Le projet, une démarche génératrice de motivation
En proposant à mes élèves de réaliser un journal de la classe, je souhaitais en premier lieu motiver leur implication dans un projet collectif porteur de sens. Concevoir un journal, c’est en effet offrir aux élèves un espace d’expression libre mais aussi un vecteur d’initiation au monde de l’information, qui caractérise nos sociétés et dans lequel ils seront amenés à évoluer. Dans L’éducation au travail, Célestin Freinet interrogeait les enseignants : « Faîtes vous travailler vos enfants ? Les occupez-vous à des besognes créatrices de puissance et de vie qui répondent à leurs attentes personnelles et aux besoins de la société dont ils sont membres ? ». Il apparaît en effet essentiel, pour enrôler les élèves dans l’apprentissage, de s’appuyer sur leurs aspirations et leurs capacités créatrices et de les placer dans des situations qui leur permettent de se projeter dans un « à venir ». C’est ainsi que le projet journal a permis de transformer la classe en une petite entreprise, une microstructure de presse, dont nous avons adopté les règles de fonctionnement et les codes. Pour plonger les élèves dans cet univers, il a tout d’abord fallu le découvrir. Le travail sur les journaux, mené en éducation aux médias et à l’information, leur avait permis d’appréhender leur organisation en rubriques, les composantes d’une Une et de cerner les caractéristiques de l’écriture journalistique et des différents types d’articles (brèves, reportages, édito, critiques, interviews, etc.). Il s’est prolongé par la découverte des métiers de la presse à travers l’observation d’ours et du fonctionnement d’une rédaction, qui ont débouché sur l’organisation au sein de la classe d’une première conférence de rédaction. Lors de cette dernière, les élèves ont collectivement décidé du titre du journal (La feuille de chou des CM1 G), de son rubriquage, des sujets traités dans le premier numéro, élu le rédacteur en chef et le secrétaire de rédaction, et se sont répartis les articles à rédiger en fonction de leurs goûts. Leur participation active à l’organisation et la bonne tenue (respect des règles de prise de parole) de cette conférence, la possibilité offerte d’exprimer et de mettre en œuvre leurs idées (titre, rubriques, sujets) et enfin l’exercice de leur pouvoir de décision à travers le vote des sujets et des rôles ont constitué autant d’ingrédients motivant leur implication dans le projet, devenu à cette occasion réellement leur projet. Cet engagement ne s’est pas démenti au fil de l’année, en témoignent les récriminations lorsqu’il fallait, faute de temps, reporter une séance de projet journal. Il s’est également clairement exprimé à travers le questionnaire sur le projet soumis à mes élèves au terme du premier numéro (annexe 2), leurs réponses révélant quasi unanimement qu’ils appréciaient le projet journal dans toutes ses dimensions. Les fondements de cette motivation se trouvent dans les caractéristiques mêmes d’une démarche de projet, à savoir comme les identifient Philippe Perrenoud : « une entreprise collective gérée par le groupe classe », orientée « vers une production concrète » dans laquelle « tous les élèves peuvent s’impliquer et jouer un rôle actif, qui peut varier en fonction de leurs moyens et de leurs intérêts »
Donner du sens à l’acte d’écrire
Proposer aux élèves d’écrire, avec pour seul objectif d’apprendre à rédiger un texte d’un type particulier, pose un double problème : l’absence d’adhésion des élèves à la tâche d’une part,le caractère artificiel de la tâche d’autre part. En effet, hormis à l’école, nul ne se trouve jamais en situation d’écrire pour écrire. La nécessité d’écrire intervient toujours dans un contexte déterminé qui lui confère un cadre précis : l’objet du texte (de quoi va-t-on parler ?), son but (demander, informer, répondre, etc.), son destinataire effectif (qui est-il ? que sait-il ? qu’a-t-il envie de lire ?). La rédaction d’articles pour un journal de classe permet donc aux élèves d’être placés dans une situation réelle de communication et les pousse à s’interroger sur les différentes dimensions du message qu’ils souhaitent adresser à leur futur lecteur. À travers ce projet, les élèves prennent en effet conscience qu’ils écrivent pour être lus… et pas uniquement par leur enseignante. Ils sont donc invités, par l’objet même qu’ils doivent produire, à accomplir la décentration nécessaire à toute rédaction : celle de s’extraire du rapport univoque auteur-texte pour intégrer un tiers, le lecteur, dont ils doivent prendre en compte les attentes. Dans le cadre du projet, cette prise en compte du lecteur s’est opérée à plusieurs stades de l’élaboration du journal. En premier lieu, lors du lancement du projet, quand les élèves ont pris conscience que les journaux réalisés seraient vendus au sein de l’école. Pour déterminer les rubriques et les sujets traités, une étude du lectorat s’est imposée afin de cerner les attentes des élèves de l’école mais aussi de leurs parents puisque le journal est rapidement apparu comme un outil d’information à destination des familles. C’est ensuite lors de la rédaction même des articles que les élèves doivent être en mesure de garder à l’esprit les destinataires de leur texte. Cette prise en compte, loin d’être naturelle, est souvent oubliée au moment d’écrire même si les feuilles de route (annexe 1) distribuées à chaque groupe pour guider la rédaction de leur article les invitaient systématiquement à s’interroger sur le lecteur, ses attentes, ses besoins et ses connaissances. C’est donc au moment de la relecture collective des premiers jets d’articles que j’interpellais les élèves sur cette dimension essentielle de l’acte d’écrire. L’article produit apportait-il les informations, non seulement indispensables à la compréhension du sujet, mais aussi susceptibles d’intéresser les lecteurs ? Était-il accessible aux élèves de plus petites classes ? Les réponses du groupe classe offraient au groupe rédacteur des pistes d’amélioration et lui permettaient de dégager des critères à respecter lors de la réécriture de leur article. Placés dans une situation où ils savaient pourquoi et pour qui ils écrivaient, les élèves ont pu donné du sens à l’écriture mais aussi à la démarche inhérente à toute production d’écrits, que respecte d’ailleurs tout professionnel de l’écriture (rédacteur, journaliste, auteur) : recherche de l’information, planification, relecture et réécriture.
Développer confiance en soi, entraide et autonomie
Si la réalisation d’un journal a su motiver les élèves et leur a permis de trouver du sens à la production d’écrits, elle a également, par ses modalités de mise en œuvre (travail en groupes aboutissant à la réalisation d’un produit fini et diffusé), eu un impact sur leur développement personnel en stimulant l’acquisition de compétences visées dans les domaines 2 (méthodes et outils pour apprendre) et 3 (formation de la personne et du citoyen) du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. L’école n’a pas uniquement pour mission d’instruire en transmettant des connaissances, elle doit également contribuer à l’ épanouissement des élèves en développant leurs potentialités, les former à la citoyenneté et les sociabiliser afin de permettre leur insertion et leur participation future à l’évolution de la société. La démarche de projet est, dans ce champ, un outil particulièrement adapté. Elle responsabilise les élèves puisqu’ils connaissent les échéances (un projet, comme son étymologie l’indique, nécessite de se « jeter en avant » donc de prévoir son terme et les étapes de sa réalisation) et comprennent que leur contribution est indispensable pour atteindre collectivement le but fixé. La dimension collective s’avère justement un levier essentiel de la réussite. Si l’élève peut parfois se trouver en échec lorsqu’il doit assumer seul la production d’un texte, l’écriture collective lui offre à la fois un soutien et une motivation pour dépasser les obstacles qui lui paraissaient infranchissables. Il peut compter sur ses camarades mais sait aussi que ces derniers comptent sur lui, ce qui entraîne l’ensemble du groupe dans une dynamique de progression et de résolution des problèmes rencontrés. Il va sans dire que cette alchimie n’est pas systématiquement au rendez-vous. Le travail en groupe est régulièrement émaillé de conflits, pâtit du désinvestissement de certains ou se transforme en terrain de jeu. Preuve que la capacité à travailler en équipe, loin d’être innée, doit faire l’objet d’un apprentissage visant à développer des compétences d’écoute, de respect et d’argumentation. Cet apprentissage se révèle plus difficile pour certains élèves (en particulier ceux qui ont des difficultés à gérer leurs émotions et à les verbaliser), qui se trouvent exclus ou s’excluent eux mêmes du groupe quelle que soit sa composition. Le projet journal m’a en effet permis de faire varier les groupes de travail au fil des séances, laissant parfois le choix libre aux élèves et imposant à d’autres occasions la composition des groupes afin de garantir leur hétérogénéité. Mon objectif était de permettre aux élèves de se réunir par affinité pour certains travaux, dispositif qui, dans certains cas (mais pas systématiquement), améliore les productions, mais aussi de les confronter à la coopération avec des personnes non choisies, contrainte qu’ils rencontreront tout au long de leur scolarité et plus tard dans leur environnement professionnel. Enfin, le travail par groupe visait à rendre les élèves plus autonomes au fil des séances. Pour ce faire, j’ai adopté un mode de fonctionnement identique tout au long de l’année (exemple de fiche de préparation en annexe 1) : point d’étape collectif récapitulant les articles finalisés ou en cours de finalisation et détaillant les objectifs de la séance du jour pour chacun des groupes, remise d’une feuille de route à chaque groupe, rédaction en groupe de travail grâce au guidage de la feuille de route, présentation à la classe des productions du jour afin de les discuter collectivement, de les valider ou de dégager des axes d’amélioration. Les élèves se sont progressivement appropriés ce dispositif « rituel » et ont gagné en autonomie, me sollicitant de moins en moins lors des phases de travail en groupe. Il leur a fallu un peu de temps pour comprendre l’utilité des feuilles de route et la manière de les exploiter, tout comme il m’a fallu du temps pour concevoir des feuilles de route moins denses et mieux adaptées à leur niveau de compréhension et à leurs compétences. La concrétisation du projet sous la forme d’un journal vendu au sein de l’école a non seulement suscité l’investissement des élèves mais aussi constitué un véritable aboutissement et une source de fierté pour eux. Avoir son prénom écrit au bas d’un article qu’est en train de lire un camarade d’une autre classe, c’est faire l’expérience que l’effort fourni et le travail produit ont un intérêt pour la collectivité. En écrivant des articles, en concevant des jeux ou une BD, les élèves ont pris conscience qu’ils étaient capables d’informer et de distraire leur lectorat. Et même si certains doutaient au début du projet de leur aptitude à le mener à son terme, la sortie du premier numéro a démenti leur appréhension et renforcé leur confiance en eux et dans le groupe classe.
Le journal scolaire, objet de réinvestissement de savoirs disciplinaires
Le socle commun de connaissances, de compétences et de culture stipule que chacun des cinq domaines de formation « requiert la contribution transversale et conjointe de toutes les disciplines et démarches éducatives ». En effet, ce nouveau socle n’est plus pensé, comme le précédent, en termes de domaines disciplinaires mais construits autour de cinq grands enjeux de formation au sein desquels s’interpénètrent et s’enrichissent les différentes disciplines. L’interdisciplinarité et l’acquisition de compétences transversales, déjà mises en avant dans les précédents programmes et socle, se trouvent désormais au fondement même des textes définissant l’enseignement obligatoire et ce, afin de préparer les élèves aux attentes du monde professionnel dans lequel ils auront à évoluer. Notre journal de classe s’est révélé un formidable outil pour mettre en œuvre cette interdisciplinarité, permettre aux élèves de développer des compétences transversales (s’exprimer clairement à l’oral, argumenter un point de vue, coopérer, organiser et planifier son travail, mémoriser, rechercher des informations, etc.) et de remobiliser des savoirs disciplinaires pour les transférer dans un autre contexte. Ainsi le premier numéro du journal (annexe 3) a-t-il été l’occasion de mobiliser des compétences en calcul mental pour concevoir l’un des jeux mais aussi en organisation et gestion des données pour analyser les résultats de l’enquête sur les sports les plus pratiqués à l’école. Le temps a manqué pour que les élèves produisent eux-mêmes le graphique présentant ces résultats à partir d’un tableur mais ils ont produit le tableau synthétisant les réponses des différentes classes. Par ailleurs, le dossier consacré au changement climatique m’a permis d’évaluer ce que les élèves avaient retenu et compris de la séquence consacrée à ce thème en sciences. Certaines réponses au questionnaire bilan (annexe 2) font d’ailleurs clairement apparaître que c’est ce travail de réinvestissement à travers la rédaction d’un dossier qui a conduit les élèves à comprendre et à s’approprier les notions abordées en sciences. Enfin, les conférences de rédaction, moments privilégiés de débat entre élèves, ont constitué des temps de mise en pratique de l’enseignement moral et civique, de par la nécessité de respecter des règles de prise de parole et d’écoute, de s’ouvrir au point de vue d’autrui et d’arrêter des choix par le biais d’un vote démocratique.
Place de l’information dans nos sociétés
Avec le développement des nouvelles technologies, l’information et la communication se trouvent depuis une dizaine d’années au cœur de nos sociétés, désormais volontiers qualifiées de « sociétés de l’information et de la connaissance ». Cette prééminence de l’information, son immédiateté et son abondance ont entraîné de profonds changements tant dans les rapports sociaux et le monde professionnel que dans l’univers de l’enseignement. Alors que l’information est devenue accessible en quelques clics, que doit-on apprendre aux futurs citoyens pour qu’ils puissent se repérer dans ce déluge informationnel et savoir le mettre à profit sans s’y perdre ? C’est à ce titre que l’éducation aux médias et à l’information trouve tout son intérêt à l’école. Elle doit permettre à chaque élève « de maîtriser la lecture de l’information et le décryptage de l’image, dans les médias, sur internet et les réseaux sociaux, de manière à ce qu’il puisse aiguiser son esprit critique et se forger une opinion, compétences essentielles à l’exercice d’une citoyenneté éclairée et responsable en démocratie ». Étudier la presse écrite avec mes élèves s’inscrivait donc parfaitement dans les attentes institutionnelles et j’étais convaincue, par mon passé professionnel, de l’importance de cette initiation pour leur permettre de développer des compétences en matière d’analyse critique et d’argumentation. S’il n’est pas nécessaire d’apprendre aux jeunes à se tourner vers internet, tant c’est devenu pour eux un réflexe dès qu’ils ont à chercher une information, il est en revanche indispensable de leur apprendre à la sélectionner, à la décrypter, à en comprendre les soubassements pour leur permettre de l’utiliser à bon escient et leur éviter d’en être les victimes manipulées. De la même manière que pour les médias numériques, lire un journal s’apprend. Comment sont organisées et présentées les informations ? Qui choisit de mettre en avant telle ou telle ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’une ligne éditoriale ? Quelle différence entre une opinion et une information ? Autant de questions que l’étude de la presse écrite permet d’aborder avec les élèves les conduisant progressivement à se forger une image plus claire des médias et de leur rôle dans la société.
La presse, un outil didactique d’apprentissage de la langue
Si le projet journal comportait une dimension découverte de la presse, il visait en premier lieu la réalisation d’un journal par la classe et donc l’enseignement de la production d’écrits. Le langage, qu’il soit écrit ou oral, est au centre des apprentissages du cycle 3. L’enseignant doit donc veiller à mettre en œuvre des situations permettant aux élèves de manipuler la langue, d’en comprendre le fonctionnement afin de progresser dans sa maîtrise. L’intrication entre oral et écrit doit être placée au centre de l’enseignement puisque les progrès à l’oral conditionnent l’acquisition d’une meilleure expression écrite, qui en retour permet aux élèves de mieux structurer leur langage oral. Si l’ensemble des disciplines offre un terrain d’entraînement et d’exercice du langage oral comme écrit, la rédaction d’un journal de classe constitue un support particulièrement propice à leur pratique. En effet, pour produire le journal, les élèves doivent écrire, cela va sans dire, mais aussi présenter leurs idées aux autres, en débattre, argumenter leurs choix. Le projet journal m’offrait la possibilité, même si je n’y suis pas parfaitement parvenue, de concevoir un apprentissage progressif des compétences mobilisées à l’écrit et à l’oral. J’ai commis plusieurs erreurs, dont j’espère tirer les enseignements pour ma pratique future : apprendre à construire mes séances à partir des représentations des élèves et non des miennes, proposer des situations qui leur permettent de construire eux-mêmes les outils dont ils ont besoin pour réaliser une tâche complexe comme la rédaction d’un texte, ménager plus de temps pour les échanges oraux entre eux.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : LE JOURNAL SCOLAIRE, SOURCE DE MOTIVATION ET D’APPRENTISSAGES MULTIPLES POUR LES ELEVES
1 Motivation et développement personnel
1-1 Le projet, une démarche génératrice de motivation
1-2 Donner du sens à l’acte d’écrire
1-3 Développer confiance en soi, entraide et autonomie
2 Faire vivre l’interdisciplinarité
2-1 Le journal scolaire, support de l’éducation aux médias et à l’information
2-2 Le journal scolaire, objet de réinvestissement de savoirs disciplinaires
3- Apprendre autrement
3-1 Apprendre en coopérant
3-2 Apprendre en s’amusant
PARTIE II : LE JOURNAL SCOLAIRE, UN PROJET QUI FORGE L’IDENTITE PROFESSIONNELLE DE L’ENSEIGNANT
1 Pourquoi un projet autour de la presse ?
1-1 Place de l’information dans nos sociétés
1-2 La presse, un outil didactique d’apprentissage de la langue
1-3 Enseigner un domaine dont on est expert
2 Mettre en œuvre une pédagogie de projet
2-1 Concevoir le projet et les modalités de sa réalisation
2-2 Définir ses objectifs d’apprentissage à partir des compétences visées
2-3 Organiser le travail en groupe et gérer le groupe classe
2-4 Apprendre à évaluer les acquis et les progrès des élèves
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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