

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