La drépanocytose homozygote est l’hémoglobinopathie symptomatique la plus fréquente dans le monde, plus particulièrement en Afrique noire. Au Sénégal, 8 à 10 % de la population est porteuse de l’hémoglobine S et les études de dépistage néonatal estiment que 0,5 % des nouveaux nés souffrent de formes majeures d’hémoglobinopathies [71]. Elle se caractérise par une morbidité et une mortalité très élevées surtout en Afrique du fait du retard diagnostique et des moyens de prise en charge précaires. La morbidité liée à la drépanocytose est marquée par la survenue de complications aigues dont les plus redoutables et souvent causes de décès, sont l’anémie aigue, le syndrome thoracique aigu (STA), les infections, les accidents vasculaires cérébraux (AVC), et de complications chroniques telles que l’insuffisance rénale chronique (IRC), l’insuffisance cardiaque, l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) qui ont une évolution fatale [13,72] Depuis quelques années, l’amélioration de la prise en charge des drépanocytaires homozygotes a permis un prolongement de leur espérance de vie aussi bien dans les pays développés [28] que dans ceux en développement [34,36].Cette amélioration spectaculaire a été attribuée à plusieurs interventions durant la petite enfance, y compris les programmes de dépistage néonatal, l’utilisation de l’antibioprophylaxie et de la vaccination anti pneumococcique [86,108], et l’usage de l’hydroxyurée qui a démontré son efficacité dans la réduction de la morbidité et de la mortalité des drépanocytaires au cours de ces 15 dernières années [105,96]. Plusieurs études ont évalué la mortalité liée à la maladie drépanocytaire au cours du temps [46, 61,79], et dans la plupart de ces études, des facteurs de risque pouvant être associés au décès des patients ont été déterminés.
GENERALITES
Définition de la drépanocytose
La drépanocytose ou anémie falciforme est la première maladie génétique dans le monde caractérisée par un trouble qualitatif de la synthèse de l’hémoglobine. Elle est transmise sur le mode autosomique récessif et est due à une mutation ponctuelle d’une adénine par une thymine : (le codon GAG remplacé par GTG) au niveau du sixième codon de la chaine β globine du chromosome 11 entrainant la substitution de l’acide glutamique (glu) par la valine(val) aboutissant à la synthèse d’une hémoglobine S (HbS) à la place de l’hémoglobine normale A [60].
Historique de la drépanocytose
La drépanocytose provient étymologiquement du grec «drépanon» qui signifie «faucille». Elle désigne une forme recourbée des hématies ; cette forme des globules rouges est observée au cours de certaines circonstances dans la drépanocytose. La drépanocytose est une maladie bien connue, depuis longtemps, dans la médecine traditionnelle africaine. Les Ghanéens auraient reconnu que cette maladie était un syndrome héréditaire dangereux [56]. La littérature médicale nigériane quant à elle, fait état des « ogbanjes » enfants qui meurent très jeunes [53] dès 1870. En 1874, HORTON pour sa part, décrit le « rhumatisme chronique » dans ses publications : il s’agit vraisemblablement de la drépanocytose. La maladie a été découverte en 1910 par Dr James Herrick ; médecin cardiologue à CHICAGO, qui décrivit dans une de ses publications, un syndrome chez un patient noir originaire des Antilles anglaises (Grenade). Le syndrome se caractérisait par une anémie sévère associée à une forme particulière d’érythrocytes, évoquant celle d’une faucille.
Le patient, W.C.Noel, étudiant en dentisterie, retourna à Grenade où il mourut de pneumonie à l’âge de 32 ans. De nombreux autres cas ont ensuite été décrits avec les mêmes similitudes cliniques et biologiques que celles du Dr Herrick. En effet, le second patient est une servante noire du nom d’Ellen Anthony. Elle a été victime d’une douleur abdominale sévère traitée par l’étudiant B.E.Washburn. Celui-ci confirme que la pathologie dont souffre Ellen Anthony correspond au syndrome décrit par James Herrick. Il publie son observation en 1911. Le troisième cas concerne également un malade de race noire. Le tableau clinique de cette patiente de 21 ans ressemble singulièrement à l’histoire clinique et hématologique des patients de Herrick et Washburn. Ce patient attire tout naturellement l’attention du Dr Victor Emmel qui soupçonne une étiologie héréditaire : trois enfants de la même famille sont décédés d’anémie ; elle-même et son père (asymptomatique) sont sensibles au test de falciformation qu’il décrit en 1917. A la suite de ces analyses Emmel évoque alors l’hérédité qu’il démontre à travers un test qui porte son nom de nos jours. Cette démonstration explique la réversibilité de la falciformation in vitro sous l’action de la pression partielle d’oxygène, si l’on ajoute du bisulfite de sodium au sang du malade ou en créant artificiellement une atmosphère pauvre en oxygène. C’est avec lui que les notions de falciformation et de défalciformation voient le jour ; il démontre également l’importance de la réversibilité du cycle et souligne le rôle prépondérant de ce mécanisme dans la maladie.
En 1922 est proposé le nom de « sickle cell disease » ou drépanocytose en français. Les premières descriptions, de la crise hémolytique ont été faites en 1924 par Sydenstricker, qui expose sur les aspects aigus et douloureux. Ce sont Hank et Guillepsie qui remarquent en 1929, que la déformation des globules rouges, se produit en cas de basses pressions en oxygène dans le sang, c’est à dire inférieures à 50 mm Hg. Sherman quant à lui, distingue le trait falciforme avec ses collaborateurs en 1940 et suggère pour la première fois, le rôle de l’hémoglobine dans l’anémie falciforme qu’ils considèrent comme héréditaire. Dans la même lancée, Neel est le premier à exprimer clairement, l’existence d’une forme homozygote héritée de deux parents hétérozygotes : c’est la transmission mendélienne de la maladie.
En 1944, les premiers dépistages du trait drépanocytaire sont réalisés dans un contexte de médecine coloniale en Afrique de l’ouest ; en Afrique du SUD et au Nigéria. Elles ont pour but l’étude des « pathologies exotiques ». Le gène S, responsable de la pathologie est alors découvert. C’est de ces études, que naissent les premières théories de la transmission de la pathologie. C’est ainsi que Paul, Itano, Inger et Wells (1949) ont mis en évidence la différence électrophorétique entre l’hémoglobine normale A (Hb) et l’hémoglobine anormale S (HbS). Ce fut la première maladie génétique décrite avec un défaut de la structure moléculaire d’une protéine spécifique. En 1950, les connaissances sur la drépanocytose deviennent de plus en plus concrètes avec une intensification de la recherche, corrélée aux innovations scientifiques. En effet, Harris étudie sous microscope, en lumière polarisée, des concentrations variées d’hémoglobine drépanocytaires oxygénées ou désoxygénées et confirme l’approche de Pauling en ce qui concerne le mécanisme de falciformation. Ainsi, les molécules de l’hémoglobine S désoxygénées, s’associent entre elles pour former un arrangement avec une formation de longues chaines d’éléments d’hémoglobine (tactoïdes). En 1956, Vernon Ingram met en évidence, l’anomalie biochimique et démontre que la différence entre HbS et HbA réside en la substitution d’un seul acide aminé : l’acide glutamique de la chaine bêta de la globine par la valine dans la structure de l’hémoglobine.
Dans les années 1960, les chercheurs découvrent que le gène codant la production de la chaine bêta globine se trouve sur le chromosome 11. De ce fait la thymine (T) va remplacer l’adénine (A) sur le codon 6 : (GAG devient GTG). En 1980, Robert Hebbel est le premier à observer l’adhérence vasculaire des cellules falciformes : c’est le début de la connaissance de la physiopathologie drépanocytaire.
Epidémiologie de la drépanocytose
Dans le monde
La drépanocytose est l’hémoglobinopathie la plus anciennement connue dans le monde, la plus fréquente et la plus grave en termes de santé publique [34]. Elle touche plus de 20-25 millions d’individus porteurs du gène ΒS dans le monde. C’est une pathologie du sujet noir africain .
Par ailleurs, la drépanocytose n’est plus exclusivement une maladie des populations noires d’Afrique ; en effet en raison des flux migratoires des populations mais également des brassages culturels, elle est devenue une maladie cosmopolite. On la rencontre dans les autres continents.
Ainsi dans les pays d’immigration de la population noire, la fréquence est estimée à 10% : il s’agit des pays comme la Grande Bretagne, les Caraïbes, le Brésil ou la Colombie [98]. De même dans plusieurs pays ou régions d’Europe, tels que le Sud de l’Italie, la Grèce, le Portugal, l’Albanie, le Sud de la Turquie, la fréquence des porteurs de trait varie entre 1 et 5% de la population [106]. En Amérique, la maladie est fréquente aux Antilles avec un taux de 12% [66], au Brésil (7-8%), aux Etats Unis (7% dans la population noire). En Asie, elle est particulièrement rencontrée en Inde où la prévalence peut atteindre 31 à 34% en particulier dans le Sud du pays.
En Afrique
Selon l’OMS, 12 à 15 millions de ces personnes vivent en Afrique subsaharienne, faisant d’elle la principale maladie génétique de l’Afrique intertropicale. Et chaque année, 236000 naissances porteuses de la forme homozygote SS y sont enregistrées [22], dont la moitié meurt avant l’âge de 5 ans [30]. L’Afrique sub-saharienne étant la zone la plus touchée ; LEHMANN a décrit la « ceinture sicklémique » ou sickle belt située entre le 15e parallèle latitude Sud et le 20e parallèle latitude Nord : elle commence à l’embouchure du fleuve Sénégal couvre toute l’Afrique occidentale, équatoriale et orientale en passant par le canal du Mozambique et le sud du Soudan jusqu’au Zambèze et l’île de Madagascar .
Dans certaines parties d’Afrique comme le Nigéria, le Ghana, le Cameroun et le Gabon, les taux de prévalence se situent entre 20 et 30% et atteignent 45% dans quelques régions de l’Ouganda [79]. Il va s’en dire que la fréquence du trait drépanocytaire détermine la densité de la prévalence de cette maladie à la naissance. En effet, dans les pays où la prévalence du trait drépanocytaire est supérieure à 20%, la drépanocytose touche environ 2% de la population [107] et est à l’origine de 5% de décès d’enfants de moins de 5 ans.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : REVUE DE LA LITTERATURE
CHAPITRE 1 : RAPPELS SUR LA DREPANOCYTOSE
I.GENERALITES
I.1 Définition de la drépanocytose
I.2 Historique de la drépanocytose
I.3 Epidémiologie de la drépanocytose
I.3.1 Dans le monde
I.3.2 En Afrique
I.3.3 Au Sénégal
I.3.4 Rapport de la drépanocytose avec le paludisme
I.4 Génétique
I.5 Physiopathologie de la drépanocytose
I.5.1 La gélification
I.5.2 La falciformation
I.5.3Adhérence des globules rouges drépanocytaires à l’endothélium vasculaire
I.6 Diagnostic
I.6.1 Forme homozygote
I.6.1.1 Signes cliniques
I.6.1.2 Signes biologiques
I.6.2 Forme hétérozygote
I.6.2.1 La forme hétérozygote SC
I.6.2.2 Les formes hétérozygotes composites Sβ thalassémie
I.7 Traitement
I.7.1 Les mesures préventives générales
I.7.1.1 L’hyperhydratation
I.7.1.2 La prévention des infections
I.7.1.3 La prévention des crises vaso-occlusives
I.7.1.4 La supplémentation en acide folique
I.7.2 Le traitement des crises vaso-occlusives
I.7.2.1 Les antalgiques
I.7.2.2 L’hydroxyurée
I.7.3 Les autres thérapeutiques
I.7.3.1 La transfusion sanguine simple
I.7.3.2 L’échange transfusionnel
I.7.3.3 L’allogreffe
I.7.4 Les perspectives thérapeutiques
CHAPITRE II : FACTEURS DE RISQUES DE DECES
II.1 Complications aiguës
II.1.1 Accidents vaso-occlusifs
II.1.1.1 Syndrome thoracique aigu
II.1.1.2 Les complications neurologiques
II.1.2 Anémie
II.1.2.1 La crise de séquestration splénique
II.1.2.2 La crise aigue érytroblastopénique
II.1.3 Les infections
II.2 Les complications chroniques
II.2.1 L’ostéonécrose aseptique
II.2.2 La lithiase vésiculaire
II.2.3 L’ulcère de jambe
II.2.4 L’hypertension artérielle pulmonaire
II.2.5 Les complications rénales
II.2.6 La grossesse
DEUXIEME PARTIE : TRAVAIL PERSONNEL
I.CADRE D’ETUDE
II.OBJECTIF DE L’ETUDE
III.2 Population d’étude
III.3 Échantillonnage
III.4 Variables étudiées
III.5 Etude statistique
IV RÉSULTATS
IV.1 La mortalité
IV.1.1 taux de mortalité
IV.1.2 evolution du nombre de décès de 2011 à 2016
IV.2 Caractéristiques sociodémographiques des patients décédés
IV 2.1 Age
IV.2.2 Répartition des patients décédés selon le sexe
IV.2.3 Corrélation sexe / âge
IV.3 Morbidité de la drépanocytose chez les patients décédés
IV.3.1 Age au diagnostic
IV.3.3 Durée de suivi des patients
IV.3.4 Fréquence des CVO
IV.3.5 Antécédents d’hospitalisation
IV.3.6 Fréquence et type de complications chroniques
IV.3.7 Types de traitement de fond
IV.4 Causes immédiates de décès
V DISCUSSION
V.1 Mortalité
V.2 Aspects sociodémographiques des patients
V.3 Morbidité
V.4 Causes immédiates de décès
V.4.1 Anémie aigue
V.4.2 Syndrome thoracique aigu
V.4.3 Insuffisance rénale chronique
V.4.4 Infections
V.4.5 Accidents vasculaires cérébraux
V.4.6 La grossesse
V.4.7 Ulcère de jambe
V.4.8 Lithiase vésiculaire
V.4.9 Autres causes
CONCLUSION
RECOMMANDATIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES