Mortalité et facteurs pronostiques des patients d’oncologie et d’hématologie

L’embolie pulmonaire (EP) est la troisième cause de mortalité cardiovasculaire dans le monde (1). Cette pathologie entraîne une obstruction du lit vasculaire pulmonaire, conduisant à une chute de la précharge du ventricule gauche (VG) et une surcharge du cœur droit, menant à une dysfonction cardio-circulatoire (2). Malgré l’accès à des traitements préventifs des évènements thromboemboliques veineux (bas de contention, anticoagulation)(3) et à de multiples thérapeutiques curatives (anticoagulation, thrombolyse, filtre cave) (4), la mortalité hospitalière reste élevée, de l’ordre de 15 à 25% (5,6), particulièrement chez les patients d’onco-hématologies et d’oncologies (7,8). Chez ces derniers, la maladie thromboembolique veineuse (MTEV) est une complication fréquente (9,10). La prévalence y est sept fois supérieure à celle de la population générale (11), et la proportion d’EP parmi ces patients atteints de MTEV est plus importante, représentant environ 50% des épisodes thromboemboliques (12). Les anticoagulants sont les traitements principaux de la MTEV(13). Leur utilisation est délicate en oncologie et onco hématologie, en raison de troubles de la crase sanguine (14), et de thrombopénies fréquentes dans cette population. Il en résulte davantage de complications hémorragiques (4 à 12%) (15,16), et une moins bonne réponse aux anticoagulants (17,18). Les recommandations sont claires concernant la prise en charge de l’EP. La société européenne de cardiologie (ESC) propose un traitement basé sur l’état hémodynamique (2), mais la validité dans le cadre oncohématologique pose question, en particulier pour les malades en état de choc. Les études validant l’anticoagulation dans un contexte oncologique, opposent souvent les héparines non fractionnées et les héparines de bas poids moléculaire, mais n’ont pas été réalisées en réanimation (19). Il existe peu de données dans la littérature sur le pronostic des patients en réanimation atteint d’un cancer et présentant un épisode d’EP. Cette carence représente probablement une lacune dans les recommandations actuelles des sociétés savantes concernant ce cadre nosologique à forte mortalité. L’objectif de cette étude est d’évaluer le pronostic de l’EP dans une population atteinte de cancer en réanimation, dans le but d’optimiser sa prise en charge. On s’attachera à mesurer l’incidence des complications, ainsi que l’impact des différents traitements anticoagulants sur cette population.

MATÉRIEL ET MÉTHODES

Design de l’étude

Nous avons constitué une cohorte rétrospective, de patients d’oncologie et d’onco-hématologie, admis en réanimation et ayant présenté une embolie pulmonaire. Quatre centres français (Angers, Marseille, Paris, Versailles) ont participé à l’inclusion. La période d’étude s’étendait de janvier 2009 à juillet 2021.

Population de l’étude 

Était inclus, les patients âgés d’au moins 18 ans, hospitalisés en réanimation pour une durée d’au moins 24 heures. La présence d’un cancer actif et un diagnostic scanographique d’EP était requis. Le diagnostic d’EP était défini selon des données scanographiques, puis selon la localisation anatomique tronculaire, lobaire, segmentaire et sous segmentaire du thrombus (20).

La date du diagnostic de l’EP était répertoriée de la façon suivante : connue avant le séjour en réanimation, diagnostiquée à l’entrée, ou après l’admission en réanimation. Ce critère était non exclusif, permettant de le coter deux fois, lorsqu’un nouvel épisode s’ajoutait à une EP déjà connue. Le délai entre l’admission en réanimation et le diagnostic d’EP était recueilli. Le diagnostic de cancer actif devait avoir été réalisé de manière anatomopathologique. Ils ont été différenciés en hématologique et solide, puis respectivement selon leur anatomo-pathologie et leur localisation. Il était précisé si les cancers solides étaient métastatiques. La chimiothérapie était active si le patient avait reçu une cure dans le mois précédent l’admission en réanimation. Une chirurgie oncologique était récente si elle avait eu lieu dans les 6 mois précédant le séjour. La période postopératoire correspondait aux 7 jours suivant la chirurgie. Le recueil de données comprenait les caractéristiques démographiques des patients et leurs comorbidités. L’échelle OMS permettait de classifier l’état de santé général. La sévérité des patients était évaluée selon le score de gravité IGS 2 et l’index de Charlson. La sévérité de l’EP était définie selon les recommandations de la société européenne de cardiologie (ESC) (21) :
– risque haut, pour les instabilités hémodynamique définies par PAS < 90 mmHg ou chute > 40mmHg > 15 min, ou nécessité de support vasopresseur,
– risque intermédiaire haut, pour une dysfonction cardiaque droite échographique ou scanographique (Ventricule Droit (VD) / Ventricule Gauche (VG) ≥ 1,0 ou l’excursion systolique du plan de l’anneau tricuspide (TAPSE) < 16 mm) et une augmentation des enzymes cardiaques (BNP > 600 ng/ml ou/et tropo ≥15 ng/ml),
– risque intermédiaire bas, si un seul critère ou zéro.

L’instabilité hémodynamique était définie selon les critères de l’ESC cidessus. L’insuffisance rénale aiguë (IRA) était définie par un score de KDIGO ≥ 1 (22). La défaillance respiratoire aiguë (DRA) était définie par une Pa02 < 60 mmHg en air ambiant, une tachypnée > 30 min, et une oxygénodépendance > 6 Litres/minutes (23). La dysfonction hépatique aiguë était définie par un temps de thrombine < 50% (24). Ces défaillances d’organes étaient présentes à l’admission en réanimation, ou secondaires, c’est-à-dire apparaissant après 24 heures. Une hémorragie majeure était définie par la perte ≥ 2,0 g/dL d’hémoglobine en moins de 24 heures, la nécessité d’une intervention chirurgicale, ou un saignement mettant en jeu le pronostic vital (25). Le surdosage en héparine était défini par un rapport TCA > 4,0. La difficulté d’équilibration du traitement et la présence d’une coagulation intravasculaire disséminée étaient cotées selon l’appréciation du clinicien. La thrombopénie était définie par des plaquettes < 50 G/l.

Les traitements anticoagulants étaient pré-existants si introduits avant l’admission en réanimation. Le traitement anticoagulant curatif de l’épisode était classé en 2 groupes : Héparines non fractionnées (HNF) ou Héparines de bas poids moléculaire (HBPM). Le recueil comprenait la notion de relais entre HNF et HBPM et son délai, précoce < 72H ou tardif > 72H. Lorsque le relais par HBPM était précoce, les patients étaient classés dans le groupe HBPM principales. On notera HNF seules les patients traités uniquement par HNF en réanimation, et HBPM seules ceux uniquement traités par HBPM. La ventilation mécanique regroupait, de manière non exclusive, les patients sous ventilation mécanique invasive, non invasive (VNI) ou avec une oxygénothérapie haut débit (OHD). Le support vasopresseur était la noradrénaline. Les supports inotropes étaient l’adrénaline et la dobutamine.

Recueil des données

Les données ont été recueillies à partir de l’analyse des comptes-rendus de séjour en réanimation. Le temps de suivi était de 90 jours, à l’issue duquel le statut vital était recueilli. Nous avons recueilli la date du dernier contact hospitalier (compte rendu de consultation et d’hospitalisation) et consulté les registres de décès régionaux. Les patients étaient classés : vivants, décédés, ou perdus de vue si la donnée était absente. Ces derniers ont été exclus de l’analyse.

Analyses statistiques

Les résultats ont été présentés sous forme de médiane et d’intervalles interquartiles ou de nombres et de proportions (%). Les variables qualitatives ont été comparées entre les différents groupes à l’aide du test de Chi-2 ou du test exact de Fisher selon les cas, les variables continues à l’aide du test de Mann-Whitney. L’analyse multivariée a été réalisée en utilisant une régression logistique, le critère de jugement principal était la mortalité à 90 jours après admission en réanimation. Les variables donnant des valeurs p<0,10 dans les analyses univariées ou considérées comme cliniquement pertinentes ont été introduites dans un modèle de régression logistique pas à pas. Les résultats ont été exprimés sous la forme d’Odds Ratio (OR) et d’intervalles de confiance (IC) à 95 %. Dans un second temps, l’effet des HNF seules a été évalué sur la survie à 90 jours pour la population globale et aussi pour les sous-groupes de patients traités exclusivement par HNF seules ou par HBPM seules. Pour tenir compte des biais de sélection possibles de cette étude observationnelle (puisque le choix d’initier un traitement anticoagulant était laissé à la discrétion du réanimateur), nous avons utilisé une analyse basée sur un score de propension à pondération de probabilité inverse. Le score de propension (PS) est la probabilité de recevoir un traitement anticoagulant en fonction de certaines covariables de base (âge, sexe, cancer solide ou hématologique, centre, score IGS II, indice de Charlson, EP connue, EP en réa, EP après réa, admission postopératoire en réanimation, numération plaquettaire < 50G/L à l’admission en réanimation et stade OMS). Des méthodes de pondération par probabilité inverse (IPW), utilisant des poids tronqués, ont été utilisées pour reconstruire des pseudo populations dans lesquelles les patients des deux groupes (HNF seules vs autres traitements tardifs, ou HNF seules vs HBPM seules) ont des caractéristiques similaires. Nous avons utilisé un modèle de Cox pour comparer le délai d’apparition des résultats (survie au 90e jour). Les résultats ont été exprimés sous la forme d’Hazard Ratio (HR) et d’intervalles de confiance (IC) à 95 %. Nous avons utilisé des courbes de survie cumulées pour illustrer ces résultats. Tous les tests étaient bilatéraux, et les valeurs p<0,05 ont été considérées comme statistiquement significatives. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel R (version 3.6.2).

La présence d’un cœur droit échographique était un facteur de mauvais pronostic (p=0.016). Des marqueurs biologiques myocardiques positifs n’impactaient pas significativement la survie (p=0.752). En revanche, on retrouvait significativement des taux de BNP plus élevés dans le groupe décédé à 90 jours (p=0.004). Une différence significative était retrouvée entre la gravité stratifiée du risque selon l’ESC et la mortalité (p<0.001).

Les complications hémorragiques (p=1.000) et septiques (p=0.195) n’étaient pas significativement associées à la mortalité à 90 jours. Les défaillances suivantes été significativement associées à une augmentation de la mortalité : DRA (p<0.001), IRA (p=0.005), instabilité hémodynamique (p=0.006), DRA secondaire (p=0.001), IRA secondaire (p<0.001), instabilité hémodynamique secondaire (p<0.001). De même que les supports vasopresseur (p < 0.001), inotrope (p<0,001), la ventilation invasive (p < 0.001) et l’épuration extra-rénale (p=0.003).

La thrombolyse (p=0.229) et la mise en place d’un filtre cave (p=0.742), n’était pas associées à une différence significative de mortalité à 90 jours. L’utilisation d’HNF sans relais (HNF seules) était un facteur de mauvais pronostic (p=0.007). L’utilisation d’HBPM était un facteur de bon pronostic (p<0.001). En revanche, pour l’utilisation des HBPM seules (p= 0.578) et en relais précoce (p=0.056), il n’était pas retrouvé d’association statistique.

DISCUSSION 

Dans la population générale, la mortalité hospitalière après un épisode d’embolie pulmonaire en réanimation varie entre 30 et 50% (26,27). Dans cette étude ciblant les patients d’oncologie et d’onco hématologie, la mortalité toutes causes à trois mois s’élevait à 41%. La survie après une EP était comparable entre les cancers hématologiques et les tumeurs solides. La présence de métastase apparaissait comme un facteur indépendant de mauvais pronostic. On retrouve cette donnée dans la littérature, où les cancers métastatiques sont associés à une augmentation de la fréquence et la gravité des événements thromboemboliques (28). Indépendamment de la cause d’hospitalisation, la présence de métastase lors d’un séjour en réanimation est associée une diminution de la survie (29,30). Chez le patient d’onco-hématologie, l’utilisation de ventilation mécanique invasive est un élément de mauvais pronostic bien identifié (23,31,32). Cette tendance se retrouve significativement dans notre étude. Concernant le traitement de l’embolie pulmonaire, les sociétés savantes recommandent d’utiliser en priorité la thrombolyse et les HNF chez les patients en état de choc (2,33). L’utilisation des HNF dans ce contexte est soutenue par un niveau de preuve faible (grade C). En pratique, en réanimation, la crainte d’une complication hémorragique, amène le clinicien à utiliser en premier lieu des HNF. Leur courte demi-vie, leur maniabilité et l’absence de contre indication en cas d’insuffisance rénale, en font des molécules fréquemment utilisées en réanimation (34). En revanche la labilité des HNF peut provoquer des sous- et sur-dosages fréquents. Une introduction parfois trop prudente entraîne un intervalle libre important avant l’obtention d’une anticoagulation efficace (35,36). En comparaison, le profil des HBPM apparaît plus sécuritaire, plus stable. Il arrive plus facilement à intervalle thérapeutique efficient (37). Chez les patients d’oncologie et d’onco hématologie, hors état de choc, les HBPM représentent le traitement de première intention (13,19,38). Elles diminueraient les risques de saignement et de récurrence, comparées aux HNF (39,40). La physiopathologie de l’état cancéreux rend complexe l’utilisation des anticoagulants (16,39). Il existe une sécrétion de facteurs procoagulants par les cellules cancéreuses et une surexpression du facteur tissulaire, entraînant une activation de la cascade de coagulation. Une réaction inflammatoire, médiée notamment par le TNF et les IL1, vient participer à cet état d’hypercoagulabilité (41). Néanmoins les facteurs de risque de saignement sont nombreux dans cette population, entre autres, la thrombopénie, le postopératoire, la néoangiogenèse tumorale (15,42). Les risques hémorragique et thrombotique entrent en concurrence. La thrombopénie montre la complexité de l’anticoagulation au cours du cancer, avec des patients particulièrement à risque hémorragique, qui développent également des thromboses (43,44). Aucune stratégie consensuelle d’anticoagulation n’est clairement définie dans ce cas de figure (45). Dans notre étude la thrombopénie n’était pas significativement associée à la mortalité, mais on peut suspecter un manque de puissance lié au faible effectif de ce groupe. L’utilisation des HNF sans relais en réanimation était un facteur de risque de mortalité indépendant. L’étude de l’utilisation des HBPM de façon plus systématique chez les patients d’oncologie et d’onco-hématologie présentant une EP lors d’un séjour en réanimation pourrait être intéressante. D’autant plus que ces molécules ont déjà prouvé leur supériorité sur les HNF dans le cadre de la prophylaxie en réanimation (46). Notre travail montrait une mortalité associée au contexte postopératoire plus faible. C’est une situation  hospitalière bien encadrée (13). Une vigilance accrue quant aux complications thrombo-emboliques, plus fréquentes en période postopératoire (47), conduit facilement le clinicien à réaliser des imageries (48). On constate également dans ce groupe une utilisation préférentielle des HBPM. Ce résultat vient renforcer l’idée que la limitation des HNF au profit des HBPM semble améliorer le devenir des patients. La multicentricité de notre étude, avec des centres spécialisés dans le cancer et d’autres plus généraux, est un point fort. Plus de 26 types de cancers différents, comprenant des pathologies hématologiques, y sont étudiés. Cette cohorte observationnelle rétrospective comporte certaines limites. Le recueil des données était réalisé sur les comptes rendus de réanimation, non standardisés entre les centres. Le choix du traitement était laissé à la discrétion du clinicien (biais de sélection). Nous avons  néanmoins réalisé un modèle de régression logistique, puis une analyse par score de propension pondérée pour diminuer l’impact de ce biais. Les posologies des HNF et des HBPM n’étaient pas connues. Les cliniciens ne suivaient pas de protocole commun pour l’adaptation du traitement.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières

I. INTRODUCTION
II. MATÉRIEL ET MÉTHODES
1. Design de l’étude
2. Population de l’étude
3. Recueil des données
4. Analyses statistiques
III. RÉSULTATS
1. Population globale
2. Analyse univariée
3. Analyse multivariée
4. Analyse en sous groupes et par score de propension pondérée
IV. DISCUSSION
V. CONCLUSION
VI. BIBLIOGRAPHIE
VII. ANNEXE

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *