MORPHOLOGIE ET CYCLE BIOLOGIQUE DE PNEUMOCYSTIS
Des aspects fondamentaux de la biologie des Pneumocystis sp. restent ร รฉlucider et aucunยต systรจme de culture continue nโexiste ร ce jour.
Morphologie
De nombreuses รฉtudes ultrastructurales ont รฉtรฉ menรฉes sur des poumons humains (Barton et Campbell, 1967 ; Hasleton et al., 1981) ou dโanimaux (Yoshida, 1989 ; Palluault et al., 1991 ; Palluault et al., 1991a) infectรฉs par Pneumocystis sp. Les donnรฉes obtenues en microscopie รฉlectronique ร transmission, par des techniques de cytochimie ultrastructurale ou par des mรฉthodes de reconstruction tri dimensionnelle (Palluault et al., 1991 ; Palluault et al., 1991a ; Palluault et al., 1992 ; Palluault et al., 1992a) ont permis de caractรฉriser trois stades parasitaires : les formes trophiques, les sporocytes et les kystes matures (Figure 1). La forme trophique (dรฉnommรฉe auparavant ยซย trophozoรฏteย ยป), uninuclรฉรฉe, est la plus abondante puisquโelle reprรฉsente 90 ร 95% des formes parasitaires prรฉsentes dans les poumons des hรดtes infectรฉs. Cette forme vรฉgรฉtative, qui mesure 2 ร 8 ยตm de diamรจtre, prรฉsente un aspect irrรฉgulier, amรฉboรฏde. Elle possรจde une paroi cellulaire fine, avec une couche dense aux รฉlectrons, et a la particularitรฉ de prรฉsenter ร sa surface de nombreuses extensions cytoplasmiques appelรฉes filopodia ou filopodes. Ces prolongements tubulaires auraient pour rรดle de : (i) faciliter lโattachement spรฉcifique aux pneumocytes de type I (DeiCas et al., 1991), (ii) augmenter la surface de contact du parasite avec l’รฉpithรฉlium respiratoire et ainsi accroรฎtre les รฉchanges nutritifs et gazeux avec les cellules hรดtes (Itatani et Marshall, 1988 ; Nielsen et Settnes, 1991), (iii) agir comme rรฉcepteurs chimio-sensitifs (Itatani et Marshall, 1988) (Figure 2).
Le sporocyte mesure 3 ร 5 ยตm de diamรจtre. De forme ovoรฏde, il se caractรฉrise par une diminution du nombre de filopodes. Selon lโรฉvolution de ce stade, on distingue :
โฆ le sporocyte prรฉcoce, uninuclรฉรฉ, qui possรจde une paroi cellulaire semblable ร celle de la forme trophique. Des complexes synaptonรฉmaux y ont รฉtรฉ observรฉs (Matsumoto et Yoshida 1984, Peters, 2001) : ils correspondent ร lโappariement des chromosomes homologues en prophase I de mรฉiose.
โฆ le sporocyte intermรฉdiaire qui comporte 2 ร 8 noyaux. Une couche intermรฉdiaire peu dense aux รฉlectrons vient sโintercaler entre la membrane plasmique et la couche externe dense aux รฉlectrons.
โฆ le sporocyte tardif qui prรฉsente une paroi cellulaire encore plus รฉpaisse. Huit spores uninuclรฉรฉes vont progressivement sโy individualiser, par invagination de la membrane plasmique.
Le kyste mature mesure 4 ร 7 ยตm. De forme arrondie, il possรจde une paroi cellulaire semblable ร celle des sporocytes intermรฉdiaires et tardifs et contient les huit spores bien individualisรฉes. Une deuxiรจme membrane ร double feuillet lipidique a รฉtรฉ dรฉcrite dans la paroi de ces spores (Vavra et Kucera, 1970): similaire ร la membrane plasmique, elle couvre la face externe de la paroi cellulaire des spores. Cette membrane externe (ou ยซ outermembrane ยป) est รฉgalement retrouvรฉe dans l’รฉpaisseur de la couche externe dense aux รฉlectrons de la paroi kystique, affleurant la couche intermรฉdiaire peu dense (DeStefano et al., 1990). Cette membrane externe pourrait jouer un rรดle dans les mรฉcanismes dโosmorรฉgulation et dans lโincorporation dโรฉlรฉments nutritifs. Elle pourrait รฉgalement participer aux interactions cellule hรดte/parasite et รชtre une cible pour des agents antimicrobiens (DeStefano et al., 1990) (Tableau 1).
Mรฉthodes dโobservation des stades parasitaires de Pneumocystisย
Les diffรฉrents stades parasitaires de Pneumocystis peuvent รชtre identifiรฉs aprรจs coloration panoptique au mรฉthanol-Giemsa (Bommer, 1966). Cette coloration, couramment employรฉe en recherche et pour le diagnostic de la pneumocystose, permet dโidentifier les diffรฉrents stades parasitaires de Pneumocystis et de les diffรฉrencier dโautres microorganismes ou de dรฉbris cellulaires. Les noyaux des formes parasitaires sont colorรฉs en pourpre et les cytoplasmes sont bleutรฉs. La paroi des formes kystiques nโest en revanche pas colorรฉe, elle apparaรฎt comme un halo clair et rรฉfringent. Les rรฉactifs RAL-555 (Rรฉactifs RAL) et Diff Quick (Andwin Scientific) commercialisรฉs en kits permettent de rรฉaliser rapidement (moins de 2 minutes) le mรชme type de coloration panoptique, avec une qualitรฉ proche de celle du Giemsa (Soulez et al., 1988 ; Soulez et al., 1991 ; Tollerud et al., 1989 ; Dei-Cas et al., 2004).
Les formes parasitaires ร paroi รฉpaisse (sporocytes intermรฉdiaires, tardifs et kystes) peuvent รชtre mises en รฉvidence par le Bleu de Toluidine Ortho (BTO) (Chalvardjian et Grawe, 1963). Ce colorant rรฉagit avec les sucres complexes de la paroi cellulaire par mรฉtachromatie induite. Les parasites prennent alors une couleur bleue violacรฉe et on peut observer une structure en forme de โvirguleโ ou de โparenthรจseโ, indicatrice dโun รฉpaississement localisรฉ de la paroi kystique (Yoshikawa et al., 1987). Il existe รฉgalement des techniques dโimprรฉgnation argentique comme le Gomori-Grocott qui donne une couleur brune aux parasites, grรขce ร lโaffinitรฉ du nitrate dโargent pour la couche intermรฉdiaire de la paroi cellulaire, peu dense aux รฉlectrons (Grocott, 1955). On trouve รฉgalement des anticorps monoclonaux qui, couplรฉs ร des fluorochromes ou ร la peroxydase, permettent de dรฉtecter soit tous les stades parasitaires (Santa Cruz Biotechnology, Abcam), soit uniquement les formes kystiques (MONOFLUO KIT P. jirovecii (P. carinii), BioRad) (Figure 3).
Cycle biologique
Plusieurs hypothรจses quant au cycle biologique de Pneumocystis ont รฉtรฉ posรฉes ร partir dโobservations en microscopie รฉlectronique, de reconstitutions 3D et plus rรฉcemment de donnรฉes molรฉculaires. Diffรฉrents auteurs ont proposรฉs des cycles similaires, avec ร la fois une phase de multiplication sexuรฉe et une phase de multiplication asexuรฉe (Yoshida, 1989 ; Cushion, 2004 ; Dei-Cas, 2004 ; De Souza et Benchimol, 2005, Thomas et Limper, 2007 ; Aliouat-Denis, 2008 ; Aliouat-Denis, 2009 ; Cushion et Stringer, 2010 ; Martinez et al., 2011). Du fait de lโabsence de culture continue, la transition dynamique entre ces stades parasitaires nโa cependant jamais รฉtรฉ suivie, empรชchant de tester clairement ces hypothรจses (Figure 4). Les รฉtudes ultrastructurales menรฉes sur des parasites dโhรดtes dโespรจces diffรฉrentes ont permis de proposer plusieurs cycles biologiques (Campbell, 1972 ; Vossen et al., 1978 ; Yoshida, 1989). A partir de ses observations chez le rat et des donnรฉes antรฉrieures dโautres auteurs, Yoshida proposa en 1989 un cycle biologique combinant : (i) une phase asexuรฉe au cours de laquelle les formes trophiques, haploรฏdes ou diploรฏdes, se multiplieraient par fission binaire et/ou endodiogรฉnie ; (ii) une phase sexuรฉe durant laquelle les spores haploรฏdes seraient formรฉes et รฉvolueraient aprรจs exkystement en formes trophiques. Quelques auteurs (Yamada et al., 1986 ; Stringer et Cushion, 1998 ; Wyder et al., 1998, Martinez et al., 2011) se sont intรฉressรฉs ร dรฉterminer la ploidรฏe de Pneumocystis et sont parvenus ร la conclusion que lโhaploรฏdie รฉtait majoritaire en particulier chez les formes trophiques. Le passage par un stade diploรฏde existe cependant comme lโattestent les images ultrastructurales dโun complexe synaptonรฉmal au stade sporocyte prรฉcoce (Matsumoto et Yoshida, 1984) et les analyses caryotypiques par รฉlectrophorรจse en champ pulsรฉ ร 2 dimensions suggรจrent รฉgalement cette diploรฏdie (Cornillot et al., 2002). Lโhypothรจse, partagรฉe par une majoritรฉ de scientifiques, serait donc quโune mรฉiose, suivie dโune mitose supplรฉmentaire, aurait lieu chez les formes kystiques et que la fusion (ou mating) de deux formes trophiques serait un prรฉalable ร la reconstitution de la diploรฏdie (Cushion, 2004, Martinez et al., 2011). Dโailleurs, lโexistence dโune conjugaison entre formes trophiques avait dรฉjร รฉtรฉ suggรฉrรฉe sur la base dโimages ultrastructurales (Itatani, 1996). La formation des 8 spores haploรฏdes se ferait par invagination de la membrane plasmique prรฉkystique autour de chacun des 8 noyaux. Leur mรฉcanisme de libรฉration nโest pas encore rรฉsolu. La paroi cellulaire kystique pourrait รชtre fragilisรฉe par lโaugmentation du volume des spores. Aprรจs rupture de cette paroi, les spores seraient expulsรฉes soit passivement (Vavra et Kucera, 1970 ; Vossen et al., 1978 ; Hasleton et al., 1981) soit activement via un pore (Itatani, 1994). Le processus de fusion entre deux cellules de types sexuels opposรฉs ou mating nรฉcessite la sรฉcrรฉtion mutuelle de phรฉromones spรฉcifiques. La fixation de ces phรฉromones sur un rรฉcepteur membranaire couplรฉ ร une protรฉine G active une cascade de transduction du signal, impliquant une MAP kinase (ยซ mitogen activated protein kinase ยป). Cette MAPK active ร son tour plusieurs effecteurs cellulaires avec, pour consรฉquence, un blocage du cycle cellulaire,ย lโinitiation de la transcription des gรจnes impliquรฉs dans le mating et, finalement, la fusion des cellules (Li et al., 2007). Rรฉcemment, des homologues fongiques de gรจnes impliquรฉs dans ces phรฉnomรจnes furent retrouvรฉs dans le gรฉnome de Pneumocystis, confortant lโhypothรจse de lโexistence dโune multiplication sexuรฉe. Lโexistence dโun cycle de reproduction sexuรฉe a ainsi รฉtรฉ renforcรฉe par la dรฉcouverte et lโexpression hรฉtรฉrologue du gรจne Pcste3 (ยซ Pneumocystis carinii STE3 ยป) codant pour un rรฉcepteur aux phรฉromones homologues du type โaโ (Smulian et al., 2001 ; Vohra et al., 2004). Ce rรฉcepteur transmembranaire nโest exprimรฉ que par une sous population de formes trophiques. Il semble absent ร la surface des formes kystiques (Vohra et al., 2004). Mรชme si le ligand-phรฉromone du rรฉcepteur codรฉ par Pcste3 ainsi que le couple rรฉcepteur-phรฉromone opposรฉ nโont pas encore รฉtรฉ identifiรฉs, ces rรฉsultats laissent supposer quโune conjugaison a lieu chez Pneumocystis au stade forme trophique. Au niveau chromosomique, le gรจne Pcste3 se situe au milieu dโautres gรจnes, comme les homologues de ste11 et ste20, codant pour des protรฉines impliquรฉes dans la voie de transduction du signal initiรฉe en rรฉponse aux phรฉromones (Smulian et al., 2001). Pcste20 (ยซ P. carinii STE20 ยป) est exprimรฉ suite ร lโadhรฉsion du parasite au niveau des cellules รฉpithรฉliales alvรฉolaires (Kottom et al., 2003). Lโexpression hรฉtรฉrologue de ce gรจne chez des mutants de S. cerevisiae ฮste20 a permis dโobtenir une croissance du champignon et de montrer son implication dans les voies de signalisation activรฉes aprรจs le mating (Kottom et al., 2003). Dโautres homologues (cdc31 de S. pombe par exemple) de gรจnes fongiques impliquรฉs dans la mรฉiose ont รฉgalement รฉtรฉ retrouvรฉs dans une banque dโEST (ยซ Expressed Sequence Tag ยป) de Pneumocystis (Cushion et al., 2007). Suite ร ce mating, une cascade impliquant des MAP kinases est activรฉe. Un gรจne codant pour une MAPK fut tout dโabord identifiรฉ chez P. carinii : cette kinase (PCM = ยซ Pneumocystis cariniii MAP kinase ยป) est homologue ร dโautres MAPK fongiques impliquรฉes dans les phรฉnomรจnes de prolifรฉration et de diffรฉrenciation (Thomas et al., 1998). Par la suite,des expรฉriences dโexpression hรฉtรฉrologue de PCM ont montrรฉ quโelle pouvait restaurer la voie de signalisation induite par les phรฉromones chez des doubles mutants de Saccharomyces cerevisiae fus3/kss1 (Vohra et al., 2003). Cette kinase, majoritairement prรฉsente chez les formes trophiques, peut phosphoryler lโhomologue du gรจne ste11 de Schizosaccharomyces pombe chez Pneumocystis (Vohra et al., 2003a). ste11 code en fait pour un facteur de transcription nรฉcessaire ร lโactivation de gรจnes impliquรฉs dans la conjugaison, suite ร la fixation des phรฉromones. Aprรจs le mating des formes trophiques,ย Ste11 activerait, indirectement Mei2, protรฉine qui joue un rรดle dans lโinduction et la progression de la mรฉiose (Harigaya et al., 2007).
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
GENERALITES
1. HISTORIQUE
2. TAXONOMIE
3. MORPHOLOGIE ET CYCLE BIOLOGIQUE DE PNEUMOCYSTIS
3.1. Morphologie
3.1.1. Mรฉthodes dโobservation des stades parasitaires de Pneumocystis
3.2. Cycle biologique
3.2.1. Ploรฏdie
3.3. Interactions hรดte/parasite
3.3.1. Adhรฉsion de Pneumocystis aux cellules alvรฉolaires
3.3.2. Interactions avec la matrice extracellulaire
3.3.3. Interaction avec le surfactant
4. LA PNEUMOCYSTOSE
4.1. Facteurs de risque
4.1.1. Le risque liรฉ ร lโinfection par le VIH
4.1.2. Les risques liรฉs ร dโautres causes dโimmunodรฉpression
4.2. Prรฉvalence et incidence de la Pneumocystose
4.2.1. Population VIH
4.2.2. Population non VIH
4.3. Influence des variations saisonniรจres
4.4. Prรฉsentations cliniques
4.4.1. Pneumocystose
4.5. Diagnostic de la pneumonie ร Pneumocystis
4.5.1. Prรฉlรจvements
4.5.2. Mise en รฉvidence
4.6. Traitement
5. IMPLICATION DU SYSTEME IMMUNITAIRE
5.1. Immunitรฉ innรฉe
5.2. Immunitรฉ adaptative
5.3. La rรฉponse cytokinique
6. TRANSMISSION
6.1. Prรฉvalence de la colonisation asymptomatique et impact clinique
6.2. Rรฉactivation ou contamination de novo
6.3. Transmission horizontale et verticale
6.4. Source environnementale et forme infectante
6.5 Variations gรฉnรฉtiques des isolats de Pneumocystis et consรฉquences sur la transmission
7. MODELES DโETUDE
7.1. Modรจles animaux
7.2. Modรจles de culture in vitro
7.2.1. Les co-cultures
7.2.2. Les cultures axรฉniques
CONCLUSION
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